D2024-07-056

Plaignant

Pierre-Yves McSween

Mis en cause

Mario Girard, chroniqueur

Le quotidien La Presse

Date de dépôt de la plainte

Le 25 juillet 2024

Date de la décision

Le 21 mars 2025

Résumé de la plainte

Pierre-Yves McSween dépose une plainte le 25 juillet 2024 au sujet de la chronique (et de  son rectificatif) « Parlons de radio – Rentrée incertaine pour Pierre-Yves McSween au 98,5 », du chroniqueur Mario Girard, publiée dans La Presse le 22 juillet 2024. Le plaignant déplore des informations inexactes et une apparence de conflit d’intérêts. 

Contexte

Le sujet principal de la chronique de Mario Girard, qui aborde également plusieurs sujets liés à l’actualité radiophonique, concerne les discussions en cours entre le chroniqueur financier Pierre-Yves McSween (le plaignant dans le présent dossier) et la direction du 98,5 FM à propos de la place que M. McSween occupera dans la nouvelle émission du retour à la maison animée par Philippe Cantin. Mario Girard indique que les « discussions portent essentiellement sur le rôle que devra jouer Pierre-Yves McSween au sein de cette nouvelle émission. Le chroniqueur vedette souhaiterait ratisser plus large. On m’a parlé d’une situation “compliquée” en ce moment. » La chronique rapporte que la responsable des communications de la station de radio, Christine Dicaire, « n’a pas voulu confirmer que Pierre-Yves McSween “aurait été écarté de la nouvelle équipe du Québec maintenant” comme le mentionnait vendredi dernier Le Soleil. »

L’un des griefs d’informations inexactes vise la version modifiée de la chronique de Mario Girard, qui comporte une note à la fin indiquant que la méthode choisie par le chroniqueur pour joindre Pierre-Yves McSween n’avait « pas permis » à celui-ci de prendre connaissance de la demande d’entrevue du chroniqueur. 

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Griefs du plaignant

Grief 1 : informations inexactes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

1.1 Tenté de joindre

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur et le média ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant de la version originale de la chronique :

« J’ai tenté de joindre Pierre-Yves McSween dimanche, mais sans succès. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’informations inexactes sur ce point. 

Arguments des parties

Le plaignant affirme que le journaliste Mario Girard « a menti sur le fait d’avoir tenté de [le] joindre ». Il précise : « Je n’ai reçu aucun appel téléphonique, je n’ai reçu aucun courriel. M. Girard affirm[e] m’avoir contacté par Messenger durant l’après-midi. Malheureusement, c’est impossible puisque les messages de gens non identifiés comme “amis” sont impossibles à produire dans ma configuration de Messenger. »

Il conclut : « M. Girard semble avoir menti. Mario Girard n’a juste pas tenté de me rejoindre. C’est impossible même qu’il ait pu tenter de le faire par Messenger, la fonction est bloquée à la source. »

Mario Girard indique de son côté qu’il a tenté de joindre Pierre-Yves McSween « en lui faisant parvenir un message par le biais de Messenger […] depuis [s]on téléphone cellulaire ». Il affirme : « Ce n’est que le lendemain, dans un courriel envoyé par le plaignant, que j’ai réalisé que ce type de message envoyé [par] Messenger ne pouvait être lu par le destinataire en raison de la configuration de son compte ». 

Le chroniqueur met en preuve une saisie d’écran montrant le message qu’il a écrit à Pierre-Yves McSween. On y lit : « Bonjour Pierre-Yves! Accepteriez-vous de réagir à l’article du Soleil ou préférez-vous conserver le silence? » Sous ce message apparaît la note suivante : « Ce compte ne peut pas recevoir vos messages, car il n’autorise aucune invitation par message. »

Le représentant de La Presse, Patrick Bourbeau, considère que les explications du chroniqueur « démontrent qu’au moment de rédiger la chronique, il croyait de bonne foi que son message s’était rendu au plaignant, n’étant pas familier avec le type de configuration de compte Messenger activé par celui-ci. » Il ajoute : « Dès qu’il [Mario Girard] a été avisé de son erreur par le plaignant, La Presse et lui ont procédé à la publication d’un rectificatif. »

En réponse à la réplique des mis en cause, le plaignant affirme : « M. Girard confirme dans sa réponse qu’il n’a pas tenté de me rejoindre par un moyen de communication efficace et qu’il ne maîtrisait pas l’outil de communication utilisé. »

Analyse du comité des plaintes

Bien que la tentative pour joindre Pierre-Yves McSween par le système de messagerie instantanée Messenger ait été infructueuse, on ne peut pas conclure qu’il était inexact d’affirmer « J’ai tenté de joindre Pierre-Yves McSween dimanche, mais sans succès. »

Dans le contexte d’un grief d’information inexacte, il n’est pas pertinent de se demander si la méthode choisie par Mario Girard pour joindre Pierre-Yves McSween constituait un moyen efficace pour obtenir sa version des faits. M. Girard a-t-il tenté de joindre M. McSween par courriel, par téléphone, ou par un autre moyen qui aurait permis au destinataire de recevoir la demande d’entrevue? Là n’est pas la question. Dans un grief d’information inexacte, il faut déterminer si le contenu de la phrase visée par la plainte est inexact. Or, même si le message ne s’est pas rendu au destinataire, il y a eu une certaine tentative, quoique vaine, de joindre M. McSween. Le grief d’information inexacte doit donc être rejeté.

Dans le dossier D2020-10-142, où le passage visé par la plainte décrivait les efforts faits par le média pour joindre le plaignant, le Conseil a rejeté le grief d’information inexacte. La plainte visait le passage suivant de l’intervention en ondes de l’animatrice de radio Isabelle Maréchal : « On a appelé Fabrice Vil ». Le Conseil a conclu que « le plaignant donne à l’expression “on a appelé Fabrice Vil” la signification “on a parlé à Fabrice Vil”. Or, l’affirmation de la journaliste, “on a appelé Fabrice Vil”, n’était pas inexacte puisque la recherchiste de l’émission a tenté de le joindre par téléphone. » Le plaignant (M. Vil) faisait valoir qu’« Isabelle Maréchal et son équipe n’ont jamais communiqué avec [lui] afin de participer à son émission du 21 octobre. » De son côté, le représentant du média a expliqué que « la recherchiste de l’émission […] a tenté en vain de rejoindre monsieur Vil au téléphone et elle n’a pas laissé de message ». Il faisait valoir que « l’animatrice n’a jamais dit que monsieur Vil avait refusé de participer au débat. En fait, monsieur Vil et la recherchiste ne se sont pas parlé ». Ainsi, l’information donnée en ondes n’était pas inexacte.

Pareillement dans le cas présent, le chroniqueur culturel n’a pas transmis d’information inexacte en écrivant « J’ai tenté de joindre Pierre-Yves McSween dimanche, mais sans succès. » Au sens strict, Mario Girard a effectivement tenté de joindre Pierre-Yves McSween, mais sans y parvenir.

Le passage visé par la plainte aurait pu être plus précis et les moyens pour entrer en contact avec Pierre-Yves McSween auraient certainement pu être plus efficaces. Cela ne signifie néanmoins pas que la phrase visée est inexacte. 

Dans le dossier D2024-01-002, le Conseil a également déterminé qu’une phrase imprécise n’était pas pour autant inexacte. Il a rejeté le grief d’information inexacte qui visait le passage suivant : « Un élément consternant : la DPJ a cru bon d’accorder la garde de Léa et Rosalie au père, qui est en attente de son procès pour violence conjugale. » La décision fait valoir : « À la lecture du passage complet de l’extrait visé par la plainte, on comprend que la phrase pointée par la plaignante résume les représentations faites au juge par la DPJ. Il aurait certes été plus précis d’écrire que la DPJ a fait un plaidoyer pour que le juge accorde la garde des enfants à leur père, mais le fait d’affirmer que “la DPJ a cru bon d’accorder la garde de Léa et Rosalie au père” ne constitue pas une inexactitude. »

De la même façon, dans le présent dossier, bien que la formulation de la phrase « J’ai tenté de joindre Pierre-Yves McSween dimanche, mais sans succès » puisse paraître imprécise, elle n’est pas inexacte.  

1.2 Rectificatif

Le Conseil doit déterminer si le média a transmis de l’information inexacte dans le passage suivant de la version modifiée de la chronique.

« Dans une version précédente de ce texte, nous indiquions qu’il n’a pas été possible de joindre Pierre-Yves McSween avant la publication de ce texte. Or, le canal utilisé pour le joindre ne lui a pas permis de voir notre message. Nos excuses. Une fois la communication établie, ce lundi, il a décliné notre demande. »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’informations inexactes sur ce point.

Arguments des parties

Le plaignant considère que la précision apportée à l’article « est inexacte : le rectificatif laisse croire qu’il y a eu une tentative [de contact], alors que c’est faux. » 

Le représentant du média, Patrick Bourbeau, indique : « Le plaignant estime que le rectificatif publié par La Presse est inexact puisqu’il laisserait croire qu’il y a eu tentative de contact alors que ce n’est pas le cas. Or, tel qu’expliqué au point précédent, M. Girard a bel et bien effectué une tentative de contact avec M. McSween. »

De son côté, Mario Girard fait valoir que La Presse s’est « empressée de publier » une précision et que le même jour, « j’ai écrit au plaignant que j’étais “libre pour une entrevue”. Il n’a pas souhaité donner suite à cette proposition. » Il poursuit : « Il est faux d’affirmer que je “semble avoir menti” quand je dis que j’ai tenté de le joindre. J’ai tenté de le joindre. » 

Analyse du comité des plaintes

Le paragraphe de précision publié par le média à la fin de l’article visé par la plainte n’est pas inexact, même si le média aurait pu, encore une fois, être plus précis à propos de la méthode inefficace utilisée pour joindre Pierre-Yves McSween. Le moyen de communication utilisé ne permettait effectivement pas à Pierre-Yves McSween de répondre au journaliste.

