D2024-02-011
Plaignant
Raymond Bissonnette,
père d’Alexandre Bissonnette
Mis en cause
Nicolas St-Pierre, journaliste
Le quotidien Le Journal de Québec
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 5 février 2024
Date de la décision
Le 22 novembre 2024
Résumé de la plainte
Raymond Bissonnette dépose une plainte le 5 février 2024 au sujet de l’article « Attentat à la grande mosquée de Québec : des portes ouvertes pour la 7e commémoration », du journaliste Nicolas St-Pierre, publié dans Le Journal de Québec le 25 janvier 2024 (version Web) et le 26 janvier 2024 (édition imprimée). Le plaignant déplore de l’information inexacte, du sensationnalisme et un correctif inadéquat.
Contexte
Le 25 janvier 2024, Le Journal de Québec publie sur son site Internet (et le lendemain dans son édition imprimée) un article annonçant que le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) ouvrira ses portes pour commémorer le septième anniversaire de l’attentat de la grande mosquée de Québec, qui a fait six morts et plusieurs blessés graves. Cette tuerie, survenue à Sainte-Foy le 29 janvier 2017, a été perpétrée par Alexandre Bissonnette, un étudiant québécois qui était âgé de 27 ans au moment des faits. Quelques minutes après le drame, Alexandre Bissonnette a communiqué avec la police et a reconnu avoir ouvert le feu sur des fidèles présents dans la mosquée.
En février 2019, Alexandre Bissonnette a été condamné par la Cour supérieure du Québec à purger une peine de prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans. Puis, en novembre 2020, la Cour d’appel du Québec a réduit sa sentence à 25 ans d’incarcération avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. Cette sentence a subséquemment été maintenue par la Cour suprême du Canada.
Le plaignant dans ce dossier, Raymond Bissonnette, est le père d’Alexandre Bissonnette.
Griefs du plaignant
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste Nicolas St-Pierre et Le Journal de Québec ont transmis de l’information inexacte dans le passage de l’article retranscrit ci-dessous.
« Le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) ouvre ses portes, ce week-end, pour favoriser les échanges à l’occasion de la commémoration de l’attentat terroriste perpétré le 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte.
Analyse
Le plaignant, Raymond Bissonnette, estime que le terme « terroriste » est inexact dans le passage de l’article recopié ci-dessus. Il explique : « Ma plainte concerne la qualification du crime “d’attentat terroriste” dans l’extrait. Rappelons que le 2 octobre 2017, la poursuite a déclaré qu’aucune accusation de terrorisme ne serait déposée contre Alexandre Bissonnette au motif que je cite : “La preuve a été rigoureusement analysée et les accusations portées sont le fruit et de la preuve et de l’état actuel du droit au Canada”, a indiqué le procureur Thomas Jacques, qui a précisé que l’acte d’accusation était complet. »1
Il ajoute : « De plus, dans sa décision, l’honorable juge Jean-François Huot de la Cour supérieure [du Québec] a confirmé expressément que le crime ne pouvait être qualifié de “terroriste”. À ce sujet voici quelques extraits de sa décision :
[544] “Bien que la Couronne n’ait pas, à juste titre, prétendu que les crimes équivalaient à un acte terroriste, le soussigné estime à propos, compte tenu des circonstances très particulières de la présente affaire, d’expliquer brièvement pour quelles raisons les gestes d’Alexandre Bissonnette ne peuvent être assimilés à de tels actes.”
[546] “L’article 83.01 du Code criminel définit l’activité terroriste comme un acte commis à la fois au nom d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique, en vue d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité ou de contraindre une p,ersonne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir.”
[547] “Les gestes délictuels doivent donc, pour être qualifiés de ‘terroristes’, avoir été perpétrés dans le but de promouvoir un objectif ou une cause de nature politique, religieuse ou idéologique.”
[548] “En l’espèce, l’expert Lamontagne rapporte que l’accusé entretenait des fantasmes grandioses et souhaitait accomplir un coup d’éclat pour ne pas tomber dans l’oubli. Le psychologue mentionne : ‘Il ne voulait pas se gaspiller en se contentant de se suicider’. Ainsi, Bissonnette rêvait, du moins pour les derniers instants de sa vie, d’être comme ‘Dieu’ et d’exercer un pouvoir de vie ou de mort sur les autres. Pour monsieur Lamontagne, la cause première du passage à l’acte est le désespoir et non la promotion d’une idéologie particulière.”
[549] “Le Dr Gilles Chamberland partage ce point de vue et conclut qu’Alexandre Bissonnette a tué 6 personnes et tenté d’en abattre 40 autres pour des fins strictement personnelles et non idéologiques.”
[550] “L’ensemble de la preuve corrobore l’opinion exprimée par ces deux experts.” »
(Extraits de la décision de la Cour supérieure du Québec nº 200-01-207339-171 rendue le 8 février 2019)2
Le plaignant poursuit : « Ces conclusions n’ont pas été mises en doute, ni par la Cour d’appel du Québec, ni par la Cour suprême du Canada. Ayant couvert les procédures et produit [de] multiples articles sur le drame, Le Journal de Québec ne pouvait ignorer l’absence totale de preuves et d’accusations de terrorisme ainsi que les conclusions des tribunaux à cet effet. En plus du danger, propager une telle fausseté dans Le Journal de Québec stigmatise davantage mon fils en détention et ma famille. »
Le média mis en cause, Le Journal de Québec, n’a pas souhaité formuler de commentaire au sujet de la plainte.
Le syndicat du personnel de la rédaction du Journal de Québec a répondu au nom du journaliste Nicolas St-Pierre. Son représentant, Jean-François Racine, réplique : « Le syndicat et le membre [journaliste] visé veulent d’abord exprimer leur compassion et leur sensibilité à l’égard du plaignant et de sa famille, qui ont beaucoup souffert depuis le 29 janvier 2017. Toutefois, respectueusement, le volet juridique n’est pas le seul permettant l’utilisation ou non du terme en litige dans l’article publié en 2024, sept ans après le drame. L’état du droit au Canada, en évolution constante, et le dépôt ou non d’une accusation de cette nature, ne viennent pas clore un débat aussi pointu. L’article 83.01 du Code criminel du Canada n’est pas l’unique référence en la matière. »
Le représentant du syndicat enchaîne : « En ce sens, nous soumettons qu’il n’a pas été écrit que l’auteur de la fusillade est un terroriste, mais seulement qu’il s’agit d’un acte terroriste. »
M. Racine fait valoir : « Même si la définition du terme “terrorisme” s’avère un sujet très litigieux, les spécialistes s’entendent sur le fait que le terme est grandement élastique et qu’il peut donc faire l’objet de différentes définitions et interprétations (Staiger et coll. 2008; Weinberg et coll. 2004; Fletcher 2006). »
Il ajoute : « Une “tentative de définition” de l’ONU appuie bien cette affirmation :
Le Conseil de sécurité des Nations unies, dans une résolution d’octobre 2004 (résolution 1566), précise cette définition en affirmant que les actes terroristes sont considérés comme “des actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves ou la prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un groupe de personnes ou chez des particuliers, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire.” »
Le représentant du syndicat poursuit : « La fusillade, l’une des plus meurtrières de l’histoire du Canada, a été qualifiée d’acte de terrorisme par le premier ministre fédéral Justin Trudeau, et par le premier ministre du Québec à l’époque, Philippe Couillard. À titre d’exemple, le 29 janvier 2022, le premier ministre Justin Trudeau a fait la déclaration suivante à l’occasion de la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie :
“Aujourd’hui, nous nous rappelons les six personnes qui ont perdu la vie et les 19 autres qui ont été gravement blessées au cours de l’attentat terroriste au Centre culturel islamique de Québec à Sainte-Foy.” »3
M. Racine mentionne également : « En 2019, le gouvernement Trudeau n’a pas corrigé le tir malgré une demande de la famille Bissonnette. Le ministre Ralph Goodale avait même déclaré qu’un argument sémantique n’allait pas satisfaire les Canadiens face au comportement de l’auteur de la fusillade. »4
Il soutient : « De plus, depuis 2017, la plupart des médias du Québec ont utilisé le terme en litige à de nombreuses reprises. Une simple revue de presse permet de le constater. L’emploi du terme est plutôt généralisé et le public ne conteste pas son utilisation, n’eu égard [à] la décision des tribunaux à ce sujet. Cette expression se défend et une grande partie de la population est à l’aise avec ce qualificatif. »
Le représentant du syndicat du personnel de la rédaction du Journal de Québec souligne : « En outre, le Centre culturel islamique de Québec emploie aussi ce terme, notamment dans une convocation officielle envoyée en 2024 par l’une des organisatrices.
“Les citoyennes et citoyens de la Ville de Québec sont invités à commémorer le septième anniversaire de l’attentat terroriste commis contre la Grande Mosquée de Québec le 29 janvier 2017.” »
Il poursuit : « L’acte criminel commis à ce moment visait la mort et a semé du même coup la terreur chez la population musulmane de Québec. Pour toutes ces raisons, l’inexactitude doit donc être rejetée, notamment parce qu’il s’agit d’un acte terroriste, dans le sens courant du terme. »
M. Racine conclut : « L’absence d’une accusation de cette nature devant un tribunal, qui relève du choix d’un procureur, ne peut pas être suffisante pour créer une fausseté. À ce titre, un blâme enverrait un très mauvais message à notre avis. Il s’agit simplement d’un choix d’opportunité de la poursuite, l’accusation de terrorisme relevant de la Couronne fédérale, ce qui peut modifier le cours des procédures, ainsi que leur durée. »
En réponse à la réplique du syndicat du personnel de la rédaction du Journal de Québec, le plaignant formule les commentaires suivants : « Je tiens à souligner qu’au Canada, le droit criminel est la compétence exclusive du Parlement du Canada et l’identification et la définition des crimes graves, incluant l’acte terroriste, se retrouvent dans le Code criminel du Canada. Les infractions et leurs définitions sont longuement étudiées par la législature et les parlementaires et font l’objet de nombreuses consultations avant leur adoption ou modification. Ces crimes sont très bien définis afin d’écarter toute erreur d’interprétation. L’article 83.01 du Code criminel précise que l’infraction de terrorisme doit être “commise au nom d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique”. Cette condition essentielle distingue l’infraction de terrorisme de toutes les autres. L’enquête policière exhaustive qui a eu lieu suite au crime avait comme but, entre autres, de rechercher s’il y avait des preuves de cette nature pour supporter une accusation de terrorisme. »
Le plaignant soutient également : « Le 2 octobre 2018, neuf mois après le crime, les avocats de la Couronne ont annoncé avoir complété la divulgation de la preuve et que l’acte d’accusation était complet. Le procureur représentant la Couronne et le ministère public, Me Thomas Jacques, maintenant juge à la Cour du Québec, a rencontré les médias pour expliquer pourquoi aucune accusation de terrorisme ne pouvait être portée contre Alexandre Bissonnette, et je cite :
“L’ensemble de la preuve recueillie par les divers corps policiers impliqués dans cette enquête d’envergure a été rigoureusement analysée, et les accusations portées sont le fruit et de la preuve recueillie, de la preuve disponible et de l’état actuel du droit au Canada.” »5
Le plaignant poursuit : « De plus, dans sa décision sur la sentence rendue le 8 février 2019, le juge François Huot de la Cour supérieure a pris la peine d’expliquer longuement et en détail pourquoi les actes commis par Alexandre Bissonnette ne pouvaient être qualifiés de terroristes en soulignant le bien-fondé de la décision de la Couronne de ne pas porter de telles accusations. »
« Il a aussi conclu que la preuve avait établi qu’Alexandre Bissonnette souffrait de troubles mentaux le 29 janvier 2017 et que ceux-ci ont joué un rôle dans la commission de ses actes et représentait une circonstance atténuante significative. Ces conclusions n’ont pas été remises en question ni par la Cour d’appel [ni par] la Cour suprême », souligne M. Bissonnette.
