D2024-02-015

Plaignant

Kaven Benoit

Mis en cause

La Presse Canadienne

Radio-Canada

Date de dépôt de la plainte

Le 12 février 2024

Date de la décision

Le 25 octobre 2024

Résumé de la plainte

Kaven Benoit dépose une plainte le 12 février 2024 au sujet de l’article « Que faut-il savoir sur les inhibiteurs de puberté, qui font débat en Alberta? », de La Presse Canadienne, publié sur le site Internet de Radio-Canada le 11 février 2024. Le plaignant déplore de l’information inexacte et de l’information incomplète.

Contexte

Le 31 janvier 2024, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, du Parti conservateur uni, annonce dans une vidéo mise en ligne sur le réseau social X que son gouvernement adoptera une nouvelle politique sur l’identité de genre. Mme Smith révèle que les traitements hormonaux et les inhibiteurs de puberté seront désormais interdits chez les adolescents de moins de 16 ans, à l’exception des jeunes qui sont déjà en cours de traitement. De plus, les chirurgies dites « affirmatives de genre » ne seront plus autorisées pour les jeunes de 17 ans et moins en Alberta. Enfin, le consentement parental sera dorénavant exigé pour qu’un enfant ou un adolescent puisse changer de prénom et de pronoms dans les écoles albertaines.

Cette initiative de la première ministre Smith est saluée par le chef de l’opposition conservatrice à Ottawa, Pierre Poilievre. Elle suscite toutefois de vives critiques de la part du premier ministre du Canada Justin Trudeau, chez l’opposition néo-démocrate albertaine et auprès de certains membres de la communauté médicale et de la communauté LGBTQ+.

Le 11 février 2024, dans la foulée de l’annonce de cette nouvelle politique sur l’identité de genre, Radio-Canada publie sur son site Internet un article de La Presse Canadienne intitulé « Que faut-il savoir sur les inhibiteurs de puberté, qui font débat en Alberta? ». Ce texte fait l’objet de la présente plainte.

Préambule

La question des soins d’affirmation de genre chez les jeunes est un sujet sensible qui, à l’heure actuelle, est source de débat dans le milieu médical, dans la sphère politique et dans la société en général. 

Depuis la publication de l’article visé par la présente plainte, ce débat a pris de l’ampleur, ici comme dans le reste du monde, faisant ressortir le manque d’études scientifiques longitudinales au sujet des soins d’affirmation de genre chez les jeunes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui travaille actuellement sur des directives portant sur la santé des personnes trans et des personnes issues de la diversité de genre, a annoncé en 2024 que « les données probantes sont limitées et variables en ce qui concerne les résultats à long terme des soins d’affirmation de genre chez les enfants et les adolescents. »1 Au Royaume-Uni, un rapport2 commandé par le gouvernement à un comité indépendant a conduit en 2024 à l’interdiction de prescrire des bloqueurs de puberté aux personnes de moins de 18 ans ayant une dysphorie de genre. Dans le préambule de ce rapport, la présidente du comité indépendant, la Dre Hilary Cass, affirme : « Rares sont les autres domaines de la santé dans lesquels les professionnels ont si peur de discuter ouvertement de leurs opinions, où les gens sont vilipendés sur les réseaux sociaux et où les injures font écho aux pires comportements d’intimidation. Cela doit cesser. […] En réalité, nous ne disposons pas de données probantes sur les résultats à long terme des interventions visant à gérer la détresse liée au sexe. Il faut souvent de nombreuses années avant que des résultats de recherche très positifs soient intégrés dans la pratique. »

Dans ce contexte, il paraît important de rappeler ici l’impartialité du Conseil de presse du Québec en la matière. Dans ce dossier, comme dans l’ensemble des plaintes étudiées, l’analyse du Conseil se limite aux aspects déontologiques du travail journalistique. Il ne revient pas au Conseil de prendre position sur les soins d’affirmation de genre chez les jeunes.

Il est également important de préciser que seules les informations – d’ordre scientifique ou autre – qui étaient disponibles au moment de la publication de l’article de La Presse Canadienne par Radio-Canada le 11 février 2024 ont été prises en considération dans l’étude de ce dossier. Les nouvelles informations et les recherches scientifiques dont les résultats ont été dévoilés ultérieurement ne pouvaient être connues du journaliste lors de la rédaction de l’article. 

Griefs du plaignant

Grief 1 : information inexacte

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si La Presse Canadienne et Radio-Canada ont transmis de l’information inexacte dans le passage de l’article retranscrit ci-dessous.

« Les effets des inhibiteurs de puberté sont réversibles si le traitement est interrompu, ce qui laisse aux jeunes le temps de décider s’ils veulent poursuivre leur démarche vers les chirurgies d’affirmation de genre, dont certaines sont irréversibles. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette à la majorité (4 sur 6) le grief d’information inexacte. 

Analyse

Le plaignant, Kaven Benoit, reproche aux mis en cause d’avoir transmis de l’information inexacte concernant le fait que « les effets des inhibiteurs de puberté sont réversibles ». 

Il affirme : « Après une vérification auprès de sites Internet comme celui de la Mayo Clinic3 ou l’article du New York Times du 14 novembre 2022 intitulé “They Paused Puberty, but Is There a Cost?4, il est clair que l’exactitude des renseignements écrits dans ledit paragraphe est erronée. Le/la journaliste aurait dû, avant de publier son article, contre-vérifier les renseignements portant notamment sur la réversibilité des effets des inhibiteurs de puberté (en anglais : “puberty blockers”) sur les jeunes patients qui suivent un traitement pouvant mener à une éventuelle transition vers l’autre sexe. »

Le plaignant ajoute : « Les conséquences du manque de rigueur noté ci-avant sont à juste titre de la désinformation, volontaire ou non, susceptible d’entraver la prise de décision de lecteurs vivant de près ou de loin ces enjeux et de tromper le public. »

Le représentant de La Presse Canadienne, Frédéric Vanasse, réplique : « L’article qui fait l’objet de [la plainte] est une traduction d’un texte d’abord rédigé en anglais et diffusé par nos collègues de la Canadian Press. Après vérification, nous avons constaté que plusieurs paragraphes n’ont pas été traduits. Cette omission a créé un déséquilibre dans l’article. Il arrive que nous ne traduisions pas un article dans son intégralité. Nous avons cependant rappelé à nos journalistes que les traductions doivent en tout temps respecter les règles déontologiques de La Presse Canadienne. Nous avons également corrigé la dépêche et envoyé un rectificatif à nos clients. » 

À titre de média ayant publié l’article en cause sur son site Internet, Radio-Canada répond, par l’entremise de sa représentante Maxime Bertrand : « Après avoir analysé [l’article] plus en profondeur [et] après avoir reçu un courriel d’un lecteur, nous nous sommes rendu compte qu’il comportait des imprécisions et certaines lacunes, notamment en ce qui a trait aux effets secondaires des inhibiteurs de puberté. Par conséquent, nous l’avons supprimé. »

Avant d’analyser le grief d’inexactitude, il apparaît important de faire ici la distinction entre les différents types d’effets que peuvent avoir un traitement ou un médicament, puisque la présente plainte porte sur le passage de l’article suivant : « Les effets des inhibiteurs de puberté sont réversibles si le traitement est interrompu […]. »

Selon le Grand dictionnaire terminologique5 de l’Office québécois de la langue française, il existe trois types d’effets distincts liés à la prise d’un médicament, dont voici les définitions :

  • Effet thérapeutique : « Effet recherché par la prise d’un médicament. »
  • Effet secondaire : « Effet résultant de la prise d’un médicament selon la posologie, distinct de l’effet thérapeutique recherché. Lorsqu’un effet secondaire est nocif, on parle parfois d’effet indésirable. »
  • Effet indésirable : « Réponse non souhaitée qui se traduit par un dommage physiologique ou pathologique, et qui a un lien causal probable avec une intervention, un acte médical ou l’utilisation d’un produit de santé. »

D’après un document provenant du site Web de la Mayo Clinic3 soumis par le plaignant à titre de preuve, les effets thérapeutiques des inhibiteurs de puberté – soit le fait d’arrêter temporairement la progression de la puberté – seraient réversibles en matière de symptômes pubères selon les connaissances scientifiques disponibles au moment de la publication de l’article (février 2024). Le passage ci-dessous extrait du document de la Mayo Clinic l’explique. 

« Les analogues de GnRH sont les médicaments les plus courants pour retarder la puberté. […] Les analogues de GnRH [inhibiteurs de puberté] n’entraînent pas de changements physiques permanents. Ils arrêtent plutôt la puberté temporairement, ce qui offre la possibilité d’explorer son identité de genre. Ils donnent également le temps aux jeunes et à leurs familles de se préparer à faire face aux enjeux d’ordre psychologique, médical, développemental, social et légal qui pourraient survenir plus tard. Lorsqu’une personne cesse de prendre des analogues de GnRH, la puberté recommence. » 

Toujours selon ce même document, la prise d’inhibiteurs de puberté chez les adolescents pourrait causer les effets indésirables suivants.

« L’usage d’analogues de GnRH pourrait aussi causer des effets à long terme sur :

Les poussées de croissance.
La croissance des os.
La densité osseuse.
La fertilité, selon le moment auquel le traitement débute. »

Un article du New York Times du 14 novembre 2022 intitulé « They Paused Puberty, but Is There a Cost? »4, signé par les journalistes Megan Twohey et Christina Jewett et également déposé en preuve par le plaignant, traite quant à lui des incertitudes entourant les inhibiteurs de puberté en raison du nombre insuffisant d’études scientifiques crédibles sur le sujet. On y relève plusieurs cas concrets d’adolescents qui ont souffert d’effets indésirables à long terme, vraisemblablement causés par la prise d’inhibiteurs de puberté. Voici quelques passages de l’article contenant des renseignements pertinents à l’étude du présent grief.

Effets indésirables documentés et absence de consensus scientifique

« Les médicaments suppriment les œstrogènes et la testostérone, des hormones qui aident à développer le système reproducteur, mais qui affectent également les os, le cerveau et d’autres parties du corps. 

Pendant la puberté, la masse osseuse augmente généralement, ce qui détermine l’état de santé des os pour la vie. Lorsque les adolescents utilisent des bloqueurs, la croissance de la densité oseseuse stagne en moyenne, selon une analyse commandée par le Times sur des études observationnelles examinant les effets.

De nombreux médecins traitant des patients transgenres pensent qu’ils récupéreront cette perte lorsqu’ils arrêteront les inhibiteurs. Mais deux études issues d’une analyse surveillant la solidité osseuse des patients transgenres pendant l’utilisation des bloqueurs et pendant les premières années de traitement aux hormones sexuelles ont révélé que beaucoup d’entre eux ne se rétablissent pas complètement et accusent un retard par rapport à leurs pairs. »

Risques potentiels des inhibiteurs de puberté sur les os

« Il n’est pas possible de recenser tous les risques osseux liés aux inhibiteurs de puberté. Si l’Endocrine Society recommande aux jeunes transgenres de subir des examens osseux de base, puis de répéter ces examens chaque année ou tous les deux ans, la WPATH et l’American Academy of Pediatrics ne donnent que peu d’indications sur la nécessité de procéder à de tels examens. Certains médecins exigent des examens réguliers et recommandent du calcium et de l’exercice pour protéger les os; d’autres non. La plupart des traitements étant dispensés en dehors des études de recherche, les résultats sont peu documentés publiquement. 

Toutefois, il est de plus en plus évident que les médicaments sont associés à des déficits du développement osseux. Au cours de l’adolescence, la densité osseuse augmente généralement d’environ 8 à 12 % par an. L’analyse commandée par le Times a examiné sept études menées aux Pays-Bas, au Canada et en Angleterre portant sur environ 500 adolescents transgenres de 1998 à 2021. Les chercheurs ont observé que sous traitement d’inhibiteurs, les adolescents n’avaient en moyenne aucune augmentation de densité osseuse – et en avaient perdu beaucoup par rapport à leurs pairs, selon l’analyse de Farid Foroutan, expert en méthodes de recherche en santé à l’Université McMaster au Canada.

Les résultats correspondent à ce que les praticiens du traitement ont observé, notamment la Dre Catherine Gordon, endocrinologue pédiatrique et chercheuse sur les os au Baylor College of Medicine de Houston. “Lorsqu’ils perdent de la densité osseuse, ils prennent vraiment du retard”, a déclaré la Dre Gordon, qui dirige une étude distincte sur les raisons pour lesquelles les médicaments ont un tel effet. »

Risques potentiels des inhibiteurs de puberté sur le développement du cerveau

« Certains médecins et chercheurs craignent que les inhibiteurs de puberté puissent perturber une période formative de croissance mentale. L’adolescence s’accompagne d’une pensée critique, d’une introspection plus sophistiquée et d’autres avancées importantes dans le développement du cerveau. Il a été démontré que les hormones sexuelles affectent les compétences sociales et de résolution de problèmes. On pense que la croissance du cerveau est liée à l’identité sexuelle, mais la recherche dans ces domaines est encore très récente.

Dans un article publié en 2020, 31 psychologues, neuroscientifiques et spécialistes des hormones du monde entier ont appelé à une étude plus poussée des effets des inhibiteurs sur le cerveau.

“Si le cerveau s’attend à recevoir ces hormones à un moment donné et ne le fait pas, que se passe-t-il?”, a déclaré la Dre Sheri Berenbaum, responsable d’un laboratoire de recherche sur le genre à Penn State et l’une des auteures de l’article. “Nous ne le savons pas.” »

Revenons maintenant au passage qui fait l’objet du présent grief d’information inexacte. La phrase ciblée par le plaignant dans l’article en cause, rappelons-le, est la suivante : « Les effets des inhibiteurs de puberté sont réversibles si le traitement est interrompu […]. » 

Compte tenu de l’ensemble des informations fournies par le plaignant et des recherches complémentaires effectuées par le Conseil, une majorité de membres (4 sur 6) rejette le grief, jugeant la phrase imprécise à propos du type d’effets dont il est question (effets thérapeutiques ou effets indésirables) plutôt qu’inexacte. 

Certes, le plaignant, M. Benoit, apporte des éléments de preuve qui indiquent que certains effets indésirables des inhibiteurs de puberté pourraient être irréversibles, selon les informations qui étaient disponibles au moment de la publication de l’article. Toutefois, comme il n’est pas précisé dans l’extrait du texte de La Presse Canadienne visé par la plainte de quel type d’effets il est question, le lecteur peut déduire que l’on fait référence uniquement aux effets thérapeutiques des inhibiteurs de puberté (soit le fait d’interrompre temporairement la puberté), qui semblent réversibles, toujours d’après les connaissances scientifiques du moment. 

Il aurait bien entendu été plus précis d’indiquer dans le passage en cause que l’on faisait référence aux effets thérapeutiques des inhibiteurs de puberté et non à l’ensemble des effets potentiels. Cependant, pour une majorité de membres, on ne peut conclure que la phrase est inexacte.

À titre comparatif, un cas d’information imprécise n’équivalant pas à une inexactitude a été constaté dans la décision D2017-10-125, où un grief d’information inexacte a également été rejeté. Dans ce dossier, le plaignant considérait que la journaliste avait rapporté une information inexacte en écrivant que « l’enquête policière a démontré que [l’auteur de l’attentat de la mosquée de Québec, Alexandre] Bissonnette […] possédait trois armes ». Il estimait que ce n’étaient pas les policiers qui avaient prouvé qu’Alexandre Bissonnette possédait trois armes, mais que cette information provenait plutôt du témoignage du père de l’auteur de la tuerie. Le Conseil a constaté que « l’information selon laquelle Alexandre Bissonnette possédait trois armes a été rendue publique dans le cadre de l’enquête policière et que le témoignage du père du suspect a été rapporté dans le cadre de cette même enquête. La journaliste pouvait donc légitimement présenter l’information comme provenant de l’enquête policière. Même si la formulation est imprécise (il aurait été plus précis de dire que l’information sur les trois armes provenait du témoignage du père dans le cadre de l’enquête policière), le Conseil juge qu’elle n’est pas inexacte. »

Deux membres (2 sur 6) expriment leur dissidence, estimant l’information inexacte. Pour ces deux membres, il est inexact d’affirmer que « les effets sont réversibles » alors que des recherches suggéraient déjà à l’époque que certains des effets indésirables des inhibiteurs de puberté seraient irréversibles. Ils considèrent que la formulation « les effets des inhibiteurs de puberté sont réversibles si le traitement est interrompu […] » est inexacte puisque les effets indésirables liés à un tel traitement pourraient causer des dommages irréversibles à certaines personnes, d’après les recherches rapportées notamment dans un reportage du New York Times qu’a fourni le plaignant. Cette nuance au sujet de la réversibilité des effets des inhibiteurs était d’autant plus importante que l’article, dont le titre est « Que faut-il savoir sur les inhibiteurs de puberté, qui font débat en Alberta? » est présenté comme un dossier d’information complet sur la question des inhibiteurs de puberté et que leurs effets sont cœur du sujet traité.

Pour les membres majoritaires, il n’était pas inexact de soutenir dans l’article que les effets des inhibiteurs de puberté sont réversibles, dans la mesure où le journaliste faisait référence aux effets thérapeutiques d’un tel traitement, car les connaissances scientifiques disponibles au moment de la rédaction du texte semblent corroborer cette affirmation. Pour cette raison, le grief d’information inexacte est rejeté.  

Grief 2 : information incomplète

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 d) du Guide)

Le Conseil doit déterminer si La Presse Canadienne et Radio-Canada ont omis de présenter des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet en ne mentionnant pas les risques que posent les inhibiteurs de puberté pour la santé dans le passage de l’article retranscrit ci-dessous.

« Les effets des inhibiteurs de puberté sont réversibles si le traitement est interrompu, ce qui laisse aux jeunes le temps de décider s’ils veulent poursuivre leur démarche vers les chirurgies d’affirmation de genre, dont certaines sont irréversibles. »

Décision

Le Conseil retient le grief d’information incomplète.   

Analyse 

Le plaignant estime que les mis en cause ont omis de présenter des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet à propos des risques que posent les inhibiteurs de puberté pour la santé.

Il soutient : « [Ni] dans ledit paragraphe ni dans l’article n’y a-t-il mention des risques, soit les effets d’un traitement à base d’inhibiteurs de puberté sur la densité osseuse et le développement du cerveau, lesquels sont tout aussi irréversibles. » 

Les médias visés par la plainte n’ont pas fourni d’arguments additionnels en lien avec ce grief, réitérant seulement avoir corrigé la dépêche en ce qui concerne La Presse Canadienne et avoir retiré l’article de ses plateformes du côté de Radio-Canada.

Le 18 avril 2024, le Conseil de presse a en effet constaté que l’article avait été retiré du site Web de Radio-Canada. Quant à la version corrigée de l’article de La Presse Canadienne, le Conseil en a reçu copie le 9 mai 2024.

Selon le Guide de déontologie, une faute d’incomplétude consiste à omettre un élément « essentiel » ou indispensable à la compréhension du sujet abordé, c’est-à-dire sans lequel le sens du propos est altéré de manière significative. À cet effet, la décision antérieure ​D2022-09-203 rappelle qu’« en déontologie journalistique, le principe de complétude […] n’implique pas que tous les éléments intéressants ou éclairants d’un sujet doivent nécessairement se retrouver dans un texte ou un reportage. Bien que des précisions et des explications puissent toujours ajouter à la compréhension d’un sujet, lorsqu’on évalue s’il y a eu faute d’information incomplète, le Guide nous rappelle que la complétude, dans le traitement d’un sujet, signifie que les éléments “essentiels à sa bonne compréhension” y sont présentés. Cela signifie que seuls les éléments indispensables à la compréhension du sujet traité doivent se retrouver dans le texte ou le reportage afin de respecter le principe de complétude, les autres éléments relevant de la liberté éditoriale du média. »

Certaines données sur les effets indésirables potentiels des inhibiteurs de puberté étaient disponibles dans l’espace public au moment de la publication de l’article en cause et sont corroborées par sept études scientifiques dont faisait état le New York Times4 en novembre 2022. Le fait de ne pas fournir ces informations a pour conséquence d’altérer considérablement la compréhension du sujet, puisque l’affirmation « les effets des inhibiteurs de puberté sont réversibles si le traitement est interrompu » laisse entendre au lecteur que tous les effets liés à la prise d’inhibiteurs de puberté chez les adolescents sont réversibles et peut amener le public à penser qu’un tel traitement ne comporte pas de risque pour la santé. Or, il est important pour le public de connaître les enjeux liés à un tel traitement, de surcroît si une partie importante de la communauté scientifique s’en inquiète.

Dans le cas présent, il était essentiel à la compréhension du sujet de l’article « Que faut-il savoir sur les inhibiteurs de puberté »  de mentionner que, selon des études récentes, la prise d’inhibiteurs de puberté chez les adolescents est susceptible de causer des effets indésirables potentiellement irréversibles, notamment en ce qui a trait au développement osseux. Des craintes de spécialistes ont aussi été soulevées quant à l’absence d’études probantes concernant les effets à long terme des inhibiteurs de puberté sur le développement du cerveau et la fertilité. 

Le grief à l’étude ici comporte certaines similitudes avec la décision antérieure D2017-05-078, dans laquelle le Conseil a retenu un grief d’incomplétude contre une chroniqueuse qui avait écrit que des chercheurs en climatologie avaient été accusés d’avoir exagéré des données sur l’ampleur du réchauffement climatique. Or, les chercheurs en question avaient été blanchis de toute accusation. Le Conseil a jugé que la chroniqueuse « a omis une information importante et significative pour la compréhension des faits » et que cette omission « a eu un impact sur les conclusions tirées par la [chroniqueuse] et constitue une erreur d’incomplétude car il était essentiel à la compréhension du sujet ». 

Tel que mentionné plus haut, l’article en cause a été retiré des plateformes Web de Radio-Canada sur lesquelles il apparaissait, considérant qu’il comportait « certaines lacunes, notamment en ce qui a trait aux effets secondaires des inhibiteurs de puberté ». De plus, La Presse Canadienne a fait parvenir à ses clients ainsi qu’au Conseil de presse une version rectifiée de l’article. Cette seconde version du texte comporte une section supplémentaire qui est coiffée du titre « Quels sont les effets secondaires possibles? », dans laquelle on aborde la question des effets indésirables potentiels des inhibiteurs de puberté, tels qu’une diminution de la densité osseuse et l’ostéoporose.

Ainsi, compte tenu que Radio-Canada et La Presse Canadienne ont pris les moyens raisonnables pour corriger le manquement déontologique d’incomplétude, le Conseil leur accorde l’absolution.  

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Kaven Benoit visant l’article « Que faut-il savoir sur les inhibiteurs de puberté, qui font débat en Alberta? », de La Presse Canadienne, publié sur le site Internet de Radio-Canada le 11 février 2024, concernant le grief d’information incomplète. Toutefois, le manquement déontologique ayant été corrigé par les médias concernés, comme le recommande l’article 28 du Guide, le Conseil absout les mis en cause, qui ne reçoivent pas de blâme. Par ailleurs, le grief d’information inexacte est rejeté à la majorité (4 sur 6). 

Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement 2, article 31.02) 

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani

Représentants des journalistes
Stéphane Baillargeon
Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse
Marie-Andrée Chouinard
Stéphan Frappier

1Référence : World Health Organization – Frequently Asked Questions, « WHO development of the guideline on the health of trans and gender diverse people », World Health Organization (WHO), 20 juin 2024. Consulté en octobre 2024.

2Référence : Dre Hilary Cass, « The Cass Review – Final Report: Independent Review of Gender Identity Services for Children and Young People », Avril 2024. Consulté en octobre 2024.  

3Référence : Mayo Clinic Staff, « Puberty Blockers for transgender and gender-diverse youth », Mayo Foundation for Medical Education and Research, 14 juin 2023. Consulté en octobre 2024. 

4Référence : Megan Twohey et Christina Jewett, « They Paused Puberty, but Is There a Cost? », The New York Times, 14 novembre 2022. Consulté en octobre 2024. 

5Référence : Grand dictionnaire terminologique, rubrique « Effet secondaire », Office québécois de la langue française (OQLF), 2018. Consulté en octobre 2024.