Plaignant
Johanne Heppell
Mis en cause
Éric Duhaime, chroniqueur
Magazine Urbania
Résumé de la plainte
Johanne Heppell dépose une plainte le 17 février 2020 visant le chroniqueur Éric Duhaime et le magazine Urbania concernant la chronique « La peste Camus », publiée le 13 février 2020. La plaignante déplore de l’information inexacte et de l’information incomplète ainsi qu’une absence de modération des commentaires sur la page Facebook personnelle de l’animateur, un grief qui ne sera pas traité (voir le dernier paragraphe avant la conclusion).
CONTEXTE
Dans sa chronique, Éric Duhaime déplore que le blogueur Xavier Camus aime « s’attaquer à de faux scandales ». Le chroniqueur présente des situations où M. Camus, enseignant de philosophie qui s’intéresse notamment à l’essor de l’extrême droite, s’en est pris à lui. Éric Duhaime évoque notamment une publication de Xavier Camus datant du 10 septembre 2017 intitulée : « Richard Martineau et Éric Duhaime, membres du groupe secret de La Meute ».
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si l’animateur a transmis de l’information inexacte dans le passage suivant : « Camus sortait alors un “scoop” en révélant que Richard Martineau, Lise Ravary et moi étions membres de La Meute ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’information inexacte.
Analyse
La plaignante déplore que le chroniqueur « laisse entendre que Xavier Camus aurait dit que Duhaime était membre de La Meute ». Selon elle, cette information est fausse puisque Camus aurait plutôt indiqué qu’Éric Duhaime était membre du groupe Facebook de La Meute. « Ce qui est véridique puisque Duhaime l’a lui-même confirmé », affirme la plaignante.
Dans le cas présent, il ne s’agit pas de déterminer si Éric Duhaime était ou non membre du groupe Facebook de La Meute, mais plutôt de déterminer si le chroniqueur a rapporté avec exactitude ce que Xavier Camus a écrit dans le billet de blogue auquel il fait référence.
À la lecture du billet de blogue « Richard Martineau et Éric Duhaime, membres du groupe secret de La Meute », on constate que les termes « groupe secret » font référence à l’adhésion de quelques chroniqueurs, dont Éric Duhaime, au groupe Facebook de La Meute. Dès le premier paragraphe, Xavier Camus affirme : « Plusieurs personnalités sont abonnées à la page secrète du groupe d’extrême droite La Meute. Elles grossissent ainsi les rangs de la formation xénophobe qui s’enorgueillit d’avoir plus de 44 000 membres sur cette page. » Plus loin, on voit une capture d’écran montrant qu’Éric Duhaime est membre du groupe secret Facebook de La Meute.
Être membre d’un groupe Facebook ne signifie pas que l’on fait partie de l’organisation ou que l’on adhère à ses idées. On peut souhaiter être membre du groupe Facebook dans le simple but d’avoir accès à ce qui y est publié. Contrairement à une page Facebook, où les publications sont publiques, les publications d’un groupe secret Facebook sont visibles uniquement par ceux qui en sont membres.
M. Camus écrit bien sur son blogue que M. Duhaime était membre du groupe Facebook de La Meute, ce qui signifie qu’il suivait les activités que le groupe y diffuse, mais il n’écrit pas que M. Duhaime était membre de La Meute en tant que groupe de pression d’extrême droite. Ainsi, Éric Duhaime rapporte de l’information inexacte lorsqu’il écrit : « Camus sortait alors un “scoop” en révélant que Richard Martineau, Lise Ravary et moi étions membres de La Meute. »
Dans la décision D2018-04-049, le grief d’information inexacte avait également été retenu étant donné que la chroniqueuse Lise Ravary n’avait pas bien rapporté les faits présentés dans une chronique de Fabrice Vil qu’elle commentait. En faisant cela, elle avait attribué à M. Vil une opinion qu’il n’avait pas émise.
Dans le cas présent, il y a une différence entre être un membre de La Meute et être membre d’un groupe Facebook. La façon dont Éric Duhaime résume le billet de blogue de Xavier Camus n’est pas fidèle à la réalité qui y est présentée.
Grief 2 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet en n’expliquant pas son affirmation voulant que Xavier Camus admire « le totalitarisme des dictatures communistes ».
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
Selon la plaignante, « rien ne supporte » l’affirmation « farfelue » d’Éric Duhaime voulant que Xavier Camus « aime le totalitarisme des dictatures communistes ».
Or, il est inexact de dire que « rien ne supporte » l’argument de M. Duhaime. Il est important d’analyser l’extrait visé par la plainte dans son contexte puisqu’on y retrouve la prémisse sur laquelle le chroniqueur base son opinion dans les paragraphes qui précèdent le passage visé par la plainte :
« Ne pensez pas qu’il [Xavier Camus] promeut la liberté d’expression sur les campus quand on bâillonne ceux qui n’appartiennent pas à sa secte idéologique. N’imaginez surtout pas ce justicier biaisé déplorer l’action criminelle des extrémistes de l’environnement qui bloquent le pont Jacques-Cartier. Camus regarde ailleurs. Il est occupé à lire les commentaires de quidams sur ma page Facebook.
Pour moi, Camus n’est qu’une peste de cette gauche de plus en plus radicalisée. Un être profondément malhonnête. Un individu que je ne voudrais surtout pas voir enseigner à mes enfants.
Cela étant dit, la grande différence entre lui et moi, c’est que je n’admire pas le totalitarisme des dictatures communistes et ne souhaite donc pas empêcher ceux qui pensent différemment de moi de s’exprimer. »
Quand Éric Duhaime écrit « Ne pensez pas qu’il [Xavier Camus] promeut la liberté d’expression sur les campus quand on bâillonne ceux qui n’appartiennent pas à sa secte idéologique », il explique pourquoi il considère que Xavier Camus admire « le totalitarisme des dictatures communistes ». Aux yeux d’Éric Duhaime, Xavier Camus ne défend pas la liberté d’expression, comme dans les « dictatures communistes » qui tentent de faire taire les dissidents. Autrement dit, lorsqu’Éric Duhaime écrit que Xavier Camus « admire (…) le totalitarisme des dictatures communistes », il ne s’agit pas d’un résumé de l’opinion politique de Xavier Camus, mais plutôt d’une façon d’affirmer que M. Camus ne reconnaît pas à Éric Duhaime la liberté de faire valoir son opinion étant donné qu’il ne partage pas ses idées.
Même si on peut être en désaccord avec l’opinion de M. Duhaime, on ne peut pas dire qu’il a omis un élément essentiel à la compréhension de son sujet. Le principe déontologique de complétude indique que les journalistes doivent présenter les « éléments essentiels » à la bonne compréhension du sujet, c’est-à-dire les éléments absolument nécessaires, sans lesquels le sujet perd son sens. Les éléments complémentaires relèvent de la liberté éditoriale. Ainsi, Éric Duhaime était libre d’élaborer avec plus de détails ou pas les raisons qui l’amènent à percevoir Xavier Camus de cette façon.
Même si la plaignante souhaitait que le chroniqueur développe davantage son argumentaire, il n’a omis aucune information essentielle à la compréhension de son sujet.
Grief non traité : absence de modération des commentaires sur la page Facebook personnelle de l’animateur
La plaignante déplore également l’absence de modération des commentaires sur la page Facebook personnelle d’Éric Duhaime. Dans son argumentaire, elle établit une comparaison avec l’obligation des journalistes de modérer les propos des auditeurs dans le contexte d’une ligne ouverte. Or, l’article 16 du Guide sur les contributions du public ne vise pas les journalistes, mais plutôt les médias d’information. La page Facebook personnelle d’un journaliste n’est pas un média d’information tel que défini à l’article 2b) du Guide.
Note
Éric Duhaime et Urbania n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Johanne Heppell et blâme Éric Duhaime et Urbania concernant le grief d’information inexacte. Cependant, le grief d’information incomplète est rejeté.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentantes des entreprises de presse :
Maxime Bertrand
Marie-Andrée Prévost