Plaignant
Émilie-Jade Bigelow
Milaydie Bujold
Alice Campeau
Marianne Durand
Jessica Girard
Maude Gravel
Mélyna Guillemette
Daphnée St-Jacques
Alice Trahan
1 382 plaignants en appui
Mis en cause
Geneviève Pettersen, journaliste :
Animatrice de l’émission radio « Les effrontées » à QUB radio
Invitée à l’émission télévisée « 100% Nouvelles » à LCN
Invitée à l’émission radio « Benoit Dutrizac » à QUB radio
Julie Marcoux, journaliste :
Animatrice de l’émission télévisée « 100% Nouvelles » à LCN
Benoit Dutrizac, journaliste :
Animateur de l’émission radio « Benoit Dutrizac » à QUB radio
QUB radio
LCN (Groupe TVA)
Résumé de la plainte
Émilie-Jade Bigelow, Milaydie Bujold, Alice Campeau, Marianne Durand, Jessica Girard, Maude Gravel, Mélyna Guillemette, Daphnée St-Jacques, Alice Trahan et 1382 plaignantes en appui déposent des plaintes les 10, 11 et 12 novembre 2020. Les émissions visées sont « 100% Nouvelles », animée par Julie Marcoux, « Benoit Dutrizac », animée par Benoit Dutrizac, et « Les effrontées », animée par Geneviève Pettersen. Les trois émissions ont été diffusées le 10 novembre 2020. Les plaignantes déplorent de la partialité, des informations inexactes, des informations incomplètes, une atteinte à la dignité, l’identification d’une personne mineure et de la discrimination. Un sous-grief d’information inexacte et le grief de manque d’équité ont été jugés irrecevables (explications à la fin de cette décision).
CONTEXTE
Les trois émissions concernées ont provoqué un nombre de plaintes sans précédent au Conseil de presse, soit près de 1400 plaintes pour un seul dossier. Un grand nombre de plaintes étaient de type « copier-coller », puisqu’un prototype de plainte a circulé sur les réseaux sociaux. Les plaignantes, des utilisatrices de ces réseaux sociaux, se sont concertées pour défendre une femme qu’elles suivaient sur le réseau Instagram, Élizabeth Rioux. Comme le prévoient les règlements du Conseil lorsque de multiples plaintes visent une même couverture journalistique, le Conseil a sélectionné un certain nombre de plaintes représentatives pour l’analyse de ce dossier.
Élisabeth Rioux, dont le comportement sur les réseaux sociaux fait l’objet des trois émissions visées, est une entrepreneure québécoise et « influenceuse », c’est-à-dire une personne qui bénéficie d’une notoriété sur les réseaux sociaux qui lui permet d’influencer l’opinion et les pratiques de consommation de son auditoire. Environ 1,6 million de personnes sont abonnées à son compte Instagram.
Sur ce compte Instagram, Élisabeth Rioux partage sa vie professionnelle (elle est propriétaire d’une compagnie de maillots de bain) et sa vie privée (son intimité, des histoires et des photos de sa fille, ses relations amoureuses, ses voyages, etc.). Elle publie des photos d’elle en maillot de bain afin de faire la promotion de son entreprise et propose des concours aux personnes qui la suivent sur Instagram. Elle y fait également de la publicité pour d’autres entreprises et la promotion de sa chaîne YouTube. Une des vidéos qu’elle a diffusé sur ses réseaux sociaux qui a beaucoup fait parler d’elle est la vidéo de son accouchement.
En novembre 2020, Élisabeth Rioux révèle dans des vidéos éphémères publiées sur Instagram, aussi appelées des stories Instagram, qu’elle a été victime de violence conjugale. Elle publie des images d’elle blessée au visage et des captures d’écran de messages qu’elle a fait parvenir à ses amies à la suite d’un présumé épisode de violence de son conjoint de l’époque, qui est aussi le père de sa fille.
La chroniqueuse et animatrice Geneviève Pettersen aborde les publications d’Élizabeth Rioux et d’autres influenceurs à l’émission de radio « Dutrizac », diffusée sur QUB radio et à l’émission télévisée « 100% Nouvelles », animée par Julie Marcoux sur LCN. L’extrait de « 100% Nouvelles » est diffusé simultanément sur les ondes de QUB radio, dans le cadre de l’émission de Geneviève Pettersen, « Les effrontées ».
Le jour même, Élisabeth Rioux a réagi aux propos de Julie Marcoux et Geneviève Pettersen : « Je peux pas croire […] que vous faites autant de désinformation autour d’un sujet aussi sensible. C’est dégueulasse, honte à vous », a-t-elle écrit. Mécontentes du traitement médiatique de cette histoire, Élisabeth Rioux et deux amies (aussi plaignantes dans ce dossier) – qui sont également des « influenceuses » – dénoncent sur les réseaux sociaux les propos tenus par ces journalistes et invitent leurs abonnés à porter plainte au Conseil de presse. Élisabeth Rioux n’a toutefois pas elle-même déposé de plainte au Conseil de presse.
Résumé des entrevues
Émission radio « Dutrizac » diffusée à QUB radio le 10 novembre 2020 : Benoit Dutrizac reçoit Geneviève Pettersen qui s’exprime au sujet de l’influenceuse Élisabeth Rioux. Geneviève Pettersen rapporte que l’influenceuse et son ex-conjoint, le père de son enfant, se sont quittés et « lavent leur linge sale en public ». Geneviève Pettersen indique qu’Élisabeth Rioux a accusé son ex-conjoint de violence conjugale en diffusant en stories des images de son visage blessé et des messages échangés avec ses amies. Durant le segment mis en cause, Benoit Dutrizac et Geneviève Pettersen critiquent le mode de vie d’Élisabeth Rioux et dénoncent plus largement la glorification de l’apparence sur les réseaux sociaux.
Émission télévisée « 100% Nouvelles » diffusée à LCN le 10 novembre 2020 et à l’émission radio de QUB radio « Les effrontées », animée par Geneviève Pettersen : Invitée à l’émission animée par Julie Marcoux, Geneviève Pettersen brosse le portrait d’Élisabeth Rioux et rapporte que l’influenceuse partage énormément sa vie privée sur les réseaux sociaux – un phénomène appelé « extimité » qui décrit le fait d’extérioriser son intimité. À titre d’exemple, Geneviève Pettersen parle de la vidéo d’accouchement qu’Élisabeth Rioux a partagée sur Instagram, qui est montrée à l’écran sans le son. Julie Marcoux revient sur la dénonciation de violence conjugale et Geneviève Pettersen explique que l’influenceuse a diffusé des photos de ses « bleus ». Elle ajoute qu’Élizabeth Rioux serait allée à la police et que son ex-conjoint ne peut plus l’approcher. Les deux journalistes s’interrogent sur ce genre de dénonciation sur les réseaux sociaux, craignant les impacts de ces stories pour les jeunes abonnés de cette influenceuse.
À la suite de la vague d’indignation des personnes qui suivent Élisabeth Rioux, Geneviève Pettersen et Julie Marcoux ont présenté des excuses sur Twitter et Instagram. Geneviève Pettersen a également présenté des excuses dans le cadre de son émission « Les effrontées », diffusée le lendemain des segments mis en cause, le 11 novembre 2020.
Analyse
Grief non traité : partialité visant Geneviève Pettersen et Benoit Dutrizac
Geneviève Pettersen et Benoit Dutrizac exercent le journalisme d’opinion à titre de chroniqueurs et d’émissions d’opinion. Bien que certaines plaignantes visent la partialité de Geneviève Pettersen et Benoit Dutrizac, le Conseil ne traitera pas ce grief puisque, contrairement au journalisme factuel, le journalisme d’opinion est exempté du principe d’impartialité, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec).
STATUT DE JULIE MARCOUX
Principes déontologiques applicables
Genres journalistiques : « (1) Il existe fondamentalement deux genres journalistiques ayant chacun leurs exigences propres : le journalisme factuel et le journalisme d’opinion. (2) Le genre journalistique pratiqué doit être facilement identifiable afin que le public ne soit pas induit en erreur. » (article 10 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Journalisme factuel : « (1) Le journaliste factuel rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte. (2) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. »
Journalisme d’opinion : « (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si l’animatrice Julie Marcoux fait du journalisme factuel ou du journalisme d’opinion à l’émission « 100% Nouvelles ».
Décision
Le Conseil de presse juge que, dans son rôle d’animatrice à l’émission « 100% Nouvelles », Julie Marcoux pratique le journalisme factuel.
Analyse
Diffusée sur la chaîne d’information en continu LCN, l’émission « 100% Nouvelles » présente des informations régionales, nationales, internationales, culturelles et sportives. Elle est animée par la journaliste Julie Marcoux, qui se décrit elle-même publiquement sur les réseaux LinkedIn et Twitter comme journaliste et chef d’antenne, TVA et LCN.
Aux yeux du public, en tant qu’animatrice d’une émission d’information intitulée « 100% Nouvelles » Julie Marcoux pratique donc le journalisme factuel. Le titre de l’émission donne d’ailleurs le ton du contenu proposé. Le public doit donc s’attendre à un traitement impartial de l’information de la part de l’animatrice.
L’important est de déterminer à quoi s’attend le public : de l’information impartiale ou de l’information présentée à travers le biais d’une opinion? Dans le cas de Julie Marcoux, rien n’indique publiquement qu’elle exerce le journalisme d’opinion et elle ne se présente d’ailleurs pas comme telle, au contraire. Puisque le Conseil la considère comme pratiquant le journalisme factuel, il traitera le grief de partialité qui la concerne.
Il n’est pas toujours facile pour le public de déterminer quels animateurs de radio ou de télévision pratiquent le journalisme factuel et lesquels pratiquent le journalisme d’opinion. Le mélange des genres, des animateurs qui présentent des nouvelles tout en donnant leur opinion, de plus en plus fréquent, participe d’ailleurs à la confusion.
À l’écoute de l’émission, on constate que Julie Marcoux présente généralement les faits sans les commenter. À l’inverse, dans l’émission « Québec Matin » à LCN (Groupe TVA), l’animateur Jean-François Guérin, commente de façon régulière les nouvelles rapportées par les journalistes. C’est pourquoi le Conseil a estimé, dans le dossier D2019-01-012, que Jean-François Guérin, dans l’émission « Québec Matin » à LCN (Groupe TVA), pratiquait le journalisme d’opinion.
GRIEFS DES PLAIGNANTES
Grief 1 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 c) du Guide)
1.1 « Malaise »
Le Conseil doit déterminer si Julie Marcoux a pris parti en faveur d’un point de vue particulier dans l’extrait suivant : « J’ai eu un malaise quand j’ai vu ça, mais bon, je me dis, c’est peut-être une autre époque. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Pour la plaignante Jessica Girard, Julie Marcoux exprime son opinion lorsqu’elle dit qu’elle a un malaise : « Ces propos sont clairement des opinions personnelles et cela ne devrait jamais être entendu à la télévision. Si la dame a eu un malaise en voyant l’accouchement elle avait simplement à quitter la vidéo en question. »
Lorsque Julie Marcoux dit : « J’ai eu un malaise quand j’ai vu ça, mais bon, je me dis, c’est peut-être une autre époque », elle répond à Geneviève Pettersen qui l’interpelle au sujet de la vidéo de l’accouchement d’Élisabeth Rioux, que cette dernière a publiée sur sa page YouTube, le 18 juillet 2020. Ces images sont diffusées à l’écran en même temps que l’échange entre Julie Marcoux et Geneviève Pettersen. La discussion entre les journalistes va comme suit :
Geneviève Pettersen : « En fait, une habitude qu’ont les influenceurs, c’est de régler leurs conflits de façon publique. Et là on la voit avec son chum, ils viennent d’avoir un enfant, ça fait pas très longtemps et ils partagent absolument tout, l’échographie… Ces moments intimes, normalement qu’on garde pour nous, pour notre famille, peut-être pour nos amis les plus intimes, eux autres partagent ça partout dans le monde, partout, ça fait le tour. C’est un phénomène qu’on appelle “extimité”, tsé c’est une espèce d’overdose d’intimité… »
Julie Marcoux : « D’exhibitionnisme au cube! »
Geneviève Pettersen : « Bien c’est de partager des affaires que normalement on aurait tendance à vouloir garder pour nous, à la face du monde. Élisabeth Rioux évidemment n’est pas la seule à faire ça, ils sont nombreuses et nombreux à le faire. Il y a davantage de filles, c’est vrai, qui s’exposent comme ça sur Instagram pour des raisons qu’on connaît. Mais là on la voit quand même, là Julie, en train d’accoucher. Je sais pas pour toi, mais moi la dernière affaire que j’aurais… »
Julie Marcoux : « Non non, c’est sûr que moi… J’ai eu un malaise quand j’ai vu ça, mais bon, je me dis, c’est peut-être une autre époque. Mais là, elle a publié des photos d’elle où on la voit avec des marques assez importantes, où elle dit que c’est son ex-conjoint qui est responsable de l’avoir battue. Là c’est très très grave. Mais, je veux dire, qu’elle appelle la police, parce qu’il y a des milliers de petites filles qui suivent ça pis qui l’admirent. Une influenceuse, c’est ça, ça influence bien des gens. »
Comme le principe d’impartialité l’indique, un journaliste doit éviter de prendre parti pour un point de vue en particulier. Cependant, en exprimant un sentiment de « malaise », alors qu’elle est interpellée en direct sur les images intimes diffusées à l’écran, Julie Marcoux n’a pas pris parti en faveur d’un point de vue. Un malaise correspond à un sentiment qui habite une personne, il s’agit d’un « état, sentiment de trouble, de gêne, d’inquiétude, de tension », selon le dictionnaire Larousse. La partialité se manifeste généralement par le choix de termes ou d’expressions connotés, ou une appréciation personnelle des faits, qui ont pour effet d’orienter le public dans sa compréhension des événements. Dans le cas présent, la journaliste n’incite pas les auditeurs à prendre parti dans cette affaire. Elle répond à Geneviève Pettersen qui la questionne sur la diffusion publique des images d’un accouchement. Julie Marcoux nuance d’ailleurs son propos, en ajoutant que de partager ce genre d’images « c’est peut-être une autre époque », et puis revient sur le sujet de la violence conjugale dénoncée par Élisabeth Rioux.
Certains mots peuvent être interprétés de différentes façons. Dans un dossier similaire (D2019-04-065), le plaignant considérait que le journaliste avait fait preuve de partialité dans sa couverture du litige entre Québecor et Bell en utilisant l’expression « main tendue ». Il n’y avait pas de faute déontologique dans l’utilisation de cette expression, à la lumière des diverses définitions de « main tendue », malgré la signification perçue par le plaignant. De la même manière, dans le cas présent, Julie Marcoux pouvait exprimer un sentiment de « malaise », un mot qui n’est pas connoté et qui n’est rattaché à aucun parti pris.
1.2 « C’est très très grave, mais je veux dire, qu’elle appelle la police, parce qu’il y a des milliers de petites filles qui suivent ça pis qui l’admirent. »
Le Conseil doit déterminer si Julie Marcoux a pris parti en faveur d’un point de vue particulier dans l’extrait suivant : « C’est très très grave, mais je veux dire, qu’elle appelle la police, parce qu’il y a des milliers de petites filles qui suivent ça pis qui l’admirent. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité à la majorité (5/6) sur ce point, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Jessica Girard estime que Julie Marcoux émet une opinion et elle se demande ce qu’elle « voulait dire quand elle a fait mention que plusieurs jeunes filles la suivent [Élisabeth Rioux] sur les réseaux sociaux? Voulait-elle dire que Élisabeth ne montre pas l’exemple aux filles parce qu’elle dénonce la violence conjugale ou parce que c’est malaisant de parler de violence conjugale? Peu importe ce qui est est, la journaliste n’a pas terminé sa phrase ce qui laisse sous-entendre bien des choses ».
Julie Marcoux a prononcé la phrase visée dans le segment suivant :
Julie Marcoux : « Mais là, elle a publié des photos d’elle où on la voit avec des marques assez importantes, où elle dit que c’est son ex-conjoint qui est responsable de l’avoir battue. Là c’est très très grave. Mais je veux dire, qu’elle appelle la police, parce qu’il y a des milliers de petites filles qui suivent ça pis qui l’admirent. Une influenceuse, c’est ça, ça influence bien des gens. »
Les membres majoritaires considèrent que la journaliste n’a pas fait preuve de partialité, puisqu’elle ne prend pas parti en faveur d’un point de vue en particulier. De plus, il revient à la partie plaignante d’expliquer envers qui et en quoi le passage visé refléterait un parti pris de la part de la journaliste, ce que la plaignante ne fait pas dans le cas présent. La plaignante pose des questions et avance des hypothèses en affirmant que « la journaliste n’a pas terminé sa phrase ce qui laisse sous-entendre bien des choses ». Or le Conseil ne se penche pas sur les sous-entendus et les non-dits.
Un membre exprime sa dissidence, estimant que la journaliste exprime un jugement de valeur en se prononçant sur la manière dont les victimes devraient se comporter en cas de violence conjugale lorsqu’elle dit : « qu’elle appelle la police ».
Cependant, pour les membres majoritaires, la journaliste n’a pas employé de terme connoté et n’oriente pas les auditeurs dans leur compréhension des événements. Julie Marcoux parle d’un fait, à savoir que la violence conjugale, c’est « très grave » et qu’une personne qui en est victime doit appeler la police, ce qui relève de l’information et non d’un parti pris.
Grief 2 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)
2.1 Régler les conflits de façon publique
Le Conseil doit déterminer si Geneviève Pettersen a produit de l’information inexacte dans la phrase suivante : « Une habitude qu’ont les influenceurs, c’est de régler leurs conflits de façon publique. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Alice Campeau déplore que Geneviève Pettersen laisse « entendre qu’Élisabeth Rioux lavait son linge sale sur les réseaux sociaux. Le ton utilisé laisse entendre qu’aucune procédure judiciaire n’est en cours, alors que c’est faux ». La plaignante indique qu’Élisabeth Rioux « a entamé un processus judiciaire contre son ex-conjoint qu’elle a préféré garder privé pour des raisons évidentes. Cette procédure est en cours depuis plusieurs mois […] C’est quand son ex-conjoint l’a attaquée sur les réseaux en répandant des rumeurs, cette semaine, qu’elle a décidé de dire la vérité pour se défendre d’allégations d’adultère ». La plaignante explique que, « de par la nature de son métier », Élisabeth Rioux « recevait énormément de questions et de pression de ses abonnés pour savoir ce qu’il se passait [entre elle et son ex-conjoint] ».
Contrairement à ce que suggère la plaignante, Geneviève Pettersen n’affirme pas qu’Élizabeth Rioux n’a pas entamé de procédures judiciaires. Elle ne dit pas non plus qu’Élisabeth Rioux « lave son linge sale sur les réseaux sociaux », elle vise les influenceurs de manière générale et soutient qu’ils ont l’habitude de « régler leurs conflits de façon publique » :
Geneviève Pettersen : « Mais [Élisabeth Rioux] partage beaucoup beaucoup sa vie privée. Et, évidemment, elle est très très populaire. Et là, tu dis, sa vie devient un petit peu sinistre, c’est que ces derniers jours… En fait, une habitude qu’ont les influenceurs, c’est de régler leurs conflits de façon publique. »
La plaignante soutient également que « le ton utilisé laisse entendre qu’aucune procédure judiciaire n’est en cours, alors que c’est faux ». Le Conseil ne se penche pas sur le ton utilisé et les sous-entendus, qui relèvent de l’interprétation de la plaignante. Pour constater une inexactitude, il faut démontrer qu’une information est inexacte dans l’extrait visé.
Dans un dossier similaire (D2019-09-124), le grief d’information inexacte a été rejeté, car le plaignant interprétait les propos du journaliste. Le plaignant affirmait que « tout le paragraphe en lien avec [Carlos Julian] Mazuera n’est pas en lien avec moi. Oui c’est mon cousin, mais nous n’avons pas une relation proche. »
Cependant, le journaliste n’écrivait pas que Carlos Julian Mazuera et Julian Andrey Mazuera avaient une « relation proche » : il indiquait uniquement leur lien familial. Le Conseil a en conclut que « le plaignant interpr[était] les écrits du journaliste en lui reprochant des inexactitudes inexistantes ».
De la même manière, dans le cas présent, la plaignante interprète les propos de Geneviève Pettersen. La chroniqueuse n’a pas commis de faute déontologique en donnant son opinion sur l’habitude qu’elle a constatée chez les influenceurs de façon générale.
2.2 Contacter la police
Le Conseil doit déterminer si Julie Marcoux a produit de l’information inexacte dans la phrase suivante : « Mais je veux dire, qu’elle appelle la police, parce qu’il y a des milliers de petites filles qui suivent ça pis qui l’admirent. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Daphnée St-Jacques déplore que Julie Marcoux ait « fait comme si la jeune femme n’avait pas tenté de s’en sortir en contactant des ressources et la police (ce qu’elle a fait) ». Selon cette plaignante, Julie Marcoux affirme que Élisabeth Rioux « n’aurait pas tenté de contacter les autorités (alors que sur les réseaux sociaux d’Élisabeth Rioux et de ses proches amies, on apprend que la jeune femme a tenté, plusieurs fois, de contacter des ressources pour les individus subissant de la violence conjugale et qu’elle a contacté la police) ».
Alice Campeau soutient qu’Élisabeth Rioux « a entamé un processus judiciaire contre son ex-conjoint qu’elle a préféré garder privé pour des raisons évidentes. Cette procédure est en cours depuis plusieurs mois ».
Julie Marcoux n’affirme pas qu’Élizabeth Rioux n’a pas entamé de procédures judiciaires ou qu’elle n’a pas contacté la police, contrairement à ce que suggèrent les plaignantes. Elle réagit plutôt à la gravité de la situation exposée par Élisabeth Rioux. Plus loin dans le segment, Geneviève Pettersen précise d’ailleurs qu’Élisabeth Rioux et son amie « seraient allées à la police » :
Julie Marcoux : Mais là elle a publié des photos d’elle où on la voit avec des marques assez importantes, où elle dit que c’est son ex-conjoint qui est responsable de l’avoir battue. Là c’est très très grave. Mais je veux dire, qu’elle appelle la police, parce qu’il y a des milliers de petites filles qui suivent ça pis qui l’admirent. Une influenceuse, c’est ça, ça influence bien des gens. »
Geneviève Pettersen : « Oui, bien, c’est là où moi je trouve ça excessivement complexe et très très délicat, parce que, je le disais tantôt, les influenceurs souvent, pis pas tous, mais parfois, lavent leur linge intime en public, et là hier ça a pris des tournures quand même assez intense. Élisabeth Rioux, on se demandait qu’est-ce qu’il se passait avec le père de son enfant, visiblement ils étaient séparés depuis un petit bout, et là, le chat sort du sac, elle serait victime de violence conjugale. Là une espèce d’échauffourée s’est fomentée sur Instagram, on a vu des photos de ses bleus, sa meilleure amie s’en est mêlée en disant : “Écoute là, moi une fois je suis allée la chercher chez elle et elle avait le visage en sang”. Pis là, dernier développement, cette amie-là en question là, qui est une de ses meilleures amies, elle dit qu’ils seraient allés à la police, elle serait allée à la police avec Élisabeth Rioux, et qu’il y aurait un 810 là, un empêchement d’approcher la présumée victime, mais ça va très très loin. »
Comme expliqué au sous-grief précédent, pour constater une inexactitude, il faut trouver une information inexacte dans l’extrait visé, nonobstant l’interprétation qu’en font les plaignantes.
Dans un dossier similaire (D2019-04-060), le grief d’information inexacte a été rejeté puisque les plaignants interprétaient le texte et reprochaient à la journaliste une information inexacte qui ne s’y trouvait pas : « Nulle part il n’[était] en effet écrit que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de Me Petrowsky », comme le soutenait la partie plaignante. De la même manière, dans le cas présent, Julie Marcoux n’a commis aucun manquement déontologique, puisqu’elle n’a pas tenu les propos qui lui sont reprochés.
Grief 3 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
3.1 Violence conjugale
Le Conseil doit déterminer si Geneviève Pettersen et Julie Marcoux ont omis des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet en ce qui concerne « la situation de violence conjugale » d’Élisabeth Rioux, comme le soutiennent les plaignantes.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Maude Gravel et Alice Trahan déplorent que « la majorité de l’entrevue ne parle pas de violence conjugale ». Selon elles, « tous les éléments concernant sa situation de violence conjugale n’étaient pas présents afin de permettre une bonne compréhension du sujet ». Ces deux plaignantes avancent qu’au « lieu de se concentrer sur le vrai sujet qui est la violence conjugale, de sortir des statistiques pertinentes, d’encourager ceux et celles qui sont aussi victimes à la maison d’en parler et de dénoncer, d’offrir de pistes de solutions et des liens, numéros de téléphone concrets pour aider, les deux journalistes ont préféré faire du “shaming” sur Élisabeth ».
Rappelons que l’angle principal du sujet de discussion entre les deux journalistes concerne avant tout l’« extimité ». Les journalistes ne sont pas tenus de couvrir tous les angles liés à un même sujet. Julie Marcoux et Geneviève Pettersen ont décidé de parler de la situation d’Élisabeth Rioux sous l’angle du partage de sa vie privée sur les réseaux sociaux. Les deux animatrices ne contestent pas le fait qu’il y ait possiblement eu de la violence conjugale. Geneviève Pettersen déplore plutôt que la dénonciation se fasse sur les réseaux sociaux.
Même si les journalistes auraient pu donner des statistiques, des pistes de solution ou des numéros de téléphone pour aider les victimes de violence conjugale, comme l’auraient souhaité les plaignantes, elles n’ont pas commis de faute déontologique en ne le faisant pas, puisque ce n’était pas l’angle du sujet. Il faut également souligner que l’intervention de Geneviève Pettersen à « 100% Nouvelles » se déroule en direct. Le segment se termine abruptement, puisque LCN doit couvrir l’allocution du nouveau président des États-Unis, Joe Biden, qui a été élu quelques jours auparavant. Les journalistes disposaient d’un temps limité afin de couvrir le sujet.
Les décisions antérieures du Conseil expliquent que la déontologie journalistique n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le public. Par exemple, dans le dossier D2020-04-056, le grief d’information incomplète a été rejeté parce que « les journalistes n’avaient pas l’obligation déontologique de diffuser toutes les informations liées au sujet du reportage, ce qui serait d’ailleurs impossible dans un temps limité ». Le plaignant estimait que la journaliste avait omis « de mentionner que le rapport Breitel a été traité » dans des articles publiés dans La Presse en 1980, Le Devoir en 1981 et The Globe and Mail en 1997. Le plaignant n’expliquait pas en quoi cette information aurait été essentielle, selon lui, à la compréhension du sujet. Malgré cela, les articles qu’il évoquait n’auraient pas changé la compréhension du sujet du reportage. En fonction des angles de traitement choisis, les mis en cause n’avaient pas l’obligation de faire état des articles soumis par le plaignant, car ils n’étaient pas essentiels à la compréhension du sujet du reportage ».
De la même manière, dans le cas présent, les journalistes ont choisi de couvrir la situation vécue et dévoilée publiquement par Élisabeth Rioux sous l’angle de « l’extimité ». La liberté éditoriale accordée aux journalistes leur permet de choisir l’angle du sujet qu’elles traitent.
3.2 Silence sur sa situation
Le Conseil doit déterminer si Geneviève Pettersen et Julie Marcoux ont omis des éléments essentiels à la compréhension du sujet en « ommet[a]nt le fait que la jeune femme refusait, depuis plusieurs mois, de parler de sa situation » et « qu’elle expose sa version des faits seulement en dernier recours », comme le soutient la plaignante.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Daphnée Saint-Jacques indique que Geneviève Pettersen et Julie Marcoux « omettent le fait que la jeune femme refusait, depuis plusieurs mois, de parler de sa situation, insinuant qu’elle “lave son linge sale en public”, alors qu’elle expose sa version des faits seulement en dernier recours, alors qu’elle est victime depuis des mois de messages haineux et de commentaires désobligeants de la part des fans de son ex ».
Tel qu’expliqué au sous-grief précédent, l’angle de la discussion entre les deux journalistes portait sur l’extimité des influenceurs en prenant l’exemple d’Élisabeth Rioux. Le choix d’un sujet et de son traitement relève de la liberté éditoriale. Les journalistes n’avaient pas à couvrir tous les angles de la situation d’Élisabeth Rioux. De plus, la plaignante n’apporte pas la preuve que Élisabeth Rioux aurait refusé, « depuis plusieurs mois, de parler de sa situation », qu’elle « expose sa version des faits seulement en dernier recours » et qu’elle était « victime depuis des mois de messages haineux et de commentaires désobligeants de la part des fans de son ex ».
À ce sujet, les décisions antérieures du Conseil montrent qu’il revient à la partie plaignante d’expliquer en quoi l’information souhaitée est essentielle à la compréhension du sujet. Par exemple, dans le dossier D2020-07-093, le grief d’information incomplète a été rejeté parce que le plaignant ne démontrait pas le caractère indispensable de l’information qu’il aurait souhaité voir dans le reportage. Le plaignant soutenait que « s’il y avait un manque d’équipement, la responsabilité aurait dû être attribuée au CISSSMO ». Le plaignant ne précisait pas en quoi le fait que le CISSSMO soit responsable de la situation à la Résidence Académie aurait changé la compréhension du sujet. L’information essentielle était qu’il manquait du matériel de protection dans les résidences Académie et Bellerive et que les mesures sanitaires y étaient mal appliquées, non pas de savoir qui était responsable de ces manquements.
De la même manière, dans le cas présent, la plaignante n’argumente pas le grief d’information incomplète qu’elle avance. Daphnée Saint-Jacques n’explique pas non plus en quoi ces informations sont essentielles à la compréhension du sujet.
Grief 4 : atteinte à la dignité
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
Le Conseil doit déterminer si Geneviève Pettersen et Julie Marcoux ont manqué de respect à la dignité d’Élisabeth Rioux.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’atteinte à la dignité.
Analyse
Daphnée Saint-Jacques estime que Geneviève Pettersen et Julie Marcoux « ont entaché la dignité de la jeune femme en se moquant […] de son choix d’afficher son accouchement sur les réseaux sociaux » et en exprimant leur « malaise » à voir ces images.
La plaignante ne cible aucun passage où les deux journalistes se moqueraient d’Élisabeth Rioux. Julie Marcoux prononce le mot « malaise » lorsqu’elle répond à Geneviève Pettersen qui l’interpelle au sujet de la vidéo de l’accouchement d’Élisabeth :
Geneviève Pettersen : « Bien c’est de partager des affaires que normalement on aurait tendance à vouloir garder pour nous, à la face du monde. Élisabeth Rioux évidemment n’est pas la seule à faire ça, ils sont nombreuses et nombreux à le faire. Il y a davantage de filles, c’est vrai, qui s’exposent comme ça sur Instagram pour des raisons qu’on connaît. Mais là on la voit quand même, là Julie, en train d’accoucher. Je sais pas pour toi, mais moi la dernière affaire que j’aurais… »
Julie Marcoux : « Non non, c’est sûr que moi… J’ai eu un malaise quand j’ai vu ça, mais bon, je me dis, c’est peut-être une autre époque. Mais là, elle a publié des photos d’elle où on la voit avec des marques assez importantes, où elle dit que c’est son ex-conjoint qui est responsable de l’avoir battue. Là c’est très très grave. Mais je veux dire, qu’elle appelle la police, parce qu’il y a des milliers de petites filles qui suivent ça pis qui l’admirent. Une influenceuse c’est ça, ça influence bien des gens. »
Bien que les deux journalistes soulèvent des questions sur le fait qu’Élizabeth Rioux a choisi de publier la vidéo de son accouchement sur les réseaux sociaux, cela n’équivaut pas à manquer de respect à sa dignité. Ce n’est pas parce que Julie Marcoux emploie le mot « malaise » que les journalistes ont « entaché la dignité de la jeune femme en se moquant […] de son choix d’afficher son accouchement sur les réseaux sociaux ». De plus, même si Geneviève Pettersen avait directement critiqué Élizabeth Rioux, une journaliste d’opinion peut critiquer des personnes et même s’en moquer, ce qui n’équivaut pas à atteindre à leur dignité.
En déontologie journalistique, enfreindre le principe de respect de la dignité se traduit par l’utilisation de propos déshumanisants ou vivement dégradants, comme ce fut le cas dans le dossier D2016-04-139 où le média avait publié des commentaires d’internautes qui traitaient un jeune homme de « déchet » et de « vidange » et affirmaient : « Ils auraient dû le descendre ». La décision du Conseil explique que « ces propos [étaient] manifestement offensants et irrespectueux, de sorte qu’ils port[aient] atteinte à la dignité de M. Villanueva et, dans certains cas, incit[aient] à la violence envers lui ». Dans le cas présent, les journalistes n’emploient aucun terme qui porte atteinte à la dignité d’Élisabeth Rioux.
Dans un autre dossier, le D2020-07-092, le grief d’atteinte à la dignité a été rejeté, car le mot « bum » n’était pas dégradant ou déshumanisant. Le plaignant considérait que le choix du mot « bum » dans le titre « La triste fin d’un jeune bum de Laval » était « clairement inapproprié dans les circonstances » : « Quoiqu’on puisse penser des choix de vie du défunt, un décès reste un décès et un deuil reste un deuil ». Le Conseil était sensible aux arguments d’Alexandre Popovic, qui estimait que le mot « bum » « dénote un manque total de classe ». La décision explique que « bien que le qualificatif ne soit pas élogieux, son emploi ne montre pas un manque de respect à la dignité du défunt. Au sens de “voyou” et de “délinquant”, tel qu’utilisé dans l’article, le terme reflète les antécédents judiciaires de Kevin Denis […] Ce terme n’est pas dégradant ou déshumanisant et il ne manque pas de respect au jeune homme décédé, puisqu’il reflète le contenu d’un article relatant les nombreux méfaits qu’il a perpétrés ». De la même manière, dans le cas présent, le mot « malaise » n’est pas un terme dégradant ou déshumanisant. Il reflète la réaction plutôt nuancée de Julie Marcoux au fait qu’Élisabeth Rioux ait diffusé publiquement une vidéo montrant des scènes de son accouchement.
Grief 5 : identification d’une mineure hors du contexte judiciaire
Principe déontologique applicable
Identification des personnes mineures hors du contexte judiciaire : « (1) Hors du contexte judiciaire, les journalistes et les médias d’information s’abstiennent de publier toute mention propre à permettre l’identification de personnes mineures lorsque celle-ci risquerait de compromettre leur sécurité et leur développement. (2) Toute exception à ce principe doit être justifiée par un intérêt public prépondérant et requiert en outre un consentement libre et éclairé, ainsi que le soutien et l’accompagnement de personnes majeures responsables. » (article 22.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Geneviève Pettersen a permis l’identification d’une personne mineure, risquant de compromettre sa sécurité et son développement. Si oui, le Conseil doit déterminer si l’intérêt public le justifiait, considérant le « consentement libre et éclairé, ainsi que le soutien et l’accompagnement de personnes majeures responsables ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’identification d’une mineure hors du contexte judiciaire.
Analyse
Marianne Durand déplore que le nom de la fille d’Élisabeth Rioux ait été dévoilé par Geneviève Pettersen lors de son entretien avec Benoit Dutrizac à l’émission « Dutrizac ».
La chroniqueuse mentionne le nom de la fille d’Élisabeth Rioux dans l’extrait suivant :
Geneviève Pettersen : « Littéralement, elle [Élisabeth Rioux] vit sur les médias sociaux, tsé vie et mort sur les médias sociaux. Elle a eu un enfant récemment, son enfant qu’elle a baptisée… »
Benoit Dutrizac : « Twitter? »
Geneviève Pettersen : « Wolfie »
Benoit Dutrizac : « Wolfie Rioux? »
Geneviève Pettersen : « Non, c’est peut-être Wolfie McCormick, parce que Bryan McCormick c’est le père de son enfant. »
Contrairement à ce que soutient la plaignante, le nom de cet enfant n’a pas été dévoilé au public par Geneviève Pettersen, mais par Élisabeth Rioux elle-même à travers différentes plateformes. Mme Rioux se décrit dans sa biographie Instagram, où elle est suivie par plus d’un million d’internautes, comme la « Jeune et cool mère de Wolfie » (« Young & cool mom of Wolfie »). Elle publie des photos de sa fille, avec son nom, sur son compte Instagram depuis qu’elle lui a donné naissance. On peut également voir sa fillette dans des vidéos publiées sur sa page YouTube. En dévoilant publiquement le nom de sa fille, Élisabeth Rioux a consenti à ce que cette information se retrouve dans l’espace public. Élizabeth Rioux a aussi partagé largement le nom du père de sa fille.
Considérant que la mère de l’enfant, Élisabeth Rioux, avait déjà rendu public le nom de sa fille en le partageant sur ses réseaux sociaux, Geneviève Pettersen n’a pas risqué de compromettre la sécurité et le développement de la fillette en mentionnant son nom.
Grief 6 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Benoit Dutrizac a utilisé des termes qui tendent à entretenir un préjugé selon lequel « les femmes sont niaiseuses » dans les deux passages soulignés suivants :
Benoit Dutrizac : « Ça [les influenceuses comme Élisabeth Rioux], on devrait être capable de dire “ça va faire”. Elle [Élisabeth Rioux] raconte des débilités, elle rend nos filles niaiseuses… »
Geneviève Pettersen : « Mais en même temps, elle dit qu’elle se fait battre. Attention là, c’est grave. »;
Benoit Dutrizac : « Sortez la religion des écoles et rentrez la réalité des réseaux sociaux… »
Geneviève Pettersen : « Ben c’est la nouvelle religion, anyways! »
Benoit Dutrizac : « C’est une autre forme de religion, mais ce qui pollue la tête des enfants, des petites filles, des gars, les gars s’attendent à ce que des filles se comportent comme ça, en niaiseuses avec des culs injectés de silicone… »
Geneviève Pettersen : « Qui mangent une pomme par jour. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de discrimination.