Il enchaîne : « Compte tenu des faits ci-haut mentionnés, je ne comprends réellement pas comment M. Racine peut affirmer que la décision de ne pas porter d’accusation de terrorisme était “simplement un choix d’opportunité́ de la poursuite” et “relève du choix d’un procureur”. »
Le plae Directeur valoir : « Ayant été réglé par le système judiciaire canadien, le débat concernant la nature du crime commis par mon fils est désormais clos. Il s’agit de meurtres multiples (tuerie de masse), [ce] qui n’en est pas moins horrible. »
Il rétorque également : « M. Racine semble suggérer que l’opinion personnelle d’un premier ministre ou celle d’un membre de son équipe (M. Ralph Goodale), sans preuves à l’appui, doit être considérée comme une vérité absolue plus importante qu’une conclusion des représentations de la Couronne, des tribunaux et de preuves non contredites. Il faut rappeler que le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec ne s’applique pas aux politiciens. Qu’ils aient bafoué leur propre code de déontologie est de leur responsabilité. »
Il ajoute : « En ce qui concerne la tentative de définition du terrorisme par l’ONU citée par M Racine, comme il l’a précisé, ce n’était qu’une “tentative” qui n’a jamais été adoptée et n’a aucune pertinence dans la présente plainte. Je ne sais pas à quel “débat pointu” M. Racine fait référence dans sa réplique. Il est bien possible que la définition du “terrorisme” demeure un sujet litigieux à l’ONU et que ce terme peut être “grandemeet élastique” dans certains pays. Toutefois, cela n’est pas le cas au Canada. »
Le plaignant poursuit : « Rappelons qu’en 2022, l’ONU a publié un document à l’attention des journalistes intitulé La couverture du terrorisme par les médias : manuel pour l’enseignement et la formation en matière de journalisme. Voici un extrait très pertinent :
“Même si une attaque est qualifiée de terroriste par les autorités ou par d’autres instances, cette affirmation doit être questionnée. S’agit-il de terrorisme quand il y a torture, enlèvement, séquestration, meurtre, tuerie de masse, violence arbitraire ou aveugle, etc.? Il est donc conseillé aux journalistes d’attribuer la désignation d’actes de terrorisme à ceux qui les nomment ainsi plutôt que d’employer ce terme comme s’il possédait une signification autonome et universelle.” »6
Il affirme : « M. Racine doit certainement savoir qu’un acte ou attentat terroriste est un crime très spécifique ayant une dimension transnationale, sociale et politique que d’autres crimes, aussi horribles qu’ils soient, n’ont pas. Cette fausseté peut influencer des personnes instables à commettre des actes en représailles à chaque fois qu’elle est répétée. Par expérience, nous savons bien que la possibilité de représailles n’est pas à prendre à la légère. »
« En plus de stigmatiser et de mettre en danger mon fils en milieu carcéral et nous, sa famille, la menace de représailles est toujours présente dans nos esprits et prend de l’ampleur chaque fois que quelqu’un, surtout un journaliste, répète cette contre-vérité ici ou ailleurs », ajoute M. Bissonnette.
De plus, il soutient : « Dans sa réplique, M. Racine tente aussi de faire un amalgame entre tous les crimes horribles qui peuvent être commis et le crime spécifique de terrorisme. Il est bien évident que tous [les] crimes violents sèment la terreur et laissent d’importantes séquelles psychologiques et/ou physiques chez les victimes, leurs familles ainsi que dans leurs communautés. Cependant, ces crimes ne peuvent pas tous être qualifiés d’attentats terroristes. Rappelons que les séquelles d’un crime grave ne sont pas laissées pour compte en l’absence d’accusation de terrorisme. Cet aspect important du processus judiciaire est pris en compte lors des représentations sur sentence. »
Pour appuyer son propos, le plaignant ajoute : « Voici un échantillon de meurtriers canadiens qui ont semé la terreur chez leurs victimes, leurs familles ainsi que dans leurs communautés et qui n’ont pas été accusés de terrorisme : Robert Pickton (26 meurtres), Clifford Olson (11 meurtres), Marc Lépine (14 meurtres), Elizabeth Wettlaufer (8 meurtres), Michael Wayne McGray (8 meurtres), Yves Trudeau (43 meurtres), Bruce McArthur (8 meurtres), Allen Legere (5 meurtres), William Patrick Fyfe (5 meurtres), la famille Shafia (4 meurtres), Paul Bernardo (2 meurtres), Russel Williams (2 meurtres), Justin Bourque (3 meurtres). »
Il réplique aussi : « Quant à l’argument de M. Racine à l’effet que, et je cite : “la fusillade demeure l’une des plus meurtrières de l’histoire du Canada”, l’exactitude de cette affirmation est questionnable car, la liste ci-haut démontre que la tuerie de masse commise par mon fils est loin d’être l’une des plus meurtrières de l’histoire du Canada. »
« Je suis aussi très surpris par son affirmation à l’effet qu’une grande partie de la population est à l’aise avec le qualificatif de terroriste et que le public ne conteste pas son utilisation. Quel sondage ou [quelle] méthode statistique a-t-il utilisé pour connaître l’opinion de la population? Il semble suggérer qu’un journaliste peut dire n’importe quoi au public tant qu’il n’y a pas de contestation. À quel type de contestation fait-il référence, [une] pétition, [une] manifestation? Il m’apparaît qu’il s’agit là d’opinions personnelles. »
De surcroît, le plaignant affirme : « De plus, l’affirmation suivante dans la réplique est aussi très questionable : “Depuis 2017, la plupart des médias du Québec ont utilisé le terme en litige à de nombreuses reprises. Une simple revue de presse permet de le constater.” »
« J’ai aussi effectué une revue de presse et j’ai constaté que le terme en litige a pu être utilisé par certains médias avant que tous les faits soient connus. Cependant, depuis le jugement de la Cour supérieure du 8 février 2019 et celui de la Cour suprême le 27 mai 2022, les qualificatifs utilisés sont, par exemple : attentat à la mosquée, attaque à la mosquée, tuerie à la mosquée, tuerie de masse, fusillade. Les médias anglophones utilisent des termes comme : mosque attack, mosque shooting, mass shooting, deadly attack. J’ai [dressé] une liste d’articles publiés par les grands journaux du Québec et du Canada anglais lors des 5e (2022), 6e (2023) et 7e (2024) commémorations. Dans tous ces articles, aucun journaliste n’utilise le qualificatif de terrorisme, acte terroriste ou attentat terroriste pour qualifier le crime. »
Sens juridique ou sens commun?
Avant d’examiner les aspects déontologiques du présent dossier, il importe d’entrée de jeu de souligner que, sur le plan juridique, le plaignant a parfaitement raison de faire valoir qu’Alexandre Bissonnette n’a fait l’objet d’aucune accusation de terrorisme en lien avec l’attentat de la grande mosquée de Québec survenu le 29 janvier 2017. C’est à juste titre que le plaignant rappelle que le tribunal a décrété que les actes perpétrés par Alexandre Bissonnette ne constituaient pas un acte terroriste, mais plutôt une tuerie de masse.2 Il est également légitime de la part du plaignant de préciser qu’au sens du Code criminel du Canada, pour qu’un acte délictuel soit qualifié de terrorisme, il doit avoir été commis « dans le but de promouvoir un objectif ou une cause de nature politique, religieuse ou idéologique », et que la preuve présentée par la Couronne dans l’affaire Alexandre Bissonnette n’a pas mené le tribunal à tirer une telle conclusion.
Toujours sur le plan juridique, il est pertinent de signaler que le juge qui a prononcé la sentence d’Alexandre Bissonnette ne s’est pas penché sur des preuves soumises à la suite d’accusations de terrorisme puisque le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n’a pas déposé de chef d’accusation d’une telle nature.
En ce qui a trait aux considérations déontologiques liées à l’emploi de l’expression « attentat terroriste » dans l’article du Journal de Québec que nous examinons ici, attardons-nous d’abord à la distinction importante entre le sens juridique et le sens courant d’un terme. Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française (OQLF) définit le « sens juridique »7 de la manière suivante : « À propos d’un mot ou terme, sens particulier qu’il a en droit, souvent par opposition à son sens courant, lequel dépend essentiellement de l’usage. »
En inscrivant notre réflexion dans cette logique, la définition d’une « activité terroriste » tel qu’entendue par l’article 83.01 (1) du Code criminel du Canada (en l’occurrence : « un acte commis à la fois au nom d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique, en vue d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir »8) n’est pas la seule et unique possible.
Au sens courant, hors du contexte juridique, il existe d’autres définitions plus larges et moins restrictives du terme. À titre d’exemple, le Grand dictionnaire terminologique de l’OQLF décrit le terrorisme ainsi : « Ensemble des actes commis contre des biens ou des personnes, le plus souvent des civils, par une organisation qui se réclame d’une cause (politique, religieuse, etc.), dans le but de semer la terreur par la violence ou l’intimidation. » Le dictionnaire Larousse, quant à lui, définit le nom commun « terrorisme » comme un « ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par une organisation ou un individu pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système ».
Par ailleurs, n’oublions pas que le rôle d’un journaliste est de rendre compte de la réalité qui l’entoure. Le sujet de l’article en cause dans le présent dossier était la commémoration de l’attentat de la grande mosquée par la communauté musulmane de la ville de Québec et non une analyse de la sentence d’Alexandre Bissonnette sur le plan juridique.
Or, plusieurs membres de la communauté musulmane qui ont vécu les contrecoups de cette tragédie ont perçu cette tuerie comme un acte terroriste. Voici comment Le Soleil a rapporté leurs propos lors des observations sur la peine d’Alexandre Bissonnette, le 19 avril 2018 (soulignements du Conseil) :
« Boufeldja Benabdallah, 70 ans, président du Centre culturel islamique de Québec, a toujours regardé le juge jeudi matin en lisant son témoignage. Mais il a choisi d’adresser sa lettre au meurtrier de 28 ans, assis à deux mètres derrière lui.
En semant la terreur à la Grande Mosquée du chemin Sainte-Foy, le tireur a anéanti un lieu de convergence, a détruit “de précieux moments d’humanité”, souligne M. Benabdallah.
“Vous avez ciblé un lieu sacré et une composante musulmane de la société; sachez que dans mon livre à moi, vous avez accompli un acte terroriste.”
Mohamed Labidi, président du Centre culturel islamique lors de la tragédie, a aussi prononcé le mot terrorisme, qui est sur les lèvres de tous les témoins même s’il ne fait pas partie de l’acte d’accusation d’Alexandre Bissonnette. Prise pour cible dans son lieu de culte, la communauté musulmane a vécu l’attaque comme un acte terroriste, dit M. Labidi. “C’est une pensée fanatique et haineuse qui a nourri l’acte de Bissonnette sur Internet et dans les médias sociaux”, souligne M. Labidi. »9
Sur le plan politique maintenant, le premier ministre du Canada Justin Trudeau et l’ex-premier ministre du Québec Philippe Couillard ont utilisé le qualificatif « terroriste » pour rendre compte de cet attentat. Les deux premiers ministres ont d’abord utilisé ce terme à chaud, dans les heures et jours suivant l’attentat, avant la tenue du procès d’Alexandre Bissonnette. Ils ont cependant persisté et continué à utiliser ce qualificatif bien après le procès et la sentence de 2019.
Le 29 janvier 2022, à l’occasion de la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie, le premier ministre du Canada a fait la déclaration suivante (soulignements du Conseil) :
« Aujourd’hui, nous nous rappelons les six personnes qui ont perdu la vie et les 19 autres qui ont été gravement blessées au cours de l’attentat terroriste au Centre culturel islamique de Québec à Sainte-Foy.
À l’occasion du cinquième anniversaire de cette tragédie, nous soulignons également la première Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie. En ce jour, nous rendons hommage aux victimes de cet acte de terrorisme motivé par la haine, qui ont été tuées de manière insensée dans un accès d’intolérance, d’islamophobie et de racisme. Nous sommes solidaires des survivants et des personnes blessées, des familles et amis qui ont perdu un être cher ainsi que de toutes les communautés de Québec et du Canada tout entier dont la vie a changé à jamais. […] »3
Quant au premier ministre du Québec qui était en fonction lors de l’attentat, Philippe Couillard, il a tenu des propos analogues en 2017 et en 2022, comme le rappelle cet article de La Presse publié le 28 janvier 2022 (soulignements du Conseil) :
« Du terrorisme, maintient Couillard
“Le Québec est frappé par le terrorisme.”
Ces mots, c’étaient ceux prononcés par Philippe Couillard lors d’une conférence de presse organisée en urgence dans la nuit du 29 au 30 janvier 2017. Cinq ans plus tard, l’ancien premier ministre croit encore fermement que l’attentat de la grande mosquée relevait du terrorisme.
“Il est clair que ces gens-là ont été assassinés d’abord et avant tout parce qu’ils étaient dans une mosquée et de religion musulmane.” –Philippe Couillard, ex-premier ministre du Québec
La Couronne avait décidé de ne pas porter d’accusations de terrorisme contre Alexandre Bissonnette. Une telle accusation n’aurait pas eu le potentiel d’alourdir la peine du tueur. Il était aussi très difficile de faire la preuve hors de tout doute raisonnable de la motivation du crime.
“C’était un geste qui visait à frapper l’imaginaire. Je pense qu’entre la définition purement légale et la définition factuelle, on peut s’entendre que ça revient à ça, estime M. Couillard en entrevue. Tout pointait vers ça. Ç’aurait été faire preuve d’inconscience de ne pas prendre note tout de suite des circonstances spécifiques que ça représentait.” »10
Sur le plan social, il est indéniable que le sens commun du mot « terroriste » est répandu pour qualifier cette fusillade. Le site Internet Wikipédia, qui se décrit comme une « encyclopédie en ligne » nourrie par le grand public, a une page consacrée à l’attentat de la grande mosquée de Québec. À ce jour (novembre 2024), elle débute ainsi : « L’attentat terroriste de la grande mosquée de Québec est une tuerie de masse survenue au Centre culturel islamique de Québec, au Canada, le 29 janvier 2017. »11 À noter que le Conseil utilise ici Wikipédia pour démontrer l’utilisation du qualificatif « terroriste » dans le langage courant et non comme source d’information officielle.
Par ailleurs, plusieurs médias, dont La Presse10 et Radio-Canada13, ont, encore en 2024, utilisé le terme « terroriste » pour décrire la tragédie, reflétant une interprétation sociale possible, qui ne se limitait pas strictement au sens juridique entendu par le Code criminel.
Toujours d’un point de vue social, le qualificatif « terroriste » pour décrire cet attentat a été interprété, au sens plus large, comme un « acte de terreur ». Certains ont relevé le contraste entre les sens commun et juridique. Par exemple, la chroniqueuse Lise Ravary écrivait, le 3 mai 2019, dans Le Journal de Montréal (soulignements du Conseil) :
« Je ne vois pas de meilleure définition que “terroriste”. Comme je me permets de dire qu’il s’agissait d’un attentat “islamophobe”.
Mais la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a choisi de ne pas inculper Bissonnette pour terrorisme, parce que la peine pour meurtre prémédité est la plus sévère de toutes et que le terrorisme est difficile à prouver.
En faisant ce choix, la DPCP a facilité la condamnation d’Alexandre Bissonnette. Y’a pas de complot.
Au sens strict de la loi, il n’est pas un terroriste. Théoriquement, nous ne devrions pas utiliser ce mot pour parler de Bissonnette, par respect pour le jugement. Mais l’exception exige parfois d’appeler un chat, un chat.
Le nier, c’est comme nier que l’attentat du Métropolis était un attentat politique contre Pauline Marois. »13
Un autre exemple est le criminologue Stéphane Leman-Langlois, qui a affirmé au Devoir, le 7 octobre 2017 : « Personnellement, je n’ai pas d’hésitation à dire qu’il s’agit d’un geste terroriste, mais ce n’est pas évident d’en faire la preuve du point de vue légal. »14
Considérant que le terme « terrorisme » (ou « terroriste ») pour décrire un attentat peut être communément défini de manière plus générale et que son utilisation sur le plan social est plus large qu’au sens strict de la Loi, il n’était pas inexact d’employer l’expression « attentat terroriste » dans le contexte de l’article en cause, qui portait sur les commémorations de l’attentat et non sur le prononcé de la sentence d’un point de vue légal. Certes, il est possible de faire référence à la tuerie de la grande mosquée de Québec comme à un « attentat », une « fusillade » ou une « tuerie de masse » sans utiliser le terme « terroriste », ce qui éviterait toute confusion entre le sens juridique de la sentence d’Alexandre Bissonnette et le sens courant employé par plusieurs dans la société. Nous ne pouvons d’ailleurs qu’inviter les journalistes à faire preuve de prudence avant de qualifier un acte de « terroriste ». Ce mot a une grande portée qu’il est important de soupeser. Cependant, en dépit du souhait de la famille d’Alexandre Bissonnette de voir le qualificatif « terroriste » retiré pour décrire cet attentat, on ne peut conclure à un manquement au principe déontologique d’exactitude dans le cas présent puisqu’il s’agit d’un terme qui laisse place à l’interprétation, tout dépendant s’il est utilisé au sens courant ou au sens strictement juridique.
Dans la décision D2022-01-077, le Conseil a rejeté un grief d’information inexacte, indiquant que le terme visé par le plaignant ne pouvait être interprété exclusivement au sens strict. Le plaignant visait l’utilisation du qualificatif « antitout » pour désigner le convoi des camionneurs qui manifestaient dans la ville d’Ottawa au début de l’année 2022. Considérant le contexte des restrictions gouvernementales liées à la pandémie, l’emploi du terme « antitout » n’était pas inexact dans l’expression « Des camionneurs “antitout” ». Ce mot ne devait donc pas être interprété stricto sensu, comme le suggérait le plaignant, mais au sens plus large du terme, témoignant des revendications variées du convoi des camionneurs qui manifestaient dans la ville d’Ottawa. Leurs revendications sont d’ailleurs énumérées au fil de l’article. On peut y lire que les manifestants réclamaient la fin des « règles sanitaires », du « port [obligatoire] du masque », de la « vaccination des enfants », de même que la « démission » du Parti libéral du Canada.
D’autre part, concernant le vocabulaire utilisé par les journalistes, la décision antérieure D2017-03-051 rappelle que « le Conseil a maintes fois statué qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur autorité et de leur discrétion rédactionnelles. Les médias et les journalistes doivent cependant peser l’emploi des mots qu’ils utilisent, être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur dans l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations ou encore l’exacte signification des événements. » Dans ce dossier, la plaignante estimait qu’il était inexact d’employer le verbe « limoger » pour qualifier le congédiement d’une employée municipale. Or, la définition que le dictionnaire Larousse donne de ce verbe – « Priver quelqu’un de son poste, de ses fonctions, en le déplaçant ou en le destituant » – reflétait bien la réalité de la situation, a jugé le Conseil, qui a rejeté le grief d’information inexacte.
A contrario, dans le dossier D2020-06-085, le Conseil a retenu un grief d’information inexacte pour l’utilisation du terme « meurtre » dans un article portant sur l’arrestation d’un homme, survenue deux jours plus tôt à Atlanta, en Géorgie, lors d’un contrôle d’alcoolémie, qui s’est conclue par la mort de celui-ci après qu’un policier a tiré dans sa direction. Dans ce dossier, le Conseil a étudié plusieurs définitions du terme meurtre, tant celles provenant du langage courant que du langage juridique. Le Conseil explique ainsi sa décision : « Les définitions du terme “meurtre” ont toutes une chose en commun : la notion de tuer volontairement. Il est vrai que les termes “meurtre” et “homicide” sont parfois interchangeables. Par exemple, un homicide peut être qualifié de meurtre s’il est volontaire. Les deux termes sont alors synonymes. Cependant, un homicide peut aussi être involontaire; dans ce cas, il ne peut être qualifié de meurtre. […] Dans le cas présent, l’utilisation du terme “meurtre” induit le public en erreur, car il donne aux faits relatés une signification qu’il est prématuré d’établir. Au moment où l’article a été publié en français, on ne savait pas si le policier avait eu l’intention de tuer le fugitif. »
Dans le dossier qui nous occupe, cependant, le mot « terroriste » utilisé pour décrire l’attentat commémoré par la communauté musulmane n’induit pas le public en erreur puisqu’au sens courant, il peut décrire un acte de violence lié à la religion qui sème la terreur auprès d’une communauté. Encore une fois, le terme n’était pas utilisé ici pour expliquer la sentence du meurtrier, mais pour décrire l’attentat tel que commémoré.
En ce qui a trait aux diverses interprétations possibles d’un même terme, il apparaît pertinent de faire également mention de la décision D2017-01-007. Dans ce dossier, bien que le plaignant estimait que le terme anglais « fled » était inexact, le Conseil a expliqué que le plaignant interprétait le terme d’une certaine façon, mais que le journaliste n’avait pas commis de faute en l’utilisant comme il l’avait fait : « Par ailleurs, en regard du fait que M. Rolland aurait “fui” l’hôpital, le Conseil estime que, bien que le mot “fled” puisse avoir une connotation de devoir s’échapper d’urgence, il signifie aussi quitter une situation insupportable ou choisir de s’extirper d’une situation désagréable. Dans le présent cas, le Conseil juge que la journaliste rapportait la situation telle que l’a vécue M. Rolland et, dans les circonstances, il n’y voit aucun manquement déontologique. Le grief d’information inexact est rejeté. »
En somme, bien que le Conseil comprenne le point de vue du plaignant, comme le qualificatif « terroriste » pouvait être utilisé au-delà de son sens strictement légal, que diverses interprétations de ce terme sont possibles et que son sens courant dans le langage commun diffère de son sens juridique, le grief d’information inexacte est rejeté.
Enfin, le Conseil a constaté que Le Journal de Québec avait retiré le qualificatif « terroriste » du paragraphe de l’article en cause lorsque le plaignant a fait part de ses doléances au Journal, avant le dépôt de sa plainte. Cette modification relève de la prérogative du média mais n’était pas requise dans le contexte où il n’y avait pas de manquement déontologique.
Grief 2 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste Nicolas St-Pierre et Le Journal de Québec ont déformé la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements, dans le passage de l’article retranscrit ci-dessous.
« Le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) ouvre ses portes, ce week-end, pour favoriser les échanges à l’occasion de la commémoration de l’attentat terroriste perpétré le 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec. »
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
Le plaignant considère que l’utilisation du terme « terroriste » est sensationnaliste dans le passage de l’article recopié ci-dessus. Il soutient : « En plus d’être fausse, la qualification d’attentat terroriste, écrite dans le “chapeau” en caractères gras, est aussi utilisée à des fins sensationnalistes dans le but d’attirer l’attention du lecteur. Contrairement à d’autres crimes aussi horribles, il est reconnu que le crime de terrorisme comporte des dimensions transnationales, politiques et idéologiques qui lui sont propres et que la possibilité de représailles et de mimétisme est bien documentée. […] En plus du danger, propager une telle fausseté dans Le Journal de Québec stigmatise davantage mon fils en détention et ma famille. »
À titre contextuel, il ajoute : « Les événements suivants illustrent comment il est facile pour des personnes influencées par des nouvelles sensationnalistes lancées sans preuve de facilement confondre faussetés et vérité :
- En avril 2017, un individu est venu d’Angleterre pour venger ce qu’il croyait faussement être un attentat terroriste, a proféré des menaces de mort contre ma famille et mon fils en détention. Arrêté à une dizaine de kilomètres de ma résidence, l’individu a plaidé coupable et a été renvoyé vers son pays.15
- Le 15 mars 2019, à Christchurch [en Nouvelle-Zélande], un forcené a mis un manifeste terroriste en ligne et écrit des noms de terroristes sur son arme avant d’assassiner 48 personnes. Croyant faussement qu’Alexandre Bissonnette était un terroriste, il avait aussi inscrit son nom dans la liste.16
- Le 17 mars 2019, lors d’une vigile à Montréal pour les victimes de Christchurch, les opinions sans fondement ont été répétées, soit : “À des milliers de kilomètres de distance du Québec, un terroriste nous a envoyé le message en écrivant sur son arme le nom de notre assassin, de notre terroriste, Alexandre Bissonnette, s’est indigné l’imam Guillet. […] Nous sommes en train d’exporter la haine, la violence et le terrorisme.”17
- Par le passé, nous avons reçu des messages très haineux venant de partout nous accusant d’être les parents d’un terroriste et nous avons dû en informer la police. »
Le plaignant conclut : « Le journaliste et Le Journal de Québec devraient faire preuve de prudence avec un sujet si volatile et respecter les conclusions claires du système judiciaire canadien. Je crois toujours que les faits et la vérité comptent. »
Jean-François Racine, représentant du syndicat du personnel de la rédaction du Journal de Québec, rétorque : « Le grief de sensationnalisme doit également être rejeté puisque le simple terme en litige ne constitue pas une déformation ou une exagération des événements. Les faits parlent d’eux-mêmes. »
Ayant pris connaissance de la réplique du syndicat du Journal de Québec, le plaignant ajoute : « Répéter faussement que mon fils a commis un “attentat terroriste” envoie le message au monde entier qu’il est un véritable terroriste et suggère implicitement que le Québec est aux prises avec un problème de terrorisme. Au lieu de donner un élan à une fausse affirmation, aussi lourde de conséquences, par pur sensationnalisme, le journaliste et son employeur auraient intérêt à s’en tenir aux faits et qualifier le crime selon les conclusions juridiques soit : “tuerie de masse”. »
On ne peut pas conclure ici que le journaliste Nicolas St-Pierre a déformé la réalité ni qu’il a exagéré ou interprété abusivement la portée réelle des faits ou des événements. Dans le cas présent, le mot « terroriste » était utilisé non pas au sens strictement juridique du terme, mais au sens commun, qui se veut plus large.
Ce cas comporte certaines similitudes avec le dossier D2017-09-109, dans lequel le plaignant reprochait l’emploi du terme « motard » dans un passage de l’article en cause. Il estimait que le journaliste avait fait preuve de sensationnalisme, car cette expression sous-entendait, selon lui, qu’il s’agissait de « motards criminels », alors qu’il n’en était rien. Le Conseil a rejeté le grief de sensationnalisme, car il a constaté que le mot « motard » a « un sens plus large que celui associé aux criminels ». Il a donc jugé que « le journaliste pouvait utiliser le terme “motard” sans exagérer la portée réelle des faits ».
Il en va de même dans le grief à l’étude ici. Étant donné que le qualificatif « terroriste » peut être utilisé dans un contexte plus général que la définition qui lui est conférée par le Code criminel, on ne constate aucune manifestation de sensationnalisme. C’est pourquoi le grief est rejeté.
Grief 3 : correctif inadéquat
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 28 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Le Journal de Québec a manqué à son devoir de correction des erreurs.
Décision
Le Conseil rejette le grief de correctif inadéquat.
Analyse
Le Conseil n’ayant constaté aucun manquement déontologique aux griefs précédents, le média n’avait pas à effectuer de correctif à l’article publié.
Note
Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte. Il a toutefois tenu compte des explications de Jean-François Racine, président du syndicat du personnel de la rédaction du Journal de Québec, dans son analyse des griefs et sa décision.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Raymond Bissonnette visant l’article « Attentat à la grande mosquée de Québec : des portes ouvertes pour la 7e commémoration », du journaliste Nicolas St-Pierre, publié dans Le Journal de Québec le 25 janvier 2024 (version Web) et le 26 janvier 2024 (édition imprimée), concernant les griefs d’information inexacte, de sensationnalisme et de correctif inadéquat.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes
Vincent Brousseau-Pouliot
Sylvie Fournier
Représentants des entreprises de presse
Sophie Bélanger
Éric Grenier
1Référence : Gabriel Béland, « Attentat à Québec : Alexandre Bissonnette ne sera pas accusé de terrorisme », La Presse, 2 octobre 2017. Consulté en novembre 2024.
2Référence : CanLii, « R. c. Bissonnette, 2019 QCCS 354 » (Cour supérieure du Québec, décision nº 200-01-207339-171), 8 février 2019. Consulté en novembre 2024.
3Référence : Premier ministre du Canada Justin Trudeau, « Déclaration du premier ministre à l’occasion de la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie », 29 janvier 2022. Consulté en novembre 2024.
4Référence : Émile Bergeron, « Alexandre Bissonnette un “terroriste” : Ottawa ne semble pas vouloir corriger le tir », Le Journal de Montréal, 26 avril 2019. Consulté en novembre 2024.
5Référence : Caroline Plante (La Presse canadienne), « Attentat de Québec : Alexandre Bissonnette n’aura pas droit à une enquête préliminaire », Le Devoir, 3 octobre 2017. Consulté en novembre 2024.
6Référence : Jean Paul Marthoz et Khalid Aoutail, « La couverture du terrorisme par les médias : manuel pour l’enseignement et la formation en matière de journalisme », UNESCO, Bibliothèque numérique UNESDOC, 2022. Consulté en novembre 2024.
7Référence : Grand dictionnaire terminologique, rubrique « sens juridique », Office québécois de la langue française (OQLF), 2018. Consulté en novembre 2024.
8Référence : Gouvernement du Canada, Code criminel, article 83.01 (1) « activité terroriste », 1985. Consulté en novembre 2024.
9Référence : Isabelle Mathieu, « Alexandre Bissonnette a détruit “de précieux moments d’humanité” », Le Soleil, 19 avril 2018. Consulté en novembre 2024.
10Référence : Gabriel Béland, « Attentat de la grande mosquée de Québec – Un film d’horreur sans fin », La Presse, 28 janvier 2022. Consulté en novembre 2024.
11Référence : Wikipédia (site Web en version française), page « Attentat de la grande mosquée de Québec ». Consulté en novembre 2024.
12Référence : Dossier « Attentat dans une mosquée à Québec », Radio-Canada. 30 janvier 2024. Consulté en novembre 2024.
13Référence : Lise Ravary, « Bissonnette, le terroriste? », Le Journal de Montréal, 3 mai 2019. Consulté en novembre 2024.
14Référence : Améli Pineda, « Attentat de Québec : pourquoi l’accusation de terrorisme a-t-elle été écartée? », Le Devoir, 7 octobre 2017. Consulté en novembre 2024.
15Référence : Nicolas Lachance (Agence QMI), « Il traverse l’Atlantique pour s’attaquer à la famille d’Alexandre Bissonnette », TVA Nouvelles, 18 avril 2017. Consulté en novembre 2024.
16Référence : Nicolas Bérubé, « Nouvelle-Zélande : Alexandre Bissonnette se dit “troublé” », La Presse, 15 mars 2019. Consulté en novembre 2024.
17Référence : Article non signé, « Vigile montréalaise pour les victimes du double attentat de Christchurch », Radio-Canada, 17 mars 2019. Consulté en novembre 2024.