D2023-05-036

Plaignants

L’entreprise 9413-1547 Québec inc.

(L’entreprise plaignante est représentée par Vincent Jacob et Philippe Lemay, de Crochetière Pétrin Avocats)

Mis en cause

Éric-Pierre Champagne, journaliste

Le quotidien La Presse

Date de dépôt de la plainte

Le 4 mai 2023

Date de la décision

Le 27 septembre 2024

Résumé de la plainte

Vincent Jacob et Philippe Lemay de Crochetière Pétrin Avocats déposent une plainte au nom de l’entreprise 9413-1547 Québec inc. le 4 mai 2023, au sujet de l’article « Ministère de l’Environnement – Des “délinquants” voient leurs projets approuvés », du journaliste Éric-Pierre Champagne, publié dans La Presse le 9 avril 2023. Les plaignants déplorent un non-respect de la présomption d’innocence, du sensationnalisme et de l’information incomplète. 

Contexte

L’article visé par la plainte rapporte que des entreprises ayant enfreint les lois environnementales ont obtenu des autorisations du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) pour de nouveaux projets. L’article signale que « le ministre de l’Environnement dispose de nouveaux pouvoirs depuis l’adoption en 2021 de la loi 102, qui lui permet entre autres de refuser une demande d’autorisation déposée par un “promoteur délinquant”. »

Le journaliste cite en  exemple les alumineries Rio Tinto et ArcelorMittal ainsi que les entreprises 9413-1547 Québec inc. (la plaignante dans ce dossier) et 9370-2413 Québec inc. (détenues par les mêmes personnes). Au sujet de la première, 9413-1547 Québec inc., l’article rappelle les infractions de l’entreprise dans le passage suivant : 

« En novembre 2020, l’entreprise 9413-1547 Québec inc. a fait creuser plusieurs fossés de drainage pour assécher des milieux humides situés à proximité du boisé Du Tremblay, à Longueuil. Le secteur est officiellement reconnu pour abriter un habitat essentiel à la rainette faux-grillon, une espèce menacée. Ottawa a d’ailleurs adopté un décret d’urgence pour protéger l’espèce à Longueuil un an plus tard.  

En 2021, l’entreprise a reçu un avis de non-conformité du Ministère pour avoir effectué des travaux de drainage en milieu humide sans autorisation, en plus d’écoper d’une amende de 10 000 $ pour avoir rejeté un contaminant dans un cours d’eau. 

Une enquête pénale a aussi été déclenchée en janvier 2021. Le Ministère a indiqué à La Presse que l’enquête “est toujours en cours” deux ans plus tard. “Les enquêtes dans un dossier comme celui en cause peuvent nécessiter des délais de plusieurs mois afin de compiler la preuve technique et scientifique”, précise le Ministère. »

L’article cite également Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, qui souhaiterait que le Ministère soit plus sévère avec les entreprises reconnues coupables d’infractions environnementales.

Griefs des plaignants

Grief 1 : non-respect de la présomption d’innocence

Principe déontologique applicable

Droit à un procès juste et équitable et présomption d’innocence : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit de toute personne à la présomption d’innocence et à un procès juste et équitable. (2) Les journalistes et les médias d’information font preuve de rigueur et de prudence avant d’identifier publiquement des personnes soupçonnées d’actes illégaux, en l’absence d’accusations formelles. » (article 20.1 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si le journaliste et le média ont manqué à leur devoir de présomption d’innocence envers l’entreprise 9413-1547 Québec inc. en utilisant le terme « délinquant » entre guillemets dans le titre « Des “délinquants” voient leurs projets approuvés » ainsi que dans le passage suivant de l’article : 

« Des entreprises qui ne respectent pas les lois environnementales continuent de voir leurs projets étudiés et approuvés par Québec. Le ministre de l’Environnement Benoit Charette a pourtant fait adopter il y a deux ans de nouvelles dispositions législatives lui permettant de refuser une demande d’autorisation déposée par un promoteur “délinquant”.

Au cours des dernières années, des entreprises comme Rio Tinto, ArcelorMittal et plusieurs autres ont accumulé les infractions au droit de l’environnement, mais ont tout de même pu obtenir des dizaines d’autorisations du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) pour divers projets. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de non-respect de la présomption d’innocence.

Analyse

Les plaignants considèrent que le journaliste et le média « ont manqué de rigueur et de prudence avant d’identifier publiquement des personnes soupçonnées d’actes illégaux, en l’absence de décision finale ». Ils estiment qu’« il est présomptueux de la part de M. Champagne et de La Presse de s’ériger en tribunal en déclarant en gros titre que 9413-1547 Québec inc. est une délinquante ».

Selon eux, « le terme délinquant réfère à une personne qui a commis un délit. Le délit, quant à lui, réfère à une infraction punie de peine correctionnelle. D’ailleurs, selon le Cambridge Dictionary, le terme délinquant réfère à une personne qui commet des actes contraires à la loi. » Ils font valoir que « 9413-1547 Québec inc. a reçu une seule sanction pécuniaire administrative ». Cette sanction est contestée et aucun jugement définitif n’a été rendu. Ils ajoutent qu’« au moment de la publication de l’article visé par le présent grief, il existe une divergence d’interprétation entre le MELCC[FP] et 9413-1547 Québec inc. quant à l’application de l’article 20 LQE [Loi sur la qualité de l’environnement], laquelle fait l’objet d’une demande de révision devant le TAQ [Tribunal administratif du Québec]. En date de l’article, aucun tribunal n’a déclaré que 9413-1547 Québec inc. a enfreint une quelconque prohibition prévue à la Loi sur la qualité de l’environnement. »

Ils concluent : « Dans le cas présent, le fait d’avoir reçu un constat d’infraction ne signifie pas nécessairement que 9413-1547 Québec inc. est une délinquante. »

Le représentant de La Presse, Patrick Bourbeau, considère que l’emploi du terme « délinquant » dans le titre et l’amorce du texte « était tout à fait approprié dans la mesure où il s’agit du même terme qui a été utilisé par le MELCC[FP] [ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs] dans son communiqué de presse du 5 octobre 2021 présentant la Loi visant principalement à renforcer l’application des lois en matière d’environnement et de sécurité des barrages, à assurer une gestion responsable des pesticides et à mettre en œuvre certaines mesures du Plan pour une économie verte 2030 concernant les véhicules zéro émission (projet de loi 102), tel qu’il appert de l’extrait ci-dessous dudit communiqué :

“Les modifications proposées dans le projet de loi viennent aussi accroître et renforcer les moyens de contrôle dont dispose le MELCC pour faire respecter les lois en matière d’environnement. Par exemple, le projet de loi harmonise les pouvoirs d’inspection et d’enquête, en plus de permettre de refuser d’autoriser un nouveau projet soumis par un promoteur délinquant”. » 

Ayant pris connaissance des perspectives des parties, il importe d’abord de rappeler que l’analyse d’une plainte se fait sur la base de ce qui a été publié et non sur l’interprétation que peuvent en faire les lecteurs. Dans le cas présent, les plaignants se basent sur une définition précise du terme « délinquant », soit celle faisant référence à une infraction punie de peine correctionnelle. Or, il existe d’autres définitions du terme, dont celle du Robert, qui offre un sens plus large au mot : « Fait prohibé ou dont la loi prévoit la sanction par une peine. Contravention, crime, infraction; délictueux; délinquant. » Cette autre définition permet de constater que le terme peut être utilisé dans le cas d’une infraction pécuniaire administrative. Lorsque plusieurs définitions ou interprétations d’un terme sont possibles, le Conseil ne saurait en imposer une plutôt qu’une autre. Autrement dit, il n’y a pas de faute à utiliser délinquant dans le sens choisi ici.

Par ailleurs, selon la lecture des plaignants, le terme « délinquant » viserait directement l’entreprise 9413-1547 Québec inc. Ce n’est cependant pas le cas. D’abord, le terme « délinquant » est au pluriel dans le titre « Ministère de l’Environnement – Des “délinquants” voient leurs projets approuvés ». Ensuite, dès le premier paragraphe de l’article, on peut comprendre qu’il ne se rapporte pas spécifiquement à l’entreprise représentée par les plaignants puisque le journaliste écrit : « Des entreprises qui ne respectent pas les lois environnementales continuent de voir leurs projets étudiés et approuvés par Québec. » Bien que les plaignants considèrent que le terme « délinquant » désigne l’entreprise  9413-1547 Québec inc., l’emploi du déterminant indéfini « des » ne permet pas de la désigner précisément.

Lorsque le Conseil constate que l’allégation de manquement s’appuie sur l’interprétation du plaignant plutôt que le contenu de l’article ou du reportage, le Conseil rejette le grief, comme ce fut le cas dans le dossier D2019-05-078. Dans ce dossier, le Conseil a rejeté le grief de discrimination parce qu’il a constaté que le plaignant avait interprété les propos du chroniqueur. De la même façon, dans le cas présent, même si le grief diffère, le plaignant offre une interprétation qui ne se retrouve pas dans l’article. 

À la lecture du titre et du passage visé par les plaignants, on constate également que le terme « délinquant » est présenté entre guillemets. Dans sa réplique, le média explique qu’il s’agissait d’une expression reprise d’un communiqué du Ministère, une explication qui se trouve également dans l’article lorsque le journaliste écrit : « Signalons que le ministre de l’Environnement dispose de nouveaux pouvoirs depuis l’adoption en 2021 de la loi 102, qui lui permet entre autres de refuser une demande d’autorisation déposée par un “promoteur délinquant”. » 

En utilisant le terme « délinquant » entre guillemets pour montrer qu’il s’agit d’une expression empruntée au Ministère, le journaliste indique du même coup qu’il ne se l’approprie pas. Il fait ainsi preuve de prudence, comme l’exige l’article 20 du Guide concernant l’information judiciaire qui prévoit que « les journalistes et les médias d’information font preuve de prudence et d’équité en matière de couverture des affaires judiciaires et policières, étant donné l’importance des conséquences qui peuvent résulter de cette couverture. »

La prudence dans le traitement d’un dossier judiciarisé peut prendre différentes formes, notamment l’utilisation du conditionnel ou le rappel qu’il s’agit d’accusations et non du jugement d’un tribunal. Dans le dossier D2015-11-064, le Conseil a rejeté le grief de non-respect de la présomption d’innocence en observant : « À la lecture de l’article mis en cause, le Conseil a constaté que la journaliste avait respecté les principes déontologiques en faisant “preuve de rigueur et de prudence” puisqu’elle avait amassé plusieurs témoignages allant dans le même sens, en plus d’avoir abondamment utilisé le conditionnel de même que l’expression “présumée” pour qualifier la fraude. En ce qui concerne le sous-titre “Enquête sur une fraude de 800 000 $”, le Conseil a jugé qu’il était implicite qu’il s’agissait d’allégations puisque ces faits faisaient l’objet d’une enquête. » 

De la même manière, dans le cas présent, le journaliste a fait preuve de prudence en encadrant le terme « délinquant » de guillemets pour montrer qu’il ne s’agit pas de son jugement sur les agissements des entreprises mentionnées dans l’article. Il reprend une expression utilisée par le Ministère.

A contrario, dans le dossier D2020-01-002, le Conseil a retenu le grief de non-respect de la présomption d’innocence pour l’emploi du terme « illégaux » pour qualifier les travaux dont il était question dans les articles visés. La décision rappelle qu’au moment de la publication des articles, « aucune cour n’avait déclaré si les travaux étaient ou non illégaux ». La décision souligne que « le fait d’avoir reçu un constat d’infraction ne signifiait pas nécessairement que le promoteur était coupable d’avoir réalisé des travaux illégaux ». 

Dans le cas présent, au contraire, le terme « délinquant » est entre guillemets, ce qui indique aux lecteurs que le journaliste fait référence aux propos du Ministère et qu’il ne s’agit pas d’un jugement émis par le journaliste.

En résumé, le journaliste n’a pas manqué de respect à la présomption d’innocence puisque le terme « délinquant » pointé par les plaignants peut avoir un sens plus large que celui qu’ils lui attribuent, le terme ne vise pas spécifiquement l’entreprise représentée par les plaignants et l’emploi des guillemets témoigne de la prudence du journaliste.  

Grief 2 : sensationnalisme

Principes déontologiques applicables

Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)

Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 Guide)  

Le Conseil doit déterminer si l’utilisation du terme « délinquant » et la comparaison avec les alumineries Rio Tinto et ArcelorMittal dans les passages suivants déforment la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits qu’ils rapportent : 

  • Titre : « Des “délinquants” voient leurs projets approuvés »
  • « Des entreprises qui ne respectent pas les lois environnementales continuent de voir leurs projets étudiés et approuvés par Québec. Le ministre de l’Environnement Benoit Charette a pourtant fait adopter il y a deux ans de nouvelles dispositions législatives lui permettant de refuser une demande d’autorisation déposée par un promoteur “délinquant ”.

Au cours des dernières années, des entreprises comme Rio Tinto, ArcelorMittal et plusieurs autres ont accumulé les infractions au droit de l’environnement, mais ont tout de même pu obtenir des dizaines d’autorisations du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) pour divers projets. »

  • « Des entreprises accumulent les infractions

Au cours des 15 derniers mois, Rio Tinto a reçu neuf sanctions administratives pécuniaires totalisant plus de 53 000 $ pour des infractions environnementales. Pendant la même période, ArcelorMittal a reçu sept sanctions pour un total de 35 000 $. »

Décision

Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme. 

Analyse 

Les plaignants considèrent que « l’utilisation du terme “délinquant” et la comparaison aux alumineries Rio Tinto et ArcelorMittal constituent du sensationnalisme en ce que ces éléments ont pour but de déformer la réalité de manière intentionnelle en exagérant et/ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits. »

Les plaignants affirment : « Bien qu’il soit loisible aux médias d’information d’opter pour un titre qui attire l’intérêt du lecteur, ce choix ne doit pas être un prétexte au sensationnalisme. Dans le cas présent, comparer un promoteur immobilier local à des alumineries d’envergure internationale dont les activités sont factuellement reconnues comme étant polluantes est non seulement fallacieux, mais dangereusement bancal. »

Ils ajoutent : « Selon les faits de l’article, Rio Tinto aurait reçu neuf sanctions administratives pécuniaires (ci-après “SAP”) alors qu’ArcelorMittal en aurait reçu sept pendant la même période. Quant à 9413-1547 Québec inc., elle en a reçu une seule, en janvier 2022, laquelle est d’ailleurs contestée. » 

Les plaignants font valoir : « L’infraction reprochée à 9413-1547 Québec inc., laquelle, rappelons-le, est contestée, fait état de rejet de matières en suspension (ci-après “MES”). Les MES sont, en réalité, constituées par des matières en suspension dans l’eau qui proviennent de sources naturelles, d’effluents municipaux et industriels, du ruissellement des terres agricoles et des retombées de matières particulaires atmosphériques. Ainsi, les MES se retrouvent naturellement dans les cours d’eau et sont constituées de minéraux et de substances organiques résultant de l’érosion et du lessivage du sol par temps de pluie. »

En se basant sur les informations disponibles au Registre des sanctions administratives pécuniaires, les plaignants observent que les sanctions reçues par Rio Tinto faisaient état de rejets de fluorure, d’huile hydraulique, de matières plastiques et métalliques, de liquide de refroidissement et d’eaux chargées en nickel. Dans le cas d’ArcelorMittal, avancent-ils, les sanctions concernent des rejets d’hydrocarbures et d’une matière dangereuse.

« Ainsi, M. Champagne, en catégorisant 9413-1547 Québec inc. comme une délinquante qui se trouve au même niveau que les alumineries, déforme la réalité à un tel point que cela devient une exagération abusive créant un préjudice important à 9413-1547 Québec inc. en ce qu’elle induit le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui sont transmises », concluent les plaignants.

Au sujet de l’utilisation du terme « délinquant », le représentant de La Presse réitère les commentaires formulés au grief précédent, soit que l’emploi de ce mot « était tout à fait approprié dans la mesure où il s’agit du même terme qui a été utilisé par le MELCC dans son communiqué de presse du 5 octobre 2021 » et qu’il est « tout à fait exact et d’intérêt public d’indiquer que l’entreprise 9413-1547 Québec inc. a reçu en 2021 un avis de non-conformité du […] MELCC pour avoir effectué des travaux de drainage en milieu humide sans autorisation, qu’elle a écopé d’une amende de 10 000 $ pour avoir rejeté un contaminant dans un cours d’eau et qu’elle fait l’objet d’une enquête pénale pour ce même projet de développement à proximité du boisé Du Tremblay à Longueuil. »

Le représentant de La Presse indique, par ailleurs, que le journaliste et le média « étaient tout à fait en droit d’identifier certaines des entreprises qui, comme Rio Tinto et ArcelorMittal, ont commis des infractions environnementales dans le passé et qui obtiennent néanmoins de nouvelles autorisations du MELCC[FP], afin de faire comprendre aux lecteurs qu’il s’agit d’une problématique répandue. »

Il ajoute : « Le texte indique par ailleurs clairement que 9413-1547 Québec inc. a reçu une amende de 10 000 $ alors que Rio Tinto a reçu neuf sanctions administratives pécuniaires totalisant 53 000 $ pour des infractions environnementales et que pour sa part, ArcelorMittal a reçu sept sanctions pour un total de 35 000 $. Ainsi, le lecteur moyen n’aura aucune difficulté à faire la part des choses entre les comportements de Rio Tinto et d’ArcelorMittal et celui de 9413-1547 Québec inc. »

