D2020-12-164 (2)
Décision d’appel
Appelant
George Hutcheson, président de
Students for Western Civilisation (SWC)
Intimés
Selena Ross, journaliste
CTV News Montreal
Date de dépôt de l’appel
Le 12 mai 2022
Date de la décision de la commission d’appel
Le 25 avril 2023
Rôle de la commission d’appel
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
Contexte
George Hutcheson a déposé une plainte contre la journaliste Selena Ross et CTV News à propos d’un article intitulé « A “white students’ union” wants to set up a chapter at McGill University », publié le 26 novembre 2020. L’article traite de M. Hutcheson et de l’organisation militante Students for Western Civilisation (SWC, Étudiants pour la civilisation occidentale), dont il est le président. Cette organisation, qui dit défendre les droits des Blancs et la protection de leur identité, aurait entrepris des démarches afin de créer une division à l’Université McGill.
Dans sa plainte initiale, M. Hutcheson déplorait de l’information inexacte, un manque d’identification des sources, un manque d’équilibre, de l’information incomplète, de la discrimination et une absence de correctif. En première instance, tous les griefs ont été rejetés à l’unanimité par le comité des plaintes, qui n’a constaté aucun manquement déontologique. M. Hutcheson fait appel de cinq des six griefs rejetés par le comité des plaintes.
Motif de l’appelant
L’appelant conteste la décision de première instance relativement aux griefs d’information inexacte, de manque d’identification des sources, de manque d’équilibre, d’information incomplète et de discrimination.
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que le comité des plaintes, qui a rejeté le grief d’information inexacte du plaignant, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 a) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue par le comité des plaintes.
Analyse
M. Hutcheson conteste la décision du comité des plaintes, qui a jugé qu’il n’était pas inexact d’écrire que « [George Hutcheson] a déclaré que l’organisation demandait un statut officiel à McGill en tant que groupe étudiant » (« [George Hutcheson] said the organization is applying for official status at McGill as a student group ») pour rendre compte du fait qu’une telle demande était en train d’être formulée, mais n’avait pas encore été acheminée à l’Université McGill.
L’appelant affirme : « Le Conseil a refusé de voir la fausse représentation de CTV News selon laquelle SWC [Students for Western Civilisation] a déclaré avoir soumis une demande pour être reconnu comme groupe étudiant en ignorant intentionnellement des détails clés […] Ce que CTV News communique au lecteur lambda est que SWC et moi avons menti à propos de l’acheminement d’une telle demande. Le fait que ce message coïncide avec des thèmes désobligeants tout au long de l’article – par exemple, que je mens au sujet du nombre de membres de SWC – est un signe que cette représentation erronée était volontaire. » (« The Council refused to see CTV News’s false representation that SWC stated it applied for student-club status by intentionally ignoring key details […] What CTV News is communicating to the average reader is that SWC and I lied about making such an application. The fact that this message is consistent with disparaging themes throughout the article—i.e. that I lie about SWC’s membership figures—is indicative that this misrepresentation was deliberate. »)
Il ajoute « [qu’]au lieu de tenir compte de tout le contexte du paragraphe, le Conseil a plutôt choisi d’accepter l’analyse de M. Kahane voulant que les mots “postuler” et “chercher à” se recoupent; un exemple de sophisme destiné à éviter toute discussion à propos de la lourde implication de CTV News que je suis malhonnête, que j’ai offert une représentation trompeuse de la demande d’adhésion de notre club, et que je suis uniquement intéressé par des coups d’éclat publicitaires. » (« Instead of appreciating the full context of the paragraph, however, the Council chose to accept Mr. Kahane’s discussion about the overlap between the words “applying” and “seeking”; an example of sophistry intended to strip away any discussion of CTV News’s heavy implication that I am dishonest, made a misrepresentation about our club application, and am merely interested in performative stunts. »)
Les intimés n’ont pas souhaité faire d’observations sur l’appel.
Le comité des plaintes a appliqué correctement le principe d’exactitude, c’est-à-dire qu’il a évalué si le terme « is applying » était fidèle à la réalité, en s’appuyant sur les définitions des termes « postuler » (« apply ») et « chercher une reconnaissance » (« seeking recognition ») qui se recoupent. Le passage de l’article visé par ce grief était : « [George Hutcheson] a déclaré que l’organisation est en train de faire une demande de statut officiel à McGill en tant que groupe étudiant, mais la société étudiante qui approuve de telles demandes a déclaré qu’elle n’en avait pas reçu de sa part et qu’elle n’envisageait pas non plus de lui en octroyer un le cas échéant. » (« [George Hutcheson] said the organization is applying for official status at McGill as a student group, but the student society that approves such requests said it hasn’t received one from him, nor is it considering authorizing one if it does. »)
En ce qui concerne l’expression « is applying » (« est en train de faire une demande »), la commission d’appel maintient, tel qu’il a été déterminé en première instance, qu’il s’agit d’un exemple de l’utilisation que l’on peut faire du présent continu en anglais. La formulation employée par la journaliste peut signifier que l’organisation militante SWC était en train de remplir la demande d’adhésion, sans l’avoir encore soumise à la SSMU (Students’ Society of McGill University) au moment de la publication.
Bien que l’appelant considère que la journaliste Selena Ross « communique au lecteur » qu’il a menti à propos du fait que SWC aurait soumis une demande pour être reconnu en tant que groupe étudiant à l’Université McGill, il n’est pas écrit une telle chose dans l’article en cause. La journaliste rend compte de la réalité fidèlement en utilisant le présent continu (« is applying ») pour rapporter que M. Hutcheson lui a indiqué que SWC préparait une demande d’adhésion dans le but d’être reconnu en tant que groupe étudiant, mais que cette demande n’avait pas encore été reçue par la SSMU.
Grief 2 : manque d’identification des sources
Principe déontologique
Identification des sources : « Les journalistes identifient leurs sources d’information, afin de permettre au public d’en évaluer la valeur, sous réserve des dispositions prévues à l’article 12.1 du présent Guide. » (article 12 du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief de manque d’identification des sources du plaignant, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 12 du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
M. Hutcheson conteste la décision du comité des plaintes, qui a estimé que les sources auxquelles faisait référence le mot « certains » (« some ») dans la phrase suivante étaient identifiées plus loin dans l’article : « […] disent certains qui l’ont suivi et qui se demandent si le soi-disant “groupe d’étudiants” multibranches est beaucoup plus qu’un seul homme dans la trentaine » (« […] say some who have followed it and who question whether the supposedly multi-branched “student group” is much more than a single man in his 30s »). Il est question dans l’argumentaire de l’appelant du réalisateur Daniel Lombroso, un documentariste qui s’est intéressé au mouvement suprémaciste blanc et qui a été consulté par la journaliste Selena Ross dans l’article en cause.
L’appelant affirme : « Pour soutenir sa thèse que la source de l’allégation préjudiciable est identifiée, le Conseil renvoie à une autre allégation sans lien avec celle-ci […] Le Conseil est d’avis qu’à la lecture de l’article, on comprend que “certains” fait référence à Daniel Lombroso […] Cela ne répond pas à ma plainte. Le fait que plusieurs sources sont citées dans l’article ne résout pas la question qu’il y a des allégations qui ne sont attribuées à personne. » (« In support of its position that the source of the damaging claim is identified, the Council points to a different, unrelated claim […] The Council takes the position that ‘as the article reads’, “some” refers to Daniel Lombroso […] This does not respond to my complaint. That the article cites several sources does not resolve the fact that it makes claims which are attributed to no one. »)
Le comité des plaintes a bien appliqué le principe d’identification des sources, puisque le mot « certains » (« some »), qui peut signifier une ou plusieurs personnes, fait référence aux sources qui sont citées au fil de l’article, notamment l’Association étudiante de l’Université McGill (SSMU), l’administration de l’Université McGill, et le réalisateur Daniel Lombroso. Les sources que la journaliste a consultées sont clairement identifiées dans l’article, sont citées à plusieurs reprises, et le lecteur est en mesure d’en évaluer la valeur, tel que le prévoit l’article 12 du Guide.
L’appelant avance par ailleurs que « […] s’il est vrai, comme le Conseil le laisse entendre, que CTV News a tiré l’affirmation selon laquelle SWC n’est “pas beaucoup plus qu’un seul homme dans la trentaine” de la suggestion de M. Lombroso que “SWC ne semblait pas occupé”, alors CTV News a incorporé sa propre opinion dans l’article. » (« […] if it is the case, as the Council suggests, that CTV News derived the claim that SWC is ‘not much more than a single man in his 30’s’ from Mr. Lombroso’s suggestion that ‘SWC did not appear to be busy’, then CTV News has editorialized a position of its own into the article. »)
En alléguant que « CTV News a incorporé sa propre opinion dans l’article », l’appelant invoque de la partialité, un grief qui ne faisait pas partie de sa plainte initiale. Comme le stipule l’article 28.03 du Règlement 2, l’exposé de l’appelant « ne doit contenir aucun nouvel objet de plainte ». Il n’est donc pas du ressort de la commission d’appel d’étudier ce nouveau grief.
Grief 3 : manque d’équilibre
Principe déontologique
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 d) du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief de manque d’équilibre du plaignant, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 d) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelant déplore : « La décision du Conseil a été basée sur la fausse prétention que mon point de vue sur les questions en litige était pleinement et équitablement représenté dans l’article […] En même temps que le Conseil soutient qu’on m’a permis de répondre, il déclare que CTV News n’était pas tenu de me permettre de répondre à ses allégations malveillantes et à celles de M. Lombroso […] Le Conseil a fondé sa décision sur la fausse affirmation que j’ai “refusé” d’autoriser CTV News à publier mon point de vue. » (« The Council’s decision was based on the false assertion that my perspective on the contending issues was fully and fairly represented in the article […] At the same time the Council argues my responses were allowed, it states CTV News is not bound to allow my response to its and Mr. Lombroso’s malicious claims […] The Council based its decision on the false assertion that I ‘refused’ to allow CTV News to publish my perspective. »)
Il ajoute : « On ne m’a pas informé que M. Lombroso était utilisé comme source ni qu’il avait l’intention de faire une série de déclarations extrêmement désobligeantes envers nous ni ce qu’étaient ces déclarations. Ne sachant pas ce qu’on alléguait ou qui était à l’origine des allégations, j’ai sans contredit été privé de la possibilité de répondre pleinement et adéquatement. » (« I was not informed that Mr. Lombroso was being used as a source, nor that he intended to make a series of highly disparaging claims about us, nor what those claims were. Without knowing what was claimed or who was behind them, I was unarguably denied an opportunity to fully and properly respond. »)
Le comité des plaintes a bien appliqué le principe d’équilibre en estimant que les parties en présence ont eu l’occasion de s’exprimer dans le cadre de cet article. Comme l’a fait valoir le Conseil en première instance, « [b]ien que le plaignant aurait souhaité répondre à Daniel Lombroso, qui est cité à la fin de l’article, la journaliste n’était pas tenue de le faire réagir à chacun des propos de Daniel Lombroso ». L’appelant aurait manifestement souhaité que le principe d’équilibre soit appliqué selon sa vision des choses, mais ce n’est pas ce que la déontologie journalistique exige. M. Hutcheson est cité abondamment dans l’article en cause et il a eu l’occasion de faire part de son point de vue à la journaliste lorsque celle-ci a communiqué avec lui.
L’appelant soutient également qu’il n’a pas eu l’occasion de répondre à certaines déclarations de Daniel Lombroso, notamment « [q]ue je suis ce qu’on appelle un “suprémaciste blanc culinaire” qui refuse de manger de la “nourriture non blanche”. » (« That I am something called a “culinary white supremacist” who refuses to eat “non-white food” »). L’allégation de M. Lombroso selon laquelle M. « Hutcheson refuse de manger de la nourriture originaire de pays non blancs » (« Hutcheson refuses to eat food originally from nonwhite countries ») provient de l’article de M. Lombroso publié dans The Atlantic antérieurement au texte de Selena Ross visé par cette plainte. Cet article, intitulé « Why the Alt-Right’s Most Famous Woman Disappeared », était déjà du domaine public et la journaliste de CTV News n’était pas tenue d’obtenir la perspective de M. Hutcheson à ce sujet.
Grief 4 : information incomplète
Principe déontologique
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief d’information incomplète du plaignant, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 e) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelant soutient : « Le Conseil a fondé sa décision sur une information fausse […] Le Conseil prétend que les accusations publiées par Mme Southern ne sont “plus en ligne”. Mais tel qu’il peut être vérifié immédiatement, elles sont en ligne. L’emplacement de l’article sur son blogue a été déplacé [sic] vers une autre page depuis sa publication initiale. » (« The Council based its decision on false information […] The Council claims that Ms. Southern’s published accusations against Mr. Lombroso are ‘no longer online.’ But as can be immediately verified, they are online. The location of the article on her blog was moved to a different page since its original publishing. »)
Il ajoute que « [l]e Conseil semble avoir arbitrairement créé un standard selon lequel, à moins qu’une information soit présentée devant un tribunal, elle ne peut être publiée […] Le Conseil est d’avis que, pour analyser un grief d’information incomplète, il doit avoir la preuve que l’information que le plaignant avance est véridique. L’information en question est que la source de CTV News [Daniel Lombroso] a été accusée de chantage et de fausse représentation – un fait qui peut être immédiatement confirmé […] Le Conseil soutient que je ne fournis pas la preuve qu’une “accusation formelle” a été portée par Mme Southern […] À noter que Mme Southern a effectivement songé à porter plainte devant les tribunaux. Toutefois, intenter une telle action en justice aux États-Unis était excessivement coûteux et complexe. » (« The Council appears to have arbitrarily created a standard which holds that, unless information is expressed in a courtroom, it cannot be published […] The Council takes the position that in order for them to analyze a grievance related to incomplete information, they must have evidence that the information the complainant is seeking is true. The information in question here is that CTV News’s source has been accused of blackmail and misrepresentation – a fact which is immediately confirmable […] The Council claims that I do not provide evidence of a ‘formal accusation’ by Ms. Southern […] To note, Ms. Southern did, in fact, consider filing a legal claim, however, pursuing such a claim in the US was prohibitively expensive and complex. »)
Le comité des plaintes a bien appliqué le principe de complétude, puisque M. Hutcheson n’a pas expliqué en quoi l’information qu’il aurait souhaitée, même s’il elle était prouvée, aurait été essentielle à la compréhension du sujet, pas plus qu’il n’a démontré en appel que le principe avait été mal appliqué. Il n’a pas fourni la preuve que des accusations formelles de « chantage et fausse représentation » (« blackmail and misrepresentation ») ont été portées par Mme Southern contre Daniel Lombroso. Étant donné que ces accusations présumées n’ont fait l’objet d’aucun recours devant les tribunaux, la journaliste n’avait pas à les rapporter. Au contraire, elle aurait pu s’exposer à une poursuite pour diffamation et atteinte à la réputation si elle en avait fait mention. Elle a donc fait preuve de prudence dans les circonstances.
De plus, bien que l’appelant mentionne que la décision de première instance était fondée sur une « information fausse » à l’effet que les accusations de Lauren Southern envers Daniel Lombroso n’étaient plus en ligne, le Conseil en avait obtenu copie et avait pris connaissance des allégations de Mme Southern avant de rendre sa décision. Tel qu’indiqué dans la décision de première instance, « pour que le Conseil puisse analyser un grief d’information incomplète, il doit d’abord avoir la preuve que l’information souhaitée par le plaignant est véridique ». En l’absence d’une telle preuve et en l’absence d’arguments soutenant la nécessité d’inclure de telles allégations dans le reportage, le comité des plaintes avait parfaitement raison de rejeter le grief d’incomplétude.
Grief 5 : discrimination
Principe déontologique
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief de discrimination du plaignant, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 19 (1) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelant affirme : « Étrangement, le Conseil définit la discrimination raciale uniquement comme ce qui contient du langage haineux […] Le Conseil a fondé sa décision en partie sur le fait que je n’ai prétendument pas expliqué en quoi les propos de M. Lombroso sont discriminatoires. Toutefois, il s’agit d’une erreur. Comme je l’ai clairement indiqué, les commentaires de M. Lombroso “tente[nt] de nier la légitimité et l’existence de l’identité blanche”. Il a été établi que l’acte de “miner et effacer” les identités par lesquelles les gens se décrivent eux-mêmes constitue en soi une violation discriminatoire des droits humains […] Les commentaires de M. Lombroso “minent et effacent” littéralement la légitimité et l’existence des Blancs en tant que groupe identifiable. » (« The Council oddly defines racial discrimination to only include hate speech […] The Council based its decision in part on my supposed failure to explain how Mr. Lombroso’s comments were discriminatory […] However, this is in error. As I clearly state, Mr. Lombroso’s comments “attempt to negate the legitimacy and existence of white identity.” The act of “undermini[ng] and eras[ing]” people’s self-described identities has, in and of itself, been found to be a discriminatory human rights violation […] Mr. Lombroso’s comments quite literally ‘undermine and erase’ the legitimacy and existence of whites as an identifiable group. »)
Le principe 19 (1) de discrimination a été appliqué correctement par le comité des plaintes, car pour qu’il y ait discrimination au sens déontologique, il faut des termes ou des représentations dans le reportage qui tendent à « susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés », sur la base d’un motif discriminatoire. Or, M. Hutcheson, bien qu’il vise plusieurs phrases du reportage, ne précise pas quels termes employés suscitent ou attisent la haine et le mépris, encouragent la violence ou entretiennent les préjugés envers les Blancs. Par ailleurs, l’appelant réitère que « M. Lombroso tente de nier la légitimité et l’existence de l’identité blanche », mais il ne précise pas quels préjugés seraient entretenus envers les Blancs dans les citations de Daniel Lombroso ni en quoi ces propos alimenteraient des préjugés.
Comme le prévoit le principe de discrimination (article 19 (1) du Guide), il ne suffit pas de viser un passage d’un reportage jugé discriminatoire, de nommer un groupe et d’indiquer pourquoi ce groupe serait discriminé. Il faut déterminer quels sont les préjugés entretenus, en quoi ces termes encouragent la violence ou de quelle façon ils suscitent ou attisent la haine et le mépris. Par ailleurs, le fait que la journaliste ait rapporté les propos d’une source dont la vision contredit celle de M. Hutcheson ne constitue pas un manquement déontologique.
Conclusion
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public
Jacques Gauthier, président de la commission d’appel
Représentant des journalistes
Vincent Larouche
Représentant des entreprises de presse
Éric Trottier
Décision de première instance
Plaignant
George Hutcheson, président de
Students for Western Civilisation (SWC)
Mis en cause
Selena Ross, journaliste
CTV News Montreal
Date de dépôt de la plainte
Le 10 décembre 2020
Date de la décision
Le 18 février 2022
Résumé de la plainte
George Hutcheson dépose une plainte le 10 décembre 2020 au sujet de l’article « A “white students’ union” wants to set up a chapter at McGill University » (« Un “syndicat d’étudiants blancs” veut établir une section à l’Université McGill ») de Selena Ross, publié sur le site web de CTV News Montreal, le 26 novembre 2020. Le plaignant déplore de l’information inexacte, un manque d’identification des sources, un manque d’équilibre, de l’information incomplète, de la discrimination et une absence de correctif. Le grief de diffamation est non recevable et n’a pas été traité (explications à la fin de cette décision).
Contexte
Dans le reportage de CTV news, il est question d’une organisation militante nommée Students for Western Civilisation (SWC, Étudiants pour la civilisation occidentale). Cette organisation dit défendre les droits des Blancs et la protection de leur identité. Sur son site Internet, elle se présente comme suit : « SWC défend les droits, les intérêts et l’identité des Canadiens d’origine européenne en faisant la promotion de la diversité des points de vue dans le milieu universitaire et les médias; en luttant contre la discrimination antiblanche;
en luttant contre le discours de haine antiblanc; et en préservant et en mettant en valeur notre patrimoine culturel. » (« SWC advocates for the rights, interests and identity of European-Canadians by promoting viewpoint diversity in academia and the media; combating anti-white discrimination; fighting anti-white hate speech; and preserving and enhancing our cultural heritage. »)
CTV News rapporte que l’organisation SWC, qualifiée de « “syndicat d’étudiants blancs” autoproclamé » (« self-styled “white students’ union” »), soutient qu’elle lance une division à l’Université McGill à Montréal. Des affiches de recrutement ont été placardées sur le campus. La journaliste indique que ce groupe est dirigé par George Hutcheson (le plaignant dans le présent dossier) « qui a travaillé avec de nombreuses personnalités des médias d’extrême droite au Canada et qui est récemment apparu dans un documentaire sur le nationalisme blanc » (« who’s worked with many figures in Canada’s far-right media and who recently appeared in a documentary on white nationalism »). Selon l’article, George Hutcheson a indiqué à CTV que son organisation se portait candidate (« is applying ») pour un statut officiel à McGill à titre de groupe étudiant, mais l’Association étudiante de l’Université McGill (SSMU, Students’ Society of McGill University), qui approuve ce type de demande, n’aurait pas reçu de requête de sa part. La journaliste explique que l’organisation SWC a annoncé sur son blogue qu’elle allait établir une division à l’Université McGill.
La dernière section de l’article de CTV présente des informations fournies par un documentariste new-yorkais, Daniel Lombroso, qui s’intéresse à la montée du mouvement nationaliste blanc et qui a passé du temps avec George Hutcheson. Daniel Lombroso s’inquiète des tentatives de recrutement effectuées par George Hutcheson sur le campus de l’Université McGill.
Griefs du plaignant
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a produit de l’information inexacte dans le passage suivant : « [George Hutcheson] a déclaré que l’organisation est en train de faire une demande de statut officiel à McGill en tant que groupe étudiant, mais la société étudiante qui approuve de telles demandes a déclaré qu’elle n’en avait pas reçu de sa part et qu’elle n’envisageait pas non plus de lui en octroyer un le cas échéant. »
(« [George Hutcheson] said the organization is applying for official status at McGill as a student group, but the student society that approves such requests said it hasn’t received one from him, nor is it considering authorizing one if it does. »)
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient que la journaliste « a suggéré que SWC prétendait avoir demandé le statut de club officiel par l’intermédiaire de la Société étudiante de l’Université McGill (SSMU) — une affirmation que nous n’avons pas faite » (« suggested that SWC claimed to have applied for official club-status through the Student Society of McGill University (SSMU) — a claim we did not make »). Il affirme que « dans un courriel de prépublication, nous avons dit à Ross que nous “recherchions une reconnaissance officielle de la part de la société étudiante de McGill” et que “nous avons reçu 11 nouveaux candidats, mais ils n’ont pas encore suivi notre processus d’admission”. Nous n’avons pas prétendu avoir déposé une demande de statut de club auprès de SSMU ni avoir déposé notre candidature » (« in a pre-publication email, we told Ross that we were “seeking official recognition from McGill’s student society” and that “we’ve received 11 new applicants, but they haven’t gone through our admission process yet”. We did not claim to have filed for club status with SSMU or to have submitted our application »).
Dans sa réplique au Conseil, CTV News Montreal explique qu’en « termes linguistiques, l’emploi de “is applying” [présent continu] n’est pas spécifique dans le temps. Il peut signifier : a l’intention d’appliquer, est en train d’appliquer, a appliqué ou appliquera. Cette formulation était intentionnelle, afin de faire écho à la formulation de M. Hutcheson à CTV, qui avait le même manque de spécificité – il nous a dit dans son premier courriel […] que son groupe “recherche une reconnaissance officielle de la part de la société étudiante de McGill” (“are seeking official recognition from McGill’s student society”). Hutcheson lui-même a confirmé dans son deuxième courriel du 25 novembre [2020] que McGill avait déjà été en contact avec lui et a suggéré à CTV de s’adresser à la société étudiante [SSMU] pour obtenir des commentaires ».
Lorsque la journaliste écrit que George Hutcheson « a déclaré que l’organisation demandait un statut officiel à McGill en tant que groupe étudiant » (« said the organization is applying for official status at McGill as a student group »), elle se base notamment sur le premier courriel que lui a envoyé George Hutcheson le 25 novembre 2020, dans lequel il indique que SWC « cherche une reconnaissance de l’association étudiante de McGill » (« [is] seeking a recognition from McGill’ student society »).
Les définitions des termes « postuler » (« apply ») et « chercher une reconnaissance » (« seeking recognition ») se recoupent. Le Cambridge Dictionary indique que le verbe « postuler » (« apply ») signifie « demander quelque chose, généralement officiellement, notamment par écrit ou en envoyant un formulaire » (« to request something, usually officially, especially in writing or by sending in a form »), alors que le verbe « chercher » (« seeking ») renvoie au fait d’« essayer de trouver ou d’obtenir quelque chose, surtout quelque chose qui n’est pas un objet physique » (« to try to find or get something, especially something that is not a physical object »). En ce qui concerne le temps de verbe de « is applying » (« est en train de faire une demande) », il s’agit du « présent continu », qui peut être utilisé, entre autres, pour décrire des « événements en cours » et des « états temporaires » (source : le Cambridge Dictionary).
La journaliste n’a donc pas produit d’information inexacte en utilisant les termes « is applying » pour expliquer que la démarche de SWC est en cours. Par ailleurs, la journaliste n’écrit pas que la SWC « prétendait avoir demandé le statut de club officiel » (« claimed to have applied for official club-status »), comme le suggère le plaignant. La journaliste écrit « is applying », ce qui peut signifier que SWC est en train de remplir la demande, sans l’avoir encore transmise à la SSMU. La journaliste a fait preuve de prudence dans son traitement de l’information, et ce, même si l’organisation SWC a déclaré qu’elle lançait une division à l’Université McGill dans une annonce, publiée sur son site Internet le 23 novembre 2020, titrée « Students for Western Civilisation est en train de lancer une division à l’Université McGill » (« Students for Western Civilisation is starting a branch at McGill University »).
De plus, comme l’explique le média dans sa réplique, George Hutcheson a aussi invité la journaliste à se tourner vers la SSMU pour des commentaires, dans un deuxième courriel envoyé le 25 novembre 2020. Or, la SSMU n’avait pas reçu de demande officielle de la part de SWC, tel qu’indiqué par la journaliste dans ce passage de l’article :
« “Nous ne sommes au courant d’aucun effort de recrutement mis à part les affiches qui avaient été placardées sur le campus, mais nous pouvons confirmer que le soi-disant “White Students Union” n’est pas reconnu par la SSMU ou n’y est affilié d’une quelconque façon [Students’ Society of McGill University] », indique un communiqué envoyé par courriel par le porte-parole de la SSMU, Brooklyn Frizzle, mercredi. “Ces messages ne correspondent pas aux valeurs de la SSMU”, indique le communiqué. » (« “We aren’t aware of any recruitment efforts aside from the posters that had been put up around campus, but we can confirm that the so-called ‘White Students Union’ is not recognized by or in any way affiliated with the [Students’ Society of McGill University],” said a statement emailed by SSMU’s spokesperson, Brooklyn Frizzle, on Wednesday. “These messages do not align with the values of the SSMU,” the statement said. »)
Dans un dossier similaire (D2019-09-069), le grief d’information inexacte a été rejeté, car la plaignante fondait sa plainte sur une perception erronée en prêtant au journaliste une affirmation qu’il n’avait pas écrite.
La plaignante reprochait au chroniqueur de ne pas avoir pris connaissance du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État qui ne prévoit pas « “littéralement un décompte – de têtes couvertes” » (« taking a literal head count — of covered heads »). Or le chroniqueur n’écrivait pas qu’un tel recensement était inscrit dans le projet de loi.
Dans le cas présent, le plaignant interprète les propos de la journaliste. Les définitions des termes « is applying » et « seeking recognition », les informations contextuelles qui figurent dans l’article et les courriels envoyés par George Hutcheson à la journaliste confirment que Selena Ross a rapporté les faits.
Grief 2 : manque d’identification des sources
Principe déontologique applicable
Identification des sources : « Les journalistes identifient leurs sources d’information, afin de permettre au public d’en évaluer la valeur, sous réserve des dispositions prévues à l’article 12.1 du présent Guide. » (article 12 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a omis d’identifier ses sources dans le passage suivant : « Bien que le groupe ait placardé des affiches de recrutement sur le campus de McGill, il y a toutefois peu d’indices qu’il ait pris de l’ampleur – un schéma typique, disent certains qui l’ont suivi et qui se demandent si le soi-disant “groupe d’étudiants” multibranches est bien plus qu’un homme célibataire dans la trentaine. » « While the group has put up recruitment posters around McGill’s campus, however, there’s little evidence it has gained momentum — a typical pattern, say some who have followed it and who question whether the supposedly multi-branched “student group” is much more than a single man in his 30s. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’identification des sources.
Analyse
Le plaignant déplore que la journaliste n’ait pas identifié ses sources dans le passage cité ci-haut. Il soutient : « Selon Ross, elle a trouvé une autorité digne de confiance pour se prononcer sur SWC, qui a suggéré que nous ne sommes en fait pas un groupe d’étudiants et pas “beaucoup plus qu’un homme célibataire dans la trentaine”. Ross attribue cette affirmation à “certaines personnes”, rendant la déclaration invérifiable pour le lecteur. » (« According to Ross, she located a trustworthy authority on SWC who suggested that we are, in fact, not actually a student group and not “much more than a single man in his 30s”. Ross attributes this claim to ‘some persons’, making the statement unverifiable to the reader. »)
Le plaignant soutient que « citer une source anonyme de cette manière est également une violation des normes du Conseil de presse du Québec » (« citing an unnamed source in this way is also a violation of the Quebec Press Council’s standards which state that »).
Dans sa réplique au Conseil, CTV News Montreal soutient que la phrase « à laquelle [George Hutcheson] fait référence est ce que l’on appelle communément dans la presse écrite le “nut graph” ou “nut graf” [le « nut » est pour « nutshell » au sens de « résumé » et « graph » pour paragraphe], c’est-à-dire un paragraphe qui explique au lecteur le contexte d’une histoire, que le journaliste développe ensuite dans son article. Il est utilisé en partie pour aider les lecteurs à comprendre pourquoi l’histoire est importante ». Le média indique que le passage visé par le plaignant « fait référence au documentariste, à la société des étudiants de McGill et à d’autres éléments qui apparaissent plus loin dans l’article. Il est certain que [la] journaliste a effectué des recherches approfondies qui lui ont permis d’écrire ce paragraphe en toute confiance (par exemple, la vaste couverture antérieure en Ontario), dont une grande partie n’a pas été citée par son nom ou sa source dans l’article, ce qui est également une pratique courante ».
Le terme « certains » (« some ») peut désigner une ou plusieurs personnes, donc une ou plusieurs sources dans le cas présent. Selon le dictionnaire Merriam-Webster, ce mot qualifie « un élément ou une chose inconnue, indéterminée ou non spécifiée » (« being an unknown, undetermined, or unspecified unit or thing »). Comme le souligne le média dans sa réplique, le mot « certains » (« some ») se situe dans l’introduction de l’article, qui vise à donner le ton au texte et à accrocher les lecteurs. Par la suite, la journaliste cite plusieurs sources au fil du texte. Il s’agit de George Hutcheson, de l’Association étudiante de l’Université McGill (SSMU), du groupe Students for Western Civilisation, de l’administration de l’Université McGill et de Daniel Lombroso.
À la lecture de l’article, on comprend que « certains qui l’ont suivi » (« some who have followed it ») fait notamment référence au documentariste Daniel Lombroso, qui partage ses connaissances et son point de vue sur George Hutcheson et SWC. La journaliste introduit Daniel Lombroso en expliquant qu’il a passé du temps avec George Hutcheson dans le cadre d’un documentaire qu’il réalisait sur Lauren Southern, une figure du mouvement de l’extrême droite qui fréquentait George Hutcheson à l’époque. Daniel Lombroso souligne que George Hutcheson « n’était pas lui-même étudiant, et il y avait peu de preuves à l’époque que son groupe d’étudiants était un réseau occupé » (« he wasn’t himself a student, and there was little evidence at the time that his student group was a busy network »). Selon lui, il ne faut pas « sous-estimer » SWC, car George Hutcheson « sait ce qu’il fait » et va « essentiellement utiliser [SWC] pour radicaliser des étudiants ».
Dans un dossier similaire, le D2015-12-077(2) (la décision a été maintenue en appel), le grief de source non identifiée a été rejeté, car les téléspectateurs étaient en mesure d’établir la source de l’information. Alors que le plaignant considérait que des informations présentées dans le reportage provenaient d’une source non identifiée, le Conseil a fait valoir « que les téléspectateurs étaient en mesure d’établir la source de l’information grâce aux passages suivants du reportage :
“Et bien sachez que Santé Canada s’est fondé uniquement sur cette étude pour homologuer le laser Zerona.” et “Fidèle à son habitude, Santé Canada a refusé de nous accorder une entrevue à la caméra.” Cette dernière affirmation ne signifie pas que l’organisme a refusé de fournir de l’information au journaliste. La transcription de la conversation entre le journaliste et le porte-parole de Santé Canada démontre d’ailleurs le contraire ».
De la même manière, dans le cas présent, la journaliste identifie « some » plus loin dans l’article en citant l’ensemble de ses sources. Le public est en mesure d’en évaluer la valeur.
Grief 3 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a présenté une juste pondération du point de vue des parties en présence.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’équilibre, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 d) du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient que la journaliste a manqué d’équilibre en ne lui ayant pas permis de répondre aux allégations de Daniel Lombroso : « Ross a négligé l’équilibre dans ses reportages en se fiant excessivement sur les déclarations d’une source manifestement hostile : Daniel Lombroso du magazine américain The Atlantic. Lombroso n’a aucune connaissance de SWC à part une brève réunion que lui et moi avons eue en 2018, sur un sujet qui n’avait rien à voir avec SWC […] En plus de citer Lombroso sans recul critique et de ne faire aucune mention des accusations portées contre lui, Ross n’a pas obtenu mon impression sur Lombroso et sur la réunion qu’il a citée. » (« Ross showed a disregard for balance in her reporting by relying heavily on the statements of a patently hostile source : Daniel Lombroso of the US-based Atlantic magazine. Lombroso has no knowledge of SWC other than a brief meeting he and I had in 2018, in a capacity that had nothing to do with SWC […] On top of citing Lombroso uncritically and making no mention of the accusations made against him, Ross failed to obtain my impression of Lombroso and the meeting he cited. »)
Dans sa réplique au Conseil, CTV News Montreal défend la crédibilité de Daniel Lombroso et indique qu’il est « un journaliste très respecté et une excellente source sur le mouvement nationaliste blanc, y compris le mouvement au Canada […] En tant que source dans cet article, Lombroso avait l’avantage supplémentaire d’avoir personnellement rencontré George Hutcheson et d’avoir passé des mois avec sa petite amie de l’époque, Lauren Southern, et d’avoir observé le contexte social du mouvement [nationaliste blanc]. Il a été difficile pour tous les médias d’en savoir plus sur les Students for Western Civilisation et son mystérieux fondateur, mais Lombroso a été en mesure d’ajouter de nouvelles informations, certes minimes, mais intéressantes, sur l’identité de Hutcheson et le contexte dans lequel il évolue ». Le média soutient également que la journaliste « a écrit à Hutcheson le 8 décembre pour lui indiquer que CTV souhaitait mettre à jour l’article avec les nouvelles informations qu’il avait envoyées […] et l’invitant à répondre à quelques questions supplémentaires. M. Hutcheson a répondu par un autre courriel hostile (répétant les mêmes affirmations que celles contenues dans sa plainte au Conseil de Presse, que nous estimons non fondées) et il n’a pas donné à CTV la permission de publier les informations supplémentaires susmentionnées qu’il avait fournies ».
Les parties en présence ont effectivement eu l’occasion de s’exprimer dans le cadre de cet article. Le point de vue de George Hutcheson est présenté dès le début du texte :
« L’organisation, appelée Étudiants pour la civilisation occidentale [SWC], est dirigée par le Torontois George Hutcheson, qui a travaillé avec de nombreuses personnalités des médias d’extrême droite au Canada et qui est récemment apparu dans un documentaire sur le nationalisme blanc. Hutcheson a déclaré à CTV News que le groupe “cherche à affirmer les droits, les intérêts et l’identité des Canadiens européens” en “luttant, entre autres, contre le discours de haine antiblanc” et en “préservant et améliorant notre patrimoine culturel”. Il a déclaré que l’organisation est en train de faire une demande de statut officiel à McGill en tant que groupe étudiant, mais la société étudiante qui approuve de telles demandes a déclaré qu’elle n’en avait pas reçu de sa part et qu’elle n’envisageait pas non plus de lui en octroyer un le cas échéant. » (« The organization, called Students for Western Civilisation, is run by Toronto man George Hutcheson, who’s worked with many figures in Canada’s far-right media and who recently appeared in a documentary on white nationalism. Hutcheson told CTV News that the group “seeks to affirm the rights, interests and identity of European-Canadians” by, among other things, “fighting anti-white hate speech” and “preserving and enhancing our cultural heritage.” He said the organization is applying for official status at McGill as a student group, but the student society that approves such requests said it hasn’t received one from him, nor is it considering authorizing one if it does. »)
Ensuite, la journaliste rapporte une annonce faite par SWC sur son blogue. Plus loin, elle cite des extraits de l’échange de courriels qu’elle a eu avec George Hutcheson. Bien que le plaignant aurait souhaité répondre à Daniel Lombroso, qui est cité à la fin de l’article, la journaliste n’était pas déontologiquement tenue de le faire réagir à ces propos de Daniel Lombroso.
De plus, comme le souligne le média dans sa réplique, le plaignant a eu l’occasion de donner son point de vue une seconde fois, mais il a refusé que la journaliste publie les nouvelles informations qu’il lui avait fournies.
L’obligation déontologique d’équilibre ne se mesure pas au nombre de mots ou de lignes accordées à un point de vue ni à un emplacement spécifique. L’essentiel est de présenter au public les différentes perspectives sur un sujet, s’il y en a, de façon pondérée, afin qu’il puisse en tirer ses propres conclusions. Par exemple, dans le dossier D2018-04-037, le Conseil a rejeté un grief de manque d’équilibre, en faisant valoir que l’équilibre ne s’évalue pas sur la base du temps alloué à chacune des parties. La plaignante considérait que « le temps accordé lors de la diffusion de l’entrevue » du président-directeur général du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue n’avait « pas permis de bien démontrer les deux côtés de la médaille ». Or bien que les arguments de la défense aient été résumés, ils avaient été pris en compte par le journaliste. Le principe d’équilibre a été respecté dans le reportage mis en cause, en ce sens qu’il y avait une juste pondération des points de vue des parties en présence. De la même manière, dans le cas présent, la journaliste a fait preuve d’équilibre dans son traitement de l’information, puisque le point de vue de George Hutcheson a été présenté dans l’article.
Grief 4 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a omis une information essentielle à la compréhension du sujet en n’indiquant pas l’accusation qui pèserait sur Daniel Lombroso, comme le soutient le plaignant.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
George Hutcheson déplore que la journaliste n’ait pas fait mention de l’« accusation » de « chantage et fausses déclarations » qui pèse, selon lui, sur Daniel Lombroso : « Lombroso n’a aucune connaissance de SWC à part une brève réunion que lui et moi avons eue en 2018, qui n’avait rien à voir avec SWC. En outre, cette réunion, qui avait pour but de dresser le portrait de quelqu’un d’autre, a depuis mené à une accusation de chantage et de fausses déclarations par son sujet principal. »
(« Lombroso has no knowledge of SWC other than a brief meeting he and I had in 2018, in a capacity that had nothing to do with SWC. Further, that meeting, which involved a personal profile of someone else, has since led to an accusation of blackmail and misrepresentation by his primary subject. »)
Pour CTV News Montreal, « ces allégations ne sont pas substantielles et ne méritent pas d’être mentionnées dans notre article ».
Le plaignant réfère à des « accusations » qui auraient eu lieu à la suite de la publication d’un article de Daniel Lombroso qui porte sur Lauren Southern. Elle était la copine de George Hutcheson en 2018, au moment où M. Lombroso la suivait afin d’écrire un article à son sujet. Ce papier, intitulé « Why the alt-right’s most famous woman disappeared » (« Pourquoi la femme la plus célèbre de la droite alternative a disparu »), est publié sur le site web de The Atlantic le 16 octobre 2020. Pour soutenir son argumentaire, George Hutcheson renvoie à un texte publié par Lauren Southern sur son blogue, et qui n’est plus en ligne, dans lequel elle accusait Daniel Lombroso de chantage et de fausses déclarations. Il s’appuie également sur une vidéo diffusée le 21 octobre 2020, dans laquelle la youtubeuse Daisy Cousens reprend essentiellement les propos de Lauren Southern pour décrier le travail de Daniel Lombroso.
Or le plaignant n’apporte pas de preuve d’accusation formelle de « chantage et fausses déclarations » (« blackmail and misrepresentation ») contre Daniel Lombroso. De plus, il n’explique pas en quoi l’information qu’il aurait souhaitée, même s’il elle était prouvée, aurait été essentielle à la compréhension du sujet.
Pour que le Conseil puisse analyser un grief d’information incomplète, il doit avoir la preuve que l’information souhaitée par le plaignant soit véridique. Par exemple, dans le dossier D2020-05-076 – qui concerne un grief d’information inexacte, mais où la même logique s’applique au cas présent – le grief a été rejeté parce que le plaignant ne fournissait pas la preuve que l’information ciblée était inexacte. Il affirmait que, contrairement à ce qu’avance l’article, les 32 résidents ayant contracté le virus [n’étaient] pas tous rétablis : « Ma grand-mère fait partie des 32 résidents touchés et elle y est décédée. Il semblerait qu’il y ait au moins trois résidents décédés (à la suite de) la COVID-19 à cet endroit. » Sans élément d’information permettant de juger l’inexactitude, le Conseil n’était pas en mesure de déterminer si la grand-mère du plaignant faisait bel et bien partie des 32 personnes testées positives à la COVID-19 et dont la résidence a annoncé le rétablissement.
De plus, les décisions antérieures du Conseil montrent qu’il revient à la partie plaignante d’expliquer en quoi l’information souhaitée est essentielle à la compréhension du sujet. Par exemple, dans le dossier D2020-07-093, le grief d’information incomplète a été rejeté parce que le plaignant ne démontrait pas le caractère indispensable de l’information qu’il aurait souhaité voir dans le reportage. Le plaignant soutenait que « s’il y avait un manque d’équipement, la responsabilité aurait dû être attribuée au CISSSMO ». Le plaignant ne précisait pas en quoi le fait que le CISSSMO soit responsable de la situation à la Résidence Académie aurait changé la compréhension du sujet.
L’information essentielle était qu’il manquait de matériel de protection dans les résidences Académie et Bellerive et que les mesures sanitaires y étaient mal appliquées, non pas de savoir qui était responsable de ces manquements.
Dans le cas présent, le plaignant n’apporte pas de preuve officielle de l’accusation qu’il avance et n’explique pas en quoi cette information, si elle était avérée, aurait été essentielle à la compréhension du sujet.
Grief 5 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a fait preuve de discrimination envers les Blancs en citant les propos de Daniel Lombroso dans les passages suivants :
- « Tel que son documentaire l’explore, l’idée qu’être blanc est en soi une culture ou même une ethnie est une invention, a déclaré Lombroso » (« As his documentary examines, the idea that being white is in itself a culture or even an ethnicity is an invention, Lombroso said »);
- « S’il voulait créer un club de culture allemande ou un club de culture française, personne ne l’arrêterait. Il peut faire ça », a déclaré [Lombroso] » (« “If he wanted to start a German culture club or a French culture club, no one would stop him. He can do that,” [Lombroso] said »);
- « “L’idée de la blancheur comme… une ethnie est quelque chose qui n’a jamais existé dans l’histoire et qui est apparue de nos jours comme un moyen de préserver le pouvoir blanc aux États-Unis et au Canada” » (« “The idea of whiteness as… an ethnicity is something that’s never existed in history and has risen now as a way to preserve white power in the U.S. and Canada” »).
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de discrimination, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 19 (1) du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient que les propos de Daniel Lombroso rapportés par la journaliste sont discriminatoires envers les Blancs : « Ma perception que les préjugés raciaux ou politiques sont un facteur dans le reportage de [Selena] Ross est également cohérente avec son utilisation abondante d’une source discriminatoire sur le plan racial.
Le parti pris racial de [Daniel] Lombroso est démontré dans un passage de l’article, qui tente de nier la légitimité et l’existence de l’identité blanche » (« My perception that racial or political bias is a factor in Ross’s reporting is also consistent with her heavy use of a racially discriminatory source. Lombroso’s racial bias is demonstrated in passage from the article, which attempts to negate the legitimacy and existence of white identity »).
CTV News Montreal soutient que « comme c’est son devoir de journaliste, [Selena Ross] a rapporté les opinions d’autres personnes sur le sujet, et les citations représentent uniquement l’opinion de M. Lombroso. La question de savoir si le terme “blanc” en soi est une ethnie est, en fait, une question complexe et n’était pas destinée à être explorée en profondeur dans cet article […] En fait, Mme Ross s’est efforcée de choisir des citations nuancées de M. Lombroso afin de donner aux lecteurs une introduction extrêmement brève à ce même débat. Loin d’être une simple condamnation, les citations de M. Lombroso ont permis aux lecteurs de commencer à explorer ces questions. Souligner l’existence d’un débat est un constat, et n’est pas discriminatoire ».
Pour qu’il y ait discrimination au sens déontologique, il faut des termes dans le reportage qui tendent à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés, sur la base d’un motif discriminatoire. Le plaignant déplore que la journaliste cite une source, Daniel Lombroso, qu’il juge raciste envers les Blancs. Toutefois, il n’explique pas en quoi ses propos sont discriminatoires. George Hutcheson ne précise pas quels termes employés suscitent ou attisent la haine et le mépris, encouragent la violence ou entretiennent les préjugés envers les Blancs.
Par ailleurs, Daniel Lombroso, qui détient une expertise sur le mouvement nationaliste blanc, partage son opinion sur la « culture blanche » sans faire preuve de discrimination.
Dans un dossier similaire, le D2019-04-061, le grief de discrimination a été rejeté, car le plaignant estimait qu’il y avait des préjugés, mais ne ciblait pas lesquels. Pour ce dernier, les propos de la chroniqueuse « déshumanis[aient] […] et exacerb[aient] la violence et les préjugés ». Il a ajouté qu’elle faisait « même la promotion de la violence, en se prononçant contre l’incarcération des « militants » mohawks après la crise d’Oka ». Le plaignant n’indiquait pas comment les termes de la chroniqueuse encourageaient la violence et ne ciblait pas le préjugé qui serait entretenu.
Dans le cas présent, bien que le plaignant identifie un motif discriminatoire (la couleur), il ne précise pas quels préjugés seraient entretenus envers les Blancs dans les citations de Daniel Lombroso ni en quoi ces propos alimenteraient les préjugés. La journaliste n’a pas fait preuve de discrimination en citant les propos de Daniel Lombroso, qui ne comprennent aucun termes qui tendent à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés envers les Blancs.
Grief 6 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a corrigé avec diligence ses manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’absence de correctif, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 27.1 du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient qu’il a demandé à la journaliste d’apporter des correctifs à son texte et lui reproche de ne pas les avoir effectués.
Considérant qu’aucun manquement déontologique n’a été retenu dans ce dossier, le média n’avait pas à apporter de correctif à l’article.
Grief non traité : diffamation
Le plaignant déplore de la diffamation, un grief que le Conseil ne traite pas. La diffamation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire (article 13.03 du Règlement 2 du Conseil de presse).
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de George Hutcheson visant l’article « A “white students’ union” wants to set up a chapter at McGill University » de la journaliste Selena Ross, publié par CTV News Montreal. Les griefs d’information inexacte, de manque d’identification des sources, de manque d’équilibre, d’information incomplète, de discrimination et d’absence de correctif ont été rejetés.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery
Représentants des journalistes
Denis Couture
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier