Plaignant
Ariane Roberge
Nathan Prévost-Boisvert
Jean-Luc Bédard
Éric Champagne
Colin Creado
David Myles
Mireille Lambert
Éric Bernier
Isabelle Corriveau
89 plaintes en appui
Mis en cause
Le quotidien Le Journal de Montréal
Le quotidien Le Journal de Québec
Québecor Média
Résumé de la plainte
Jean-Luc Bédard, Éric Bernier, Éric Champagne, Isabelle Corriveau, Colin Creado, Mireille Lambert, David Myles, Nathan Prévost-Boisvert, Ariane Roberge et 89 plaignants en appui déposent des plaintes les 22 et 23 avril 2021 concernant la une du 22 avril 2021 des quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec. Les plaignants déplorent une illustration, un titre et des sous-titres inadéquats, du sensationnalisme, une influence des préoccupations politiques, idéologiques et commerciales ainsi que de la discrimination.
CONTEXTE
Nous sommes au printemps 2021. Un variant préoccupant du coronavirus vient d’arriver au Canada, en provenance de l’Inde. On l’appelle communément à l’époque le « variant indien ». L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) le nommera plus tard B.1.617 ou variant « Delta ». Ce variant fait des ravages en Inde et se propage très rapidement. Le 21 avril 2021, des dizaines de cas sont déjà répertoriés au Canada et un premier cas a été détecté au Québec, en Mauricie.
La possibilité de fermeture des frontières entre le Canada et l’Inde fait surface, comme ce fût le cas pour le variant dit « britannique » avant lui, en 2020. Le Canada avait alors suspendu les vols en provenance du Royaume-Uni pour en éviter la propagation. Le nouveau variant en provenance de l’Inde préoccupe, à son tour, le monde entier. Au moment de la publication de la une Journal de Montréal et du Journal de Québec, le 22 avril 2021, plusieurs pays ont déjà suspendu leurs liaisons aériennes avec l’Inde.
Le Conseil de presse a reçu 98 plaintes au sujet de la une du Journal de Montréal et du Journal de Québec montrant une photo du premier ministre du Canada, Justin Trudeau, vêtu d’habits traditionnels indiens. Le titre principal de cette une indique : « Le variant de l’Inde est arrivé ». Il est coiffé du surtitre « Un premier cas au Québec et 39 autres au Canada » et du sous-titre « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? »
La photo présentée en une du Journal comme « archives » a été prise trois ans plus tôt, en 2018, lors d’un voyage officiel du premier ministre en Inde. Au cours de ce déplacement, la famille Trudeau était apparue à plusieurs reprises portant des habits traditionnels indiens.
Analyse
GRIEFS DES PLAIGNANTS
Grief 1 : illustration, titre et sous-titres inadéquats
Principe déontologique applicable
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Photo
Le Conseil doit déterminer si la photo publiée en une reflète l’information à laquelle elle se rattache.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’illustration, titre et sous-titres inadéquats sur ce point.
Analyse
La photo visée par la plainte montre le premier ministre canadien Justin Trudeau vêtu d’un costume traditionnel indien, les mains jointes. Elle est identifiée comme une photo d’archives puisqu’elle date de 2018.
Ariane Roberge considère que cette photo « ne reflète pas l’information à laquelle elle se rattache, qui est d’ordre scientifique/médical et qui se rapporte à des enjeux de santé publique ».
Jean-Luc Bédard estime pour sa part qu’il s’agit d’une « question épidémiologique et de santé publique, pas de rapports interculturels, ce qu’évoque plutôt la photo ».
De son côté, David Myles affirme qu’« il n’existe pas de lien direct entre le voyage de Justin Trudeau en Inde (février 2018) et l’apparition d’un nouveau variant en Inde. Le Journal de Montréal vise à induire en erreur le lectorat, à instrumentaliser sa confusion pour engendrer la controverse. »
Pour Isabelle Corriveau, « le voyage en Inde et la bévue (perçue ou réelle) de Justin Trudeau lorsqu’il s’est vêtu de vêtements traditionnels n’ont aucun lien avec l’arrivée du variant indien, la volonté de mettre ou pas une interdiction sur les vols en provenance de l’Inde. »
Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec n’ont pas répondu aux plaintes dont leur a fait part le Conseil de presse. Le Conseil a cependant tenu compte des explications du rédacteur en chef du Journal de Montréal, Dany Doucet, qui, le jour même de la publication, a publiquement défendu cette une dans une mise au point dans laquelle il fait valoir : « La une nécessite toujours un choix limité de mots et de photos qui ne peuvent que rarement tout dire. Un texte à l’intérieur du Journal est toujours plus complet et offre évidemment plus de nuances sur un sujet. » Quelques heures après la publication de la une, un article de l’Agence QMI cite une déclaration écrite de M. Doucet dans laquelle il affirme : « Notre page frontispice exposait publiquement et on ne peut plus clairement la décision difficile que Justin Trudeau doit prendre au sujet des frontières canadiennes et des vols arrivant de l’Inde avec des dizaines de passagers infectés par la COVID-19 ». Il ajoute : « Notre premier ministre a plusieurs fois démontré avoir un attachement personnel pour l’Inde, comme en font foi les photos de lui qui ont fait le tour du monde lors de son voyage officiel là-bas et qui ont marqué son bilan diplomatique […] Ceux qui n’ont pas compris cela n’ont certainement pas lu les textes à l’intérieur, comme trop de commentateurs le font parfois ».
L’analyse de ce grief doit se faire en prenant en compte les informations auxquelles se rattache la photo. À la lecture de l’article intitulé « Ottawa n’a toujours pas l’intention de couper les liaisons avec l’Inde » auquel renvoie la une, on constate qu’il y est fait état de pressions exercées sur le gouvernement Trudeau afin que les vols en provenance de l’Inde soient suspendus. On y cite le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, qui affirme : « On fait beaucoup de pression [sur Ottawa] pour être capable de voir si on pouvait fermer certaines frontières […]. Ça nous préoccupe beaucoup et on pousse beaucoup pour avoir cette interdiction dans les prochains jours ». L’article rapporte également la question adressée au premier ministre Trudeau par le chef de l’opposition, Erin O’Toole, lors de la période de questions : « Nous sommes en plein dans une troisième vague, et le premier ministre [Justin Trudeau] est toujours lent pour arrêter des vols [provenant] des endroits chauds. Qu’attend-il pour agir ? » L’article présente la réponse de M. Trudeau en rappelant la controverse entourant son voyage en Inde : « Mais M. Trudeau, dont le dernier voyage en Inde en 2018 a été marqué par la controverse, a défendu son approche face aux frontières et aux vols internationaux, qu’il estime être l’une des plus strictes au monde. »
Le premier ministre Trudeau et ses décisions concernant les vols avec l’Inde étaient au cœur de cet article qui faisait l’objet de la une. Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec n’ont donc pas commis de manquement en publiant une photo de M. Trudeau prise lors d’un voyage officiel en Inde.
De la même façon, dans le dossier D2020-12-167, le Conseil a fait valoir que la photo montrant un groupe d’une vingtaine de personnes sur une plage du Mexique ne respectant pas la distanciation sociale et ne portant pas de masque reflétait l’information contenue dans l’article puisque celui-ci rapportait que des touristes ne suivaient pas les mesures sanitaires en place.
Dans le cas présent, l’article rapporte des informations sur la gestion du gouvernement fédéral des vols en provenance de l’Inde où un nouveau variant a été détecté. Bien que certains plaignants considèrent de mauvais goût le choix de cette photo d’archives prise lors d’un voyage en Inde du premier ministre, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de lien entre cette illustration et l’article puisque les deux portent sur les relations entre le Canada et l’Inde sous le gouvernement de Justin Trudeau, bien que le contexte soit différent.
1.2 Titre et texte en une
Le Conseil doit déterminer si le titre « Le variant de l’Inde est arrivé » et le texte apparaissant sur la une reflètent l’information auquel ils se rapportent.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’illustration, titre et sous-titres inadéquats sur ce point.
Analyse
En plus du titre « Le variant de l’Inde est arrivé », la une présente le surtitre suivant : « Un premier cas au Québec… et 39 autres au Canada ». Sous le titre, on peut lire : « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? »
L’un des plaignants, Jean-Luc Bédard, déplore le choix de ces éléments de titraille. Il considère que « l’idée de fermer les frontières, comme il se fait ailleurs, aurait pu être illustrée sans référer à la culture de l’Asie du Sud. C’est une question épidémiologique et de santé publique, pas de rapports interculturels, ce qu’évoque plutôt la photo et le texte en une. »
Un autre plaignant, Éric Champagne, estime que « le titre “Le variant de l’Inde est arrivé” peut laisser croire que le variant est Justin Trudeau lui-même. Il y a un amalgame évident qui relève plus de la caricature que de la une d’un journal. »
Tout comme au point précédent qui visait la photo de la une, l’analyse des éléments qui composent le titre doit se faire en considérant l’information contenue dans les articles auxquels ils se rattachent. Cet exercice démontre que le titre principal de la une « Le variant de l’Inde est arrivé » et le surtitre « Un premier cas au Québec… et 39 autres au Canada » sont conformes à l’information transmise dans l’article « Le variant indien débarque » puisqu’on y rapporte qu’« une personne de la Mauricie–Centre-du-Québec a été déclarée positive à la lignée B.1.617 du virus, une première dans la province, a confirmé mercredi l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). » L’article indique également que la Colombie-Britannique compte 39 cas de COVID-19 causés par ce nouveau variant.
Quant au sous-titre « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? », il est en lien avec l’article intitulé « Ottawa n’a toujours pas l’intention de couper les liaisons avec l’Inde » qui fait état des pressions politiques exercées sur le premier ministre Justin Trudeau pour que son gouvernement interdise les vols en provenance de l’Inde.
Bien que les plaignants aient interprété les éléments de la une à leur manière ni le titre, le surtitre ou le sous-titre ne faisait référence à la culture de l’Asie du Sud ou ne laissait croire que « le variant est Justin Trudeau lui-même ».
Similairement dans la décision D2020-04-057, le Conseil a rejeté la plainte en faisant valoir que la plaignante interprétait les éléments de l’article visés par sa plainte. La plaignante considérait que le titre « Un coup de foudre ne justifie pas un déplacement entre régions » et le chapeau de l’article « L’amour peut nous pousser à faire des choses insensées » « laissent entendre que l’homme tentait d’aller rejoindre une femme dans le cadre d’une relation consensuelle ». Le Conseil a jugé que « ni dans le titre, ni dans le paragraphe introductif, ni sur Facebook, il n’est écrit ou sous-entendu qu’il s’agissait d’une relation consensuelle ». La décision conclut : « La plaignante affirme également que le fait divers relaté par le journaliste est un “cas de harcèlement”, cependant, il s’agit de son interprétation, car le contrevenant n’était pas accusé de harcèlement. »
Pareillement dans le cas présent, les plaintes reflètent les interprétations des plaignants, mais à la lecture des deux articles qui sont en lien avec la une, on constate que le titre, le surtitre et le sous-titre reflètent l’information qui y est contenue.
Grief 2 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le sous-titre « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? » est sensationnaliste.
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
Éric Champagne considère que le sous-titre « “Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci?” interprète abusivement la portée du fait rapporté : arrivée du “variant indien” ». Il ajoute : « Le “variant indien”, bien qu’on le dise indien, n’est pas nécessairement arrivé de l’Inde, il peut être arrivé de tout autre endroit dans le monde, même si son origine première est indienne. »
La référence à l’Inde dans le sous-titre ne déforme pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits. Dans un premier temps, il faut rappeler qu’au moment de la publication, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’avait pas commencé à désigner les variants en utilisant l’alphabet grec. Ainsi, on parlait communément du variant de l’Inde et pas encore du variant Delta.
Dans un deuxième temps, bien que l’interpellation du premier ministre « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? » puisse sembler familière, elle ne constitue pas une exagération des faits. À la lecture de l’article « Ottawa n’a toujours pas l’intention de couper les liaisons avec l’Inde » auquel fait référence la une, on constate que les partis d’opposition fédéraux et le gouvernement du Québec appelaient Justin Trudeau à agir et à interdire les vols en provenance de l’Inde étant donné la situation épidémiologique qui sévissait dans ce pays. Le deuxième article lié à la une (« Le variant indien débarque ») indique que l’Inde « est devenue l’un des épicentres de la pandémie, avec près de 300 000 nouveaux cas et plus de 2000 morts seulement mercredi ». De plus, le plaignant ne démontre pas en quoi la référence à l’Inde, pays où a d’abord été identifié ce nouveau variant, exagérerait la réalité.
Le sensationnalisme implique la notion de déformer, d’exagérer ou d’interpréter la réalité de façon abusive. Un titre accrocheur ou provocateur n’équivaut pas à du sensationnalisme, comme l’a souvent rappelé le Conseil. Dans le dossier D2020-02-016, le Conseil a rejeté un grief de titre sensationnaliste qui visait le titre de la nouvelle, « Tramway : La STO n’a aucune idée où faire descendre les passagers à Ottawa » parce qu’il ne déformait pas la réalité, pas plus qu’il n’exagérait ou interprétait de manière abusive la portée réelle des faits qu’il décrivait. Le Conseil a fait valoir que le titre en cause se rattachait au fait que la présidente de la STO demeurait, lors de son entrevue radiophonique, vague sur les options de débarquement à Ottawa des passagers du futur tramway de Gatineau. Le titre de la nouvelle avait pour fonction d’accrocher les internautes en soulignant le fait que la STO voulait aller de l’avant avec son projet de tramway, mais que sa présidente n’était pas en mesure de dire où celui-ci aboutirait à Ottawa.
De la même façon, dans le cas présent, le sous-titre « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? » ne déforme pas la réalité et n’exagère pas abusivement la portée réelle des faits qu’il décrit. Ce sous-titre reprend, en d’autres mots, la question adressée au premier ministre canadien par le milieu politique. Le fait d’utiliser un ton familier pour poser cette question ne constitue pas une déformation de la réalité. Chaque média possède un ton et un langage qui lui est propre.
Grief 3 : influence des préoccupations politiques, idéologiques et commerciales
Principe déontologique applicable
Influence des préoccupations politiques, idéologiques et commerciales : « Les médias d’information ne laissent, en aucun cas, leurs intérêts commerciaux, politiques, idéologiques ou autres primer sur l’intérêt légitime du public à une information de qualité ni ne restreignent l’indépendance professionnelle des journalistes. » (article 6.2 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si en publiant la photo de Justin Trudeau et le sous-titre « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? », le média a laissé ses intérêts commerciaux, politiques et idéologiques primer sur l’intérêt légitime du public à une information de qualité.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’influence des préoccupations politiques, idéologiques et commerciales.
Analyse
Mireille Lambert considère que la photo de Justin Trudeau ainsi que le sous-titre de la une « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? » « témoignent clairement de l’idéologie politique de Québecor qui est anti-Libéraux ». Éric Bernier estime quant à lui que les « allégeances politiques indépendantistes du propriétaire du quotidien Pierre Karl Péladeau ont eu une grande incidence sur le fait de tourner en dérision le premier ministre du Canada avec le titre de la une du Journal de Montréal par son habillement lors d’un voyage en Inde ».
Bien que les plaignants puissent considérer la photo et le sous-titre de la une de mauvais goût, ils n’apportent pas de preuve d’une quelconque ingérence du président et chef de la direction de Québecor, Pierre-Karl Péladeau, dans le contenu éditorial du Journal de Montréal et du Journal de Québec.
Dans un cas qui portait également sur l’influence des préoccupations politiques, idéologiques et commerciales le dossier D2017-08-098, le plaignant n’avait pas apporté la preuve que le directeur de la programmation de la station radiophonique en cause utilisait « le média pour des motifs commerciaux et politiques afin de nuire » à un projet de reconversion d’un bâtiment porté par la Ville de Sorel-Tracy. Le Conseil avait donc rejeté le grief de manque d’indépendance.
Pareillement, dans le cas présent, il faut davantage qu’une phrase provocatrice pour démontrer que les mis en cause auraient fait primer leurs intérêts politiques sur l’intérêt du public à une information de qualité dans le choix de la photo et du sous-titre de la une.
Grief 4 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide)
4.1 Discrimination entretenant des préjugés
Le Conseil doit déterminer si la photo de la une entretient des préjugés envers les personnes d’origine indienne.
Décision
Le Conseil rejette le grief de discrimination sur ce point.
Analyse
Colin Creado estime que la photo de la une entretient les préjugés envers les personnes d’origine indienne. Selon lui, « la plupart des gens voient la photo, mais ne lisent pas au-delà de la page couverture ce qui permet une image raciste négative des Indiens comme étant des gens “sales”. » (« Most people see the image but never read past the cover and this further allows a negative racist image of Indian people being “dirty”. ») Le plaignant ajoute que cette photo « permet aux gens de faire un lien entre la COVID et une population déjà vulnérable qui vit du racisme au Québec ». (« The image […] permit people to liaise COVID with an already vulnerable population that is experiencing racism in Quebec. »)
Pour qu’il y ait discrimination au sens déontologique, il faudrait que la photo visée par la plainte entretienne les préjugés, sur la base d’un motif discriminatoire, ou qu’elle attise la haine, le mépris ou la violence envers des personnes en raison de leurs caractéristiques personnelles. Dans le cas présent, le plaignant considère que la photo de la une entretient des préjugés envers les personnes d’origine indienne sur la base de leur origine ethnique. Cependant, la photo montrant le premier ministre Justin Trudeau vêtu d’un costume traditionnel indien, les mains jointes, ne comporte aucun élément qui entretiendrait le préjugé que les Indiens sont des gens « sales » comme l’affirme le plaignant.
Dans la décision antérieure D2018-12-121, le Conseil a également rejeté le grief de photographie entretenant les préjugés. Il a fait valoir que cette photo d’allure artistique qui présentait une femme voilée de profil au centre d’une foule floue n’était pas discriminatoire. Le Conseil souligne : « Le média a choisi de représenter, par cette photo, le débat sur la laïcité. Cette photo montre un symbole, le hidjab, vêtement porté par les femmes musulmanes, qui se trouve au cœur de ce débat. »
De la même façon, dans le cas présent, en illustrant l’arrivée du variant indien au Québec par une photo du premier ministre du Canada lors d’un voyage en Inde, les médias mis en cause n’ont pas entretenu de préjugés à l’encontre des personnes d’origine indienne.
4.2 Discrimination suscitant ou attisant la haine et le mépris
Le Conseil doit déterminer si la photo de la une ainsi que le titre et le sous-titre « Le variant de l’Inde est arrivé – Alors Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci » alimentent la haine et le mépris envers les personnes d’origine indienne.
Décision
Le Conseil rejette le grief de discrimination sur ce point.
Analyse
Ariane Roberge considère que la photo et le titre « Le variant de l’Inde est arrivé » établissent « un lien officieux » « entre les personnes d’origine indienne et la présence du variant de la COVID-19 au Québec ». Elle estime que « cette manière de présenter l’information ne fait que susciter la méfiance et le mépris envers un groupe minorisé, sur une base discriminatoire (origine), qui risquent fort de se concrétiser en agissements racistes envers les personnes d’origine indienne ». Elle ajoute qu’« il est reconnu que le racisme à l’égard des personnes d’apparence asiatique a augmenté de manière marquée depuis le début de la pandémie. »
De son côté, Mireille Lambert déplore que le titre et le sous-titre « Le variant de l’Inde est arrivé – Alors Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci » alimentent la haine envers les personnes d’origine indienne.
Cependant, les plaignantes n’expliquent pas de quelle façon la photo, le titre et le sous-titre susciteraient ou attiseraient la haine et le mépris envers les personnes d’origine indienne. De plus, en parlant du « variant de l’Inde », les mis en cause n’enfreignent pas la déontologie journalistique, ils reprennent la dénomination qui était communément utilisée à ce moment-là, avant que l’OMS n’octroie à ce variant la désignation « Delta ».
Grief irrecevable : sous-grief de discrimination
« Une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis. » (article 13.01 du Règlement No 2)
David Myles considère que « le titre, la photo et la teneur de l’article peuvent engendrer de la violence envers les populations de l’Asie du Sud (dont l’Inde) », mais il ne précise pas de quelle façon la photo et le titre inciteraient à la violence. De plus, le plaignant n’indique pas quel article est visé par son allégation.
En l’absence d’un argumentaire clair et d’un manquement précis en ce qui concerne ce sous-grief de discrimination, celui-ci n’est pas recevable.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal et du Journal de Québec qui ne sont pas membres du Conseil de presse, et n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes de Jean-Luc Bédard, Éric Bernier, Éric Champagne, Isabelle Corriveau, Colin Creado, Mireille Lambert, David Myles, Nathan Prévost-Boisvert, Ariane Roberge et 89 plaignants en appui contre la une du 22 avril 2021 des quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec concernant les griefs d’illustration, titre et sous-titres inadéquats, de sensationnalisme, d’influence des préoccupations politiques, idéologiques et commerciales ainsi que de discrimination.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Chouinard
Jean-Philippe Pineault