Plaignant
Daniel Daviault
Mis en cause
Roxane Trudel et Dominique Scali, journalistes
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Daniel Daviault dépose une plainte le 27 avril 2020 contre le Journal de Montréal à propos d’un article publié en 2020. Il reproche aux deux journalistes d’avoir identifié de manière injustifiée une personne mineure impliquée dans un contexte judiciaire.
CONTEXTE
L’article mis en cause est la première version d’un article publié sur le site Internet du Journal de Montréal. Il relate un fait divers survenu à Montréal et impliquant deux fillettes, dont l’une a perdu la vie. L’article mis en cause a ensuite été modifié.
Le Conseil ne publie pas le titre de l’article du Journal de Montréal, ainsi que plusieurs informations qui s’y retrouvent, afin de ne pas contribuer à l’identification de la personne mineure.
Analyse
Grief 1 : identification de mineures dans un contexte judiciaire
Principe déontologique applicable
Identification des personnes mineures impliquées dans un contexte judiciaire : « (2) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent de publier toute mention de nature à permettre l’identification d’une personne mineure impliquée dans un contexte judiciaire comme victime ou témoin, sauf s’il existe un intérêt public prépondérant pour le faire, que cette personne y consent de façon libre et éclairée et qu’elle est accompagnée par des personnes majeures responsables. » (article 22 (2) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les deux journalistes ont manqué à leur devoir de s’abstenir de publier toute mention de nature à permettre l’identification d’une personne mineure impliquée dans un contexte judiciaire, sauf s’il existait un intérêt public prépondérant.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’identification injustifiée d’une mineure impliquée dans un contexte judiciaire, car il juge que les deux journalistes et le média ont contrevenu à l’article 22 (2) du Guide.
Analyse
Le plaignant déplore l’identification d’une enfant dont le visage est flouté. « Que c’est hypocrite », affirme le plaignant, « quand le nom de la mère et le nom de sa sœur sont publiés avec une photo en plus. »
On trouve dans l’article les informations suivantes : l’âge de l’enfant, une photo récente d’elle, visage flouté, aux côtés de sa soeur dont le visage n’est pas flouté, le nom et prénom de sa soeur, le nom et prénom de sa mère, le nom et prénom de sa tante, le nom et prénom de sa cousine, le nom de la petite rue et du quartier où habite son père, le nom et l’âge de l’auteure présumée du crime.
La combinaison de ces informations facilite l’identification de l’enfant. Le média a, par la suite, modifié l’article en retirant uniquement le nom de sa mère, mais cela ne suffit toutefois pas à protéger l’anonymat de l’enfant, puisque toutes les autres informations demeurent présentes.
Seul un « intérêt public prépondérant » aurait pu justifier la publication d’informations permettant d’identifier l’enfant impliqué dans ce drame, tel que précisé dans l’article 22 (2) du Guide rappelé en tête du présent grief. Ce n’est pas le cas ici : il n’y avait aucun intérêt public à permettre l’identification de cet enfant. Les deux journalistes auraient tout à fait pu rendre compte du fait divers en s’abstenant de fournir certaines informations qui, combinées, permettent d’identifier l’enfant, sans nuire aucunement à la compréhension de l’article.
Le Conseil a de longue date posé les principes de non-identification des personnes mineures impliquées dans un contexte judiciaire. Déjà en 1996, il avait publié un avis « sur la protection de l’anonymat des jeunes contrevenants et des mineurs impliqués dans des drames humains (…) » Le Conseil y affirme que le principe de l’anonymat pour les personnes mineures judiciarisées « doit s’étendre aux mineurs impliqués dans un débat judiciaire comme victimes ou comme témoins d’événements traumatisants, et cela afin de ne pas compromettre leurs chances de réinsertion sociale et familiale. »
Lorsqu’un enfant est impliqué dans un contexte judiciaire, les médias doivent éviter tout détail permettant de l’identifier, parce que son identification par des tiers, à travers les médias, a le potentiel de nuire à son développement.
En effet, la possibilité pour un mineur d’être reconnu dans un média peut entraîner des répercussions graves sur cet enfant. Dans le cas qui nous concerne, tout aurait dû être fait pour protéger l’identité de l’enfant victime du drame. Au contraire, de nombreuses informations ont été diffusées, permettant d’identifier cette victime mineure.
La non-divulgation de l’identité des personnes mineures est un principe bien établi, la connaissance de ce principe relevant de la formation de base des journalistes. La décision D2013-08-014 se réfère à l’ancien guide de déontologie du Conseil de presse, Droits et responsabilités de la presse, remplacé durant l’année 2015 par l’actuel Guide. Dans ce dossier, le Conseil a retenu le grief de divulgation de l’identité de personnes mineures parce qu’il a jugé qu’en nommant un pédophile et en révélant le lien de parenté qui le liait à ses victimes – ses petits enfants -, la journaliste dévoilait suffisamment d’informations pour identifier les personnes mineures impliquées.
De même, dans la décision D2014-01-081(2), le Conseil a retenu la plainte visant l’identification d’une personne mineure, parce que la journaliste avait dévoilé suffisamment d’éléments pour qu’il soit possible de déduire le nom des enfants d’un homme ayant fui la communauté des Lev Tahor, dirigée par son père, un rabbin. Il a été jugé que les mis en cause n’avaient pas fait preuve de toute la prudence nécessaire pour préserver l’anonymat des enfants aux yeux du public. La commission d’appel a maintenu la décision en rappelant que « la presse devrait s’abstenir de donner des détails susceptibles de permettre l’identification de jeunes stigmatisés, que ce soit comme victimes, tiers innocents ou parce qu’ils vivent des difficultés personnelles graves ».
Dans le cas présent, même si le nom de la mère a été retiré, de nombreux autres détails nuisent à la protection de l’anonymat de l’enfant. L’erreur commise par les journalistes n’a donc pas été réparée après la publication de la version de l’article mise en cause. En laissant ces informations, les journalistes et le média ne se sont pas abstenus de publier « toute mention de nature à permettre l’identification d’une personne mineure impliquée dans un contexte judiciaire », comme le prévoit le Guide.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Daniel Daviault contre le Journal de Montréal et les journalistes Roxane Trudel et Dominique Scali pour le grief d’identification injustifiée d’une mineure dans un contexte judiciaire.
En raison de la gravité du manquement à la déontologie journalistique, le Conseil adresse un blâme sévère aux deux journalistes et au média. En publiant de nombreuses informations de nature à permettre l’identification d’une personne mineure impliquée dans un contexte judiciaire et en ne corrigeant que très partiellement cette grave erreur, les journalistes et le média ont pris le risque de nuire à cet enfant.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que « lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentants des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Simon Chabot-Blain
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau