D2024-01-003 (2)
Décision d’appel
Appelant
Kaven Benoit
Intimés
Cédric Bélanger
Le Journal de Montréal
Le Journal de Québec
Québecor Média
Date de dépôt de l’appel
Le 8 octobre 2024
Date de la décision de la commission d’appel
Le 2 décembre 2024
Date de la décision de première instance
Le 21 juin 2024
Rôle de la commission d’appel
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent évaluer si les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
Contexte
L’appelant, Kaven Benoit, qui était le plaignant en première instance, interjette appel concernant le grief d’information inexacte rejeté à l’unanimité par le comité des plaintes le 21 juin 2024. Il s’agissait du seul grief de la plainte initiale.
Le 16 janvier 2024, Kaven Benoit déposait une plainte contre Cédric Bélanger, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec concernant l’article « Le Doc Mailloux s’éteint à 74 ans », mis en ligne le 12 janvier 2024 sur les sites Internet du Journal de Montréal et du Journal de Québec.
L’article rapportait le décès du « psychiatre le plus célèbre et controversé du Québec », Pierre Mailloux. Le journaliste revenait sur sa maladie, mais aussi sur les nombreuses controverses qui ont marqué la carrière médiatique du Doc Mailloux, dont celle survenue sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle le 25 septembre 2005.
Motif de l’appelant
L’appelant conteste la décision de première instance relativement au grief d’information inexacte.
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, article 9)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments démontrant que le comité des plaintes, qui a rejeté le grief d’information inexacte, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 a) du Guide a été appliqué correctement par le comité des plaintes.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelant, Kaven Benoit, estime que le comité des plaintes a mal appliqué le principe d’exactitude en rejetant le grief d’information inexacte concernant les propos qu’aurait prononcés le Doc Mailloux lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle du 25 septembre 2005, dans l’extrait suivant :
« La plus importante est survenue quand il a affirmé, sur le plateau de Tout le monde en parle, que les Noirs et les Autochtones avaient un quotient intellectuel inférieur à la moyenne, selon une étude. »
En première instance, le comité des plaintes concluait ainsi : « Quoique la formulation utilisée par le journaliste soit différente, il n’y a pas d’inexactitude dans les propos qu’il rapporte puisqu’il ne cite pas directement le Doc Mailloux. Près de 20 ans plus tard, à l’occasion du décès du célèbre psychiatre, le journaliste résume plutôt la portée générale des propos controversés que ce dernier avait prononcés sur le plateau de Tout le monde en parle en 2005. »
Dans son appel, Kaven Benoit, qui était le plaignant en première instance, indique qu’à la lecture de la décision du Conseil de presse, « il m’appert que ce dernier n’a pas pris en compte les éléments suivants ».
« “Les” est un article défini pluriel; en français, en l’absence de plus de précision quant à la nature de “les”, cela revient à dire que “les” généralise. En paraphrasant de cette manière ce que feu “Doc Mailloux” a dit, le journaliste sous-entend que cela inclut “tous les Noirs et les Amérindiens des États-Unis d’Amérique”. »
Il ajoute : « Ce n’est pas “selon une étude”, comme l’écrit le journaliste, mais bien selon “des études américaines”. »
Concernant l’affirmation du comité des plaintes selon laquelle le journaliste résume « la portée générale » des propos controversés du Doc Mailloux, l’appelant affirme : « L’enjeu principal de la plainte consistait notamment à distinguer la portée générale (réaction du public, chroniques médiatiques, etc.) que la déclaration a suscitée de ce qu’elle contenait vraiment. Les éléments significatifs de la déclaration de feu « Doc Mailloux » sont : études américaines; ç’a été fait sur des groupes; le quotient intellectuel moyen; des Noirs et des Amérindiens; nettement inférieur à 100. »
L’appelant poursuit : « Au regard desdits éléments significatifs soulevés, le [Conseil de presse] ne peut analyser sous l’angle individuel (“personne”); il doit saisir l’aspect suivant : dans des études de groupe, il y aura inévitablement des individus qui influeront à la hausse ou à la baisse la moyenne du groupe étudié. Donc, cela n’insinue en rien que “les Noirs et les Autochtones avaient un quotient intellectuel inférieur à la moyenne”, comme paraphrasé par le journaliste. »
Concernant l’affirmation du comité des plaintes que le journaliste « s’exprime de façon générale en parlant des Noirs et des Autochtones, sous-entendant qu’il s’agit de la moyenne de ces gens qui auraient, selon les dires largement condamnés du Doc Mailloux, un quotient intellectuel inférieur à la moyenne (ou inférieur à 100) », l’appelant soutient que « [l]a présomption du [Conseil] envers ce que les lecteurs de l’article auraient ou non compris de l’extrait mis en cause est litigieuse. […] [Le Conseil] juge que les lecteurs comprennent ce que sous-entend le journaliste tandis que l’extrait mis en cause, ainsi formulé, n’offre pas une reconstitution aussi claire – quoiqu’il reste tout aussi controversé! – que les propos originaux de feu Doc Mailloux. »
Les intimés, Cédric Bélanger, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, n’ont pas formulé de commentaire au sujet de l’appel.
Contrairement à ce qu’avance l’appelant, bien qu’il utilise l’article défini « les », le journaliste n’écrit pas que « tous les Noirs et les Autochtones avaient un quotient intellectuel inférieur à la moyenne ». Il résume plutôt la portée générale des affirmations faites par le Doc Mailloux sur le plateau de Tout le monde en parle il y a près de 20 ans et ce qu’en avait alors retenu la population.
La controverse causée par le Doc Mailloux lors de son passage à la célèbre émission de Radio-Canada en 2005 n’est en effet pas le sujet principal de l’article visé par la plainte. Le journaliste ne citant pas directement les propos du psychiatre, mais résume plutôt cet épisode controversé, à l’occasion de son décès.
Ainsi, tel que l’a statué le comité des plaintes en première instance, il n’y a pas d’inexactitude dans la façon dont le journaliste résume les propos du Doc Mailloux.
Le comité des plaintes pouvait s’appuyer sur une décision antérieure d’interprétation du plaignant, comme il l’a fait, puisqu’un contexte semblable s’applique ici. Il arrive que les plaignants interprètent des propos et reprochent des informations inexactes qui ne se trouvent pas dans un article. C’était le cas dans le dossier D2020-03-035, où le grief d’information inexacte a été rejeté, et sur lequel le comité des plaintes s’est appuyé pour rendre sa décision en première instance. Dans ce dossier, le plaignant affirmait que la journaliste prétendait « faussement qu’il avait été “mandaté” pour nommer le coordinateur au développement durable ». Dans sa décision, le Conseil a fait valoir qu’« à la lecture de l’article, on constate que la journaliste n’a pas soutenu que le plaignant avait été mandaté pour nommer un nouveau coordinateur au développement durable. Elle écrit plutôt : “Kalafatidis a été mandaté pour proposer des candidats acceptables pour combler le poste vacant, mais le poste n’a jamais été comblé.” »
De la même manière, dans le cas présent, l’information que déplore le plaignant n’est pas présente dans le passage du texte visé par la plainte. Comme l’a souligné avec justesse le comité des plaintes, le journaliste se contente d’y résumer une des controverses ayant marqué la carrière médiatique du Doc Mailloux. La décision de première instance est donc maintenue et le grief d’information inexacte rejeté.
Conclusion
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance, concernant le grief d’information inexacte.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le présent dossier est clos.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public
Jacques Gauthier, président de la commission d’appel
Représentant des journalistes
Madeleine Roy
Représentant des entreprises de presse
Charles Grandmont
Décision de première instance
Plaignant
Kaven Benoit
Mis en cause
Cédric Bélanger, journaliste
Le quotidien Le Journal de Montréal
Le quotidien Le Journal de Québec
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 16 janvier 2024
Date de la décision
Le 21 juin 2024
Résumé de la plainte
Kaven Benoit dépose une plainte le 16 janvier 2024 au sujet de l’article « Le Doc Mailloux s’éteint à 74 ans », du journaliste Cédric Bélanger, publié sur les sites Internet du Journal de Montréal et du Journal de Québec le 12 janvier 2024. Le plaignant déplore de l’information inexacte.
Contexte
Le 12 janvier 2024, le journaliste Cédric Bélanger rapporte sur les sites Internet du Journal de Montréal et du Journal de Québec le décès du « psychiatre le plus célèbre et controversé du Québec ». Il écrit que « Pierre Mailloux, que tout le monde appelait le Doc Mailloux, a reçu l’aide médicale à mourir, ce matin. Il était âgé de 74 ans. »
Le journaliste revient sur la maladie du Doc Mailloux, mais aussi sur les nombreuses controverses qui ont marqué sa carrière médiatique, dont celle survenue sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle le 25 septembre 2005. Il rappelle les propos controversés alors prononcés par Pierre Mailloux, propos qui à l’époque avaient fait l’objet d’une plainte pour propos offensants auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
Le CRTC avait retenu la plainte, mentionnant que puisque l’émission était préenregistrée, « la SRC [Société Radio-Canada] aurait pu facilement éviter de diffuser les propos offensants en exigeant leur suppression de la version finale, ce qu’elle n’a pas fait ». Le CRTC ajoutait que l’émission « diffusée aux heures de grande écoute […] s’adressait à un public large » et qu’en « l’absence d’une discussion équilibrée et nuancée sur un sujet d’une telle sensibilité, les propos et déclarations antérieures du Doc Mailloux risquaient d’être perçus comme suggérant que les noirs (ainsi que les Autochtones dans ce cas) sont moins intelligents et par le fait même qu’ils ont une valeur sociale moindre ».1
Ces propos du Doc Mailloux, ainsi qu’une série d’infractions disciplinaires, avaient provoqué sa radiation du Collège des médecins pour cinq ans en 2012. Il avait fait appel de cette radiation et de l’amende qui l’accompagnait au Tribunal des professions, lequel avait maintenu sa culpabilité, mais annulé sa radiation en 2014.2
Finalement, à la suite d’une décision de la Cour d’appel qui avait maintenu les sanctions réduites que lui avait imposées le Tribunal des professions, la Cour suprême tranchait en 2017 et refusait d’entendre la contestation du controversé psychiatre et animateur Pierre Mailloux, mettant ainsi fin à cette saga judiciaire.3
Grief du plaignant
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte en rapportant les propos qu’aurait prononcés le Doc Mailloux lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle du 25 septembre 2005, dans l’extrait suivant :
« La plus importante est survenue quand il a affirmé, sur le plateau de Tout le monde en parle, que les Noirs et les Autochtones avaient un quotient intellectuel inférieur à la moyenne, selon une étude. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte.
Analyse
Le plaignant reproche au journaliste d’avoir mal rapporté les propos prononcés par le Doc Mailloux lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle du 25 septembre 2005. Il indique que le Doc Mailloux aurait plutôt dit, « selon les conclusions d’études américaines qu’il avait lues et qu’il citait, “que le quotient intellectuel moyen des Noirs et des Amérindiens était nettement inférieur à 100” ».
Le plaignant ajoute que « le quotient intellectuel moyen correspond à une donnée de groupe et non à celle d’un individu. En écrivant […] que “les Noirs et les Autochtones avaient un quotient intellectuel inférieur à la moyenne”, [le journaliste est] plutôt en train de rapporter, selon les dires [que le journaliste infère] au Doc Mailloux, que le quotient intellectuel de tous les Noirs et les Amérindiens des États-Unis d’Amérique était inférieur à la moyenne. » Mais ce n’est pas ce que le journaliste écrit.
Le plaignant considère que « par respect, […] il faudrait qu’à tout le moins soit rapporté correctement son propos, tout aussi controversé qu’il l’était en 2005, la journée de son décès ». Il ajoute qu’« il est dans notre intérêt collectif supérieur que tout un chacun puisse juger de ses propos de l’époque pour peu qu’ils soient rapportés intégralement ».
Les mis en cause n’ont pas répondu à la plainte.
La lecture de la transcription de l’épisode de Tout le monde en parle du 25 septembre 2005, en annexe de la décision 2006-565 du CRTC1, permet de constater que le Doc Mailloux, faisant référence à des études qu’il a « dans son sac », mentionne : « C’est des études américaines et ç’a été fait sur des groupes et, effectivement, ç’a démontré que le quotient intellectuel moyen des Noirs et des Amérindiens était nettement inférieur à 100. »
Quoique la formulation utilisée par le journaliste soit différente, il n’y a pas d’inexactitude dans les propos qu’il rapporte puisqu’il ne cite pas directement le Doc Mailloux. Près de 20 ans plus tard, à l’occasion du décès du célèbre psychiatre, le journaliste résume plutôt la portée générale des propos controversés que ce dernier avait prononcés sur le plateau de Tout le monde en parle en 2005.
Les définitions de « quotient intellectuel (QI) » indiquent que la moyenne de QI est pondérée à 100, avec un écart type de 15. La moyenne du QI étant fixée à 100, il revient donc au même de dire qu’une personne a un QI inférieur à la moyenne, ou qu’elle a un QI inférieur à 100.
Il arrive qu’un plaignant interprète le texte et reproche une information inexacte qui ne se trouve pas dans l’article visé par la plainte. C’était le cas dans le dossier D2020-03-035, où le grief d’information inexacte a été rejeté. Le plaignant affirmait que la journaliste prétendait « faussement qu’il avait été “mandaté” pour nommer le coordinateur au développement durable ». Dans sa décision, le Conseil a fait valoir qu’« à la lecture de l’article, on constate que la journaliste n’a pas soutenu que le plaignant avait été mandaté pour nommer un nouveau coordinateur au développement durable. Elle écrit plutôt : “Kalafatidis a été mandaté pour proposer des candidats acceptables pour combler le poste vacant, mais le poste n’a jamais été comblé.” »
De la même manière, dans le cas présent, l’information que déplore le plaignant n’est pas présente dans le texte. Le journaliste, en résumant les propos prononcés par le Doc Mailloux, n’affirme pas que ce dernier a dit que « le quotient intellectuel de tous les Noirs et les Amérindiens des États-Unis d’Amérique était inférieur à la moyenne », comme l’avance le plaignant. Il mentionne plutôt que « la plus importante [controverse impliquant le Doc Mailloux] est survenue quand il a affirmé, sur le plateau de Tout le monde en parle, que les Noirs et les Autochtones avaient un quotient intellectuel inférieur à la moyenne, selon une étude ». Il s’exprime de façon générale en parlant des Noirs et des Autochtones, sous-entendant qu’il s’agit de la moyenne de ces gens qui auraient, selon les dires largement condamnés du Doc Mailloux, un quotient intellectuel inférieur à la moyenne (ou inférieur à 100).
Note
Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Kaven Benoit visant l’article « Le Doc Mailloux s’éteint à 74 ans », du journaliste Cédric Bélanger, publié sur les sites Internet du Journal de Montréal et du Journal de Québec le 12 janvier 2024, concernant le grief d’information inexacte.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Olivier Girardeau
Représentants des journalistes
Rémi Authier
Vincent Brousseau-Pouliot
Représentants des entreprises de presse
Stéphan Frappier
Sylvain Poisson
1Référence : Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (28 septembre 2006), Décision de radiodiffusion CRTC 2006-565 : Plaintes concernant la diffusion de propos offensants sur les ondes de la Société Radio-Canada au cours de l’émission Tout le monde en parle du 25 septembre 2005. Consulté en juin 2024.
2Référence : Archambault, Héloïse. « Importante victoire du doc Mailloux contre le Collège des médecins ». Le Journal de Montréal, le 25 septembre 2014. Consulté en juin 2024.
3Référence : Crête, Mylène. « Propos sur les Noirs : l’appel de Pierre Mailloux rejeté par la Cour suprême ». La Presse, le 9 novembre 2017. Consulté en juin 2024.
4Référence : Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (28 septembre 2006).