D2024-02-012

Plaignant

Maxime Bernier,

chef du Parti populaire du Canada (PPC)

Mis en cause

Émission « La Joute »

TVA Nouvelles et LCN

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 6 février 2024

Date de la décision

Le 27 septembre 2024

Résumé de la plainte

Maxime Bernier dépose une plainte le 6 février 2024 au sujet d’un segment de l’émission « La Joute » diffusée à TVA Nouvelles le 11 janvier 2024. Le plaignant déplore de l’information incomplète et des illustrations ne reflétant pas l’information présentée.

Contexte

Du 4 au 9 janvier 2024, la société canadienne de sondage Abacus Data a mené une enquête nationale auprès de 1 500 adultes concernant des sujets liés à la politique canadienne et à l’actualité. Une partie des questions portaient sur les intentions de vote au niveau fédéral. Les résultats ont été diffusés sur le site d’Abacus Data le 11 janvier 2024, sous le titre « Conservatives lead by 17 over Liberals in latest Abacus Data poll ».1 Ce sondage n’était pas réalisé dans un contexte électoral.

L’émission quotidienne « La Joute », animée par Paul Larocque, est diffusée en direct, du lundi au vendredi. Elle présente l’opinion d’analystes sur des sujets d’actualité et de politique québécoise, canadienne et internationale. L’édition du 11 janvier visée par la plainte traite notamment de la publication des résultats de ce sondage, le jour même. 

La plainte vise le segment diffusé entre 44 min 45 sec et 50 min 10 sec qui porte sur le « premier sondage de la saison 2024 » d’Abacus Data. Le thème du segment est l’écart considérable entre les conservateurs (41 %) et les libéraux (24 %) dans les intentions de vote. Le début du segment est sous-titré : « Politique fédérale : les conservateurs loin devant les libéraux ».

Durant ce segment de l’émission, un tableau et un graphique présentent les intentions de vote pour les partis suivants : le Parti conservateur, le Parti libéral, le Nouveau Parti démocratique, le Bloc québécois et le Parti vert. Ces illustrations apparaissent à l’écran durant une trentaine de secondes. Elles peuvent être vues à 20 secondes du segment de 5 min 26 sec.

Le plaignant dans ce dossier est Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada (PPC), dont les intentions de vote ne figurent pas dans les illustrations présentées dans ce segment de l’émission. Le PPC est un parti fédéral fondé en 2018 qui n’a aucun député à la Chambre des communes.

Griefs du plaignant

Grief 1 : information incomplète

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont omis une information essentielle à la bonne compréhension du sujet en ne présentant pas les intentions de vote pour le Parti populaire du Canada dans le tableau et le graphique qui accompagnaient le panel de discussion lors de l’émission « La Joute ». 

Décision

Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’information incomplète.

Analyse

Le plaignant reproche à TVA et LCN d’avoir diffusé « les résultats d’un sondage Abacus qui donnait une fausse représentation de la réalité en excluant le Parti populaire du Canada , autant dans le tableau que le graphique qui l’accompagnaient ».

Selon le plaignant, « les données originales de ce sondage montraient que le PPC obtenait 5 % des appuis. L’appui relativement faible au PPC ne pouvait constituer une raison de l’exclure puisque TVA a inclus dans son tableau les données du Parti vert, dont l’appui était moindre à 4 % ».

Le plaignant ajoute que « cette distorsion d’une information cruciale sur la situation politique au Canada a eu pour effet de minimiser indûment la popularité du PPC en donnant l’impression qu’elle est trop marginale pour être mentionnée, et de cacher à [l’]auditoire l’existence d’une option politique légitime et appuyée par un électeur canadien sur vingt ».

Les mis en cause n’ont pas souhaité répondre à la plainte.

Le tableau et le graphique faisant l’objet de la plainte sont titrés « Intentions de vote ». Le tableau présente, en pourcentage, les intentions de vote pour le Parti conservateur, le Parti libéral, le Nouveau Parti démocratique, le Bloc québécois et le Parti vert. 

Un graphique circulaire (aussi appelé « tarte » ou « camembert ») accompagne le tableau. Il présente cinq pointes représentant les cinq partis cités précédemment, ainsi qu’une pointe représentant la catégorie « Autres », pour les options qui ne récoltent pas un pourcentage significatif des intentions de vote (moins de 1 %). 

Comme le souligne le plaignant, les intentions de vote pour le PPC n’apparaissent ni dans le graphique ni dans le tableau diffusés lors de l’émission. Or, ce même sondage Abacus du jour, qui est le sujet de ce segment de l’émission, présentait bel et bien des intentions de vote pour le PPC : ces intentions étaient, selon ce sondage, de l’ordre de 5 %. Ces données apparaissent dans le tableau intitulé « Federal vote intention », présent dans le rapport d’Abacus Data publié le 11 janvier 2024.2

Selon ce tableau d’Abacus Data, les intentions de vote se répartissaient ainsi : 

  • Parti conservateur : 41 % 
  • Parti libéral : 25 % 
  • Nouveau Parti démocratique : 18 % 
  • Bloc québécois : 7 % 
  • Parti vert : 4 % 
  • Parti populaire du Canada : 5 % 
  • Autres : 0 %

Pour évaluer s’il y a eu incomplétude, il faut déterminer si, dans le traitement d’un sujet, les éléments essentiels à sa bonne compréhension y sont présentés, tout en respectant la liberté éditoriale du média. 

Cette liberté éditoriale permet aux médias de présenter les graphiques qu’ils jugent pertinents pour expliquer l’information. Par exemple, un média pourrait choisir de ne présenter, dans un tableau, que trois partis principaux qui seraient loin devant tous les autres dans les intentions d’une situation donnée, ou bien de ne présenter que les intentions de vote pour les partis qui sont déjà au Parlement. Tant que ce choix est expliqué au public, il peut se justifier. Cette explication permet de compléter l’information et offre  donc au public l’occasion de bien comprendre le sujet.

Dans le cas présent, le sujet du segment est qu’un nouveau sondage présente les intentions de vote des Canadiens. L’angle retenu est l’avance des conservateurs sur les libéraux, le parti au pouvoir. Néanmoins, en présentant les intentions de vote de cinq partis, dont le Parti vert qui récoltait moins d’intentions de vote (4 %) que le PPC (5 %), qui ne figure pas au tableau, l’information est incomplète.

Afin de présenter un portrait fidèle des intentions de vote des Canadiens et de permettre au public de visualiser l’ensemble des formations politiques recueillant des intentions de vote au niveau fédéral, le média aurait dû inclure les intentions de vote pour le PPC, ou bien expliquer le choix éditorial qui avait pour conséquence l’absence de ce parti qui présentait une plus grande part des intentions de vote qu’un autre parti qui, quant à lui, figurait au tableau. 

Il est possible que le média ait fait le choix de ne pas présenter les intentions de vote du PPC, par exemple pour ne présenter que les partis ayant des députés à la Chambre des communes, mais il est impossible pour le public de le savoir. Si le média a fait un tel choix, il aurait fallu qu’il l’explique aux téléspectateurs.

On pourrait penser que, puisque l’angle de ce segment était qu’un nouveau sondage plaçait le Parti conservateur de Pierre Poilievre devant les libéraux de Justin Trudeau dans les intentions de vote, les intentions de vote du PPC étaient si périphériques qu’il n’était pas nécessaire de les montrer. Cependant, en montrant les graphiques avec les intentions de vote de cinq partis sans expliquer l’absence du PPC, il y avait une incomplétude dans cet aspect spécifique des graphiques présentés.

Le Conseil a déjà statué qu’il faut étudier le sens précis d’un passage et non pas seulement le contenu dans son ensemble. Dans la décision D2021-05-091 (2), qui portait sur une modification à une contribution du public, la commission d’appel a rappelé que même si une erreur dans une phrase ne change en rien le sujet global qui est traité, il reste qu’il y a une erreur. « Il ne suffit pas de constater le sens de la lettre dans son ensemble, il faut étudier précisément le passage visé par le plaignant. Car si le sens général de la lettre signée par Clément Fontaine n’a effectivement pas été altéré par la modification du mode du verbe, le sens de la phrase visée a, lui, bel et bien été modifié. »

De la même manière, dans le cas présent, il ne suffit pas de considérer uniquement les discussions entre les panélistes lors de l’émission; il faut tenir compte des informations présentées à l’écran, qui initient la discussion portant sur l’avance des conservateurs sur les libéraux. Ces informations présentées dans les deux graphiques sont en l’occurrence incomplètes puisque les intentions de vote pour le PPC n’y sont pas présentées, pas plus qu’il n’y a de précision sur le choix des partis présentés par le média dans son tableau. 

Grief 2 : illustrations ne reflétant pas l’information

Principe déontologique applicable

Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le tableau et le graphique présentés durant l’émission « La Joute » reflètent l’information à laquelle ils se rattachent.

Décision

Le Conseil rejette le grief d’illustration ne reflétant pas l’information.

Analyse 

Le plaignant reproche à « TVA [d’avoir] diffusé les résultats d’un sondage Abacus qui donnait une fausse représentation de la réalité en excluant le Parti populaire du Canada, autant dans le tableau que le graphique qui l’accompagnaient ». Il indique que « les données originales de ce sondage montraient que le PPC obtenait 5 % des appuis ».

Le tableau et le graphique montrés à l’écran, quoiqu’incomplets, font référence aux informations qui sont transmises durant l’émission. Ils présentent les récentes intentions de vote pour les partis fédéraux. C’est à partir de ces intentions de vote que les discussions du panel s’orientent sur l’avance des conservateurs et la dégringolade des libéraux.

Le principe déontologique qui nous concerne ici soutient que les illustrations doivent refléter l’information à laquelle elles se rattachent. Il arrive qu’une illustration erronée ne représente pas l’information dont il est question. Par exemple, dans le dossier D2018-12-120, le Conseil a retenu un grief de photo inadéquate pour une image montrant une arme de poing : « Les armes de poing, comme les revolvers ou les pistolets, sont des armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte qui doivent à ce titre être enregistrées auprès du Programme canadien des armes à feu de la Gendarmerie royale du Canada. » Or,  l’article en cause portait sur le registre québécois des armes à feu.  Le Conseil a estimé que cette photo ne reflétait « pas l’information à laquelle elle se rattach[ait et] indui[sait] le public en erreur quant aux types d’armes qui doivent être immatriculées au nouveau registre québécois. Par conséquent, [il a jugé] que le média a commis une faute déontologique en associant cette photo à l’article. »

Dans le cas qui nous concerne, le graphique et le tableau, bien que jugés incomplets, illustrent les discussions qui ont cours lors du panel de discussion. L’information traitée dans ce passage de l’émission est le nouveau sondage Abacus sur les intentions de vote des Canadiens. Puisque les graphiques portent précisément sur ce sondage, on ne saurait y voir une faute concernant ce principe déontologique en particulier.

Note

Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer de TVA Nouvelles et LCN, qui ne sont pas membres du Conseil et n’ont pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Maxime Bernier visant un segment de l’émission « La Joute » intitulé « Majorité conservatrice à l’horizon? Un récent sondage donne un coup dur à Justin Trudeau » diffusé le 11 janvier 2024 à TVA Nouvelles et blâme TVA Nouvelles et la chaîne LCN concernant un grief d’information incomplète. Le grief d’illustration ne reflétant pas l’information est quant à lui rejeté. 

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery

Représentantes des journalistes
Sylvie Fournier
Paule Vermot-Desroches

Représentante des entreprises de presse
Maxime Bertrand

1 Référence : Coletto, David. « Conservatives lead by 17 over Liberals in latest Abacus Data poll. » Abacus Data, le 11 janvier 2024. Consulté en septembre 2024.

2 Référence : Idem.