D2023-12-086

Plaignante

Catherine Dorion,

ancienne députée de l’Assemblée nationale du Québec 

pour Québec solidaire (QS) 

dans la circonscription de Taschereau

(2018 à 2022)

Mis en cause

Michel David, chroniqueur

Le quotidien Le Devoir

Date de dépôt de la plainte

Le 14 décembre 2023

Date de la décision

Le 27 septembre 2024

Résumé de la plainte

Catherine Dorion, ancienne députée de l’Assemblée nationale du Québec, dépose une plainte le 14 décembre 2023 au sujet de la chronique « L’envers de la médaille », du chroniqueur Michel David, publiée dans Le Devoir le 14 novembre 2023. La plaignante déplore de l’information incomplète, de l’information inexacte et un manque de fiabilité des informations transmises par les sources.

Contexte

Le 13 novembre 2023, Catherine Dorion, ex-députée de l’Assemblée nationale du Québec pour le parti Québec solidaire (QS) de 2018 à 2022, publie un essai autobiographique intitulé Les têtes brûlées – Carnets d’espoir punk. Cet ouvrage est résumé de la manière suivante, le jour même, par Radio-Canada : « Catherine Dorion revient sur les années où elle a été députée de Québec solidaire dans la circonscription de Taschereau et formule une critique virulente sur le système parlementaire québécois. Se qualifiant de personne intègre et impulsive, elle dit s’être lancée en politique avant tout pour combattre l’aliénation et ressouder un peuple divisé. Aujourd’hui désillusionnée, l’ex-députée dit avoir cru naïvement posséder les outils nécessaires pour changer les choses de l’intérieur.1 »

Le lendemain, soit le 14 novembre 2023, Le Devoir publie un texte de son chroniqueur politique Michel David en réaction à la parution de l’essai de Mme Dorion. M. David s’interroge sur « sa conception de la solidarité » et affirme que, dans son livre, Mme Dorion « est très critique de Gabriel Nadeau-Dubois [co-porte-parole masculin de QS], présenté comme un égoïste qui ne songe qu’à son intérêt personnel ». M. David rapporte également certains propos de Louis-Philippe Boulianne, ancien attaché politique de Catherine Dorion, qui a répliqué à son essai dans une longue publication sur les réseaux sociaux X et Facebook, le 12 novembre 2023. La présente plainte, déposée par Mme Dorion, vise cette chronique de Michel David intitulée « L’envers de la médaille ». 

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Griefs de la plaignante

Grief 1 : information incomplète

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 d) du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a omis de présenter des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet dans le passage de sa chronique retranscrit ci-dessous.

« Dans un long message sur X, l’ancien attaché politique de Catherine Dorion, Louis-Philippe Boulianne, qui est resté à ses côtés durant tout son mandat, a décrit “la grande tristesse” qu’il a ressentie à la lecture de son livre. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information incomplète. 

Analyse

La plaignante, Catherine Dorion, estime que le passage de la chronique cité ci-dessus contient de l’information incomplète. Elle soutient que le chroniqueur aurait dû préciser :

1) que Louis-Philippe Boulianne n’a été son attaché politique « que quelques semaines » au début de son mandat de députée à l’Assemblée nationale;

2) le poste qu’occupait M. Boulianne au sein du parti Québec solidaire (QS) au moment de la publication de la chronique en cause.

La plaignante explique : « Le chroniqueur, sur cinq paragraphes, soit une portion considérable de son texte, reprend tels quels les propos me concernant que Louis-Philippe Boulianne a publiés le 12 novembre [2023] sur ses comptes de réseaux sociaux. Dans cette publication, M. Boulianne faisait une longue critique de mon livre et de mon mandat comme députée. »

Elle enchaîne : « Tout d’abord, le chroniqueur présente ainsi M. Boulianne : “l’ancien attaché politique de Catherine Dorion, Louis-Philippe Boulianne, qui est resté à ses côtés durant tout son mandat”, en omettant de mentionner que M. Boulianne n’a été mon attaché politique que quelques semaines en tout début de mandat, mais aussi et surtout, en ne mentionnant pas son poste actuel. Or, une simple recherche en ligne permet d’identifier M. Boulianne comme un employé aux communications de l’aile parlementaire de Québec solidaire (ou membre du “département du spin”, tel qu’on peut le lire sur une publication récente figurant sur sa page Facebook) et œuvrant directement aux côtés de Gabriel Nadeau-Dubois, celui-là même qui se trouvait critiqué dans mon livre. »

« Accorder, dans une chronique, une telle importance à une publication Facebook en particulier et une telle crédibilité à un acteur précis, sans expliciter clairement depuis quel endroit il s’exprime aujourd’hui, constitue à mon avis une faute du point de vue de la complétude des informations. Il y a là une omission importante qui ne permet pas au public de mettre les propos de M. Boulianne en contexte », ajoute la plaignante.

Elle affirme de plus : « M. David arguera qu’il a pris la peine d’écrire, en toute fin d’article, les mots suivants :  

“Bien entendu, Mme Dorion rejette ces critiques. ‘C’est un gars dans la garde rapprochée de Gabriel. Je peux comprendre que ça les a blessés […] J’ai lu son truc, et ce n’est pas complètement vrai’, a-t-elle déclaré dans une entrevue. Pas complètement vrai, donc quand même un peu.” »

La plaignante conclut : « Il [le chroniqueur] se débarrasserait ainsi de sa propre responsabilité déontologique de préciser lui-même le véritable poste de M. Boulianne. Le journaliste d’opinion ne peut présenter par sa plume une réalité tronquée pour ensuite laisser entre guillemets l’information manquante, comme une simple justification ou allégation de ma part qu’il incomberait au lecteur de vérifier à la place du chroniqueur. Je soutiens que cette information était importante dans le contexte au moment de décrire Louis-Philippe Boulianne, puisque la position professionnelle de M. Boulianne peut aisément laisser supposer un biais naturel de sa part en faveur de son patron actuel et immédiat. »

À titre de représentante du Devoir, la rédactrice en chef Marie-Andrée Chouinard rétorque : « Dans sa chronique, Michel David revient sur les raisons qui ont justifié la décision de l’ex-députée de Québec solidaire Catherine Dorion de ne pas solliciter un second mandat. Avec la publication de son “livre-choc”, écrit-il, elle en rajoute et “lance un pavé”. Mais il y a toujours deux revers à une médaille, ajoute le chroniqueur, citant Bernard Landry et son célèbre audi alteram partem, qui veut dire littéralement “entendre l’autre partie”. Dans cette chronique, l’autre partie est représentée par Louis-Philippe Boulianne, ancien attaché politique de Mme Dorion et de l’aile parlementaire de QS. Dans une publication sur le réseau X le 12 novembre 2023, M. Boulianne présente un autre revers de la médaille et émet des critiques à l’endroit de Mme Dorion. C’est l’usage dont fait M. David de ce témoignage qui constitue le point d’ancrage de cette plainte. »

Mme Chouinard poursuit : « Mme Dorion remet en question l’importance de cette publication dans le texte de M. David. D’abord, il importe de rappeler que cette publication de M. Boulianne a fait grand bruit dans les médias au moment de sa parution. La Presse2, 24 heures3, Le Journal de Québec4, Le Soleil5, entre autres, ont évoqué cette sortie de manière non équivoque. M. David était tout à fait justifié d’en faire un des points d’ancrage de sa chronique. »

Elle ajoute : « Ensuite, M. David a présenté M. Boulianne comme “l’ancien attaché politique de Catherine Dorion, […] qui est resté à ses côtés durant tout son mandat”. M. Boulianne a été son attaché politique d’octobre 2018 à février 2019, tel qu’il le précise sur LinkedIn, pour être ensuite attaché numérique pour l’aile parlementaire de Québec solidaire, de février 2019 à aujourd’hui. Mme Dorion a été députée de QS dans Taschereau de 2018 à 2022. En travaillant soit comme attaché politique de Mme Dorion, ou comme employé de l’aile parlementaire de QS, on peut affirmer que M. Boulianne a évolué dans l’environnement de Mme Dorion. »

La représentante du Devoir fait également valoir : « Lors des élections générales d’octobre 2018, Québec solidaire a fait élire 7 députés, portant la députation à 10. La grosseur de cette équipe permet au personnel parlementaire d’évoluer auprès des députés. Il n’est donc absolument pas faux de dire, comme l’écrit Michel David, que Louis-Philippe Boulianne a été son “ancien attaché politique”, et qu’il “est resté à ses côtés durant tout son mandat”. »

Mme Chouinard conclut : « Est-ce que le fait d’avoir ainsi présenté M. Boulianne a privé les lecteurs d’éléments d’information essentiels à la compréhension générale du sujet? Il nous semble que la réponse à cette question est non, car peu importe le rôle précis occupé par M. Boulianne chez QS entre 2018 et 2022, il a bel et bien évolué dans l’environnement de Mme Dorion, et se trouve ainsi en totale capacité d’exprimer un jugement et une opinion critique à partir de son expérience personnelle. »

Ayant pris connaissance de la réplique du Devoir, la plaignante formule les remarques suivantes : « La première moitié de la défense du Devoir quant à ce premier grief insiste sur la légitimité de M. David à “faire entendre l’autre partie”. M. David est bien entendu libre de faire entendre la partie qu’il veut, et la faute déontologique ne se situe pas de ce côté-là. »

Elle soutient : « Le grief en est un d’information incomplète. Il me semble évident que le fait, pour M. David, de présenter le “personnage principal” de sa chronique de façon tronquée a comme effet de tromper le lecteur dans son appréciation de la parole exprimée par M. Boulianne. En effet, les mots choisis par M. David peuvent très facilement laisser croire que M. Boulianne s’exprime en tant que personne qui a été mon attaché politique pendant quatre ans. Or, au moment de sa publication, M. Boulianne travaillait directement pour [Gabriel Nadeau-Dubois] depuis plusieurs années, celui-là même qui se trouvait critiqué dans mon livre. Quelles tâches spécifiques accomplissait-il pour son patron? Il était un communicant d’expérience, un spin, un employé dont la job et l’expertise depuis des années consistaient à sculpter l’opinion publique en faveur de son patron. Tout lecteur raisonnable aurait pu, si ces circonstances avaient été précisées ne serait-ce qu’en surface, supposer que M. Boulianne pouvait être motivé à protéger l’image de Gabriel Nadeau-Dubois et à attaquer ceux qui le critiquaient, bref, qu’il était en conflit d’intérêts. »

La plaignante conclut : « L’information fournie par M. David pour présenter M. Boulianne brille par son incomplétude dans le contexte. Cela est balayé de la main par Le Devoir, qui défend son chroniqueur en arguant qu’il n’est pas faux de dire que M. Boulianne a “évolué dans l’environnement de Mme Dorion” pendant tout mon mandat. Rappelons cependant que ce grief n’en est pas un de fausseté, mais bien d’incomplétude d’une information. »

En déontologie journalistique, une faute d’incomplétude consiste à omettre un élément essentiel ou indispensable à la compréhension du sujet abordé, sans lequel le sens du propos est altéré de façon significative. Dans le cas présent, bien que les éléments que la plaignante aurait souhaité voir dans la chronique à propos du statut professionnel de Louis-Philippe Boulianne auraient pu fournir aux lecteurs des informations complémentaires intéressantes, ils ne devaient pas obligatoirement s’y retrouver. De la même façon, la durée de la période pendant laquelle Mme Dorion et M. Boulianne ont travaillé directement ensemble est un élément de contexte qui n’était pas essentiel à la compréhension des arguments du chroniqueur avancés dans le passage visé. L’absence de ces deux éléments – soit le fait que M. Boulianne n’a été l’attaché politique de Mme Dorion que durant une courte période en début de mandat, ainsi que le poste que M. Boulianne occupait à Québec solidaire au moment de la publication de la chronique – n’altère pas la compréhension du sujet abordé par le chroniqueur Michel David, qui était de présenter un point de vue divergent de celui offert par Mme Dorion dans son livre.

Il est à noter que Catherine Dorion mentionne dans sa plainte que Louis-Philippe Boulianne n’a été son attaché politique que « quelques semaines en tout début de mandat », ce qui viendrait miner sa crédibilité, selon Mme Dorion, au regard des critiques qu’il formule à l’endroit de celle-ci. Or, comme le fait valoir Le Devoir dans sa réplique, au moment de l’étude de la présente plainte, on pouvait lire sur le profil LinkedIn de M. Boulianne qu’il avait été l’attaché politique de Mme Dorion d’octobre 2018 à février 2019, soit durant une période de quatre à cinq mois, et pas seulement de quelques semaines. De plus, M. Boulianne est demeuré dans l’entourage politique de Mme Dorion bien au-delà de son mandat d’attaché politique  au sein d’un parti (QS) qui comptait, entre octobre 2018 et octobre 2022, 10 députés et environ 45 employés6.

Par ailleurs, bien qu’il n’était pas essentiel à la compréhension du sujet traité de préciser le poste qu’occupait Louis-Philippe Boulianne au sein de Québec solidaire au moment de la publication de la chronique, une partie de cette information se trouve déjà dans le texte de Michel David. En effet, en citant les propos de Mme Dorion elle-même, le chroniqueur expose le fait que M. Boulianne « est un gars dans la garde rapprochée de Gabriel [Nadeau-Dubois] ». Cette information permet au lecteur de mettre en perspective le point de vue de M. Boulianne en tant que proche de M. Nadeau-Dubois.

Le cas à l’étude ici comporte des similitudes avec le dossier D2022-09-203, dans lequel le Conseil avait également rejeté un grief d’information incomplète. On explique dans cette décision que « le principe de complétude […] n’implique pas que tous les éléments intéressants ou éclairants d’un sujet doivent nécessairement se retrouver dans un texte ou un reportage. Bien que des précisions et des explications puissent toujours ajouter à la compréhension d’un sujet, lorsqu’on évalue s’il y a eu faute d’information incomplète, le Guide [de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec] nous rappelle que la complétude, dans le traitement d’un sujet, signifie que les éléments “essentiels à sa bonne compréhension” y sont présentés. Cela signifie que seuls les éléments indispensables à la compréhension du sujet traité doivent se retrouver dans le texte ou le reportage afin de respecter le principe de complétude, les autres éléments relevant de la liberté éditoriale du média. »

Ainsi, considérant que les informations que la plaignante juge incomplètes à propos de Louis-Philippe Boulianne ne constituaient pas des éléments essentiels à la compréhension du sujet, le grief d’information incomplète est rejeté. 

Grief 2 : information inexacte

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a transmis de l’information inexacte dans le passage de sa chronique retranscrit ci-dessous.

« “Alors que mon respect pour Gabriel augmentait, mon respect pour Catherine a suivi la tendance inverse, au fur et à mesure qu’elle se réfugiait, d’abord dans le présentéisme, puis finalement tout bonnement dans l’absentéisme. C’est la vérité vraie et décevante.” » 
(Citation de Louis-Philippe Boulianne)

Décision

Le Conseil rejette le grief d’information inexacte.  

Analyse 

La plaignante considère qu’il est inexact de rapporter que durant son mandat de députée à l’Assemblée nationale pour Québec solidaire, « “elle se réfugiait, d’abord dans le présentéisme, puis finalement tout bonnement dans l’absentéisme” ».

La plaignante avance : « Une des faussetés contenues dans le texte de M. Boulianne a été reprise dans celui de M. David. […] Il est important de dire que mon attachée pendant plus de deux ans, Catherine Desjardins, la démentait déjà en majeure partie et ce, directement dans les commentaires [sur Facebook] et quelques minutes après la publication de M. Boulianne :

“Ensuite, sur l’absentéisme, il m’apparaît que tu regardes la situation à travers le prisme d’une personne qui travaille au parlement […], mais tu n’es pas sans savoir que la politique ce n’est pas simplement ce qu’il se passe en haut de la côte. Plusieurs choses ont été faites en comté pis l’ignorer c’est un peu insulter le travail que nous on a fait sur le terrain. On a fait de grandes choses et insinuer que son absence à vos côtés signifie une absence totale, pour moi qui y a été deux ans, c’est ma foi insultant.” »

En référence à son ex-attachée politique Catherine Desjardins, la plaignante ajoute : « Notons que cette source est plus fiable que Louis-Philippe Boulianne à deux points de vue : elle n’était plus à l’emploi de personne en politique au moment de l’écriture de son commentaire, et contrairement à M. Boulianne, elle a travaillé auprès de moi dans Taschereau pendant plus de deux années complètes plutôt que quelques semaines. »

Dans une annexe qu’elle a jointe à sa plainte, Mme Dorion répond ainsi aux allégations de Louis-Philippe Boulianne, reprises dans la chronique de Michel David, concernant son absentéisme en tant que députée à l’Assemblée nationale du Québec : « Outre mon congé de maternité (6 mois, accepté par la commissaire à l’éthique et à la déontologie) et les absences obligées vu les nouvelles limitations des présences dues à la pandémie, je n’ai pas fait d’absentéisme. Si j’ai été moins présente en commission que les autres, c’est que les dossiers qui m’étaient impartis avaient moins de projets de loi à l’étude. De surcroît, chaque heure qui n’était pas travaillée au parlement l’était dans le comté ou dans des luttes citoyennes, systématiquement. Je faisais en moyenne 60-70 heures par semaine. »

La rédactrice en chef du Devoir, Marie-Andrée Chouinard, réplique : « La plaignante ne nous semble pas apporter de preuve convaincante, tout au plus se contente-t-elle de livrer un témoignage contraire provenant, selon ses dires, d’une source “plus fiable”, car elle a travaillé plus longtemps à ses côtés en nombre de semaines. Il s’agit d’une version différente de celle de M. Boulianne, certes, mais rien ne permet de conclure qu’il s’agit de la “vraie” version. »

« [La plaignante] conclut également que le témoignage de Mme Desjardins a plus de valeur que celui de M. Boulianne, car elle n’est plus à l’emploi de QS. On en déduit que M. Boulianne, dont l’appui à Gabriel Nadeau-Dubois est non équivoque, serait donc biaisé et non crédible. Il ne s’agit pas là non plus d’une preuve indubitable, mais bel et bien de l’opinion de la plaignante », souligne la rédactrice en chef du Devoir.

Ayant pris connaissance de la réplique du Devoir, la plaignante rétorque : « Le Devoir appuie sa défense sur la légitimité, pour M. David, de rapporter la “version” de M. Boulianne dans sa chronique, version sur laquelle il ne serait pas nécessaire pour le chroniqueur de préciser que d’autres versions existent dans l’espace public, ni d’en vérifier le degré de vérité ou d’exactitude.  Or, le passage qui fait l’objet de ce grief ne contient pas une opinion ou un point de vue, mais bien une affirmation de nature factuelle, celle concernant mon supposé absentéisme au travail. “[Catherine] se réfugiait, d’abord dans le présentéisme, puis finalement tout bonnement dans l’absentéisme.” L’effet de cette fausseté est aggravé par la phrase qui suit, citée elle aussi dans l’article de M. David : “C’est la vérité vraie et décevante.” »

La plaignante enchaîne : « Aucun contexte n’accompagne le relais par M. David de cet élément de désinformation, et le chroniqueur ne s’est manifestement pas soucié, comme le font régulièrement ses collègues partout au Québec, de vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une allégation fausse au potentiel diffamatoire. Au contraire, il choisit de lui donner gratuitement du poids, précédant la citation en question de cette phrase : “C’est plutôt son ancienne patronne qui en prend pour son rhume.” Et clôturant ainsi instantanément le sujet : “On peut être très bien une punk tout en étant une prima donna.” »

Elle souligne également : « Cette allégation d’absentéisme de ma part, une recherche très simple aurait permis de l’invalider, au minimum de jeter un sérieux doute sur sa véracité. Le Devoir choisit de prétendre que la preuve apportée dans ma plainte au Conseil de presse n’est pas convaincante. […] Dois-je rappeler au Devoir qu’il n’est pas de son ressort d’inverser ainsi le fardeau de la preuve? Les faits et allégations relayés doivent être vérifiés par les journalistes et non pas par les gens qui sont visés dans leurs chroniques d’opinion. Dans quel monde d’insécurité du point de vue de la réputation des individus vivrions-nous si tel était le cas? »

« D’autant plus que oui, la preuve est convaincante, et que si M. David n’a manifestement pas été intéressé par le commentaire de Mme Desjardins qui était pourtant très facilement accessible, ce commentaire aurait à tout le moins dû l’alerter sur la crédibilité des accusations relayées et le motiver à faire quelques vérifications (notamment auprès de la principale intéressée). Au minimum, mettre l’allégation en contexte, ce qu’il n’a pas fait – au contraire, il a choisi de lui donner du poids », fait valoir Mme Dorion.

La plaignante conclut : « Dans un tel monde de lousse déontologique, où n’importe quelle accusation fausse trouvée sur le Web peut être reprise dans un grand média respecté sans aucune vérification ni mise en contexte digne de ce nom, quel citoyen pourrait se sentir en sécurité lorsqu’il participerait à cette grande conversation publique qu’animent les journalistes d’information et d’opinion? »

Lorsque l’on est appelé à déterminer si un journaliste ou un chroniqueur d’opinion a commis un manquement au principe déontologique d’exactitude de l’information, il convient d’abord de se demander si l’information présumée inexacte est une question de fait ou plutôt une question de perspective. Dans le cas présent, les allégations d’absentéisme formulées par Louis-Philippe Boulianne à l’endroit de Catherine Dorion relèvent d’une opinion personnelle. Il s’agit de la perspective de M. Boulianne, de sa perception de la situation, et non d’une information de nature factuelle qui peut être vérifiée. 

Prenons le passage faisant l’objet du présent grief dans son ensemble afin de mieux l’analyser. Citant directement Louis-Philippe Boulianne, Michel David rapporte entre guillemets : « “Alors que mon respect pour Gabriel augmentait, mon respect pour Catherine a suivi la tendance inverse, au fur et à mesure qu’elle se réfugiait, d’abord dans le présentéisme, puis finalement tout bonnement dans l’absentéisme. C’est la vérité vraie et décevante.” » 

D’entrée de jeu, il apparaît clair que M. Boulianne présente une opinion puisqu’il fait part du niveau de respect qu’il éprouve envers deux députés de Québec solidaire, une notion éminemment subjective et personnelle. Il évoque ensuite les raisons pour lesquelles son respect pour Mme Dorion a diminué au fil du temps. Les allégations de présentéisme et d’absentéisme ne sont pas définies clairement et on ne sait pas précisément à quel genre d’absentéisme M. Boulianne fait référence. Ce qui est clair, c’est que de la perspective de M. Boulianne, Mme Dorion était peu présente en politique, tandis que Mme Dorion elle-même estime avoir été très présente, en particulier dans sa circonscription. M. Boulianne n’accuse pas Mme Dorion d’avoir été absente d’un endroit particulier (l’Assemblée nationale, son comté, ou autre) et ne fait mention d’aucune période de temps définie (une session parlementaire, un congrès de QS, ou autre). Il semble plutôt parler du désengagement de Mme Dorion de manière générale, ce qui constitue un point de vue strictement personnel.

Comme l’explique avec pertinence l’ex-attachée politique de Mme Dorion, Catherine Desjardins, en réplique au commentaire de M. Boulianne : « […] sur l’absentéisme, il m’apparaît que tu regardes la situation à travers le prisme d’une personne qui travaille au parlement […], mais tu n’es pas sans savoir que la politique ce n’est pas simplement ce qu’il se passe en haut de la côte. » Ce « prisme », cette perspective, appartient à M. Boulianne. On peut certainement être en désaccord avec ce qu’il avance, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un point de vue rapporté par le chroniqueur, et non d’un fait. 

Il apparaît pertinent de tracer un parallèle entre le présent grief et la décision antérieure D2021-10-186 (2), dans laquelle un grief d’information inexacte avait été rejeté sensiblement pour les mêmes motifs. Dans ce dossier, il s’agissait de déterminer s’il était inexact de rapporter que des travaux de construction étaient « sur le point de commencer », tel que le rapportait une source. Le Conseil a fait valoir que « dans cette expression, le temps est une notion subjective exprimée par la promotrice qui travaille sur son projet depuis plusieurs années. Qu’elle ait eu ou non en sa possession des permis de construction valides le 21 janvier 2021, il est possible que de sa perspective, le début des travaux était imminent, relativement à toutes les années de préparation et d’attente qu’elle a connues. Il s’agit de son point de vue. Puisque la journaliste expose la perspective de la promotrice et qu’il s’agit d’une question d’opinion sur une notion de temps, on ne peut affirmer que l’information rapportée est inexacte. Il peut arriver qu’on n’ait pas la même lecture des événements qu’une autre personne, mais cela ne rend pas nécessairement les propos de cette personne inexacts. »

En ce qui a trait aux commentaires de Catherine Desjardins, ex-attachée politique que Mme Dorion considère comme une source plus crédible que Louis-Philippe Boulianne, nous avons affaire à deux perspectives différentes concernant la carrière de députée de Mme Dorion. La plaignante n’apporte toutefois aucune preuve concrète permettant de conclure que les propos de Mme Desjardins viennent confirmer l’inexactitude des allégations de M. Boulianne qui, rappelons-le, relèvent de sa propre vision des choses.

En somme, le chroniqueur Michel David n’avait pas la prétention de relater des faits en citant les propos de Louis-Philippe Boulianne. Il va sans dire que les journalistes d’opinion sont tenus de vérifier l’exactitude des faits qu’ils rapportent avec la même rigueur que les journalistes factuels. Cependant, M. David présentait ici l’opinion d’un employé de Québec solidaire, qui dit avoir vu son respect pour la députée Catherine Dorion diminuer en raison de ce qu’il estime être un désengagement de sa part. C’est pourquoi le grief d’information inexacte est rejeté. 

Grief 3 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources

Principe déontologique applicable

Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a pris les moyens raisonnables pour vérifier la fiabilité des informations transmises par sa source, Louis-Philippe Boulianne, dans la portion de sa chronique retranscrite ci-dessous.

« Dans un long message sur X, l’ancien attaché politique de Catherine Dorion, Louis-Philippe Boulianne, qui est resté à ses côtés durant tout son mandat, a décrit “la grande tristesse” qu’il a ressentie à la lecture de son livre.

Il avait débarqué à l’Assemblée nationale en partageant le même mépris que celui qu’elle inspirait à la nouvelle députée. “J’ai un peu honte de me rappeler à quel point notre point de vue était puéril et enfantin”, écrit-il après avoir pris acte du travail accompli par chacun des députés du caucus solidaire, qui consacraient des centaines d’heures en commission parlementaire à “tirer des projets de loi vers la gauche”.

Dans son livre, Mme Dorion est très critique de Gabriel Nadeau-Dubois, présenté comme un égoïste qui ne songe qu’à son intérêt personnel. Au départ, M. Boulianne ne l’aimait pas non plus. Il dit maintenant n’avoir jamais connu “une personne qui est aussi [dévouée] à une cause”.

C’est plutôt son ancienne patronne qui en prend pour son rhume. “Si je parle de l’éthique de travail de Gabriel, c’est parce que c’est réellement ce qui le distingue le plus de Catherine. Alors que mon respect pour Gabriel augmentait, mon respect pour Catherine a suivi la tendance inverse, au fur et à mesure qu’elle se réfugiait, d’abord dans le présentéisme, puis finalement tout bonnement dans l’absentéisme. C’est la vérité vraie et décevante.”

On peut être très bien une punk tout en étant une prima donna. Son ancien adjoint reproche à Mme Dorion d’avoir “jeté comme des guenilles” tous ceux qui lui ont permis de se faire élire et qui se sont dépensés sans compter pour l’aider à traverser les tempêtes médiatiques provoquées par des frasques que les autres partis n’auraient pas tolérées. »

Décision

Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources.

Analyse

La plaignante soutient : « Il est crucial de noter que la publication de M. Boulianne contenait de nombreuses faussetés flagrantes, dont trois ont été relevées dans les moments qui ont suivi ladite publication sur les réseaux sociaux, directement en commentaire à cette dernière, et par des sources de première main qui plus est. »

Elle poursuit : « Ces rectifications importantes, très facilement accessibles, couplées à la position professionnelle de M. Boulianne, qui travaillait directement sous la gouverne de Gabriel Nadeau-Dubois à l’aile parlementaire de QS […], auraient dû convaincre n’importe quel commentateur attentif de la nécessité de mettre en doute la crédibilité de cette source et la fiabilité générale des éléments avancés dans sa publication, avant d’en rapporter tels quels des extraits ou des grands pans, voire de baser son article et son titre là-dessus. »

La plaignante fait valoir : « Notons au passage que M. Boulianne a supprimé sa publication des trois réseaux sociaux où elle figurait le 22 novembre 2023, suite à des alertes multiples concernant les nombreuses faussetés qu’elle contenait. […] Des moyens raisonnables, accessibles, simples, qui auraient demandé très peu de temps, n’ont manifestement pas été pris par M. David pour évaluer la fiabilité des informations transmises par sa source via les réseaux sociaux, afin de garantir au public une information de qualité. »

Elle ajoute : « M. David arguera qu’il a pris la peine d’écrire, en toute fin d’article, les mots suivants :

“Bien entendu, Mme Dorion rejette ces critiques. ‘C’est un gars dans la garde rapprochée de Gabriel. Je peux comprendre que ça les a blessés […] J’ai lu son truc, et ce n’est pas complètement vrai’, a-t-elle déclaré dans une entrevue. Pas complètement vrai, donc quand même un peu.” »

« M. David pourrait-il se débarrasser ainsi de ses propres responsabilités déontologiques en reprenant cette citation de moi prononcée dans un tout autre contexte (en entrevue à Masbourian1) et sans lien direct avec les extraits repris par lui? Je vous soumets que cette citation de moi aurait dû, au contraire, alerter le chroniqueur (De quelles faussetés parle-t-elle? Ai-je repris l’une d’entre elles dans ma chronique? Dois-je préciser la façon dont je présente Louis-Philippe Boulianne?). Au lieu de cela, il conclut avec désinvolture : “Cela veut dire que c’est un peu vrai.” N’a-t-il pas ressenti, en tant que journaliste d’opinion, qu’il était de sa responsabilité professionnelle de s’assurer que ce qu’il a relayé dans sa chronique fait effectivement partie de “ce qui est un peu vrai”? On dirait que non. »

La représentante du Devoir répond : « La plaignante reproche à M. David d’avoir appuyé un des angles de sa chronique sur la publication de Louis-Philippe Boulianne, qu’elle estime ne pas être une source fiable. Ce grief porte précisément sur les moyens raisonnables pris par les journalistes pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources. Le Devoir doit ici évaluer non pas la fiabilité de M. Boulianne, mais bien des informations qu’il a transmises. »

Elle réitère : « M. Boulianne est l’ex-attaché politique de Mme Dorion, et membre toujours actif de l’aile parlementaire de QS. Rappelons à nouveau que sa réaction à la parution du livre de Mme Dorion a fait grand bruit dans la presse au moment de sa diffusion et s’est retrouvée dans l’espace public. »

Mme Chouinard ajoute : « M. Boulianne a publié son commentaire le 12 novembre 2023 sur X. Le 23 novembre suivant, il publie un nouveau message, confirmant qu’il a retiré sa publication initiale. Voici ce qu’il offre en guise d’explications. Nous avons souligné des passages.

“La semaine dernière, j’ai publié un texte qui a fait grand bruit. Il faisait suite à ma lecture du livre de Catherine Dorion. Je l’ai lu d’une traite et j’étais profondément ébranlé émotivement. J’étais nommé ou mentionné à quelques reprises dans le livre. J’ai donc ressenti le besoin de m’exprimer rapidement sur la question et d’exposer mon point de vue personnel. Ceci dit, ma vision est loin d’être la seule qui existe. Suite à la parution, plusieurs médias m’ont demandé avec insistance le droit de publier ma lettre dans leurs pages ou encore d’accorder des entrevues. J’ai tout refusé, effrayé par l’ampleur que prenait ma publication. Certaines personnes m’ont contacté pour me faire part de leur vécu à elles. Je les ai écoutées et j’ai longuement réfléchi. Leur point de vue vaut tout autant que le mien ou celui de Catherine. Ma perception du dossier entourant la vente de la maison Chevalier en 2021 est la mienne et n’invalide en rien le travail exceptionnel de l’équipe de Taschereau pendant le mandat. La position choisie concernant la vente était la leur et ils l’ont prise selon leur expertise. Aujourd’hui, avec une semaine de recul, j’ai retiré ma publication de toutes les plateformes où elle se trouvait. Il y a eu beaucoup de discussions entourant notre parti dans les derniers jours, en fin de semaine c’est le temps de s’unir.

Mme Chouinard poursuit : « Nulle part dans cette publication M. Boulianne ne concède qu’il a fait des erreurs et énoncé des faussetés. Il semble plutôt dire que l’ampleur de l’effet de sa publication l’a “effrayé”, qu’il a pris le temps d’écouter d’autres points de vue auxquels il accorde autant de valeur qu’au sien propre, que sa “perception” du dossier de la maison Chevalier n’invalide pas l’énergie qui y a été consentie par d’autres, et qu’à quelques jours d’un congrès de Québec solidaire, il est plutôt “temps de s’unir”. Nous n’avons donc pas analysé ce retrait comme une manière d’avouer des fautes commises dans la précédente publication. »

Elle avance : « Mme Dorion reproche en outre au chroniqueur de n’être pas entré en contact avec elle pour valider les affirmations de M. Boulianne. Nous lui soumettons ici respectueusement que son livre contenait une quantité impressionnante d’informations portant sur d’autres personnes, et que M. Boulianne s’est permis ici d’y réagir en offrant sa perspective. Rien ne permettait de douter de ce témoignage, livré sous forme d’opinion toute personnelle. En écrivant une chronique intitulée “L’envers de la médaille” et destinée précisément à exposer des points de vue qui s’opposent, M. David a effectué son travail dans le cadre déontologique qui lui est imposé. En outre, il a pris soin de rapporter le fait que Mme Dorion n’était pas d’accord avec le point de vue de M. Boulianne, tel qu’il l’écrit ici :

“Bien entendu, Mme Dorion rejette ces critiques. ‘C’est un gars dans la garde rapprochée de Gabriel. Je peux comprendre que ça les a blessés […] J’ai lu son truc, et ce n’est pas complètement vrai’, a-t-elle déclaré dans une entrevue. Pas complètement vrai, donc quand même un peu.” »

La rédactrice en chef du Devoir conclut : « Michel David a écrit une chronique qui prenait pour points d’ancrage deux événements publics basés sur l’expression d’opinions divergentes. Un livre écrit par Mme Dorion, rempli de ses opinions personnelles, auquel a réagi avec sa propre vision des choses un employé de l’aile parlementaire de QS. Le chroniqueur en a tiré sa propre lecture des choses sur les visions contraires des parties impliquées dans un événement. Il n’avait pas à vérifier la véracité des faits relatés par Mme Dorion dans son livre ni non plus les opinions exprimées par M. Boulianne. »

Ayant pris connaissance de la réplique du Devoir, la plaignante formule les remarques suivantes : « Le Devoir allègue, à propos du témoignage de M. Boulianne, que “rien ne permettait de douter de ce témoignage, livré sous forme d’opinion toute personnelle”. Je rappelle que le témoignage ne contenait pas uniquement des opinions, mais également des allégations de nature factuelle qui auraient dû être vérifiées avant d’être relayées. »

Mme Dorion ajoute : « S’il s’était posé les questions qui s’imposent à tout journaliste d’opinion respectueux des normes de déontologie journalistique, [Michel David] se serait rendu compte que de nombreuses allégations de Louis-Philippe Boulianne avaient déjà été démenties publiquement, que la fausseté d’autres accusations sautait aux yeux à la lecture des Têtes brûlées, que M. Boulianne était en conflit d’intérêts et que face à tout cela, la déontologie exigeait une prudence minimum dont il n’a pas fait montre. »

Elle souligne également : « En ajoutant que M. David “n’avait pas à vérifier la véracité des faits relatés par Mme Dorion dans son livre ni non plus les opinions exprimées par M. Boulianne”, Le Devoir joue avec les mots. Bien entendu que M. David n’a pas à vérifier la véracité des faits relatés dans mon livre, personne ne l’y oblige. Bien entendu que M. David n’a pas à vérifier les opinions exprimées par M. Boulianne, puisqu’il s’agit d’opinions. Mais M. David est, oui, tenu de vérifier les allégations de nature factuelle publiées par M. Boulianne avant de les relayer. Cela fait partie de ses plus élémentaires responsabilités comme journaliste d’opinion. »

À la lumière des arguments formulés par les deux parties et des vérifications effectuées par le Conseil, le chroniqueur Michel David n’avait pas de motif de douter de la fiabilité des informations transmises par la source en question, Louis-Philippe Boulianne. Il y a d’ailleurs plusieurs raisons pour lesquelles M. Boulianne constituait une source apte à émettre ses opinions à propos de la carrière de députée de Catherine Dorion : le poste d’attaché politique de Mme Dorion qu’il a occupé durant quelques mois; sa connaissance du milieu; le fait qu’il soit toujours actif au sein de l’aile parlementaire de Québec solidaire; ainsi que sa position au sein d’un parti politique qui ne comptait alors qu’une petite équipe de 45 employés, ce qui faisait de lui un témoin privilégié.

La décision antérieure D2021-03-059 explique bien la façon dont doit se faire l’analyse d’un grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources. On peut notamment y lire : « L’analyse d’un grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source consiste à déterminer non pas la fiabilité d’une personne à titre d’individu, mais plutôt la fiabilité des informations qu’elle avance. Cette fiabilité peut être évaluée selon les connaissances ou l’expérience de la personne, par exemple, ou selon son rôle à titre de témoin d’un événement, ou de porte-parole d’un organisme lié à la nouvelle. » On souligne également dans une autre décision, D2020-04-056, que « la crédibilité de la source et sa connaissance du milieu [peuvent justifier] d’exposer son opinion dans [un] reportage ».

Par ailleurs, le fait que Mme Dorion allègue que Catherine Desjardins, une autre attachée politique, constitue une source plus fiable que M. Boulianne est une notion subjective. La plaignante n’apporte aucune preuve en ce sens, outre le fait que Mme Desjardins a été son attachée politique durant une plus longue période de temps que M. Boulianne et qu’elle n’est plus à l’emploi d’un parti politique, ce qui ne démontre pas que l’expérience vécue par M. Boulianne auprès de Catherine Dorion ne représentait pas une source d’informations fiables. 

Pour ces raisons, le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources est rejeté. 

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Catherine Dorion visant la chronique « L’envers de la médaille », du chroniqueur Michel David, publiée dans Le Devoir le 14 novembre 2023, concernant les griefs d’information incomplète, d’information inexacte et de manque de fiabilité des informations transmises par les sources.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery

Représentantes des journalistes
Sylvie Fournier
Paule Vermot-Desroches

Représentante des entreprises de presse
Maxime Bertrand

1Référence : Texte non signé, « Catherine Dorion : les réflexions d’une punk désillusionnée », Entrevue avec Patrick Masbourian à l’émission « Tout un matin », ICI Première, Radio-Canada, 13 novembre 2023. Consulté en septembre 2024.

2Référence : Charles Lecavalier et Henri Ouellette-Vézina, « Nouveau livre de Catherine Dorion – Gabriel Nadeau-Dubois réplique », La Presse, 13 novembre 2023. Consulté en septembre 2024. 

3Référence : Article non signé, « Règlement de comptes : un attaché de Québec solidaire répond à Catherine Dorion », 24 heures, 13 novembre 2023. Consulté en septembre 2024.

4Référence : Marc-André Gagnon, « Un employé de QS publie une longue réplique au livre de Catherine Dorion » , Le Journal de Québec, 13 novembre 2023. Consulté en septembre 2024.

5Référence : Olivier Bossé, « Nadeau-Dubois répond à Dorion », Le Soleil, 13 novembre 2023. Consulté en septembre 2024.

6Référence : Mathieu Dion, « Les employés de Québec solidaire sont syndiqués », Radio-Canada, 4 mars 2019. Consulté en septembre 2024.