Plaignant
Alexis Gagné-LeBrun
Mis en cause
Don Macpherson, chroniqueur
Montreal Gazette
Postmedia
Résumé de la plainte
Alexis Gagné-LeBrun dépose une plainte le 23 octobre 2020 au sujet de la chronique « In the 1995 referendum, the Yes-side cheaters were smarter » de Don Macpherson, publiée dans le quotidien Montreal Gazette le même jour. Le plaignant déplore des informations incomplètes.
CONTEXTE
Dans sa chronique publiée alors que se déroulait le vote par anticipation dans le cadre de l’élection présidentielle américaine de 2020, Don Macpherson fait un lien entre les images provenant de certains États américains montrant de longues files d’attente devant des bureaux de vote et ce qu’il avait constaté dans sa circonscription de Notre-Dame-de-Grâce lors du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec. Il rappelle qu’alors que le taux de participation a été de 94% à travers le Québec, il n’a atteint que 82% dans sa circonscription, malgré des conditions qui favorisaient la participation électorale.
Le chroniqueur soutient que « l’explication la plus plausible » (« the most plausible explanation ») est le recours à des stratégies visant à décourager le vote de certains groupes d’électeurs en fonction de leurs opinions politiques, une stratégie parfois utilisée aux États-Unis. Dans le cas du référendum québécois, le chroniqueur émet l’hypothèse qu’une stratégie de suppression de vote pourrait expliquer les longues files d’attente aux bureaux de vote de sa circonscription, puisqu’une longue attente pouvait décourager les personnes âgées, généralement plus favorables au camp du non, de voter.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 La justice a observé les faits
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet de sa chronique concernant des décisions judiciaires qui, selon le plaignant n’auraient relevé aucune infraction dans le travail des scrutateurs lors du référendum dans le passage suivant :
« Donc, pourquoi, alors qu’il faisait beau, que notre bureau de vote était à distance de marche, tant de mes voisins de la classe moyenne n’auraient-ils pas voté?
L’explication la plus plausible est la suppression de vote, un terme souvent lié aux images provenant de l’élection américaine. Cela signifie empêcher ou décourager délibérément les partisans de l’opposition de voter.
Une façon d’y arriver est de créer des retards artificiels dans le temps que ça prend pour voter. Les électeurs âgés, en particulier, pourraient se lasser d’attendre et partir, ou faire demi-tour et rentrer chez eux à la vue de longues files d’attente. Et lors du référendum, les personnes âgées avaient tendance à être des partisans du non ».
(« So, why, then, in good weather, with our poll within walking distance two streets away, would so many of my middle-class neighbours not cast theirs?
The most plausible explanation is voter suppression, a term often connected to those pictures from the American election. It means deliberately preventing or discouraging supporters of the opposition from voting.
One way is to create artificial delays in voting. Elderly voters, in particular, might tire of waiting and leave, or turn around and go home at the sight of long lineups. And in the referendum, the elderly tended to be No supporters ».)
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Le plaignant considère que « le chroniqueur laisse entendre que des actions répréhensibles ont été posées par les scrutateurs en cause ». Selon lui, le chroniqueur « omet une information fondamentale : la justice a regardé les mêmes faits et a jugé qu’aucune infraction n’avait été commise. »
En réponse au plaignant, la représentante de Montreal Gazette, Edith Austin, observe d’abord que le passage visé par la plainte concerne la suppression de vote et non « la controverse autour du comptage des bulletins de vote ». Elle ajoute qu’il s’agit de « deux choses distinctes, ce que le chroniqueur explique nettement : juste après l’extrait cité par le plaignant, Macpherson fait référence à l’histoire des bulletins rejetés, mais il continue, “La suppression de vote, cependant, ne laisse aucune trace écrite sous la forme de bulletins de vote à réexaminer plus tard, puisque les bulletins de vote ne sont pas déposés en premier lieu.” (“Voter suppression, however, leaves no paper trail in the form of ballots to be re-examined later, since the ballots aren’t cast in the first place.”) »
Dans un deuxième temps, Mme Austin affirme qu’« à [sa] connaissance, “la justice” n’a jamais examiné les allégations de “voter suppression” en ce qui concerne le référendum de 1995. » De son côté, le chroniqueur Don Macpherson souligne que le plaignant « ne mentionne aucun jugement, aucun tribunal, aucune cause » dans son argumentaire.
En effet, le plaignant ne fournit pas de preuve quant à l’existence de jugements portant sur la suppression de vote lors du référendum de 1995.
Tout comme dans la décision antérieure D2019-09-128, où le Conseil a jugé qu’« on n’aurait pas pu exiger de la journaliste de faire état du lien entre les maladies pulmonaires et l’acétate de vitamine E puisque ce lien n’avait pas été établi de manière officielle au moment de la publication de l’article visé par la plainte », on ne peut pas reprocher ici au chroniqueur de ne pas avoir fait mention de décisions judiciaires dont l’existence n’est pas démontrée.
1.2 Étudiants de l’Université Bishop
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet concernant des personnes qui auraient été reconnues coupables en lien avec la tenue du référendum de 1995, dans le passage suivant :
« L’explication la plus plausible est la suppression de vote, un terme souvent lié aux images provenant de l’élection américaine. Cela signifie empêcher ou décourager délibérément les partisans de l’opposition de voter.
Une façon d’y arriver est de créer des retards artificiels dans le temps que ça prend pour voter. Les électeurs âgés, en particulier, pourraient se lasser d’attendre et partir, ou faire demi-tour et rentrer chez eux à la vue de longues files d’attente. Et lors du référendum, les personnes âgées avaient tendance à être des partisans du non ».
(« The most plausible explanation is voter suppression, a term often connected to those pictures from the American election. It means deliberately preventing or discouraging supporters of the opposition from voting.
One way is to create artificial delays in voting. Elderly voters, in particular, might tire of waiting and leave, or turn around and go home at the sight of long lineups. And in the referendum, the elderly tended to be No supporters ».)
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Le plaignant reproche au chroniqueur de ne pas avoir mentionné que la justice a reconnu « coupables des personnes en lien avec la tenue du référendum de 1995 ». Il explique que « quelques dizaines d’étudiants de l’Université Bishop [qui] ont voté illégalement, n’étaient pas des résidents québécois. Le journaliste devrait connaître cette information, et son omission indique que l’information présentée n’est pas complète. »
Le chroniqueur souligne, dans sa réponse au Conseil, que le sujet de sa chronique « est la suppression d’électeurs (voter suppression en anglais) lors du référendum québécois de 1995 sur la souveraineté ».
Selon lui, les gestes posés par des étudiants de l’Université Bishop, auxquels le plaignant fait référence, ne sont pas pertinents dans le contexte de sa chronique et de l’extrait visé par la plainte. M. Macpherson ajoute que dans le cadre d’une chronique, « le journaliste exprime son opinion, sur le sujet de son choix. Il présente, non pas “tous” les faits – une chronique n’est quand même pas une encyclopédie – mais seulement “les plus pertinents”, et “les éléments essentiels” à la bonne compréhension. »
Le principe d’incomplétude implique qu’un journaliste a omis une information essentielle à la compréhension de son sujet, c’est-à-dire une information sans laquelle tout le sens du sujet change, comme c’était le cas, par exemple, dans le dossier D2017-05-078. Cependant, dans le cas présent, le plaignant ne parvient pas à expliquer en quoi le cas des étudiants de l’Université Bishop aurait changé le sens de la chronique qui portait non pas sur des personnes ayant voté illégalement, mais sur une potentielle stratégie cherchant à décourager certaines personnes de voter.
La décision antérieure D2020-10-139 rappelle que « le principe de complétude, tel que défini dans le Guide, n’exige pas des journalistes de couvrir tous les angles possibles d’un sujet ou d’inclure dans un reportage ou une intervention chaque facette d’une histoire. Cela serait d’ailleurs impossible dans un laps de temps ou un nombre de mots limités. La complétude signifie plutôt qu’on ne peut pas omettre une information essentielle à la compréhension du sujet, c’est-à-dire sans laquelle l’histoire ne tient plus ou change complètement de sens. »
Ainsi, dans le cas présent, en fonction de l’angle choisi par le chroniqueur qui était la suppression de vote, il n’avait pas à présenter tous les cas de fraude qui ont été commis ou allégués dans le contexte du référendum de 1995. Il s’attarde sur ce qui explique, selon lui, le taux de participation inférieur à la moyenne nationale dans la circonscription de Notre-Dame-de-Grâce. L’information souhaitée par le plaignant concernant le vote illégal de certains étudiants de l’Université Bishop n’était pas essentielle à la compréhension du sujet puisqu’elle n’était pas en lien avec l’hypothèse de suppression de vote défendue par le chroniqueur.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Alexis Gagné-LeBrun contre la chronique intitulée « In the 1995 referendum, the Yes-side cheaters were smarter », de Don Macpherson, publiée le 23 octobre 2020 dans Montreal Gazette, concernant le grief d’informations incomplètes.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau