D2021-10-176

Plaignant

Office municipal d’habitation de Baie-Saint-Paul
(représenté par Me Jean-François Labadie)

Mis en cause

Jérôme Gagnon, journaliste
CIMT-CHAU

Date de dépôt de la plainte

Le 6 octobre 2021

Date de la décision

Le 24 février 2023

Résumé de la plainte

L’Office municipal d’habitation de Baie-Saint-Paul, représenté par Me Jean-François Labadie, dépose une plainte le 6 octobre 2021 au sujet de l’article et du reportage télévisé « Baie-Saint-Paul : Odeurs d’égout et vermine dans une résidence pour aînés » du journaliste Jérôme Gagnon diffusés sur le site Internet de CIMT-CHAU, le 15 septembre 2021. Le plaignant déplore des informations incomplètes, de l’information inexacte et un titre sensationnaliste. 

Contexte

L’article et le reportage télévisé font état d’odeurs d’égout et de présence de vermine dans la résidence pour aînés des Jardins du Gouffre de Baie-Saint-Paul. Cette résidence, qui est un organisme à but non lucratif, est gérée par l’Office municipal d’habitation (OMH) de Baie-Saint-Paul. 

Le journaliste rapporte que « Des résidents de la maison de retraite des Jardins du Gouffre de Baie-Saint-Paul sont fatigués. Fatigués de sentir depuis des années une odeur d’égout dans leur logement social » et que « des souris ont également été trouvées le 30 août dernier dans un des appartements de la résidence. » Le journaliste, Jérôme Gagnon, donne la parole à la directrice générale de l’OMH de Baie-Saint-Paul, Marie-Hélène Gagnon, ainsi qu’à deux résidents, lesquels témoignent des inconvénients occasionnés par les odeurs et la présence de souris.

Le reportage est préparé par l’équipe de CIMT, une station affiliée au Groupe TVA, qui couvre les régions du Bas-Saint-Laurent, de Charlevoix et du Nouveau-Brunswick (alors que CHAU dessert la Gaspésie et le nord du Nouveau-Brunswick). 

Griefs du plaignant

Grief 1 : informations incomplètes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

1.1 Solution mise en place

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont omis de l’information essentielle à la bonne compréhension du sujet en ne faisant pas mention que, selon le plaignant, « une solution a été mise en place par l’OMH depuis juillet 2021, ce qui a eu pour effet de régler au moins temporairement le problème d’odeur ».

Décision


Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information incomplète sur ce point.

Analyse


Le plaignant, l’Office municipal d’habitation (OMH) de Baie-Saint-Paul, déplore que le reportage ne fasse pas mention du fait « qu’une solution a été mise en place par l’OMH depuis juillet 2021, ce qui a eu pour effet de régler au moins temporairement le problème d’odeur ». Il apporte en preuve un enregistrement audio de l’entrevue accordée au journaliste par la directrice générale de l’OMH de Baie-Saint-Paul, Marie-Hélène Gagnon, dans lequel celle-ci mentionne à deux reprises qu’« une solution temporaire [a été mise en place] et que les résidents n’ont plus de mauvaises odeurs depuis le mois de juillet. » 

La vice-présidente information de CIMT-CHAU, Cindy Simard, et le directeur de l’information, Jean-Philippe Nadeau, expliquent qu’« il est impossible dans un reportage de deux minutes d’inclure tous les éléments factuels ou autres attribuables à une question en particulier […] Le diffuseur peut choisir la pierre angulaire de l’histoire […] Dans ce contexte, il y avait au moins deux résidents qui voulaient être entendus concernant leurs préoccupations et il y avait une pétition […] qui existait soulignant les préoccupations des résidents.

Bien que le plaignant aurait souhaité que le journaliste indique que le problème d’odeur était temporairement réglé depuis juillet 2021, les deux résidents présents dans le reportage apportent un témoignage contraire en mentionnant que le problème d’odeurs nauséabondes est toujours présent.

La directrice générale de l’OMH de Baie-Saint-Paul, invitée à commenter ces plaintes de résidents, explique les démarches entreprises en collaboration avec la Ville : « “[…] Nous sommes allés en profondeur, je dirais dans les systèmes d’égouts et sous la rue […] On sait présentement aujourd’hui que le problème ne vient pas de l’infrastructure de la résidence des Jardins du Gouffre” ». Le journaliste mentionne également qu’un rapport sur la provenance des odeurs nauséabondes devrait être publié prochainement. 

Ne pas avoir mentionné que, selon le plaignant, « une solution a été mise en place par l’OMH depuis juillet 2021, ce qui a eu pour effet de régler au moins temporairement le problème d’odeur » n’était pas essentiel à la compréhension du sujet, puisque l’angle de l’article et du reportage, qui relève de la liberté éditoriale, traitait de plaintes de résidents « fatigués de sentir depuis des années une odeur d’égout » dans leur appartement. Une pétition, signée par plusieurs des 28 résidents, faisait déjà état du problème en mars 2020. Et, selon les témoignages des deux résidents, le problème d’odeur existe toujours. 

Comme le rappelle la décision D2020-01-005(2), « les journalistes n’ont pas l’obligation déontologique de diffuser toutes les informations liées au sujet d’un article ou d’un reportage, ce qui serait d’ailleurs impossible dans un espace ou un temps limité. Ils doivent plutôt s’assurer de présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. » De la même manière, dans le cas présent, mentionner que le problème avait été réglé au moins temporairement n’était pas essentiel à la compréhension du sujet. 

1.2 Visite de la résidence

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont omis une information essentielle à la bonne compréhension du sujet en ne mentionnant pas que la directrice de l’OMH de Baie-Saint-Paul, Marie-Hélène Gagnon, ne serait « aucunement gênée de faire visiter la résidence ».

Décision


Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information incomplète sur ce point.

Analyse


Le plaignant indique qu’il aurait été intéressant que le journaliste rapporte les propos de Marie-Hélène Gagnon déclarant qu’elle « ne serait “aucunement gênée de faire visiter la résidence” […] ». Il déplore que le journaliste ait plutôt choisi « de présenter le début de la phrase : “C’est sûr que c’est décevant parce que ça fait mauvaise presse à notre belle résidence…”, en coupant le reste des paroles qui viennent mettre la prémisse en contexte. »

CIMT-CHAU explique qu’« il est impossible dans un reportage de deux minutes d’inclure tous les éléments factuels ou autres attribuables à une question en particulier. Le diffuseur a […] le droit de choisir où mettre l’emphase. »

Bien que Marie-Hélène Gagnon ait effectivement mentionné au journaliste qu’elle « ne serait “aucunement gênée de faire visiter la résidence” […] », le plaignant ne démontre pas en quoi l’ajout de cette information aurait été essentiel à la bonne compréhension de l’article et du reportage télévisé. 

Il relève de la liberté éditoriale du média de sélectionner les informations pertinentes en fonction de l’angle du sujet du reportage. Dans le dossier D2020-05-077, le grief d’information incomplète a été rejeté, car la plaignante ne précisait pas en quoi « des informations plus détaillées concernant la teneur des champs 8 à 18 » auraient été essentielles à la compréhension de l’article « qui portait sur un potentiel manque d’enseignants à la CSVT pour la reprise des classes au printemps 2020. » De la même manière, dans le cas présent, le plaignant n’indique pas en quoi l’information qu’il aurait souhaitée était essentielle à la compréhension du sujet et le Conseil estime que cette information n’aurait en rien changé le sens du sujet du reportage.

Grief 2 : information inexacte

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte en utilisant « le déterminant “des” pour faire référence aux deux résidents qui se sont plaints de la situation » dans la phrase suivante : « Des résidents de la maison de retraite des Jardins du Gouffre de Baie-Saint-Paul sont fatigués. Fatigués de sentir depuis des années une odeur d’égout dans leur logement social ».

Décision


Le Conseil rejette le grief d’information inexacte.

Analyse 


Le plaignant estime que l’utilisation du mot « des » est inexact. Il affirme que « dans un intérêt d’exactitude, le reportage aurait dû […] faire mention [que deux résidents se sont plaints], plutôt que de référer continuellement à “des” résidents, ce qui laisse supposer dans l’imaginaire du public, un nombre probablement plus important que deux personnes ». Il indique que dans l’enregistrement audio de l’entrevue que lui a accordée la directrice générale de l’OMH de Baie-Saint-Paul, Marie-Hélène Gagnon, « le journaliste [lui] mentionne expressément […] qu’il préciserait que la situation est constatée par deux résidents uniquement, alors que ce ne fut pas le cas. »

Les mis en cause répliquent « qu’il n’y a[vait] aucune obligation de dire qu’il y avait deux résidents en l’instance qui voulaient se plaindre. Utilis[er] le mot “des” est entièrement correct et […] CIMT-CHAU voulait protéger les résidents en question, ce qui est une obligation d’un journaliste et du code d’éthique journalistique. »

Le journaliste utilise le déterminant « des » dans la phrase « Des résidents de la maison de retraite des Jardins du Gouffre de Baie-Saint-Paul sont fatigués. Fatigués de sentir depuis des années une odeur d’égout dans leur logement social. » Selon le Multidictionnaire de la langue française, le mot « des » comme déterminant indéfini « exprime une idée de quantité, une qualité indéterminée ». Il n’est donc pas inexact d’employer le mot « des » puisqu’il fait référence à une idée de pluralité (plus d’une personne) et qu’en l’occurrence, deux résidents ont témoigné du problème. L’article fait également mention d’une pétition signée par « plusieurs des 28 résidents […] en mars 2020. »

Dans le dossier D2017-03-051, le Conseil a rappelé « qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter […] [mais que ces derniers doivent cependant] être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur dans l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations ou encore l’exacte signification des événements. » De la même manière dans le cas présent, en considération des décisions antérieures du Conseil et du fait que deux résidents ont manifesté leur lassitude face au problème d’odeurs nauséabondes, le Conseil juge que le journaliste n’a pas produit de l’information inexacte en employant le mot « des ».

Grief 3 : titre sensationnaliste

Principe déontologique applicable

Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)

Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le média déforme la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements dans le titre : « Baie-Saint-Paul : Odeurs d’égout et vermine dans une résidence pour aînés ». Le journaliste n’est pas mis en cause dans ce grief, parce que les titres relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.

Décision


Le Conseil rejette le grief de titre sensationnaliste. 

Analyse


Selon le plaignant « le choix du titre du reportage constitue un cas flagrant d’exagération et d’interprétation abusive de la portée réelle des faits qui y sont rapportés ». Il se demande si « M. Gagnon a […] constaté la présence d’une odeur d’égout au moment de son déplacement […] [, s’il] a constaté que les lieux étaient particulièrement malpropres […] [et il estime qu’] il aurait été intéressant qu’il fasse état du constat qu’il a lui-même observé. » Il affirme que « si l’intrusion d’une souris est une situation désagréable, il s’agit d’une situation commune aux changements de saisons qui ne justifie certainement pas d’en faire un reportage et de l’imager avec des termes comme “présence de vermine”. »

CIMT-CHAU estime pour sa part « que le titre de la nouvelle reflète la réalité et qu’il n’est pas exagéré. » Il mentionne que « les odeurs et la présence de vermine sont confirmées par la direction dans le reportage. Le titre d’un reportage est toujours court. On ne peut pas inclure tous les éléments de la question. C’est un titre introductif qui a pour objectif d’inciter l’auditoire à rester à l’écoute […] Le titre utilisé dans ce cas-ci n’a aucun élément sensationnaliste. Il est entièrement factuel. Afin d’être sensationnaliste, l’ajout d’un adjectif comme “odeurs écœurantes” ou “vermine abondante” aurait été nécessaire. »

Pour qu’un titre soit jugé sensationnaliste, il faut qu’il y ait eu une exagération ou une interprétation abusive des faits qui a pour conséquence de déformer la réalité. Examinons donc d’abord quels sont les faits rapportés qui pourraient justifier ce titre. On peut lire dans l’article que « Des résidents de la maison de retraite des Jardins du Gouffre de Baie-Saint-Paul sont fatigués. Fatigués de sentir depuis des années une odeur d’égout dans leur logement social » et que « Des souris ont également été trouvées le 30 août dernier dans un des appartements de la résidence. »

En ce qui concerne les odeurs, le titre reflète les informations contenues dans l’article et le reportage télévisé, à savoir que même si des validations en profondeur « dans les systèmes d’égouts et sous la rue » ont permis de déterminer que « le problème [d’odeurs] ne vient pas de l’infrastructure de la résidence des Jardins du Gouffre », comme le souligne la directrice générale de l’OMH de Baie-Saint-Paul, la présence d’odeurs nauséabondes dans la résidence est tout de même constatée par les deux résidents interrogés. Il n’y a donc pas de déformation de la réalité en titrant qu’il y a des odeurs d’égout dans la résidence.

Quant au terme « vermine », le plaignant soutient qu’il est exagéré de l’utiliser pour décrire l’intrusion de deux ou trois souris. Il appuie son propos sur la définition de ce terme dans le dictionnaire Larousse : “Ensemble de parasites externes de l’homme et des vertébrés” ». Toutefois, le terme vermine signifie également « Groupe d’animaux considérés comme nuisibles par l’être humain (rongeurs, etc.) », selon le dictionnaire Usito, un dictionnaire conçu au Québec par l’Université de Sherbrooke. Il s’agit d’un « particularisme de l’usage québécois et canadien », précise-t-il. Plusieurs exterminateurs du Québec considèrent également les rongeurs (rats et souris) comme étant de la vermine. Il n’est donc pas exagéré d’utiliser le terme « vermine » pour désigner des rongeurs tels que des souris.

Les médias disposent d’une grande liberté éditoriale dans le choix des mots qu’ils utilisent et dans la confection de leurs titres. Dans le dossier D2020-09-128, où un grief de titre sensationnaliste a été rejeté, le Conseil a rappelé l’importance de distinguer un titre accrocheur d’un titre sensationnaliste: « Un titre qui a pour but d’attirer l’attention du lecteur n’est pas sensationnaliste à moins qu’il ne déforme les faits », ce qui n’était pas le cas dans ce dossier. Pareillement, dans le cas présent, les mots utilisés dans le titre « Baie-Saint-Paul : Odeurs d’égout et vermine dans une résidence pour aînés » reflète les informations présentes dans l’article et le reportage sans exagérer ou interpréter abusivement la portée des faits.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de l’Office municipal d’habitation de Baie-Saint-Paul, représenté par Me Jean-François Labadie, visant l’article et le reportage télévisé « Baie-Saint-Paul : Odeurs d’égout et vermine dans une résidence pour aînés » du journaliste Jérôme Gagnon diffusés sur le site Internet de CIMT-CHAU le 15 septembre 2021 concernant les griefs d’informations incomplètes, d’information inexacte et de titre sensationnaliste. 

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Mathieu Montégiani

Représentants des journalistes
Lisa-Marie Gervais
Camille Lopez

Représentants des entreprises de presse
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier