D2022-11-221

Plaignant

Denis Allard

Mis en cause

Thomas Mulcair, chroniqueur 

Le Journal de Montréal 

Québecor Média 

Date de dépôt de la plainte

Le 25 novembre 2022

Date de la décision

Le 27 octobre 2023

Résumé de la plainte 

Denis Allard dépose une plainte le 25 novembre 2022 au sujet de la chronique « La justice mise à mal par Legault », du chroniqueur Thomas Mulcair, publiée dans Le Journal de Montréal le 24 novembre 2022. Le plaignant déplore de l’information incomplète. 

Contexte 

Dans la chronique visée par la plainte, Thomas Mulcair estime que « le système de justice au Québec, qui est le fondement même de notre démocratie, est en train de s’écrouler, et François Legault ne fait rien pour le soutenir ». Selon le chroniqueur, le refus du premier ministre « de financer adéquatement les tribunaux risque, à long terme, de coûter encore plus cher à la société et de décourager la police, les victimes, les procureurs et les juges ». 

Le chroniqueur rappelle qu’en 2016, l’arrêt Jordan rendu par la Cour suprême du Canada a codifié les délais dans lesquels doit se tenir un procès criminel. Il affirme que « dans l’arrêt Jordan, la Cour suprême a simplement averti tous les ministres de la Justice du pays qu’ils avaient l’obligation de fournir les ressources financières et matérielles nécessaires pour que cette présomption d’innocence soit respectée dans les faits ». Après avoir déploré le « manque de ressources et [le] sous-financement de notre système de justice », le chroniqueur prévoit que des « accusés seront relâchés, car on a trop retardé leur procès, faute de ressources ». Selon lui, « cette situation va se répéter des milliers de fois au Québec au cours de la prochaine année, parce que le gouvernement Legault refuse de suivre l’ordre de la Cour suprême et de fournir les ressources nécessaires ». 

Thomas Mulcair conclut sa chronique en affirmant : 

« La juge en chef est en train de défendre vaillamment les fondements de notre société libre et démocratique.

Ceux et celles qui chérissent notre système de justice savent que madame la juge Rondeau mérite d’être soutenue. » 

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : « (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec

Grief du plaignant 

Grief 1 : information incomplète 

Principe déontologique applicable 

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale d’un média. » (article 9 e) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet dans le passage suivant : 

« La juge en chef est en train de défendre vaillamment les fondements de notre société libre et démocratique. 

Ceux et celles qui chérissent notre système de justice savent que madame la juge Rondeau mérite d’être soutenue. » 

Décision 

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information incomplète.

Analyse 

Puisque la présente plainte vise une chronique, rappelons de prime abord que le journaliste d’opinion exprime ses points de vue avec « une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte » (Guide, article 10.2). Cela dit, le journaliste d’opinion, comme tout journaliste, est tenu à la complétude, c’est-à-dire à la « présentation des éléments essentiels » à la bonne compréhension d’un sujet (Guide, article 9 e). 

Le plaignant considère que le chroniqueur omet de mentionner, dans la conclusion de sa chronique, « que la juge Rondeau a diminué de 20 % le temps de siège des juges et qu’elle a bataillé pour que seuls des juges bilingues soient nommés au Québec, à mon avis deux mesures qui alourdiront davantage le cours de la justice, mais ignorées par M. Mulcair ». 

Le pourcentage auquel le plaignant fait référence correspond grosso modo à la diminution du temps que les juges passaient en salle de Cour à la suite d’une réorganisation de la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau. Cette réforme prolongeait le temps de délibération accordé aux juges puisqu’ils siégeaient désormais seulement un jour sur deux, plutôt que deux jours sur trois. En contrepartie, la juge Rondeau réclamait la nomination d’un plus grand nombre de juges. 

Lorsqu’il évoque les « juges bilingues », le plaignant fait référence au fait que pour certains postes de juges dans certains districts, la Cour a exigé que les juges soient bilingues afin de faire respecter le droit des citoyens d’être servis dans la langue de leur choix. 

À la lecture de la chronique de Thomas Mulcair, on constate qu’elle ne porte pas précisément sur la réforme de la juge Rondeau. Intitulée « La justice mise à mal par Legault », cette chronique fait une critique générale du sous-financement du système de justice par le gouvernement du Québec. Tout au long de son texte, M. Mulcair explique que le gouvernement ne finance pas adéquatement le système de justice et les risques associés. Il campe l’angle de son sujet dans les deux premiers paragraphes : 

« Le système de justice au Québec, qui est le fondement même de notre démocratie, est en train de s’écrouler, et François Legault ne fait rien pour le soutenir. 

Son refus de financer adéquatement les tribunaux risque, à long terme, de coûter encore plus cher à la société et de décourager la police, les victimes, les procureurs et les juges. » 

Le chroniqueur conclut son texte en apportant son soutien à la juge en chef et implore le premier ministre du Québec de fournir les ressources nécessaires au bon fonctionnement de la justice. 

Afin de déterminer si un journaliste a manqué de complétude, il faut se demander non pas si l’information souhaitée par le plaignant aurait été utile ou intéressante, mais si elle est essentielle à la compréhension du sujet, comme le rappelle le Guide. En d’autres mots, sans cette information, empêche-t-on le public de bien comprendre le sens du sujet? Par exemple, dans la décision D2017-05-078, le Conseil a constaté que l’omission d’une information essentielle faisait en sorte qu’on ne pouvait pas bien comprendre le sujet. Dans ce dossier, une chroniqueuse avait écrit que des chercheurs en climatologie avaient été accusés d’avoir exagéré des données sur l’ampleur du réchauffement climatique. Or, les chercheurs en question avaient été blanchis de cette accusation, ce que la chroniqueuse n’avait pas dit. Le Conseil a jugé que la chroniqueuse « a omis une information importante et significative pour la compréhension des faits » et que cette omission « a eu un impact sur les conclusions tirées par la journaliste et constitue une erreur d’incomplétude, car il était essentiel à la compréhension du sujet ». 

Par ailleurs, l’étude d’un grief d’information incomplète doit se faire en « respectant la liberté éditoriale du média » (Guide, article 9 e). L’angle du sujet relève de la liberté éditoriale du média et on ne peut pas s’attendre à ce que tous les angles d’un sujet soient traités dans un seul reportage ou une seule chronique. 

C’est pourquoi la déontologie n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, comme le rappelle la décision antérieure D2022-01-034, où le Conseil a rejeté le grief d’information incomplète parce qu’il a jugé que l’information souhaitée par le plaignant n’était pas essentielle à la compréhension de la chronique visée par la plainte. Dans ce dossier, alors que le plaignant aurait souhaité que la chroniqueuse fasse mention « des changements technologiques et de pratiques » qui ont amené une baisse des lits d’hospitalisation, le Conseil a fait valoir que « la chronique ne porte pas sur les raisons ayant mené à cette baisse de lits. En s’inspirant des “meilleures pratiques observées lors de la pandémie de COVID-19 au Québec et au Canada”, elle présente plutôt, sur un ton ironique, un “petit guide de suggestions” en 7 étapes sur les façons de “détruire les services publics et la solidarité sociale”. » 

De la même façon, dans le cas présent, bien que les deux informations souhaitées par le plaignant auraient pu être éclairantes, elles n’étaient pas essentielles à la compréhension du sujet, étant donné l’angle de traitement de la chronique. En effet, la chronique de Thomas Mulcair ne porte pas sur la réforme de la juge Rondeau, mais plutôt sur le sous-financement du système de justice par le gouvernement Legault. 

Note 

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte. 

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Denis Allard visant la chronique « La justice mise à mal par Legault », du chroniqueur Thomas Mulcair, publiée dans Le Journal de Montréal le 24 novembre 2022, concernant le grief d’information incomplète. 

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision : 

Représentants du public 

Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes 

Mathieu Montégiani 

Représentants des journalistes 

Simon Chabot-Blain 

Camille Lopez 

Représentants des entreprises de presse 

Stéphan Frappier 

Sylvain Poisson