D2024-06-047

Plaignant

Nicolas Landry

Mis en cause

Justin Vaillancourt, journaliste

La Presse

Date de dépôt de la plainte

Le 26 juin 2024

Date de la décision

Le 21 février 2025

Résumé de la plainte

Nicolas Landry dépose une plainte le 26 juin 2024 au sujet de l’article « Ex-policier de la Sûreté du Québec – Condamné pour fraude, il poursuit son ancien syndicat », du journaliste Justin Vaillancourt, publié dans La Presse le 21 juin 2024. Le plaignant déplore des informations inexactes

Contexte

L’article rapporte que Nicolas Landry, le plaignant dans le présent dossier, a intenté une poursuite de plus de 2 M $ contre son ancien syndicat, l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), et son président, Jacques Painchaud.

Nicolas Landry est un ex-policier de la Sûreté du Québec reconnu coupable d’avoir fraudé son employeur d’une somme de plus de 5000 $ et condamné à six mois de prison pour fraude. L’homme a contesté sa condamnation jusqu’en Cour suprême. 

Alors qu’il était en arrêt de travail, M. Landry travaillait pour les agences de voyages de sa conjointe. Le juge André Perreault de la Cour du Québec a déterminé que Nicolas Landry « a commis des gestes de camouflage lors de ses activités au sein des agences en 2013 et 2014, de sorte que la fraude soit planifiée ». La Cour a déterminé que M. Landry « a menti et commis des omissions volontaires » lors de sa rencontre avec le médecin-arbitre Gérard Leblanc qui était chargé d’évaluer s’il était apte au travail. 

L’article résume les allégations contenues dans la poursuite de M. Landry visant le syndicat. M. Landry reproche au syndicat de ne pas avoir déposé les plaintes de harcèlement qu’il avait effectuées contre son employeur et des collègues et d’avoir refusé de payer ses frais de médecins et d’avocats.

Griefs du plaignant

Grief 1 : informations inexactes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide)

1.1 Montant

Le Conseil doit déterminer si le journaliste et le média ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant :

« Un ex-policier de la Sûreté du Québec (SQ) condamné pour avoir fraudé son employeur pour 42 000 $ […] »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’informations inexactes sur ce point.

Arguments des parties

Le plaignant affirme qu’il a été « condamné pour fraude à 0 $ et non 42 000 $ ». Il indique qu’il avait « droit à [s]on salaire, car la dépression n’a jamais été mise en doute par le DPCP [Directeur des poursuites criminelles et pénales] et reconnue également par le juge ».

Le plaignant met en preuve les paragraphes 6 et 102 de la décision sur la peine de la Cour du Québec dans lesquels on lit : 

« [6] Je rappelle que le diagnostic finalement posé par le médecin psychiatre n’a pas fait l’objet d’une contestation dans le cadre des procédures devant le Tribunal. Le ministère public s’est contenté d’appuyer sa thèse sur les mensonges et les omissions, sans égard au résultat relatif à l’absence d’une perte réelle.

[…]

[102] Le Tribunal doit assurer la réparation des torts causés à la Sûreté du Québec et à la collectivité. Le Tribunal rappelle que, selon la preuve faite, la Sûreté du Québec n’a pas subi la perte réelle des quelques 42 000 $ de la fraude parce que le diagnostic ayant mené au verdict d’invalidité totale permanente n’a pas été contesté dans le cadre des présentes procédures devant lui. (alinéa 718 e) C.cr.). »

Le représentant du média, Jean-François Demers, explique de son côté : « L’argument que tente de faire valoir le plaignant à l’effet qu’il n’aurait pas fraudé (ou fraudé pour 0 $) étant donné l’absence de preuve que la Sûreté du Québec a réellement subi une perte est le même qu’il a soumis en défense dans le cadre de ses procédures judiciaires, tant en première instance qu’en appel. Or, cet argument a été rejeté tant par la Cour du Québec que par la Cour d’appel, qui a confirmé sa condamnation. »

Il indique que « le texte n’indique nulle part que la Sûreté du Québec a réellement subi une perte de 42 000 $, mais plutôt que le plaignant a été “condamné pour avoir fraudé son employeur pour 42 000 $”. Cette information est rigoureusement exacte, comme en témoignent éloquemment les paragraphes 1 à 3 et 109 de la décision sur la peine que nous reproduisons ci-dessous :

“[1] À l’issue d’un procès, Nicolas Landry a été trouvé coupable d’avoir fraudé son employeur, la Sûreté du Québec, d’une somme d’argent dépassant cinq mille dollars.

[2] Il s’agit maintenant de déterminer sa peine.

[3] La défense demande au Tribunal d’imposer une sentence suspendue assortie d’une ordonnance de probation prévoyant des travaux communautaires et une amende équivalant au montant établi de la fraude d’environ 42 000 $.

[…]

[109] Le Tribunal retient que le montant de la fraude établi par la peine pour la période de six mois couverte par le chef d’accusation est de 42 000 $, soit un montant équivalant au plein solde de Monsieur Landry durant cette période faisant suite à ses mensonges et omissions du 22 mai 2014. Il faut toutefois souligner que le jugement a conclu à une fraude de cette somme sans que la Sûreté du Québec n’ait subi une perte quelconque puisque le ministère public n’a pas contesté le diagnostic issu de la rencontre du 22 mai 2014 et concluant, de façon finale et liant les parties, que monsieur Landry était invalide de façon totale et permanente. Sous l’angle de l’ampleur de la spoliation, le Tribunal considère toutefois que, par ses mensonges et ses omissions, Monsieur Landry cherchait à assurer à beaucoup plus long terme que la période couverte par le chef d’accusation de pouvoir toucher un plein solde, soit jusqu’à la date de sa retraite en 2026.” » (Soulignements des mis en cause)

M. Demers ajoute : « Ces paragraphes de la décision sur la peine attestent que le plaignant a bel et bien été trouvé coupable d’avoir fraudé son employeur pour un montant établi d’environ 42 000 $. Soulignons que lors de l’audition sur la peine, le plaignant lui-même reconnaissait que le montant établi de la fraude était d’environ 42 000 $ et suggérait qu’on lui impose une amende de ce même montant au lieu d’une peine d’emprisonnement, tel qu’en témoigne le 3e paragraphe de la décision précédemment reproduit. »

Analyse du comité des plaintes

Il n’est pas inexact d’affirmer que le montant de la fraude est de 42 000 $ puisque cette information est fidèle à la réalité présentée dans la décision rendue le 29 octobre 2018 par le juge André Perreault de la Cour du Québec et dans la décision sur la peine qu’il a par la suite rendue. Cette décision de première instance a été confirmée par la Cour d’appel et la Cour suprême.

Dans la décision de première instance, le juge Perreault établit que le montant de la fraude est de 42 000 $ lorsqu’il affirme :

« Le tribunal estime que le montant prouvé de la fraude alléguée n’est pas de quarante-huit mille quatre cent trente-neuf et quarante-quatre (48 439,44 $), mais plutôt d’environ quarante-deux mille dollars (42 000 $) parce que, pour la période de paie du 18 septembre 2014 au 1er octobre 2014, l’accusé s’est fait payer 143 heures et 50 de temps supplémentaire accumulé dans les années où il avait travaillé. »

À la lecture de la décision sur la peine rendue le 14 mars 2019, on constate que M. Landry – « la défense » dans le passage suivant – propose de payer une somme équivalent au montant de la fraude : 

« [3] La défense demande au Tribunal d’imposer une sentence suspendue assortie d’une ordonnance de probation prévoyant des travaux communautaires et une amende équivalant au montant établi de la fraude d’environ 42 000 $. »

Le passage suivant de la décision sur la peine témoigne également du fait que le tribunal a déterminé que la fraude s’élève à un montant de 42 000 $ :

« [109] Le Tribunal retient que le montant de la fraude établi par la peine pour la période de six mois couverte par le chef d’accusation est de 42 000 $, soit un montant équivalant au plein solde de monsieur Landry durant cette période faisant suite à ses mensonges et omissions du 22 mai 2014. […] »

Un grief d’information inexacte est rejeté lorsque l’information mise en cause est fidèle à la réalité, comme ce fut le cas dans la décision D2019-09-118, où l’information rapportée reflétait la réalité présentée dans un jugement de cour. Le Conseil a rejeté le grief d’information inexacte qui concernait la façon dont le plaignant Robin Edgar était entré en contact avec la journaliste Sue Montgomery. Selon le plaignant, le journaliste Yves Boisvert avait transmis de l’information inexacte en écrivant : « Sue Montgomery n’est pas la seule à avoir des problèmes avec M. Edgar. Il a été expulsé de son église il y a plus de 20 ans. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour être expulsé d’une église, mais du moins lui l’a été. Depuis, il n’a eu de cesse de manifester devant l’église pour dénoncer cette “injustice”. C’est d’ailleurs comme ça qu’il est entré en contact avec Sue Montgomery, qui est devenue membre de cette église protestante peu de temps après l’expulsion de M. Edgar. » Le Conseil fait valoir : « Bien que le plaignant fasse une interprétation différente du contexte dans lequel il a rencontré Mme Montgomery, l’information rapportée par Yves Boisvert est fidèle à la réalité présentée dans la décision de la juge Longo. » La décision ajoute : « Yves Boisvert pouvait se fier à la décision de la juge Longo, une source crédible, pour décrire les circonstances de l’entrée en contact entre M. Edgar et Mme Montgomery ». 

De la même façon, dans le cas présent, l’information transmise par le journaliste est conforme au montant indiqué dans le jugement de la Cour du Québec, qui constitue une source crédible et fiable d’informations concernant la condamnation du plaignant.

1.2 Frais de médecins et d’avocats

Le Conseil doit déterminer si le journaliste et le média ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant :

« Dans sa poursuite, M. Landry mentionne aussi que le syndicat a “refusé de payer les frais de médecins et d’avocats”. Selon lui, c’est une pratique commune chez d’autres syndicats. »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’informations inexactes sur ce point. 

Arguments des parties

Le plaignant estime que le passage ci-dessus est « faux ». Il affirme que « dans le document de poursuite qu’il a en sa possession, il est écrit que mon syndicat a payé seulement une petite partie ». 

Il met en preuve le paragraphe 3 de la Demande introductive d’instance dans lequel on peut lire : 

« Avoir refusé de payer les frais des médecins et défenses (avocats) depuis le début des procédures, après n’avoir fourni qu’un très petit montant de départ, puisque l’APPQ affirme qu’un policier en arrêt de travail pour harcèlement psychologique et qui respecte les RDV médicaux et toutes les demandes en lien avec le contrat de travail est réputé ne pas être considéré en devoir. À la suite de vérification auprès d’un syndicat comparable à celui de l’APPQ, soit le syndicat des policiers de Montréal, il en aurait été autrement puisque le FPMQ (Police de Montréal) de leur côté, considère un policier en arrêt psychologique lié à son travail étant réputé au travail, les frais auraient donc été assumés par le syndicat. Les vérifications auprès d’eux ont été effectuées, leurs procédures sont effectivement opposées. » (Soulignement du plaignant)

Le représentant du média, Jean-François Demers, affirme : « Le plaignant affirme que dans sa poursuite, il est plutôt écrit que son syndicat a payé seulement une petite partie. » 

M. Demers souligne que dans le paragraphe 3 de la demande introductive d’instance, « le plaignant allègue bel et bien dans le cadre de sa poursuite que son syndicat a refusé de payer ses frais de médecins et d’avocats, ce qui est précisément l’information rapportée par les mis en cause ».

Analyse du comité des plaintes

Une demande introductive d’instance constitue la première étape d’une poursuite civile contre une personne ou une entreprise. Cette demande expose les faits sur lesquels se base la poursuite et les conclusions. Dans le présent cas, ce document officiel est signé par Nicolas Landry. 

À la lecture de la demande introductive d’instance mise en preuve par le plaignant et le représentant du média, il apparaît qu’il n’était pas inexact d’écrire : « Dans sa poursuite, M. Landry mentionne aussi que le syndicat a “refusé de payer les frais de médecins et d’avocats”. » Le passage entre guillemets cite pratiquement textuellement le troisième paragraphe de la demande introductive d’instance déposée par le plaignant à la Cour supérieure. Dans ce document officiel, on lit : « Avoir refusé de payer les frais des médecins et défenses (avocats) ». Les différences minimes entre cet extrait et la citation présentée dans l’article ne rendent pas la phrase inexacte.

Dans la décision D2017-04-060, le Conseil a rejeté un grief d’information inexacte. Le Conseil devait déterminer si le journaliste avait transmis de l’information inexacte en qualifiant Pierre Daoust de vendeur d’appareils ménagers. Le Conseil a constaté que « les informations transmises dans l’article sont fidèles à la réalité décrite dans la Dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition qu’un enquêteur de l’ARC a présentée à un juge de paix. Ce document a été mis en preuve par La Presse. À la lecture de ce document et de la description de l’entreprise de M. Daoust sur le site du Registraire des entreprises, le Conseil juge qu’il est exact d’affirmer que M. Daoust est « “un vendeur d’appareils ménagers” puisqu’il dirige une entreprise dont l’activité est le commerce d’électroménagers. » 

De la même manière, dans le cas présent, il n’est pas inexact d’affirmer : « Dans sa poursuite, M. Landry mentionne aussi que le syndicat a “refusé de payer les frais de médecins et d’avocats”. » puisque le passage entre guillemets cite la demande introductive d’instance déposée par M. Landry. L’information est donc fidèle à la réalité.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Nicolas Landry visant l’article « Ex-policier de la Sûreté du Québec – Condamné pour fraude, il poursuit son ancien syndicat », du journaliste Justin Vaillancourt, publié dans La Presse le 21 juin 2024 concernant le grief d’informations inexactes.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Renée Madore

Représentantes des journalistes
Sylvie Fournier
Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse
Stéphan Frappier
Sylvain Poisson