D2022-01-037 (2)

Décision d’appel

Appelante

École communautaire Belz

(représentée par Marie-Laurence Goyette

et Alix Casgrain, de Langlois Avocats)

Intimés

Yves Poirier, journaliste

Bulletin « Le TVA Nouvelles »

Groupe TVA

Québecor Média

Date de dépôt de l’appel

Le 22 décembre 2023

Date de la décision de la commission d’appel

Le 27 février 2024

Rôle de la commission d’appel

Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.

Contexte

Le 18 janvier 2022, l’École Belz – représentée par Marie-Laurence Goyette et Alix Casgrain – dépose une plainte contre le journaliste Yves Poirier et le Groupe TVA concernant le reportage « Des élèves juifs hassidiques en classe illégalement », diffusé le 4 janvier 2022 lors de l’émission « Le TVA Nouvelles » et mis en ligne sur le site Internet de TVA Nouvelles le même jour.

Au moment de la diffusion du reportage, en pleine pandémie de COVID-19, le Québec faisait face à une nouvelle vague du virus en raison de la présence du plus récent variant appelé Omicron. Par mesure d’urgence exceptionnelle de santé publique, les écoles du Québec étaient fermées depuis le 21 décembre 2021 et la rentrée était reportée au 10 janvier 2022. Si le calendrier scolaire d’une école prévoyait une rentrée avant le 10 janvier, l’enseignement devait se faire à distance. Ces mesures touchant les milieux d’enseignement s’ajoutaient à d’autres directives visant l’ensemble de la population, dont le télétravail obligatoire et le port du masque dans les lieux intérieurs ouverts au public.

Le reportage de TVA Nouvelles faisait état de trois écoles de la communauté juive hassidique d’Outremont, à Montréal, qui étaient ouvertes malgré le décret gouvernemental de fermeture des écoles. Dans le cas de l’école Belz, le journaliste Yves Poirier, accompagné de son caméraman de TVA, est entré dans l’établissement, ce qui lui a permis de confirmer la présence d’élèves et d’enseignantes dans les classes et de rapporter la nouvelle.

Les appelantes, les représentantes de l’École Belz, qui étaient les plaignantes en première instance, interjettent appel concernant quatre des griefs rejetés à l’unanimité par le comité des plaintes, soit le manque de respect de la vie privée, l’utilisation injustifiée de procédés clandestins, le sensationnalisme et la discrimination encourageant la violence. Cinq autres griefs, soit le manque d’équilibre, une information incomplète, un grief de discrimination entretenant les préjugés ainsi que deux griefs d’informations inexactes, avaient également été rejetés à l’unanimité par le comité des plaintes, mais ne font pas l’objet de cet appel.

Motif des appelantes

Les appelantes contestent la décision de première instance relativement aux griefs de manque de respect de la vie privée, d’utilisation injustifiée de procédés clandestins, de sensationnalisme et de discrimination.

Grief 1 : manque de respect de la vie privée

Principe déontologique applicable

Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si les appelantes apportent des éléments qui démontrent que le comité des plaintes, qui a rejeté le grief de manque de respect de la vie privée, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache. 

Décision

Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 18 du Guide a été appliqué correctement par le comité des plaintes.

La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance concernant le respect de la vie privée.

Analyse

Les représentantes de l’École Belz contestent la décision du comité des plaintes selon laquelle le journaliste et le média n’ont pas enfreint le principe de respect de la vie privée en « pénétrant dans l’École par […] l’entrée arrière […] pour filmer des élèves mineures et des enseignantes […], le tout sans le moindre avis ou consentement ».

En première instance, le comité des plaintes constate « qu’aucun élève ni enseignante n’est identifiable par le grand public dans les images prises à l’intérieur de l’école Belz » et diffusées lors du reportage de TVA visé par la plainte. En effet, les images, prises à partir du couloir, montrent le journaliste marchant dans un corridor de l’établissement. Puis, dans une classe dont la porte est ouverte, on aperçoit des silhouettes d’enfants et des pieds. Toutes ces personnes sont floutées. Lorsque la caméra filme à travers la fenêtre de la porte d’une autre classe, il est également impossible de distinguer les occupants de cette classe parce qu’ils sont flous. Le comité précise : « Le fait qu’une personne se soit reconnue ou qu’un proche l’ait reconnue n’est pas suffisant pour conclure qu’elle était identifiable. Pour qu’un individu soit jugé identifiable aux yeux du grand public, il faut que le reportage présente certains éléments, ou une combinaison d’éléments, qui l’identifient clairement. » Ainsi, « dans le cas présent, les élèves et les enseignantes étant floutés et le reportage ne fournissant aucun élément d’information d’ordre privée sur eux, les images visées par le grief ne constituent pas un manquement au respect de leur vie privée ». Le grief a été rejeté à l’unanimité.

Dans leur appel, les représentantes de l’École Belz soutiennent que la décision « fait fi des principes applicables en matière de droit à la vie privée ». « [Le] test appliqué par le comité des plaintes consiste principalement à “établir si les personnes qui font l’objet du traitement journalistique sont identifiables aux yeux du public”. Or, selon le droit applicable, le droit à l’image n’est pas l’unique composante du droit à la vie privée. »

Les représentantes déplorent que la décision ne traite aucunement de la violation du « droit à l’intimité ». « En l’espèce, le simple fait pour un journaliste d’entrer dans une école primaire sans autorisation constitue une violation du droit à l’intimité et, par le fait même, du droit à la vie privée », soutiennent-elles.

Le journaliste et le média visés n’ont pas répondu à l’appel.

Il est d’abord important de rappeler que le Conseil de presse ne se penche pas sur des questions de droit, mais bien sur des questions de déontologie journalistique, en concordance avec le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec et ses décisions antérieures. Pour tester le « droit applicable » en matière de vie privée, l’École Belz pouvait saisir les tribunaux. Quant au Conseil de presse, il traite uniquement de questions de déontologie journalistique.

Comme le fait valoir le comité des plaintes, le fait d’entrer dans l’école en se présentant comme journaliste, mais sans autorisation préalable, ne constituait pas en soi une faute déontologique. Le journaliste, qui a trouvé une porte de l’école ouverte, n’est pas entré « par effraction », comme l’avancent les plaignantes en première instance, mais plutôt sans autorisation préalable, ce qui n’est pas en soi interdit si l’intérêt public le justifie. Le principe déontologique de respect de la vie privée dans un contexte journalistique a été bien appliqué par le comité des plaintes, car aucune des personnes qu’on devine à l’écran ne peut être identifiée. Il n’y a donc pas eu d’atteinte à leur vie privée.

Pour ce grief, l’argumentaire du comité des plaintes s’appuie notamment sur la décision antérieure D2020-03-048. Dans ce dossier, le Conseil a rejeté le grief de manque de respect de la vie privée et de la dignité qui visait, entre autres, des photos sur lesquelles on pouvait voir des gens portant un masque en voiture ou circulant à la place des Festivals, à Montréal, dans le cadre d’une clinique de dépistage extérieure de la COVID-19. La décision conclut que « les personnes photographiées ne sont pas identifiables pour le grand public, car ces images ne permettent pas à elles seules d’identifier un individu en particulier ». 

Dans le cas présent, il est impossible de distinguer qui sont les personnes à l’écran. Le comité des plaintes a adéquatement appliqué le principe de déontologie journalistique de respect de la vie privée en rejetant le grief sur cette base.

