D2022-09-203
Plaignant
Claude Lachance
Mis en cause
Le quotidien La Presse
Date de dépôt de la plainte
Le 22 septembre 2022
Date de la décision
Le 22 septembre 2023
Résumé de la plainte
Claude Lachance dépose une plainte le 22 septembre 2022 au sujet du texte d’opinion de Joanne Marcotte « Calepin de campagne – Choisir une réelle opposition », une collaboration spéciale publiée dans La Presse le 9 septembre 2022. Le plaignant déplore de l’information incomplète et un conflit d’intérêts. Joanne Marcotte n’étant pas journaliste, le grief de conflit d’intérêts n’est pas recevable (voir l’explication à la fin de la décision).
Contexte
Dans le cadre de la campagne électorale québécoise de l’automne 2022, le quotidien La Presse publie dans sa section « Débats », sous la rubrique « Calepin de campagne », une série de textes d’opinion signés par cinq collaborateurs spéciaux liés à différentes convictions politiques présentes au Québec. Françoise David, Benoît Pelletier, Louise Beaudoin, Catherine Morissette et Joanne Marcotte sont appelés à exprimer leur point de vue sur la campagne électorale, chacun d’entre eux représentant l’orientation politique de l’un des cinq principaux partis sur la scène provinciale (Québec solidaire, Parti libéral du Québec, Parti québécois, Coalition avenir Québec et Parti conservateur du Québec). Du 31 août au 30 septembre, 16 textes sont publiés dans les pages de La Presse sous la plume de ces collaborateurs spéciaux. La présente plainte vise un texte d’opinion intitulé « Choisir une réelle opposition », signé par Joanne Marcotte, auteure, documentariste et militante de la droite libertarienne, anciennement pour le parti Action démocratique du Québec (ADQ) et plus récemment pour la mouvance politique Réseau-Liberté Québec (RLQ).
Grief du plaignant
Grief 1 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le média a omis des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet dans la signature du texte en identifiant son auteure, Joanne Marcotte, de la manière suivante : « L’auteure a signé le documentaire L’illusion tranquille et l’essai Pour en finir avec le gouvernemaman ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
Le plaignant observe qu’« à deux occasions depuis le 9 septembre, une “collaboration spéciale” a permis à Mme Joanne Marcotte de s’exprimer sur la campagne électorale ». Il poursuit : « Je n’ai aucun problème avec le fait qu’elle puisse exprimer son opinion dans les pages de La Presse et de La Presse +. Toutefois, je constate que La Presse cautionne le fait qu’elle se présente comme une documentariste et une essayiste dans des textes où elle invite ouvertement les lecteurs à voter pour le Parti conservateur d’Éric Duhaime. »
Il affirme que « Mme Marcotte s’est surtout fait connaître comme porte-parole et membre fondat[rice], avec Éric Duhaime, du Réseau Liberté-Québec (RLQ) dont les idées libertariennes sont, aujourd’hui, textuellement reprises par le parti de M. Duhaime. Mme Marcotte est d’ailleurs membre du Parti conservateur du Québec (PCQ) et a ouvertement soutenu Éric Duhaime lors de la course à la chefferie de ce parti ».
Il ajoute également que « dans le contexte où ses textes d’opinion encouragent ouvertement son lectorat à voter pour le parti de M. Duhaime, la rédaction de La Presse devrait préciser l’implication de Mme Marcotte au sein du RLQ et du PCQ, et ce, encore plus dans le contexte d’une campagne électorale ».
Les mis en cause rétorquent que « d’emblée, il y a lieu de préciser que le texte a été publié dans la section “Débats” de La Presse dans le cadre d’une série de textes d’opinion intitulée “Calepin de campagne”. Cette série faisait appel à cinq auteurs qui représentaient les idées et courants de pensée véhiculés par les cinq principaux partis politiques en lice lors de la campagne électorale québécoise de l’automne 2022 ».
Ils poursuivent : « Le concept de la série “Calepin de campagne” avait été dûment expliqué aux lecteurs de La Presse par son éditorialiste en chef, Stéphanie Grammond, dans le cadre d’un texte intitulé “Fin prêts pour le débat!” publié sur les différentes plateformes de La Presse le 31 août 2022. »
« Tel qu’il appert du dernier paragraphe du texte de Mme Grammond, Joanne Marcotte s’est jointe au groupe d’anciens politiciens afin de représenter le courant résolument de droite de l’échiquier politique québécois. Ce n’était donc pas une surprise pour les lecteurs de La Presse de constater dans les “Calepins de campagne” de Mme Marcotte que celle-ci affichait une sympathie pour le PCQ et les idées défendues par ce parti politique », indiquent les mis en cause.
Les représentants de La Presse font également valoir que « contrairement aux autres collaborateurs de la série “Calepin de campagne”, Mme Marcotte n’a jamais siégé à l’Assemblée nationale. Il n’était d’ailleurs pas possible pour La Presse d’ouvrir ses pages à un ancien élu du PCQ, puisque cette formation politique n’a jamais fait élire de député à ce jour. C’est pour cette raison que La Presse a fait appel à Mme Marcotte, qui est connue du public pour promouvoir les idées de droite. La Presse a d’ailleurs présenté Mme Marcotte en tant qu’auteure du documentaire L’illusion tranquille et de l’essai Pour en finir avec le gouvernemaman, deux œuvres connues pour critiquer l’interventionnisme de l’État dans la société québécoise ».
Ils ajoutent : « Le plaignant aurait aimé que la notice biographique qui précède le texte précise plutôt que Mme Marcotte est membre du PCQ et a été cofondatrice du RLQ. Précisons tout d’abord que Mme Marcotte a indiqué à La Presse qu’elle n’a jamais été membre du PCQ et qu’elle n’a jamais occupé de poste dans ce parti. Par ailleurs, en ce qui concerne l’implication de Mme Marcotte dans le RLQ, il va de soi qu’il n’était pas possible de décrire de manière exhaustive le parcours professionnel et les implications des collaborateurs spéciaux de la série “Calepin de campagne” dans la notice biographique d’une ligne qui précédait leurs noms. »
Enfin, les mis en cause concluent qu’« à titre d’exemple, la présentation des “Calepins de campagne” de Françoise David indique qu’elle est cofondatrice de Québec Solidaire et ex-députée de Gouin, mais passe sous silence qu’elle a été présidente de la Fédération des femmes du Québec, bien que ses textes soient assurément teintés par ses idées féministes. En l’espèce, il était tout à fait raisonnable pour La Presse de présenter Mme Marcotte en tant qu’auteure du documentaire L’illusion tranquille et de l’essai Pour en finir avec le gouvernemaman ».
En déontologie journalistique, le principe de complétude du Guide n’implique pas que tous les éléments intéressants ou éclairants d’un sujet doivent nécessairement se retrouver dans un texte ou un reportage. Bien que des précisions et des explications puissent toujours ajouter à la compréhension d’un sujet, lorsqu’on évalue s’il y a eu faute d’information incomplète, le Guide nous rappelle que la complétude, dans le traitement d’un sujet, signifie que les éléments « essentiels à sa bonne compréhension » y sont présentés. Cela signifie que seuls les éléments indispensables à la compréhension du sujet traité doivent se retrouver dans le texte ou le reportage afin de respecter le principe de complétude, les autres éléments relevant de la liberté éditoriale du média.
Bien qu’il aurait été éclairant de préciser dans la notice biographique coiffant le texte que son auteure, Joanne Marcotte, entretenait des liens avec le Réseau Liberté-Québec et le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, cette information n’était pas essentielle à la bonne compréhension du sujet abordé. Le fait que La Presse ait choisi de présenter Mme Marcotte comme « auteure du documentaire L’illusion tranquille et de l’essai Pour en finir avec le gouvernemaman » relève de la liberté éditoriale du média. Les mis en cause n’ont donc pas manqué à leur devoir de complétude.
De plus, le texte d’opinion de Mme Marcotte était campé dans une série intitulée « Calepin de campagne », dont les cinq collaborateurs spéciaux avaient été présentés, le 31 août 2022, dans un éditorial introductif signé par Stéphanie Grammond, éditorialiste en chef de La Presse. Ce texte contenait des informations contextuelles suffisantes à la compréhension de l’orientation politique de chacun des intervenants.
Par ailleurs, à la seule lecture du texte d’opinion de Mme Marcotte visé par la présente plainte, le lecteur était en mesure de cerner les allégeances politiques de cette dernière. Les éléments biographiques et les affiliations politiques de Mme Marcotte dont le plaignant déplore l’omission n’étaient pas essentiels à la compréhension de son point de vue. La décision antérieure D2021-11-218 rappelle qu’« une information essentielle à la compréhension du sujet est une information sans laquelle le sens d’un sujet est altéré ». Dans le cas présent, la mention de l’implication de Joanne Marcotte au sein du RLQ et de ses liens avec Éric Duhaime aurait certes été intéressante, mais son absence n’altérait en rien la compréhension du sujet abordé. C’est pourquoi le grief d’information incomplète est rejeté.
Grief non recevable : conflit d’intérêts
Le plaignant déplore également un conflit d’intérêts. Ce grief, contesté par La Presse, est non recevable puisque Joanne Marcotte, l’auteure du texte visé par la plainte, n’est pas journaliste. Elle n’est donc pas soumise aux principes du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Contrairement à ce grief qui ne visait pas un journaliste ou un média tenu de respecter le Guide en matière de conflits d’intérêts, le grief précédent d’informations incomplètes s’appliquait à la salle de rédaction du journal, puisque les médias sont responsables de la présentation de l’information et, en l’occurrence, de la façon dont ils décrivent, pour le public, qui sont leurs collaborateurs invités.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Claude Lachance visant le texte d’opinion « Calepin de campagne – Choisir une réelle opposition », une collaboration spéciale publiée dans La Presse le 9 septembre 2022, concernant le grief d’information incomplète. Le grief de conflit d’intérêts est non recevable.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
François Aird, président du comité des plaintes
Suzanne Legault
Représentants des journalistes
Rémi Authier
Lisa-Marie Gervais
Représentante des entreprises de presse
Marie-Andrée Chouinard