Analyse
Mélyna Guillemette soutient que Benoit Dutrizac fait preuve de discrimination envers les femmes dans la phrase citée ci-haut, en entretenant un préjugé selon lequel « les femmes sont niaiseuses » : « Comment dégrader une femme en seulement une phrase? Nommer des préjugés (les femmes sont niaiseuses) et ajouter à ça une remarque sur le physique. »
Benoit Dutrizac ne dit pas que toutes les femmes sont « niaiseuses ». Il critique sévèrement Élizabeth Rioux et émet des craintes par rapport à l’impact de l’influenceuse sur son auditoire féminin et aux attentes des garçons sur le comportement des filles qui suivent des influenceuses comme Élisabeth Rioux, sans pour autant entretenir des préjugés envers les femmes.
Un journaliste d’opinion peut critiquer des personnes, même durement. C’est ce qu’il fait avec Élizabeth Rioux. Cela n’équivaut pas ici à de la discrimination envers les femmes.
Dans un dossier similaire (D2019-05-078), le grief de discrimination a été rejeté, car le plaignant avait interprété les propos du chroniqueur dans le passage suivant : « Toutes les religions ont du mal à s’adapter à la modernité. C’est indéniablement au sein de l’islam que ces difficultés provoquent les tensions les plus vives. On peut, par exemple, être choqué par les écoles illégales des juifs ultra-orthodoxes, mais au moins, ces gens ne sont pas violents et n’aspirent pas à imposer leur foi au reste de l’humanité. » Le plaignant avançait qu’avec « ses propos [sur le fait que] que les musulmans sont violents », le chroniqueur « suscite et attise la haine et le mépris contre les musulmans » et qu’il « encourage indirectement la violence ou à entretenir les préjugés envers eux ». Le Conseil a toutefois statué que « la chronique ne comporte ni termes ni représentations discriminatoires qui tendent à susciter la haine ou le mépris ou à entretenir les préjugés envers les musulmans. Le chroniqueur y étaye son opinion au sujet de l’évolution des religions, sans dépasser les limites déontologiques permises au journaliste d’opinion. »
De la même manière, dans le cas présent, la plaignante interprète les propos de Benoit Dutrizac, qui ne dit pas que « les femmes sont niaiseuses ». Le Conseil rappelle également que, même si les propos de l’animateur peuvent heurter certains auditeurs et auditrices, le fait de tenir des propos insultants ne constitue pas nécessairement une faute. L’animateur partage son opinion, sans dépasser les limites déontologiques de la discrimination.
Grief irrecevable : sous-grief d’information inexacte concernant les chirurgies esthétiques
« Une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis. » (article 13.01 du Règlement No 2)
Alice Trahan déplore que Geneviève Pettersen parle « des possibles chirurgies » d’Élisabeth Rioux, ce qu’elle qualifie de « fausse information », sans pointer d’extrait sur lequel se pencher ni fournir de preuve pour soutenir ses allégations. Il revient à la partie plaignante d’identifier les passages visés et de soutenir ses propos avec un argumentaire et des preuves.
Une autre plaignante, Daphnée Saint-Jacques, soutient que Julie Marcoux et Geneviève Pettersen « affirment que la jeune femme a subi plusieurs chirurgies esthétiques (sujet que l’influenceuse n’a jamais abordé sur ses réseaux sociaux et [elle] n’a jamais donné de preuves, peu importe si elle en a subi ou non, n’ayant jamais prouvé ce fait, cela tombe donc dans des suppositions, non des affirmations) ». La plaignante ne cible pas de passage à analyser. De plus, lors de leur entretien à l’émission « 100% Nouvelles », ces deux journalistes n’abordent pas le sujet de la chirurgie esthétique.
Grief irrecevable : manque d’équité
« Une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis. » (article 13.01 du Règlement No 2)
Selon Daphnée Saint-Jacques, Geneviève Pettersen et Julie Marcoux « n’ont pas été équitables, elles n’ont pas démontré d’empathie ni de soutien envers Élisabeth Rioux qui vit une des périodes les plus difficiles de sa vie. Elles ont banalisé et discrédité son témoignage en tant que victime à cause de son métier d’influenceuse ». La plaignante ne pointe pas de terme ni d’extrait sur lequel se pencher. Il revient à la partie plaignante d’être précise en identifiant un passage et en soutenant ses propos avec un argumentaire.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer de QUB Radio et de LCN (TVA Nouvelles), qui ne sont pas membres du Conseil de presse, et qui n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes de Émilie-Jade Bigelow, Milaydie Bujold, Alice Campeau, Marianne Durand, Jessica Girard, Maude Gravel, Mélyna Guillemette, Daphnée St-Jacques, Alice Trahan et 1382 plaignants en appui contre « 100% Nouvelles », animée par Julie Marcoux, « Benoit Dutrizac », animée par Benoit Dutrizac, et « Les effrontées », animée par Geneviève Pettersen. Les griefs rejetés sont : partialité, informations inexactes, informations incomplètes, atteinte à la dignité, identification d’une personne mineure hors du contexte judiciaire et discrimination. Un sous-grief d’information inexacte et le grief de manque d’équité ont été jugés irrecevables.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau