D2021-11-221 (2)

Décision d’appel

Appelant

Alain Dubois, chroniqueur 

Le Montarvillois

Intimé

Frédéric Khalkhal, directeur de l’information de l’hebdomadaire

Les Versants du Mont-Bruno

Date de dépôt de l’appel

Le 20 septembre 2023

Date de la décision de la commission d’appel

Le 1er décembre 2023

Rôle de la commission d’appel

Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.

Contexte

Le 21 novembre 2021, le directeur de l’information de l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno, Frédéric Khalkhal, a déposé une plainte contre le chroniqueur Alain Dubois et le site Internet du journal Web « collaboratif » Le Montarvillois, concernant une chronique d’opinion intitulée « Non éligibilité de Véronique Mauro dans le district 5 : un hebdo fait la manchette avec une plainte déjà rejetée! ». 

La chronique de M. Dubois, publiée durant la campagne électorale municipale à Saint-Bruno-de-Montarville, critiquait le fait que le journal Les Versants ait diffusé un article de M. Khalkhal annonçant qu’une plainte au Directeur général des élections du Québec (DGEQ) mettait en doute l’éligibilité de Véronique Mauro – candidate à un poste de conseillère municipale pour le parti Ensemble Saint-Bruno – alors que cette plainte avait, selon M. Dubois, déjà été rejetée par le DGEQ. 

L’appelant, Alain Dubois, qui était le mis en cause en première instance, interjette appel concernant un sous-grief d’information inexacte intitulé « Plainte déjà rejetée par le DGEQ », le seul qui a été retenu par le comité des plaintes (à la majorité de 4 sur 6). Deux autres griefs d’informations inexactes et un grief de conflit d’intérêts ont été rejetés à l’unanimité, tandis qu’un grief de manque d’équilibre a été déclaré irrecevable. 

Motif de l’appelant

L’appelant conteste la décision de première instance relativement à un sous-grief d’information inexacte intitulé « Plainte déjà rejetée par le DGEQ ». 

Grief 1 : information inexacte

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que le comité des plaintes, qui a retenu le sous-grief d’information inexacte, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache. 

Décision

Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 a) du Guide n’a pas été appliqué correctement en première instance.

La commission d’appel infirme la décision sur ce point et rejette le sous-grief d’information inexacte.

Analyse

Alain Dubois conteste la décision du comité des plaintes à l’effet qu’il a manqué à son devoir d’exactitude en affirmant que la plainte contre la candidate Véronique Mauro avait « déjà été rejetée » par le DGEQ dans les deux passages de sa chronique retranscrits ci-dessous.

« Voilà qu’un hebdo local fait de nouveau la manchette d’une de ses pages avec une information qui est de l’ordre du spectacle et qui n’est pas conforme à la réalité puisque cette plainte a déjà été rejetée par le DGE en conformité avec la LERM (Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités). »

« NOTE : Le journal Les Versants a modifié cet article (version numérique) depuis sa publication. Mais ce type d’article aurait dû faire, au préalable, [l’objet] d’une vérification d’usage : jugements (jurisprudence). »

En première instance, le comité des plaintes a jugé que « bien que la phrase visée par ce grief ( “[…] un hebdo local fait de nouveau la manchette d’une de ses pages avec une information qui est de l’ordre du spectacle et qui n’est pas conforme à la réalité puisque cette plainte a déjà été rejetée par le DGE.”) puisse être interprétée de plusieurs manières, le mis en cause [M. Dubois] précise sa pensée dans sa réplique à la plainte. Il y affirme que “la réponse du DGEQ a été écrite le 27 octobre, soit avant la publication de l’article de M. Khalkhal”, laissant entendre que l’article du plaignant a été rédigé postérieurement à la décision du DGEQ, alors que ce n’est pas le cas. En effet, comme l’édition papier hebdomadaire des Versants du Mont-Bruno contenant l’article “Une éligibilité à l’étude” est datée du 27 octobre, le texte a nécessairement été rédigé de façon antérieure à cette date puisque le journal doit être imprimé avant d’être distribué. Au moment de la rédaction et de l’impression de l’article de M. Khalkhal, l’information rapportée était véridique et fidèle à la réalité ». 

Pour ces raisons, le Conseil a retenu à la majorité, à raison de 4 voix contre 2, ce grief d’information inexacte. Deux membres du comité des plaintes ont exprimé leur dissidence. Ils ont soutenu « que la formulation utilisée par M. Dubois dans la chronique en cause peut laisser entendre qu’au moment où celui-ci a écrit sa propre chronique, la plainte à l’endroit de la candidate Véronique Mauro avait déjà été rejetée par le DGEQ, ce qui est factuellement exact ».

Dans son appel, M. Dubois argue : « L’avis de décision du DGEQ rédigé par Gabrielle Audray Cimon, avocate du Service des affaires juridiques, est daté du 27 octobre et a été transmis à la même date. Le journal Les Versants, selon la date indiquée sur celui-ci, est aussi daté du 27 et sa distribution se termine généralement le lendemain, soit ici le 28 octobre. Il est donc factuellement exact, et c’est à mon avis le plus important, de mentionner que cette décision du DGEQ était déjà connue et que l’information rapportée était non véridique à la réalité [sic] au moment de la publication et [de] la diffusion du journal [Les Versants]. »

Il ajoute : « Que l’article ait été écrit et le journal imprimé quelques jours ou quelques semaines avant n’a pas une importance qui justifie cette décision majoritaire. Il est de la responsabilité du journaliste de vérifier (ou tenter de vérifier) avec l’autorité concernée (DGEQ) la date où la décision est attendue. Toujours [à] mon avis, dans un cas comme celui-ci,  les deux parties en cause ont des motifs sérieux de croire qu’ils ont (chacun) raison. La décision devrait donc conclure à un rejet de cet élément de la plainte. Ce sont deux vérités qui cohabitent ici. »

L’intimé, le directeur de l’information de l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno Frédéric Khalkhal, rétorque : « Le courrier du DGEQ rédigé par Gabrielle Audray Cimon, avocate du Service des affaires juridiques, est daté du mardi 27 octobre 2021 [et] a été transmis à la même date au courant de la matinée par courriel aux parties concernées. Cependant, comme le dit M. Dubois, et comme déjà mentionné, le journal [Les Versants] [a été] imprimé le lundi 26 octobre 2021 et distribué, ainsi que [rendu] disponible dans les locaux du journal, le mardi 27 octobre 2021. Le journal était donc disponible avant la lettre du DGEQ envoyée aux parties du dossier par courriel. »

Il poursuit : « Au moment de la disponibilité du journal, très tôt le matin du 27 octobre, le courrier du DGEQ n’avait pas été envoyé et l’information qu’une plainte avait été déposée au DGEQ était exacte. Même après le courrier du DGEQ, le fait qu’une plainte ait été déposée auprès de cette autorité restait exact. La précision du courrier a été rendu[e] publique sur le site Internet du journal dès qu’elle a été connue, le mardi 27 octobre en fin de matinée. »

M. Khalkhal soutient également : « Au moment d’écrire l’article, le DGEQ a été contacté et afin de garder le secret de l’instruction, la seule information qui a été divulguée au journal est qu’il y avait eu un dépôt d’une plainte. Aucun autre renseignement n’a été communiqué. »

Il souligne : « Les faits ici rappelés, et sur lesquels le Conseil de presse s’est appuyé pour prendre sa décision, ne reposent pas sur l’avis personnel de l’une ou l’autre des parties qui estime avoir raison. »

Enfin, M. Khalkhal conclut : « Au moment où l’édition papier du journal était disponible au grand public, une plainte était déposée auprès du DGEQ, chose qu’a rapporté[e] le journal. Lorsque le DGEQ a envoyé son courrier, plus tard dans la journée, la précision a été apportée immédiatement dans l’édition électronique. Même à ce moment, le fait qu’il y ait une plainte auprès du DGEQ était une vérité. L’hebdomadaire a publié également la semaine suivante les conclusions du DGEQ dans son édition papier. »

La commission d’appel estime que le principe d’information inexacte a mal été appliqué, compte tenu que le passage visé pouvait être interprété de deux façons. En effet, il n’était pas inexact d’affirmer que la plainte contre Véronique Mauro avait « déjà été rejetée » par le DGEQ au moment où M. Dubois a rédigé et publié sa propre chronique dans Le Montarvillois, le 27 octobre 2021. 

Bien que, en raison des délais liés à l’impression de l’édition papier de l’hebdomadaire Les Versants, M. Khalkhal ait sans aucun doute écrit son article avant que le DGEQ ne communique sa décision aux parties, il n’en demeure pas moins que ladite décision avait été rendue lorsque la chronique de M. Dubois a été mise en ligne. C’est pourquoi l’information transmise par le chroniqueur du Montarvillois n’était pas inexacte.

Par ailleurs, la commission d’appel ne se prononce pas sur les allégations de M. Dubois selon lesquelles le journal Les Versants aurait produit de l’information qui était « de l’ordre du spectacle ». Il n’y a pas lieu de présumer des intentions respectives de MM. Khalkhal et Dubois. Aucun reproche d’ordre déontologique n’est adressé à M. Khalkhal dans le cadre de cette décision d’appel. L’exactitude des faits au sens le plus strict est la seule et unique considération dans le cas présent. C’est pourquoi la décision du comité des plaintes est infirmée et que le grief d’information inexacte est rejeté.

Conclusion

Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité d’infirmer la décision rendue en première instance concernant le sous-grief d’information inexacte intitulé « Plainte déjà rejetée par le DGEQ ».

Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.

Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement 2, article 31.02)

La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :

Représentant du public

Jacques Gauthier, président de la commission d’appel

Représentant des journalistes

Vincent Larouche

Représentant des entreprises de presse

Éric Trottier

Décision de première instance

Plaignant

Frédéric Khalkhal, directeur de l’information de l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno

Mis en cause

Alain Dubois, chroniqueur 

Le Montarvillois

Date de dépôt de la plainte

Le 21 novembre 2021

Date de la décision

Le 16 juin 2023

Résumé de la plainte

Frédéric Khalkhal, directeur de l’information de l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno, dépose une plainte le 21 novembre 2021 au sujet de l’article « Non éligibilité de Véronique Mauro dans le district 5 : un hebdo fait la manchette avec une plainte déjà rejetée! », du chroniqueur Alain Dubois, publié dans Le Montarvillois le 27 octobre 2021. Le plaignant déplore un conflit d’intérêts et des informations inexactes. Le grief de manque d’équilibre n’est pas recevable (voir l’explication à la fin de la décision).

Contexte

Le 27 octobre 2021, à 11 jours des élections municipales du 7 novembre, l’hebdomadaire régional Les Versants du Mont-Bruno publie dans son édition papier un article de Frédéric Khalkhal – le plaignant dans ce dossier – annonçant que l’éligibilité de Véronique Mauro, candidate au poste de conseillère municipale dans le district 5 à Saint-Bruno-de-Montarville, est remise en cause. Dans la version initiale de cet article, qui a ensuite été modifié sur le site Web des Versants du Mont-Bruno, on rapporte que Mme Mauro, qui se présentait pour le parti Ensemble Saint-Bruno, aurait emménagé dans une résidence de Saint-Bruno-de-Montarville le 5 septembre 2020, après en avoir fait l’acquisition le 13 août de la même année. Or, la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LERM) stipule que tout candidat doit résider « sur le territoire de la Municipalité depuis au moins les 12 derniers mois le 1er septembre de l’année civile où doit avoir lieu une élection générale ». Mme Mauro risquait donc d’être considérée non éligible à titre de candidate puisqu’elle s’était officiellement établie dans la municipalité quatre jours après le 1er septembre 2020. On rapporte aussi dans l’article qu’un citoyen a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’intégrité municipale et aux enquêtes (CIME), ce qui est à l’origine de cette affaire.

Plus tard dans la journée du 27 octobre 2021, le journal Web « collaboratif » Le Montarvillois publie une réaction à l’article de Frédéric Khalkhal. Cette chronique – qui fait l’objet de la présente plainte – est signée par Alain Dubois. Ce dernier occupe les fonctions d’éditeur, de rédacteur, d’édimestre et de webmestre du Montarvillois, selon l’information disponible sur le site de ce journal « entièrement bénévole ». Dans la chronique en cause, M. Dubois dénonce le fait que la plainte contre la candidate Véronique Mauro aurait déjà été rejetée par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ). Il soutient qu’une lettre du DGEQ a été reçue par Mme Mauro le jour même, le 27 octobre. Citant la lettre, il rapporte que le DGEQ n’entend pas « recommander la tenue d’une enquête » et procédera « à la fermeture de la […] plainte ». Le chroniqueur conclut son texte en alléguant que l’article de M. Khalkhal est « une autre tempête dans un verre d’eau probablement ourdie par des politiciens locaux avec l’aide d’un hebdo complaisant ».

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Griefs du plaignant

Grief 1 : conflit d’intérêts

Principe déontologique applicable

Conflits d’intérêts : « (1) Les journalistes évitent tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts. En toute situation, ils adoptent un comportement intègre. (2) Les médias d’information veillent à ce que leurs journalistes ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts. » (article 6.1 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si l’éditeur et chroniqueur Alain Dubois et son journal Le Montarvillois se sont placés en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts en publiant une chronique sur la candidate aux élections municipales Véronique Mauro, du parti Ensemble Saint-Bruno, alors que Le Montarvillois compte dans son équipe Christine Simard, une candidate du même parti au moment de la publication, comme l’allègue le plaignant.

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de conflit d’intérêts.

Analyse

Le plaignant affirme que le chroniqueur mis en cause, Alain Dubois, est propriétaire du site Le Montarvillois « et [qu’]il compte dans son équipe […] Christine Simard. Christine Simard était une des candidates d’un parti politique à Saint-Bruno-de-Montarville, Ensemble Saint-Bruno, pour les dernières élections municipales [comme] Mme [Véronique] Mauro, que M. Dubois défend dans cet article […] Précisons que pendant la campagne, M. Dubois a, à plusieurs reprises, mis de l’avant la candidature de Mme Simard. M. Dubois indique même dans une publication : “Bien qu’elle n’y soit plus active, Christine Simard a été une des collaboratrices de la première heure au journal Le Montarvillois”. Pourtant, il est […] possible de voir sur son site que Mme Simard est toujours dans l’équipe de cette publication. M. Dubois semble être tout au moins, si ce n’est en conflit d’intérêt[s], en apparence de conflit d’intérêt[s], les deux allant contre le code de déontologie du Conseil de presse. »

Le mis en cause rétorque qu’au moment où il a « envisagé de lancer une version WordPress du journal, [il a] demandé à Mme Simard […] si elle voulait [lui] donner un coup de main avec WordPress, une plateforme [qu’il n’avait] jamais utilisée. » Il soutient que celle-ci a « accepté de [l’]aider à un niveau technique, mais [que] cette aide a été ponctuelle et limitée à une période précédant la mise en ligne du journal. » Il ajoute que Mme Simard a proposé de l’aider « à définir une politique éditoriale pour le journal (elle a travaillé plusieurs années à la SRC et chez Transcontinental) » et que c’est par « reconnaissance pour son aide initiale [qu’il a] mentionné qu’elle avait été une collaboratrice du journal » sur le site du Montarvillois. Le mis en cause précise que « Le Montarvillois est un journal complètement indépendant et sans aucun lien avec un parti politique municipal […] ».

D’après les informations rendues publiques sur le site Internet du Montarvillois au moment de l’analyse de ce dossier, Christine Simard collabore avec ce journal à titre de conseillère technique/cowebmestre. Elle n’occupe donc pas de fonction éditoriale. 

La chronique en cause porte sur Véronique Mauro, alors candidate aux élections municipales pour le parti Ensemble Saint-Bruno, et non sur Christine Simard. Nous savons que Mme Simard était également candidate pour le parti Ensemble Saint-Bruno.

La question est de savoir si M. Dubois et Le Montarvillois, dont il est l’éditeur, pouvaient avoir un intérêt personnel ou institutionnel en publiant une chronique au sujet de l’éligibilité de Mme Mauro. Or, rien ne permet de tirer une telle conclusion. 

Le plaignant ne démontre pas en quoi le fait de publier cette chronique au sujet de Mme Mauro pouvait apporter quelque bénéfice que ce soit à M. Dubois ou à son journal. 

Le Conseil ne détient aucune preuve que M. Dubois s’est placé en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts dans sa couverture journalistique de la candidature de Mme Mauro aux élections municipales.

Rappelons qu’il est essentiel qu’un journaliste affecté à la couverture de l’actualité locale conserve son indépendance par rapport à la scène politique municipale. Dans le dossier D2018-05-062, le Conseil a retenu un grief de manque d’indépendance, jugeant que le rédacteur en chef d’une publication régionale ne pouvait écrire à propos du conseil municipal de Prévost en maintenant une « saine distance », alors qu’il siégeait lui-même au sein d’un comité mis sur pied par la municipalité. Bien que le représentant des mis en cause affirmait que le rédacteur en chef siégeait au comité à titre personnel et que « son implication dans un tel comité au service de ses concitoyens mêmes ne le rend nullement complaisant face aux comportements et décisions des élus dans la municipalité de Prévost ou dans les autres municipalités », le Conseil a observé que les lecteurs ne pouvaient en avoir l’assurance. 

Contrairement à cette situation, dans le cas présent, les éléments de preuve fournis par le plaignant ne permettent pas de conclure que le chroniqueur et éditeur Alain Dubois et son journal Le Montarvillois se sont placés en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts en rédigeant une chronique au sujet de Mme Mauro, bien qu’une conseillère technique/cowebmestre du journal était candidate pour le même parti aux élections municipales de l’automne 2021. 

Grief 2 : informations inexactes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide)

2.1 Article faisant la manchette

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur Alain Dubois a produit de l’information inexacte en soutenant que l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno a « fait de nouveau la manchette d’une de ses pages » avec l’article « Une éligibilité remise en cause à Saint-Bruno-de-Montarville » de Frédéric Khalkhal (intitulé, dans la version imprimée du journal, « Une éligibilité à l’étude »).

Décision

Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.  

Analyse 

Le plaignant soutient qu’il était inexact d’écrire que l’article du journal Les Versants du Mont-Bruno dont il est question dans la chronique mise en cause a « fait la manchette ». Il explique que, sur le site Web du Montarvillois, « M. Dubois a mis sur le mot manchette un hyperlien qui renvoie à une page PDF et non pas au journal [Les Versants du Mont-Bruno]. Il est faux de dire que nous avons mis cet article en manchette [puisque] une manchette est généralement placé[e] à la une du journal […] Dans l’édition papier, la nouvelle occupe l’un des plus petits formats d’article possible en page 5 (1/2 page) […] Sur l’édition numérique et nos réseaux sociaux, la nouvelle a été traitée comme toutes les autres nouvelles, sans jamais être mise de l’avant d’une manière particulière. »

Le mis en cause affirme pour sa part que cela « est tout à fait relatif, car cet article s’est retrouvé en première position et a fait les gros titres de l’édition numérique et de la page Facebook des Versants. Aujourd’hui, contrairement aux éditions papier des journaux, les gros titres des éditions Web changent constamment (ex. : La Presse). À mon sens, il était donc correct d’employer ce terme. » Il ajoute que « lorsque l’on dit qu’une personne ou un événement a fait les manchettes, on ne réfère pas nécessairement au premier article d’une première page. »

Au sens strict du terme, une « manchette » est définie comme un « titre très large et en gros caractères, à la une d’un journal » (Le Robert en ligne). Cependant, dans l’usage courant, ce terme est utilisé plus largement et peut désigner « les principales nouvelles du jour », comme l’indique le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui. Dans le présent contexte, le chroniqueur a écrit « qu’un hebdo local fait de nouveau la manchette d’une de ses pages » avec l’article « Une éligibilité à l’étude » de Frédéric Khalkhal. Considérant que l’article en question a été publié en page 5 de l’édition papier des Versants du Mont-Bruno du 27 octobre 2021, que celui-ci occupait le haut de la page et qu’il n’y avait pas d’autre article sur cette page, la formulation « un hebdo local fait de nouveau la manchette d’une de ses pages » employée par le chroniqueur pouvait être interprétée comme voulant dire que la page 5 présentait le sujet en gros titre. Vu cette interprétation possible, on ne peut conclure à une information inexacte. 

M. Dubois a eu recours à une figure de style en laissant entendre que l’article de M. Khalkhal a « fait la manchette » d’une page du journal Les Versants du Mont-Bruno et sur ses plateformes en ligne. Il convient de rappeler que les chroniqueurs disposent d’une grande latitude dans le choix des mots et dans le style employé. 

Tel que mentionné dans la décision antérieure D2017-03-051, « le Conseil a maintes fois statué qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur autorité et de leur discrétion rédactionnelles. Les médias et les journalistes doivent cependant peser l’emploi des mots qu’ils utilisent, être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur dans l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations ou encore l’exacte signification des événements. »

Dans le cas présent, l’expression « faire la manchette d’une de ses pages » employée par le chroniqueur laisse place à une certaine interprétation et cette formulation relève de la discrétion rédactionnelle du média. C’est pourquoi le Conseil rejette ce grief d’information inexacte.

2.2 Plainte déjà rejetée par le DGEQ

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur Alain Dubois a produit de l’information inexacte à propos du fait que la plainte contre Véronique Mauro avait « déjà été rejetée » dans les deux passages retranscrits ci-dessous.

« Voilà qu’un hebdo local fait de nouveau la manchette d’une de ses pages avec une information qui est de l’ordre du spectacle et qui n’est pas conforme à la réalité puisque cette plainte a déjà été rejetée par le DGE en conformité avec la LERM (Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités). »  

« NOTE : Le journal Les Versants a modifié cet article (version numérique) depuis sa publication. Mais ce type d’article aurait dû faire, au préalable, [l’objet] d’une vérification d’usage : jugements (jurisprudence). »

Décision

Le Conseil retient à la majorité (4 sur 6) le grief d’information inexacte sur ce point, car il estime que le mis en cause a contrevenu à l’article 9 a) du Guide

Analyse 

Le plaignant déplore que, dans la chronique en cause, « M. Dubois dit que l’information n’est pas conforme à la réalité puisque c’est une plainte qui a déjà été rejetée par le Directeur général des élections (DGEQ) […] La réponse du DGEQ [à propos de l’éligibilité de la candidate Véronique Mauro] est arrivée après la publication de l’article [“Une éligibilité remise en cause à Saint-Bruno-de-Montarville” dans Les Versants du Mont-Bruno]. » Il soutient avoir « ajouté cette précision dans l’article » le jour même sur le site Internet du journal.

Il précise « [qu’]un premier article a été publié le 25 octobre sur le site Internet des versants.com. Il a été publié en page 5 dans le journal papier distribué les 26 et 27 octobre [sous le titre “Une éligibilité à l’étude”]. La journée du 27 octobre 2021, date figurant sur le courrier du DGEQ, [était] un mercredi. Les Versants est imprimé le lundi, et commence à être distribué le mardi matin. Au moment de la publication, nous n’avions donc pas la décision du DGEQ, mais nous l’avions contacté afin de savoir si une plainte avait été déposée. Au moment de la décision du DGEQ, le mercredi, nous avons ajouté cette information sur notre site Internet ainsi que dans le journal papier de la semaine suivante. Rappelons que Les Versants est un hebdomadaire. L’information que donne M. Dubois est donc fausse, pourtant ce dernier connaît très bien nos dates d’impression et de publication. »

Le mis en cause avance quant à lui que « la réponse du DGEQ a été écrite le 27 octobre, soit avant la publication de l’article de M. Khalkhal, il n’est donc pas faux de mentionner que la plainte a été rejetée avant la publication de l’article. » Il mentionne également que « lorsque le journal a été diffusé aux portes, la décision du DGEQ était déjà rendue. C’est possible que d’autres résidents prennent connaissance du contenu de ce média le mardi ».

Bien que la phrase visée par ce grief ( « […] un hebdo local fait de nouveau la manchette d’une de ses pages avec une information qui est de l’ordre du spectacle et qui n’est pas conforme à la réalité puisque cette plainte a déjà été rejetée par le DGE. ») puisse être interprétée de plusieurs manières, le mis en cause précise sa pensée dans sa réplique à la plainte. Il y affirme que « la réponse du DGEQ a été écrite le 27 octobre, soit avant la publication de l’article de M. Khalkhal », laissant entendre que l’article du plaignant a été rédigé postérieurement à la décision du DGEQ, alors que ce n’est pas le cas. En effet, comme l’édition papier hebdomadaire des Versants du Mont-Bruno contenant l’article « Une éligibilité à l’étude » est datée du 27 octobre, le texte a nécessairement été rédigé de façon antérieure à cette date puisque le journal doit être imprimé avant d’être distribué. Au moment de la rédaction et de l’impression de l’article de M. Khalkhal, l’information rapportée était véridique et fidèle à la réalité. C’est pourquoi le Conseil retient à la majorité, à raison de 4 voix contre 2, le présent grief d’information inexacte.

Deux membres du comité des plaintes expriment cependant leur dissidence et rejettent le grief d’information inexacte. Ils soutiennent que la formulation utilisée par M. Dubois dans la chronique en cause peut laisser entendre qu’au moment où celui-ci a écrit sa propre chronique, la plainte à l’endroit de la candidate Véronique Mauro avait déjà été rejetée par le DGEQ, ce qui est factuellement exact. 

Pour les membres majoritaires, le fait que le mis en cause soutient que « la réponse du DGEQ a été écrite le 27 octobre, soit avant la publication de l’article de M. Khalkhal » confirme qu’il était inexact d’écrire que la plainte contre Véronique Mauro avait « déjà été rejetée » par le DGEQ. Considérant que l’article a été publié dans l’édition papier du 27 octobre de l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno, il a été écrit et imprimé avant le 27 octobre, donc avant que le DGEQ ne rende sa décision publique.

2.3 Parallèle avec le cas de Marc Demers

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur Alain Dubois a produit de l’information inexacte en comparant le cas de Marc Demers à celui de Véronique Mauro dans le passage retranscrit ci-dessous.

« La juge Danielle Turcotte de la Cour supérieure avait déjà rejeté la requête en inéligibilité contre Marc Demers. Elle avait alors statué que M. Demers avait résidé à Laval “depuis bien plus longtemps que les 12 mois requis par la loi” […] Madame Mauro n’a donc rien à craindre advenant que le plaignant déciderait [sic] de poursuivre ses démarches devant les tribunaux. »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.  

Analyse 

Le plaignant avance que « M. Dubois fait faussement le parallèle entre l’affaire Demers et Mme Mauro » puisque « M. Demers a déjà habité Laval, mais [que] Mme Mauro n’avait jamais habité Saint-Bruno-de-Montarville. Une autre erreur de M. Dubois, volontaire ou pas. » Il affirme que M. Dubois « n’a mis de l’avant qu’une partie de la réponse d’Élections Québec, évitant de parler de la partie qui allait contre son raisonnement. Il a comparé deux décisions de justice qui n’ont rien à voir. En effet Mme Mauro, contrairement à M. Demers à Laval, n’a jamais vécu à Saint-Bruno-de-Montarville. »

Le mis en cause rétorque que même si « le cas du maire Demers est différent et bien plus complexe, un juge a tranché en sa faveur. Dans le cas de Mme Mauro, l’affaire est beaucoup plus simple (elle a pris possession de sa propriété en août!) En conséquence, une demande d’inéligibilité aurait bien peu de chances d’aboutir. » 

Les cas d’inéligibilité potentielle de Marc Demers et de Véronique Mauro diffèrent dans la mesure où M. Demers, l’ex-maire de Laval, avait temporairement quitté la municipalité de Laval dans laquelle il était candidat pendant environ six mois durant l’année précédant les élections, alors qu’il y résidait depuis de nombreuses années. Pour sa part, Mme Mauro n’avait jamais habité la municipalité de Saint-Bruno-de-Montarville dans laquelle elle posait sa candidature avant d’y acheter une maison au cours de l’année précédant les élections municipales de 2021.

Malgré que la comparaison faite par le chroniqueur soit imparfaite, aucune information inexacte ne peut être constatée dans le passage visé. Les deux phrases suivantes sont de nature factuelle et l’information rapportée est fidèle à la réalité : « La juge Danielle Turcotte de la Cour supérieure avait déjà rejeté la requête en inéligibilité contre Marc Demers. Elle avait alors statué que M. Demers avait résidé à Laval “depuis bien plus longtemps que les 12 mois requis par la loi” […] ». Le dernier passage (« Madame Mauro n’a donc rien à craindre advenant que le plaignant déciderait [sic] de poursuivre ses démarches devant les tribunaux. ») relève de l’opinion du chroniqueur.

De plus, M. Dubois n’avance pas que les cas de Marc Demers et de Véronique Mauro sont semblables. Il fait plutôt valoir que, d’après le jugement rendu à propos de l’ex-maire Demers, les tribunaux ont tendance à donner la priorité à l’éligibilité des candidats lors d’élections.

Étant donné qu’aucune information inexacte ne peut être constatée dans le passage mis en cause et que la dernière portion de l’extrait relève de l’opinion du chroniqueur, le présent grief d’information inexacte est rejeté.

Grief non recevable : manque d’équilibre

Dans sa plainte, le plaignant déplorait également un manque d’équilibre. Ce grief est non recevable puisque, à titre de chroniqueur, Alain Dubois pratique le journalisme d’opinion. Ce genre journalistique n’est pas soumis aux principes d’impartialité et d’équilibre, comme l’indique l’article 10.2 du Guide de déontologie.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient à la majorité (4 sur 6) la plainte de Frédéric Khalkhal visant l’article « Non éligibilité de Véronique Mauro dans le district 5 : un hebdo fait la manchette avec une plainte déjà rejetée! », publié le 27 octobre 2021, concernant l’un des griefs d’information inexacte, et blâme le chroniqueur Alain Dubois ainsi que Le Montarvillois.

Le Conseil rejette unanimement le grief de conflit d’intérêts et deux autres griefs d’information inexacte. Le grief de manque d’équilibre est non recevable.

Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

François Aird, président du comité des plaintes

Suzanne Legault

Représentants des journalistes

Simon Chabot-Blain

Sylvie Fournier

Représentants des entreprises de presse

Marie-Andrée Chouinard

Éric Grenier