Dans un premier temps, en ce qui concerne le titre « Des “délinquants” voient leurs projets approuvés », bien que les plaignants l’estiment sensationnaliste, celui-ci reflète l’information qui se trouve dans l’article. Au début de son texte, le journaliste contextualise l’utilisation du terme « délinquant » et précise l’information nécessairement succincte contenue dans le titre lorsqu’il écrit au premier paragraphe : « Des entreprises qui ne respectent pas les lois environnementales continuent de voir leurs projets étudiés et approuvés par Québec. Le ministre de l’Environnement Benoit Charette a pourtant fait adopter il y a deux ans de nouvelles dispositions législatives lui permettant de refuser une demande d’autorisation déposée par un promoteur “délinquant”. » 

Un titre peut ne pas contenir toutes les nuances pertinentes sans que cela signifie que l’information qui y est présentée déforme ou exagère abusivement la réalité. Dans le dossier D2021-11-216, le Conseil a rejeté le grief de sensationnalisme parce qu’il a déterminé que le titre visé était fidèle au contenu de l’article. La plaignante basait son argumentaire sur sa compréhension du terme « jeunes » dans le titre « Les jeunes qui meurent de la COVID-19 sont des non-vaccinés ». La décision indique : « Le reportage mis en cause fait état de personnes de 30-59 ans ayant succombé à la COVID-19. Désigner dans le titre les personnes de cette catégorie d’âge qui sont mortes de cette maladie par “les jeunes” ne déforme pas la réalité et n’exagère pas les faits, considérant que la vaste majorité de ceux qui meurent des complications liées au virus à cette époque est des aînés. Le titre reflète le contenu de l’article puisque les mis en cause précisent dès le début du reportage quelle catégorie d’âge est visée par l’expression “les jeunes”. »

De la même façon, dans le cas présent, à la lecture de l’article, on constate que le titre est fidèle à l’information présentée dans l’article et ne l’exagère pas abusivement. 

Dans un deuxième temps, en ce qui concerne les passages du texte visés par la plainte, bien que les plaignants considèrent sensationnaliste la comparaison entre le promoteur immobilier et les alumineries, celle-ci ne déforme pas la réalité puisque, même si elles diffèrent grandement en matière de taille et d’activités, il existe un point de comparaison entre ces trois entreprises. Elles ont, en effet, toutes reçu des sanctions administratives pécuniaires en raison d’avis de non-conformité à la réglementation environnementale. Le fait que ces entreprises n’aient pas reçu le même nombre de sanctions et que le montant total des sanctions soit différent ne déforme pas la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits. L’article précise le nombre de sanctions reçues par chacune des entreprises et les montants qu’elles ont dû payer. Ces informations permettent aux lecteurs de faire la part des choses entre ces différents cas.

Dans la décision D2020-02-014, le Conseil a rejeté le grief de sensationnalisme parce qu’il a jugé que « malgré l’interprétation des plaignants au sujet de l’utilisation du terme AK-47, le journaliste ne déforme pas la réalité, mais il s’en tient plutôt aux faits en décrivant l’arsenal trouvé chez les deux frères. En mentionnant la “carabine semi-automatique tirant des cartouches de AK-47”, le journaliste donne un exemple d’arme connue du public, ce qui fournit un meilleur portrait de la situation aux lecteurs. »

De la même façon, dans le cas présent, bien que les plaignants estiment sensationnaliste la comparaison entre l’entreprise qu’ils représentent et les alumineries Rio Tinto et ArcelorMittal, les sanctions administratives pécuniaires mentionnées sont des éléments factuels qui ne déforment pas la réalité. 

Grief 3 : information incomplète

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le journaliste et le média ont omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet dans le passage suivant :

« Le Ministère étudie actuellement une demande d’autorisation déposée en septembre 2020 par l’entreprise 9370-2413 Québec inc. pour une “intervention en milieux humides ainsi que l’extension des systèmes d’aqueduc, de gestion des eaux pluviales et d’égout sanitaire dans le cadre du projet Pine Beach”, à Hudson, en Montérégie. 

Cette entreprise appartient au Groupe Shathony et à l’homme d’affaires Gaétan Houle, tous deux propriétaires d’une autre société (9413-1547 Québec inc.) qui a drainé des milieux humides à Longueuil il y a deux ans. »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’information incomplète. 

Analyse

Les plaignants considèrent que le journaliste manque de complétude dans le passage cité plus haut. Ils déplorent que les deux entreprises à numéro soient présentées ensemble « sans faire les distinctions élémentaires qui s’imposent », en omettant d’expliquer que « 9370-2413 Québec inc. n’est pas impliquée » dans l’enquête pénale concernant 9413-1547 Québec inc.

Les plaignants estiment que le journaliste « entretient sciemment le flou et la confusion entre les compagnies 9413-1547 Québec inc., laquelle développe un projet à Longueuil, et 9370-2413 Québec inc., laquelle travaille en collaboration avec Nicanco Holdings pour un projet à Hudson. En effet, bien que les administrateurs soient communs dans les faits pour les deux compagnies à numéro précitées, en droit, il s’agit plutôt de deux entités distinctes, à part entière, avec leur propre personnalité juridique et leur propre responsabilité. » 

Le représentant de La Presse affirme que « contrairement à ce qu’allègue le plaignant, le texte est très clair à l’effet que les sociétés 9413-1547 Québec inc. et 9370-2413 Québec inc. sont deux entreprises distinctes. Le texte rapporte en effet que c’est la société 9413-1547 Québec inc. qui a drainé des milieux humides à Longueuil en 2020 et qui a reçu un avis de non-conformité du ministère de l’Environnement, en plus d’écoper d’une amende de 10 000 $ et d’être visée par une enquête pénale déclenchée en janvier 2021. »

Il poursuit en affirmant que « le texte indique par ailleurs que le ministère de l’Environnement étudie actuellement une demande d’autorisation déposée par l’entreprise 9370-2413 Québec inc. pour une intervention en milieux humides dans le cadre du projet Pine Beach, à Hudson, en Montérégie. Le lecteur moyen aura donc bel et bien compris qu’il s’agit de deux entreprises distinctes qui œuvrent dans le cadre de deux projets distincts. »

La Presse fait enfin  valoir que « ces deux sociétés appartiennent au Groupe Shathony et à l’homme d’affaires Gaétan Houle, comme en témoignent d’ailleurs les informations publiques diffusées sur le site du Registraire des entreprises du Québec ».

À la lecture de l’article, on constate que l’information concernant la distinction entre les deux entreprises  se trouve dans le texte puisque le journaliste fait bien la différence entre les deux entreprises. Il précise que c’est l’entreprise 9413-1547 Québec inc. qui a reçu une sanction administrative pécuniaire pour des travaux réalisés à Longueuil. La deuxième entreprise (9370-2413 Québec inc.) n’est mentionnée que pour donner un exemple de la situation qui est mise de l’avant dans l’article, c’est-à-dire que des promoteurs ayant reçu un avis de non-conformité du MELCCFP obtiennent des autorisations pour de nouveaux projets alors que, depuis 2021, le Ministère a le pouvoir de refuser une demande d’autorisation dans ce genre de situation. 

Lorsque les éléments essentiels à la compréhension du sujet ne manquent pas au reportage, le Conseil rejette le grief d’information incomplète, comme ce fut le cas dans le dossier D2021-04-078, dans lequel la plaignante déplorait qu’on ne fasse pas mention du fait que le profil des patients hébergés dans le CHSLD au cœur de l’article était différent de celui des personnes résidant dans le CHSLD des Patriotes qui était mentionné dans le texte. Dans cette décision, le Conseil observe : « Les informations fournies dans ces passages permettent aux lecteurs de constater que cette unité n’accueille pas la même clientèle qu’“une unité ‘régulière’ d’un CHSLD”. La distinction entre la clientèle de l’unité du 5e étage et celle du CHSLD des Patriotes que souhaitait la plaignante se trouve dans l’article. Les mis en cause n’ont donc pas omis d’information essentielle à la compréhension du sujet. » De la même façon, dans le cas présent, l’article fait la différence entre les deux entreprises, cette information n’est donc pas incomplète.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Vincent Jacob et Philippe Lemay, au nom de l’entreprise 9413-1547 Québec inc., visant l’article « Ministère de l’Environnement – Des “délinquants” voient leurs projets approuvés » d’Éric-Pierre Champagne et publié dans La Presse concernant les griefs de non-respect de la présomption d’innocence, de sensationnalisme et d’information incomplète.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery

Représentantes des journalistes
Sylvie Fournier
Paule Vermot-Desroches

Représentante des entreprises de presse
Maxime Bertrand