Grief 2 : utilisation injustifiée de procédés clandestins

Principe déontologique applicable

Procédés clandestins : « (1) Les journalistes peuvent avoir recours à des procédés clandestins lors de la collecte d’information lorsque ces deux conditions sont réunies : a) l’intérêt public l’exige et b) la probabilité existe qu’une approche ouverte pour recueillir l’information échouerait. (2) Si la collecte d’information se fait dans un lieu privé, les journalistes doivent en outre disposer d’informations crédibles indiquant la probabilité d’activités illégales ou antisociales ou d’un abus de confiance. (3) Les journalistes et les médias d’information informent le public qu’ils ont eu recours à un procédé clandestin lorsqu’ils présentent de l’information recueillie de cette manière. (4) Lorsque la collecte d’information par un procédé clandestin se fait dans un lieu privé, les journalistes et les médias d’information doivent, par souci d’équité et d’équilibre, permettre aux personnes dont les propos ou les actions ont été ainsi recueillis d’y réagir avant la publication ou la diffusion du reportage. » (article 25 du Guide)

Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si les appelantes apportent des éléments qui démontrent que le comité des plaintes, qui a rejeté le grief d’utilisation injustifiée de procédés clandestins, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.

Décision

Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 25 du Guide a été appliqué correctement par le comité des plaintes.

La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance concernant l’utilisation de procédés clandestins.

Analyse

L’École Belz conteste la décision du comité des plaintes selon laquelle le journaliste et son caméraman n’ont pas utilisé de procédés clandestins en pénétrant à l’intérieur de l’école sans en avoir préalablement obtenu l’autorisation.

En première instance, le comité des plaintes juge que le reportage de TVA « ne fait pas usage de procédés clandestins au sens déontologique. D’abord, le journaliste entre dans l’école Belz sans cacher son statut de journaliste. Son micro très visible, qu’il tient en main, arbore le logo de TVA. Ensuite, le caméraman qui l’accompagne travaille avec une grosse caméra, très visible elle aussi. Ils ne prétendent pas être autres qu’une équipe journalistique. Le contenu du reportage témoigne bien de la démarche ouverte effectuée par le journaliste. On constate qu’il ne tente pas de se cacher ou d’entrer dans l’école en utilisant un faux prétexte. […] Les plaignantes parlent elles-mêmes des deux hommes comme “ayant une énorme caméra sur l’épaule, et l’autre pointant un microphone”. » Le grief a été rejeté à l’unanimité.

Le comité des plaintes ajoute que « les plaignantes déplorent que le journaliste soit entré dans l’école sans autorisation. Il ne s’agit pas d’un procédé clandestin ni d’un manquement déontologique. Les journalistes peuvent se présenter avec leur matériel dans des propriétés privées ouvertes au grand public […] Limiter leur droit d’accès brimerait la liberté de presse et le droit des citoyens à une information d’intérêt public. Dans le cas présent, la démarche du journaliste a permis de confirmer la présence d’élèves et d’enseignantes pour des activités autres que celles permises par le décret […] et de constater que les gens à l’intérieur de l’école ne respectaient pas les mesures sanitaires telles que le port du masque dans les lieux intérieurs ouverts au public. Ces constats étaient d’intérêt public et le journaliste n’a pas commis de faute en informant le public des activités de cette école. »

Dans leur appel, les représentantes de l’École Belz avancent que « [l]’appréciation que fait le [comité] des plaintes de la notion de “procédés clandestins” est entachée d’une erreur manifeste et dominante ». Le comité des plaintes « donne à titre d’exemple le fait “d’utiliser des moyens cachés” ou encore le fait de “filmer à l’insu d’une personne”. Or, le journaliste s’est introduit par effraction dans l’École en ayant recours à une porte arrière sans passer par l’entrée principale comme le ferait un visiteur et à l’insu de l’École. Par ailleurs, si le [comité] des plaintes avait conclu à l’usage de procédés clandestins de la part du journaliste, une approche ouverte aurait permis d’arriver au même résultat […]. »

Clarifions d’abord que le journaliste et son caméraman sont entrés dans l’école dans le but de rapporter une information – dans ce cas, que des cours se déroulaient toujours dans cette école, malgré le décret ministériel. Affirmer qu’ils sont entrés « par effraction », ce qui signifie entrer sans autorisation dans un lieu dans le but d’y commettre un crime, comme l’avancent les appelantes, est erroné. Par ailleurs, entrer sans autorisation sur un lieu n’équivaut pas à utiliser des procédés clandestins si les journalistes entrent à visage découvert, ce qui est le cas dans cette couverture journalistique de TVA.

Les procédés clandestins en journalisme sont exceptionnels et sont encadrés par la déontologie, comme l’indique l’article 25 du Guide. Ils impliquent avoir recours à des méthodes cachées, par exemple taire le fait qu’on est journaliste, se faire passer pour un autre pour assister à un événement ou entrer dans un lieu, utiliser des moyens furtifs comme une caméra cachée ou un micro caché pour collecter l’information, ou filmer à l’insu d’une personne. Or, dans le cas présent, comme l’explique la décision de première instance, le reportage de TVA visé par la plainte ne fait pas usage de procédés clandestins. Bien que les appelantes déplorent que le journaliste et son caméraman soient entrés dans l’école sans autorisation, il ne s’agit pas d’un procédé clandestin, puisqu’ils n’ont à aucun moment caché le fait qu’ils étaient un journaliste et un caméraman de TVA.

Les appelantes poursuivent : « Dans un second temps, le comité des plaintes conclut que le fait d’entrer dans une école sans autorisation ne constitue pas un procédé clandestin, car les journalistes peuvent se présenter dans des “propriétés privées ouvertes au grand public”. » Pour l’École Belz, ce raisonnement est erroné, les écoles étant « des lieux purement privés. Les enfants mineurs et leurs parents ont une expectative raisonnable de protection de leur vie privée et de leur intimité. Au surplus, dans la mesure où l’accès à l’École est limité à des enseignantes et à des écolières, elle ne peut en aucun cas être qualifiée de propriété ouverte au grand public. »

Dans le cas présent, la démarche du journaliste a permis de confirmer la présence d’élèves et d’enseignantes pour des activités autres que celles permises par le décret (distribution de trousses de dépistage ou distribution du matériel informatique nécessaire pour l’enseignement à distance) et de constater que les gens à l’intérieur de l’école ne respectaient pas les mesures sanitaires telles que le port du masque dans les lieux intérieurs ouverts au public. Ces constats étaient d’intérêt public et le journaliste n’a pas commis de faute en pénétrant dans l’école pour informer le public de ces activités. 

Puisqu’il n’y a eu aucun usage de procédé clandestin dans le reportage de TVA visé par la plainte, le comité des plaintes a eu raison de rejeter le grief d’utilisation de procédés clandestins. Le Conseil avait d’ailleurs pris la même décision dans le dossier D2016-02-103, où la plaignante déplorait qu’un photographe ait enregistré une conversation qu’il avait eue avec elle. Le Conseil avait alors rejeté le grief d’utilisation injustifiée de procédés clandestins parce que la plaignante n’avait pas fait la démonstration d’une utilisation de procédés clandestins. « Le simple fait, pour un représentant des médias, d’enregistrer une conversation aux fins de notes est une pratique normale, reconnue et acceptée. De plus, à l’écoute de l’enregistrement mis en preuve par les mis en cause, le Conseil juge que la plaignante ne peut prétendre qu’elle ne savait pas qu’elle s’adressait à un représentant des médias puisque le photographe lui demande ses coordonnées afin que le journaliste […], qu’il identifie nommément, la rappelle. »

De la même façon, dans le cas présent, aucun procédé clandestin n’ayant été utilisé, le comité des plaintes devait rejeter le grief.

Grief 3 : sensationnalisme

Principe déontologique applicable

Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)

Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si les appelantes apportent des éléments qui démontrent que le comité des plaintes, qui a rejeté le grief de sensationnalisme, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache. 

Décision

Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 14.1 du Guide a été appliqué correctement par le comité des plaintes.

La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance concernant le sensationnalisme.

Analyse

En introduction au reportage d’Yves Poirier, l’animateur de TVA Nouvelles affirme que « la situation est tout autre pour des écoliers de la communauté juive hassidique d’Outremont qui défient toutes les consignes ».

Le comité des plaintes juge que « dans le contexte où les élèves d’écoles de la communauté hassidique se trouvaient en classe alors que l’arrêté ministériel imposait l’enseignement à distance, cette phrase ne déforme pas la réalité, pas plus qu’elle n’exagère ou n’interprète abusivement la portée réelle des faits. On ne peut donc pas y voir de sensationnalisme. »

Le comité des plaintes ajoute : « En ce qui concerne l’entrée du journaliste dans l’établissement scolaire, celle-ci était justifiée par l’intérêt public d’informer la population de ce qui se passait dans cette école et de quelle façon. Le style du reportage relève par ailleurs de la liberté éditoriale du média. Quant aux images, elles sont factuelles et témoignent de la situation au moment où elle se déroulait. »

Le comité des plaintes conclut que « les éléments du reportage pointés par les plaignantes sont conformes à la réalité qu’ils présentent et ne la déforment pas de façon abusive ». Le grief a donc été rejeté à l’unanimité.

L’École Belz conteste cette décision. Les appelantes affirment : « […] [L]e comité des plaintes indique qu’“on ne peut reprocher à un journaliste l’opinion d’un tiers qu’il rapporte”. Or, l’affirmation selon laquelle l’École aurait défié “toutes les consignes” ne peut être attribuée à M. Jean-François Roberge et constitue une généralisation non fondée de la part du journaliste. »

Les appelantes poursuivent : « Au sujet de cette affirmation, le comité des plaintes explique que “dans le contexte où les élèves d’écoles de la communauté hassidique se trouvaient en classe alors que l’arrêté ministériel imposait l’enseignement à distance, cette phrase ne déforme pas la réalité” ». Selon l’École Belz, ce raisonnement est erroné parce que « l’affirmation et le ton sur lequel elle fut prononcée laissent faussement croire que l’École défiait toutes les instructions, décrets et lois applicables durant la pandémie, ce qui est évidemment faux ».

Les appelantes avancent par ailleurs que « […] selon le comité des plaintes, l’entrée du journaliste dans l’École “était justifiée par l’intérêt public d’informer la population de ce qui se passait dans cette école et de quelle façon”. Toutefois, les images captées de la rue par le caméraman permettaient amplement d’informer le public que l’École était ouverte. La décision n’identifie pas quelle est la valeur ajoutée pour le journaliste de s’introduire par effraction dans un lieu privé abritant des mineurs. »

Comme l’a constaté le comité des plaintes, ni la phrase introductive du reportage ni les images montrant le journaliste entrer dans l’école sans autorisation ne déforment, n’exagèrent ou n’interprètent de façon abusive la portée réelle des faits. On ne peut donc pas conclure à du sensationnalisme.

En ce qui concerne la phrase introductive de l’animateur, le comité des plaintes a correctement appliqué le principe de sensationnalisme puisque même si la phrase introductive aurait certes mérité des nuances, ni cette phrase ni le reportage dans son ensemble ne déforment, n’exagèrent ou n’interprètent abusivement les faits. Le comité des plaintes aurait même pu ajouter que le Conseil a maintes fois rappelé l’importance de distinguer ce qui est accrocheur de ce qui est sensationnaliste en matière de déontologie journalistique. Dans sa décision D2018-01-004, qui visait le titre d’un reportage, le Conseil soulignait qu’un titre « rédigé pour attirer l’attention du lecteur n’est pas sensationnaliste à moins qu’il ne déforme les faits. Le sensationnalisme implique une exagération abusive ou une interprétation qui ne représente pas la réalité. »

En ce qui concerne les images qui montrent le journaliste présent dans l’école, comme la décision de première instance l’explique, l’entrée du journaliste et de son caméraman à l’intérieur de l’établissement scolaire « était justifiée par l’intérêt public d’informer la population de ce qui se passait dans cette école et de quelle façon. […] Quant aux images, elles sont factuelles et témoignent de la situation au moment où elle se déroulait. »

Le comité des plaintes pouvait appuyer son argumentaire, comme il l’a fait, sur la décision antérieure D2021-01-008. Le Conseil avait alors rejeté le grief de sensationnalisme qui concernait des images montrant des véhicules de patrouille dans le reportage visé par la plainte. Alors que le plaignant considérait que « la présentation d’images de policiers en véhicule officiel » est un « exemple flagrant » de sensationnalisme, le Conseil avait déterminé que les images étaient « conformes à la réalité et aux faits puisqu’il y a bien eu une saisie de documents réalisée par les policiers au Manoir Liverpool. Les images ne constituent donc pas une interprétation abusive de la portée des faits. »

De la même façon, dans le cas présent, les éléments du reportage pointés par les plaignantes sont conformes à la réalité qu’ils présentent et ne la déforment pas de façon abusive.

Compte tenu que cette nouvelle était d’intérêt public dans le contexte du décret gouvernemental et qu’aucune déformation abusive de la réalité n’a été constatée, le comité des plaintes a eu raison de rejeter le grief de sensationnalisme. 

Grief 4 : discrimination

Principe déontologique applicable

Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide)

Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si les appelantes apportent des éléments qui démontrent que le comité des plaintes, qui a rejeté le grief de discrimination incitant à la violence, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache. 

Décision

Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 19 du Guide a été appliqué correctement par le comité des plaintes.

La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance concernant le grief de discrimination incitant à la violence.

Analyse

Le comité des plaintes juge que le média et le journaliste n’ont pas encouragé la violence envers la communauté juive hassidique. L’École Belz conteste cette décision.

En première instance, le comité des plaintes explique que « le reportage présente une réalité constatée à plusieurs reprises au cours de la pandémie, soit la difficulté de faire appliquer les mesures sanitaires dans la communauté juive hassidique ». Le comité cite en exemples trois articles sur le sujet publiés par Radio-Canada et Le Journal de Montréal entre avril 2020 et janvier 2021.

Le comité ajoute que « les plaignantes ne précisent pas de quelle façon le reportage encouragerait la violence. En visionnant le reportage, on constate que le journaliste présente des faits concernant la présence d’élèves en classe. Les mis en cause n’ont diffusé aucune image ni utilisé aucun terme qui encouragerait la violence envers la communauté juive hassidique. » Le grief a été rejeté à l’unanimité.

Dans leur appel, les représentantes de l’École Belz soutiennent que la décision « insiste à tort sur la nature des images présentées par le reportage », alors que c’est plutôt « la pénétration [non autorisée] des journalistes dans les lieux de l’École qui a pour effet de créer un risque inutile pour la sécurité des élèves et du personnel. Dans un contexte marqué par une augmentation flagrante des actes antisémites, l’intrusion non autorisée d’un journaliste et de son caméraman dans l’École pose un risque inutile pour la sécurité. Le message véhiculé par le journaliste est que l’École est accessible aisément au grand public. […] Cela augmente le risque de la sécurité des élèves et du personnel de l’École sans justification. »

Le principe de discrimination concernant l’incitation à la violence sur la base d’un motif discriminatoire a été bien appliqué en première instance, le reportage ne contenant aucun terme ni aucune image encourageant la violence envers la communauté juive hassidique. Il ne revenait pas au comité des plaintes d’analyser le niveau de sécurité de l’école, ce qui outrepasserait les limites de la déontologie journalistique. Le comité devait plutôt se limiter à analyser les représentations et les termes utilisés dans le reportage, ce qu’il a fait.

Le fait que le journaliste soit entré dans l’école, même sans autorisation, pour rapporter la nouvelle que les élèves étaient bel et bien en classe, ne témoigne d’aucune incitation à la violence envers cette communauté. Comme l’a constaté le comité des plaintes, le reportage de TVA du 4 janvier 2022 ne comportait aucun élément qui encourageait ou incitait à la violence envers la communauté juive hassidique.

Rappelons par ailleurs qu’au moment de la diffusion du reportage de TVA faisant état de trois écoles de la communauté juive hassidique d’Outremont ouvertes malgré le décret gouvernemental, le respect des consignes sanitaires était au centre de l’actualité et les reportages traitant de groupes ou de communautés qui enfreignaient les règles étaient nombreux. La communauté juive hassidique n’a donc pas été traitée différemment d’autres groupes ou personnes qui étaient observés de près par la population à l’époque en raison des mesures sanitaires exceptionnelles qui affectaient toute la société.

Conclusion

Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance quant aux griefs de manque de respect de la vie privée, d’utilisation injustifiée de procédés clandestins, de sensationnalisme et de discrimination incitant à la violence.

Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.

Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. 

La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :

Représentant du public

Jacques Gauthier, président de la commission d’appel

Représentante des journalistes

Madeleine Roy

Représentant des entreprises de presse

Éric Trottier

Décision de première instance

Plaignante

École communautaire Belz 

(représentée par Marie-Laurence Goyette et Alix Casgrain de Langlois Avocats)

Mis en cause

Yves Poirier, journaliste 

Bulletin « Le TVA Nouvelles » 

Groupe TVA 

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 18 janvier 2022

Date de la décision

Le 27 octobre 2023

Résumé de la plainte 

Marie-Laurence Goyette et Alix Casgrain de Langlois Avocats déposent une plainte au nom de l’école communautaire Belz le 18 janvier 2022 au sujet du reportage « Des élèves juifs hassidiques en classe illégalement », du journaliste Yves Poirier, diffusé au cours de l’émission « Le TVA Nouvelles » et sur le site Internet de TVA Nouvelles le 4 janvier 2022. Les plaignantes déplorent un manque de respect de la vie privée, une utilisation injustifiée de procédés clandestins, un manque d’équilibre, des informations inexactes, de l’information incomplète, du sensationnalisme et de la discrimination. 

Contexte 

Au moment de la diffusion du reportage, le 4 janvier 2022, le Québec fait face à une nouvelle vague de cas de COVID-19 dû au variant Omicron. Par décret gouvernemental, les écoles sont fermées depuis le 21 décembre et le retour en classe est reporté au 10 janvier. Le télétravail est obligatoire. 

Les mesures sanitaires visant le milieu scolaire se retrouvent dans le communiqué rappelant les grandes lignes de l’annonce faite par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, le 20 décembre : 

« Milieux d’enseignement 

● Les écoles primaires et secondaires seront fermées à compter du 21 décembre (sauf pour la vaccination scolaire, la remise des tests rapides et les services de garde, qui demeurent ouverts). La dernière journée en présence des élèves est donc aujourd’hui, 20 décembre. 

● La rentrée scolaire en présence est reportée également au 10 janvier pour les établissements d’enseignement primaire. 

● À noter que si le calendrier scolaire prévoit une rentrée avant le 10 janvier, l’enseignement se fera à distance. » 

Le reportage de TVA fait état de la présence d’élèves en classe dans trois écoles de la communauté juive hassidique de l’arrondissement d’Outremont, à Montréal, le 4 janvier. Dans le cas de l’école Belz, la plaignante dans ce dossier, le journaliste entre dans l’établissement en compagnie de son caméraman, par une porte ouverte, ce qui lui permet de confirmer la présence d’élèves et d’enseignantes dans les classes. 

Griefs des plaignantes 

Grief 1 : manque de respect de la vie privée 

Principe déontologique applicable 

Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué de respect au droit à la vie privée des élèves et des membres du personnel de l’école Belz. 

Décision 

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de manque de respect de la vie privée.

Analyse 

Les plaignantes considèrent que « les actions de M. Poirier, de son caméraman et de TVA représentent notamment une violation flagrante du droit au respect de la vie privée des élèves et des membres du personnel de l’école ». Elles précisent « qu’en pénétrant dans l’école par la cour arrière et l’entrée arrière de l’école, pour filmer des élèves mineures et des enseignantes, le tout sans le moindre avis ou consentement, le journaliste et son caméraman ont sciemment violé les droits à la vie privée des élèves et du personnel de l’école ». 

Elles poursuivent : « L’intérêt public ne saurait justifier la diffusion d’une vidéo prise à l’insu de mineures dans un milieu qui se veut sécuritaire pour ces dernières, d’autant plus que les journalistes doivent s’abstenir de diffuser du contenu propre à permettre l’identification de personnes mineures », selon les plaignantes, qui affirment que sur les images du reportage, « on peut d’ailleurs voir des fillettes apeurées qui fuient ces deux hommes inconnus [le journaliste et le caméraman] qui déambulent dans leur école, l’un d’entre eux avec une énorme caméra sur l’épaule, et l’autre pointant un microphone ». 

Lors de l’analyse d’un grief de manquement au respect à la vie privée, la première étape est d’établir si les personnes qui font l’objet du traitement journalistique sont identifiables aux yeux du public. Si elles le sont, il faut ensuite évaluer quels sont les éléments de leur vie privée ou portant atteinte à leur dignité qui sont présentés dans le reportage. Finalement, il faut déterminer si le média pouvait privilégier le droit du public à l’information parce que ces éléments étaient d’intérêt public dans le contexte du reportage. 

Au visionnement du reportage de TVA, on constate qu’aucun élève ni enseignante n’est identifiable par le grand public dans les images prises à l’intérieur de l’école Belz. Le reportage montre le journaliste marchant dans un corridor de l’établissement. Puis, dans une classe dont la porte est ouverte, on aperçoit des silhouettes d’enfants et des pieds. Toutes ces personnes sont floutées. Lorsque la caméra filme à travers la fenêtre de la porte d’une autre classe, il est également impossible de distinguer les occupants de cette classe parce qu’ils sont floutés. 

Le fait qu’une personne se soit reconnue ou qu’un proche l’ait reconnue n’est pas suffisant pour conclure qu’elle était identifiable. Pour qu’un individu soit jugé identifiable aux yeux du grand public, il faut que le reportage présente certains éléments, ou une combinaison d’éléments, qui l’identifient clairement. Cela pourrait être, par exemple, son nom, son prénom et son âge, un gros plan de son visage découvert, sa voix, sa profession et son lieu de travail, son adresse résidentielle, ou d’autres éléments qui, seuls ou combinés, lui sont propres et l’identifient. 

Dans la décision antérieure D2020-03-048, le Conseil a rejeté le grief de manque de respect de la vie privée et de la dignité qui visait, entre autres, des photos sur lesquelles on pouvait voir des gens qui portent un masque en voiture ou qui circulent à la place des Festivals, à Montréal, dans le cadre d’une clinique de dépistage extérieure de la COVID-19. La décision conclut que « les personnes photographiées ne sont pas identifiables pour le grand public, car ces images ne permettent pas à elles seules d’identifier un individu en particulier ». 

De la même façon, dans le cas présent, les élèves et les enseignantes étant floutés et le reportage ne fournissant aucun élément d’information d’ordre privée sur eux, les images visées par le grief ne constituent pas un manquement au respect de leur vie privée. 

Grief 2 : utilisation injustifiée de procédés clandestins 

Principe déontologique applicable 

Procédés clandestins : « (1) Les journalistes peuvent avoir recours à des procédés clandestins lors de la collecte d’information lorsque ces deux conditions sont réunies : a) l’intérêt public l’exige et b) la probabilité existe qu’une approche ouverte pour recueillir l’information échouerait. (2) Si la collecte d’information se fait dans un lieu privé, les journalistes doivent en outre disposer d’informations crédibles indiquant la probabilité d’activités illégales ou antisociales ou d’un abus de confiance. (3) Les journalistes et les médias d’information informent le public qu’ils ont eu recours à un procédé clandestin lorsqu’ils présentent de l’information recueillie de cette manière. (4) Lorsque la collecte d’information par un procédé clandestin se fait dans un lieu privé, les journalistes et les médias d’information doivent, par souci d’équité et d’équilibre, permettre aux personnes dont les propos ou les actions ont été ainsi recueillis d’y réagir avant la publication ou la diffusion du reportage. » (article 25 du Guide

Le Conseil doit déterminer si le journaliste a utilisé des procédés clandestins de façon injustifiée. 

Décision 

Le Conseil rejette le grief d’utilisation injustifiée de procédés clandestins.

Analyse 

Marie-Laurence Goyette et Alix Casgrain, qui représentent l’école Belz, déplorent que TVA ait « diffusé les images de l’intérieur de l’école […] sans informer le public de son recours à ces méthodes clandestines, et sans permettre à [sa] cliente de réagir à ces méthodes en temps opportun ». 

La plainte précise que « puisque le journaliste a eu recours à des procédés clandestins en pénétrant dans l’école, s’ajoute à cette exigence la nécessité que le recours à une approche ouverte pour recueillir l’information soit probablement voué à l’échec (article 25 (1) du Guide). Le journaliste indique “on me dit que l’école est ouverte” avant d’y pénétrer sans autorisation. En effet, l’école ne cachait pas qu’elle était ouverte, tel qu’en font foi les images captées de la rue par le caméraman. Les informations recueillies par le journaliste avaient donc été déjà obtenues et si une confirmation était nécessaire, ce qui est nié, elle aurait été obtenue par une approche ouverte. Par exemple, les autobus scolaires transportant les élèves étaient pleinement visibles durant la période en question. Autrement dit, il y avait plusieurs moyens de démontrer que les élèves de l’école se rendaient en classe sans avoir recours à une méthode violant le droit à la vie privée. » 

Il est d’abord important d’expliquer en quoi consistent des « procédés clandestins » en matière de déontologie journalistique. Comme le précise l’article 24 du Guide, de façon générale, « les journalistes exercent leurs fonctions à visage découvert en s’identifiant comme journalistes et recueillent l’information par les moyens éprouvés du journalisme, à l’exception des dispositions prévues à l’article 25 du présent Guide ». 

Il y a donc une exception au principe déontologique du « visage découvert » en journalisme : c’est ce qu’on appelle les procédés clandestins. On parle ici de recours exceptionnels à des méthodes cachées, par exemple cacher le fait qu’on est journaliste, se faire passer pour un autre pour assister à un événement ou entrer sur un lieu, utiliser des moyens cachés comme une caméra cachée ou un micro caché pour collecter l’information, ou filmer à l’insu d’une personne. 

Utilisés principalement dans des processus d’enquête, les procédés clandestins en journalisme doivent respecter des conditions strictes : l’intérêt public doit être sans équivoque et il faut d’abord évaluer la possibilité d’une approche ouverte (Guide, article 25). 

Le reportage de TVA qui fait l’objet de la présente plainte ne fait pas usage de procédés clandestins au sens déontologique. D’abord, le journaliste entre dans l’école Belz sans cacher son statut de journaliste. Son micro très visible, qu’il tient en main, arbore le logo de TVA. Ensuite, le caméraman qui l’accompagne travaille avec une grosse caméra, très visible elle aussi. Ils ne prétendent pas être autre qu’une équipe journalistique. Le contenu du reportage témoigne bien de la démarche ouverte effectuée par le journaliste. On constate qu’il ne tente pas de se cacher ou d’entrer dans l’école en utilisant un faux prétexte. Il déclare, en se dirigeant vers la porte arrière de l’établissement : « On me dit que l’école est ouverte présentement, on va aller voir. » Puis, il monte l’escalier extérieur et ouvre la porte de l’école, qui n’est pas verrouillée. Par la suite, il marche dans l’école, son micro à la main, et il commente à haute voix ce qu’il constate dans l’école, en plus de donner des indications au caméraman qui l’accompagne. 

Les plaignantes parlent elles-mêmes des deux hommes comme « ayant une énorme caméra sur l’épaule, et l’autre pointant un microphone ». 

Les plaignantes déplorent que le journaliste soit entré dans l’école sans autorisation. Il ne s’agit pas d’un procédé clandestin ni d’un manquement déontologique. Les journalistes peuvent se présenter avec leur matériel dans des propriétés privées ouvertes au grand public, des centres commerciaux, par exemple. Limiter leur droit d’accès brimerait la liberté de presse et le droit des citoyens à une information d’intérêt public. 

Dans le cas présent, la démarche du journaliste a permis de confirmer la présence d’élèves et d’enseignantes pour des activités autres que celles permises par le décret (distribution de trousses de dépistage ou distribution du matériel informatique nécessaire pour l’enseignement à distance) et de constater que les gens à l’intérieur de l’école ne respectaient pas les mesures sanitaires telles que le port du masque dans les lieux intérieurs ouverts au public. Ces constats étaient d’intérêt public et le journaliste n’a pas commis de faute en informant le public des activités de cette école. 

Grief 3 : manque d’équilibre 

Principe déontologique applicable 

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 d) du Guide

Le Conseil doit déterminer si le journaliste a présenté une juste pondération du point de vue des parties en présence. 

Décision 

Le Conseil rejette le grief de manque d’équilibre. 

Analyse 

Les plaignantes déplorent que « la direction de l’école n’a[it] pas été contactée par le journaliste, et donc que l’école n’ait pas pu expliquer sa position avant la diffusion du reportage ». Elles précisent que « ni les directeurs de l’école ni les représentants de la communauté n’ont été invités à émettre des commentaires ». 

Dans le reportage, le journaliste indique que « personne n’a voulu répondre à nos questions ». 

L’équilibre consiste à présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence. Cela peut se faire, dans certaines circonstances, même si on n’a pas pu les interroger. Un journaliste peut rapporter la position de l’une des parties en se basant sur une déclaration qu’elle a émise ou en rappelant l’opinion qu’elle défend. 

C’est ce que le journaliste a fait dans le cas présent. Devant l’absence de réponse des responsables, le journaliste rappelle la position de la communauté en indiquant, un peu plus loin dans le reportage : « L’argument de la communauté juive hassidique est le suivant, on se fie à un décret qui dit que les élèves qui n’ont pas d’équipement technologique pour suivre à distance leurs cours peuvent venir siéger en classe. » 

Dans la décision antérieure D2020-09-121, le Conseil a rejeté le grief de manque d’équilibre même si la journaliste n’avait pas contacté le plaignant pour avoir son point de vue comme il l’aurait souhaité. Le Conseil a expliqué dans son analyse que « la journaliste a rempli son obligation déontologique en rappelant la position défendue par le Dr Giroux [le plaignant dans ce dossier] sur la base de son témoignage résumé dans la décision du Conseil de discipline [du Collège des médecins]. Elle n’avait pas à aller chercher la version des faits des parties puisqu’elles se trouvaient dans la décision. Son obligation déontologique se limitait à les présenter dans son compte-rendu, ce qu’elle a fait. » 

De la même manière, dans le cas présent, même si personne n’a répondu à ses questions, le journaliste a rappelé le point de vue public de la communauté visée par le reportage concernant le décret forçant l’enseignement à distance. 

Grief 4 : informations inexactes 

Principes déontologiques applicables 

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide

Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide

4.1 « Illégalité » 

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte dans le titre et le reportage en utilisant les termes « illégalement » et « illégalité », comme l’affirment les plaignantes. 

Décision 

Le Conseil rejette le grief d’informations inexactes sur ce point. 

Analyse 

Les plaignantes considèrent que le titre « Des élèves juifs hassidiques en classe illégalement » ainsi que le reportage comportent de l’information inexacte. « Le journaliste indique que “les membres de la communauté juive agissent dans l’illégalité selon le ministre de l’Éducation”. Or, les élèves juifs hassidiques n’étaient pas en classe “illégalement” », affirment-elles. 

Les plaignantes indiquent qu’« au moment du reportage, des discussions avaient cours entre l’école et le ministre de l’Éducation quant à l’application et l’interprétation du Décret 2021-090 du 21 décembre 2021. Plus particulièrement, certaines exceptions étaient prévues par décret et par lettres transmises au réseau scolaire pour les élèves ayant des besoins particuliers (notamment des difficultés d’apprentissage) ou dont l’accès à l’Internet était  inadéquat ou inaccessible. Au cours de la pandémie, des représentants du gouvernement ont accepté que l’école demeure ouverte, malgré les décrets. » 

Les plaignantes ajoutent : « De plus, aucune procédure judiciaire n’a été intentée contre l’école. Aucune amende n’a été donnée et aucun tribunal n’a été saisi du dossier, et par conséquent aucune condamnation n’a été prononcée contre l’école. Ajoutons que le ministre de l’Éducation exerce des fonctions exécutives et non judiciaires; il n’a pas le pouvoir de prononcer une condamnation. Le fait de laisser croire faussement le contraire constitue un manque d’honnêteté de la part du journaliste et contribue à entretenir les préjugés à l’égard de la communauté hassidique », ajoutent les plaignantes, qui estiment que « les commentaires du ministre à eux seuls n’ont pas pour effet de rendre un acte illégal. Il s’agissait d’une question légale qui relevait de la justice et qui n’a jamais été résolue, les tribunaux n’ayant jamais été saisis de l’affaire. » 

Les termes visés par la plainte se trouvent dans le titre « Des élèves juifs hassidiques en classe illégalement » et dans les passages suivants du reportage : 

● « Au Québec, on le sait, toutes les écoles sont fermées, mais à Outremont, des membres de la communauté juive hassidique agissent dans l’illégalité, selon le ministre de l’Éducation. » 

● « L’argument de la communauté juive hassidique est le suivant, on se fie à un décret qui dit que les élèves qui n’ont pas d’équipement technologique pour suivre à distance leurs cours peuvent venir siéger en classe. Cela dit, le ministre Roberge maintient que c’est illégal et trouve que leur argument sur le manque d’équipement pour l’enseignement à distance et l’absence d’Internet est tiré par les cheveux. Il va jusqu’à qualifier ça de fausses excuses. » 

L’analyse de ce grief ne consiste pas à déterminer si la présence en classe des élèves était légale ou non, mais plutôt d’évaluer si le journaliste a commis un manquement en utilisant les termes pointés par les plaignantes. Au visionnement de ces deux extraits du reportage, il apparaît que les termes « illégalité » et « illégal » sont attribués au ministre de l’Éducation de l’époque, Jean-François Roberge, dans une situation où l’arrêté ministériel avait force de loi en vertu de la Loi sur la santé publique. Dans le texte Web qui accompagne le reportage télé, on peut lire : « Le ministre Roberge confirme qu’il est illégal de voir des élèves en classe et considère que leur argument portant sur le manque d’équipement pour l’enseignement à distance et l’absence d’Internet est tiré par les cheveux. » 

On ne peut reprocher à un journaliste l’opinion d’un tiers qu’il rapporte, comme le souligne la décision D2018-09-090, dans laquelle le Conseil a rejeté le grief d’information inexacte. Le Conseil a fait valoir que « les propos reprochés sont tenus par le maire de Gaspé dans une entrevue audio que l’on retrouve dans l’article. Le Conseil constate que la journaliste rapporte la réaction du maire qu’elle a recueillie lors de la conférence de presse et que l’information inexacte alléguée par le plaignant est en fait l’opinion du maire. Le Conseil juge que la journaliste ne saurait être tenue responsable de l’interprétation que le maire a faite de la position des militants. » 

Similairement, dans le cas présent, les propos visés par la plainte étant attribués au ministre Roberge, le journaliste ne peut être tenu responsable de la lecture de la situation faite par le politicien. 

Le Conseil ne détient pas la preuve que le ministre a qualifié la situation d’« illégale » ni dans quelles circonstances il aurait fait cette affirmation. Mais en l’absence de preuve, le Conseil doit accorder le bénéfice du doute au journaliste, car il ne peut pas blâmer sans preuve. 

Le titre reflète par ailleurs l’information transmise dans le reportage, dans le respect de l’article 14.3 du Guide qui concerne les illustrations, les manchettes, les titres et les légendes. 

De plus, les plaignantes ne démontrent pas l’inexactitude de l’information puisqu’elles n’apportent pas la preuve que le ministre aurait tenu des propos différents. Or, il revient au plaignant de faire la démonstration de l’allégation qu’il formule. En absence de preuve démontrant qu’une information est inexacte, le grief est rejeté, comme le rappelle la décision D2018-04-037. Dans ce dossier, alors que la journaliste présentait les propos d’une source confidentielle qui rapportait deux suicides parmi les employés d’un centre de réadaptation de Rouyn-Noranda, la plaignante affirmait de son côté qu’il n’y en avait eu qu’un. Or, le Conseil n’était pas en mesure de déterminer si les propos de l’employée qui témoignait sous le couvert de l’anonymat étaient inexacts. Devant des versions contradictoires, le grief d’information inexacte a été rejeté, le Conseil n’ayant pas les preuves nécessaires pour conclure à l’inexactitude alléguée. 

De la même façon, dans le présent dossier, en l’absence de preuve fournie par les plaignantes et n’ayant pas réussi à retracer de déclaration publique du ministre à ce sujet, le grief est rejeté puisque rien n’indique que le ministre ne s’est pas prononcé sur la légalité de la présence des élèves en classe. 

Cela dit, il aurait été utile et éclairant pour le public que le journaliste indique dans quelles circonstances il avait obtenu cette affirmation du ministre, puisqu’elle n’était pas publique à ce moment-là. 

4.2 « Condamne » 

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte en affirmant que « Québec condamne cette décision ». 

Décision 

Le Conseil rejette le grief d’informations inexactes sur ce point. 

Analyse 

Les plaignantes considèrent que le reportage « ne représente pas fidèlement la réalité […] quant à la décision de l’école de permettre le retour des enfants en classe, on mentionne que Québec “condamne” cette décision. Cela est encore une fois inexact considérant que plusieurs représentants du ministère de l’Éducation permettaient et/ou toléraient l’ouverture de l’école et ce, depuis le début de la pandémie. » 

Le terme visé par ce sous-grief provient de l’introduction du reportage présentée par le lecteur de nouvelles : 

« Alors que tous les élèves du Québec se préparent à reprendre l’école à distance, la situation est tout autre pour des écoliers de la communauté juive hassidique d’Outremont qui défient toutes les consignes. Leurs parents et la direction de l’école ont autorisé le retour des enfants en classe, une décision que Québec condamne. Yves Poirier s’y est rendu. » 

En prenant en compte le fait que le reportage rapporte que le ministre de l’Éducation a qualifié d’« illégal » la présence en classe des élèves de la communauté juive hassidique, il n’est pas inexact d’affirmer que « Québec condamne ». Le verbe « condamner », qui signifie « déclarer quelque chose mauvais, erroné, parce que contraire à la morale ou à la religion » (Centre national de ressources textuelles et lexicales), reflète l’information présentée dans le reportage. 

De plus, tout comme au sous-grief précédent, les plaignantes n’apportent pas la preuve que le ministre n’a pas condamné la décision de l’école d’accueillir ses élèves en classe alors que les mesures sanitaires en vigueur imposaient l’enseignement à distance. En l’absence de preuve, le Conseil accorde le bénéfice du doute au journaliste. 

Grief 5 : information incomplète 

Principe déontologique applicable 

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide

Le Conseil doit déterminer si le journaliste a omis des informations essentielles à la compréhension du sujet concernant le calendrier scolaire de l’école Belz. 

Décision 

Le Conseil rejette le grief d’information incomplète. 

Analyse 

Les plaignantes affirment qu’étant donné que « l’école suit un calendrier scolaire différent que celui des écoles non juives, la fermeture de l’école aurait entraîné des violations de l’école aux lois et règlements applicables ». Elles déplorent que « cette information ne figure pas dans le reportage et est pourtant cruciale à la compréhension du contexte ». 

Comme l’affirme le principe 9 e) du Guide, la complétude consiste à présenter les éléments « essentiels » à la bonne compréhension du sujet. Afin de déterminer si un texte est incomplet, il faut donc se demander non pas si l’information souhaitée par un plaignant aurait été utile ou intéressante, mais si elle est essentielle à la compréhension du sujet. En d’autres mots, sans cette information, manque-t-il un élément essentiel sans lequel le public ne peut pas comprendre le sens du sujet? Par exemple, dans la décision D2017-05-078, le Conseil a estimé que l’information était incomplète parce que l’omission d’une information essentielle faisait en sorte qu’on ne pouvait pas comprendre le sujet. Dans ce dossier, une chroniqueuse avait écrit que des chercheurs en climatologie avaient été accusés d’avoir exagéré des données sur l’ampleur du réchauffement climatique. Or, les chercheurs en question avaient été blanchis de cette accusation. Le Conseil a jugé que la chroniqueuse « a omis une information importante et significative pour la compréhension des faits » et que cette omission « a eu un impact sur les conclusions tirées par la journaliste et constitue une erreur d’incomplétude, car il était essentiel à la compréhension du sujet ». 

Dans le cas présent, l’information souhaitée par les plaignantes n’était pas essentielle à la compréhension du reportage, qui portait sur la présence d’élèves en classe dans certains établissements scolaires de la communauté juive hassidique alors que le gouvernement imposait l’enseignement à distance à l’ensemble des écoles de la province. Le reportage ne remet pas en question le fait que les élèves de l’école Belz aient des cours alors que la majorité des élèves de la province étaient encore en congé pour la période des Fêtes. 

Tout comme le plaignant dans le dossier D2021-03-035, les représentantes de l’école Belz n’indiquent pas en quoi l’information souhaitée était essentielle à la compréhension du sujet. Dans cette décision antérieure, le Conseil a rejeté un grief d’information incomplète en faisant valoir que « le plaignant n’explique pas en quoi une “considération des conséquences de l’utilisation de l’huile de palme selon le point vue de l’environnement ou de la santé” aurait été essentielle à la compréhension du sujet ». La décision observe que l’article « porte sur le point de vue des “experts en sciences animales” et de l’industrie laitière sur l’utilisation des suppléments de palme pour nourrir des vaches. Il s’agit d’un article de suivi et non d’un dossier sur le “Buttergate”. » Dans ce contexte, les mis en cause n’avaient donc pas à couvrir tous les angles de cette controverse, puisque le choix d’un sujet et de son traitement relève de la liberté éditoriale. 

Dans le cas présent, les précisions sur le calendrier particulier des écoles juives hassidiques n’étaient pas fondamentales pour la compréhension du reportage puisqu’elles ne changeaient en rien le sens du sujet. Rappelons que les consignes transmises aux écoles de la province par le ministère de l’Éducation précisaient la marche à suivre si le retour en classe était prévu avant le 10 janvier. 

Grief 6 : sensationnalisme 

Principe déontologique applicable 

Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide

Le Conseil doit déterminer si le journaliste a produit un reportage qui déforme la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’il rapporte. 

Décision 

Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme. 

Analyse 

Les plaignantes déplorent : « Le reportage ne représente pas fidèlement la réalité, omettant entre autres de présenter les nuances appropriées. Dès les premières secondes, on explique que les écoliers de la communauté juive hassidique d’Outremont “défient toutes les consignes”, une généralisation injustifiée. » 

Elles ajoutent que « l’intrusion du journaliste et de son caméraman l’a été dans un seul dessein sensationnaliste ». Elles estiment également que « le journaliste a recours à des procédés dramatisant la situation véritable, dont l’usage d’effets rhétoriques. Par le biais du vocabulaire choisi et par ses actions, le journaliste donne à son reportage un aspect spectaculaire. Par ailleurs, les images qui découlent de l’intrusion injustifiée du journaliste dans l’école n’ont aucune valeur journalistique. » 

Tout d’abord, bien que les plaignantes considèrent qu’il était sensationnaliste d’affirmer que « la situation est tout autre pour des écoliers de la communauté juive hassidique d’Outremont qui défient toutes les consignes », dans le contexte où les élèves d’écoles de la communauté hassidique se trouvaient en classe alors que l’arrêté ministériel imposait l’enseignement à distance, cette phrase ne déforme pas la réalité, pas plus qu’elle exagère ou interprète abusivement la portée réelle des faits. On ne peut donc pas y voir de sensationnalisme. 

En ce qui concerne l’entrée du journaliste dans l’établissement scolaire, celle-ci était justifiée par l’intérêt public d’informer la population de ce qui se passait dans cette école et de quelle façon. Le style du reportage relève par ailleurs de la liberté éditoriale du média. Quant aux images, elles sont factuelles et témoignent de la situation au moment où elle se déroulait. 

Similairement, le grief de sensationnalisme qui visait des images montrant des véhicules de patrouille dans le reportage visé par la plainte dans le dossier D2021-01-008 a été rejeté par le Conseil. Alors que le plaignant considérait que « la présentation d’images de policiers en véhicule officiel » est un « exemple flagrant » de sensationnalisme, le Conseil a déterminé que « ces images sont conformes à la réalité et aux faits puisqu’il y a bien eu une saisie de documents réalisée par les policiers au Manoir Liverpool. Les images ne constituent donc pas une interprétation abusive de la portée des faits. » 

De la même façon, dans le cas présent, les éléments du reportage pointés par les plaignantes sont conformes à la réalité qu’ils présentent et ne la déforment pas de façon abusive. 

Grief 7 : discrimination 

Principe déontologique applicable 

Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide

7.1 Entretien de préjugés 

Le Conseil doit déterminer si le reportage entretient les préjugés envers la communauté juive hassidique. 

Décision 

Le Conseil rejette le grief de discrimination sur ce point. 

Analyse 

Les plaignantes considèrent que « ce portrait incomplet et inéquitable fait preuve d’un angle de couverture systématiquement défavorable qui contribue à attiser iniquement les préjugés et la discrimination envers un groupe minoritaire ». Elles soulignent que « certaines coutumes, valeurs et habitudes de la communauté juive hassidique diffèrent de la culture majoritaire ». 

Les plaignantes estiment que le reportage entretient les préjugés : « La communauté juive hassidique est souvent perçue et décrite comme étant imperméable aux lois et peu encline à collaborer avec la société dans son ensemble. Le reportage, du fait de son caractère sensationnaliste et inexact, corrobore et exacerbe ces préjugés injustifiés. » 

Lorsqu’un plaignant avance qu’un reportage entretient des préjugés envers un groupe (ici, la communauté juive hassidique) sur la base d’un motif discriminatoire reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (dans le cas présent, la religion), il doit également pointer les termes ou les représentations qui témoigneraient de cette discrimination. Or, dans le cas présent, les plaignantes n’indiquent pas quels termes ou représentations tirés du reportage contribuent à entretenir les préjugés envers la communauté juive hassidique. Elles parlent d’un « angle de couverture systématiquement défavorable », sans pointer en quoi le journaliste aurait entretenu des préjugés. 

Le reportage présente une réalité constatée à plusieurs reprises au cours de la pandémie, soit la difficulté de faire appliquer les mesures sanitaires dans la communauté juive hassidique. À titre d’exemples, les trois articles suivants en font état : 

● Le 4 avril 2020, au début de la pandémie de COVID-19, la journaliste Émilie Dubreuil rapportait dans l’article « Juifs ultra-orthodoxes et COVID-19 : une tempête parfaite », publié sur le site Internet de Radio-Canada, que « le Service de police de la Ville de Montréal a dû effectuer de nombreuses interventions visant à limiter les rassemblements au sein des différents groupes hassidiques, nous confirment des sources policières ». 

● Le 30 décembre 2020, l’article « Des écoles juives demeurent ouvertes malgré l’interdiction du gouvernement », publié sur le site Internet de Radio-Canada, indique : « Des va-et-vient à l’entrée de certains établissements scolaires de la communauté juive ultraorthodoxe d’Outremont sont constatés – quasi tous les jours – par les habitants du quartier, et ce malgré la fermeture obligatoire des écoles durant cette période des fêtes. » 

● L’article « Rassemblements : trois interventions en moins de 24h dans des synagogues d’Outremont », diffusé sur le site du Journal de Montréal le 23 janvier 2021, affirme que « les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont mis fin, samedi matin, à deux autres rassemblements ayant réuni plusieurs dizaines de personnes dans des synagogues de l’arrondissement d’Outremont, portant à trois le nombre de leurs sorties dans ce secteur de la métropole en moins de 24h ». 

Le reportage visé par la plainte n’a pas accordé un traitement différent à la communauté juive hassidique qui témoignerait d’un préjugé envers ce groupe en particulier. En informant le public de la situation dans cette école, le journaliste n’était pas responsable de la perception que le public pouvait avoir de la situation. 

7.2 Encourage la violence 

Le Conseil doit déterminer si la diffusion d’images dans l’école encourage la violence envers la communauté juive hassidique. 

Décision 

Le Conseil rejette le grief de discrimination sur ce point. 

Analyse 

Les plaignantes considèrent que l’angle de traitement du reportage « contribue à attiser iniquement les préjugés et la discrimination envers un groupe minoritaire ». Elles affirment : « Il est bien connu que la communauté juive fait continuellement l’objet de crimes motivés par la haine et l’antisémitisme. Le fait de diffuser les images de l’entrée non autorisée du journaliste dans l’École ouvre la porte à toutes sortes de débordements dangereux et présente un risque pour la sécurité des élèves de l’École et de la communauté juive hassidique dans son ensemble. » 

Les plaignantes précisent que « l’intrusion illégale de M. Poirier par la porte de côté, sous les yeux du Québec en entier, a obligé l’école à engager des gardiens de sécurité qui se tiennent aux portes de l’école afin d’assurer la sécurité des enfants et du personnel ». 

Les plaignantes ne précisent pas de quelle façon le reportage encouragerait la violence. En visionnant le reportage, on constate que le journaliste présente des faits concernant la présence d’élèves en classe. Les mis en cause n’ont diffusé aucune image ni utilisé aucun terme qui encouragerait la violence envers la communauté juive hassidique. 

Dans la décision antérieure D2017-10-117, le Conseil a jugé que les propos du chroniqueur Luc Lavoie étaient discriminatoires, mais qu’ils n’incitaient pas à la violence. Le commentaire de Luc Lavoie était discriminatoire envers un groupe de personnes, « les séparatistes », sur la base de leurs convictions politiques et qu’il tendait à susciter la haine envers celles-ci. M. Lavoie avait dénigré les partisans de la séparation du Québec en les assimilant à des écureuils que l’on souhaite tuer, ce qui était déshumanisant et témoignait d’un sentiment de haine. En ce qui concerne l’incitation à la violence, une plaignante considérait que les propos de M. Lavoie pourraient « inciter un esprit dérangé à passer à l’acte ». Un autre plaignant a évoqué l’attentat ayant visé la première première ministre du Québec. Le Conseil n’a pas constaté d’encouragement à la violence. M. Lavoie, en parlant à la première personne du singulier lorsqu’il affirmait « moi, j’aurais aimé pouvoir chasser les séparatistes, mais ça a l’air que c’est pas possible », faisait preuve de discrimination au sens de la déontologie journalistique en suscitant la haine envers les séparatistes, mais n’allait pas jusqu’à encourager le public à s’en prendre violemment à ce groupe. 

De la même façon, le reportage de TVA du 4 janvier 2022 ne comportait aucun élément qui encourageait ou incitait à la violence envers la communauté juive hassidique. 

Note 

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Groupe TVA, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte. 

Conclusion 

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Marie-Laurence Goyette et d’Alix Casgrain, au nom de l’école communautaire Belz, visant le reportage « Des élèves juifs hassidiques en classe illégalement », concernant les griefs de manque de respect de la vie privée, d’utilisation injustifiée de procédés clandestins, de manque d’équilibre, d’informations inexactes, d’information incomplète, de sensationnalisme et de discrimination. 

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision : 

Représentants du public 

Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes 

Mathieu Montégiani 

Représentants des journalistes

Simon Chabot-Blain 

Camille Lopez 

Représentants des entreprises de presse

Stéphan Frappier 

Sylvain Poisson