Tel que mentionné au grief précédent, le fait qu’une information soit imprécise ne signifie pas qu’elle est inexacte. 

Grief 2 : apparence de conflit d’intérêts

Principe déontologique applicable

Conflit d’intérêts : « (1) Les journalistes évitent tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts. En toute situation, ils adoptent un comportement intègre. (2) Les médias d’information veillent à ce que leurs journalistes ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts. » (article 6.1 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a manqué à son devoir d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts dans le passage suivant : 

« Une coanimation parfaitement équilibrée est possible dans plusieurs créneaux, mais elle m’apparaît très difficile, voire impossible, dans une matinale ou un retour à la maison. Il y a trop d’aiguillage à faire. Il faut un capitaine.

Or, on me dit que les discussions portent essentiellement sur le rôle que devra jouer Pierre-Yves McSween au sein de cette nouvelle émission. Le chroniqueur vedette souhaiterait ratisser plus large. On m’a parlé d’une situation “compliquée” en ce moment. Un dialogue a été entamé il y a quelques jours, et la direction voudrait parvenir à une entente. »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’apparence de conflit d’intérêts. 

Arguments des parties

Le plaignant évoque une relation d’amitié « profonde » entre le chroniqueur et des personnes d’influence qui travaillent chez Cogeco. Il affirme : « Mario Girard est collègue ou ex-collègue de plusieurs personnes activement employées ou pigistes chez Cogeco Média. Ses liens personnels et professionnels devraient écarter celui-ci de la couverture d’articles impliquant le 98,5 FM puisqu’il pourrait y avoir apparence de conflits d’intérêts avec des personnes de pouvoir de l’organisation. (Sans oublier tous les collaborateurs de La Presse qui sont sur les ondes du 98,5 FM). » 

Le plaignant croit que « M. Girard devrait transférer le dossier du 98,5 FM à ses collègues de la section des arts sans amitiés profondes avec des acteurs importants de Cogeco Média pour ne pas qu’il y ait d’apparence de retour d’ascenseur. […] Je pense que pour l’intérêt du journalisme, un journaliste devrait aller chercher des informations validées à l’extérieur de son cercle d’amitiés. Je précise que l’article de M. Girard était orienté d’une version des faits qui ne semble pas refléter la réalité. Une enquête journalistique indépendante aurait donné un résultat plus objectif et factuel. »

Selon le plaignant, les relations de Mario Girard avec des personnes chez Cogeco lui permettent d’obtenir « des informations exclusives pour son contenu publiable » et « des retours d’ascenseurs d’amitié et de relations professionnelles ». Le plaignant considère qu’il s’agit d’un « jeu d’orientation de l’opinion publique en fonction d’informations non objectives ».

Le plaignant estime que le deuxième paragraphe du passage visé de la chronique de Mario Girard correspond au « narratif que lui ont dicté des personnes avec qui il a une apparence de conflit d’intérêts. D’où l’expression “on me dit”. […] Mario Girard obtient toutes les annonces de Cogeco en exclusivité depuis des mois : il ne peut pas être objectif dans sa façon de traiter la nouvelle ou d’émettre une opinion sur une situation en opposition avec ses intérêts ou ceux des personnes de son réseau. »

De son côté, Mario Girard fait valoir que « la petitesse du milieu journalistique au Québec fait en sorte que l’absence totale de quelque lien que ce soit entre un journaliste et les autres acteurs du monde des médias est difficilement atteignable, surtout quand un journaliste œuvre dans le monde des médias depuis de nombreuses années. » Il précise qu’il est « l’un des très rares chroniqueurs québécois à traiter de la radio sur une base régulière » et il indique qu’il « couvre les diverses radios de Cogeco depuis au moins huit ans, soit bien avant l’arrivée de certaines personnes citées en exemple. »

Il estime que le plaignant insinue que les personnes visées sont des sources pour lui. « Rien n’est plus faux, indique-t-il. En aucun cas, je n’ai eu des échanges avec eux sur les circonstances qui ont entouré le départ du plaignant. » Dans le cas de l’une des personnes mentionnées par le plaignant, Mario Girard précise qu’elle n’est pas responsable de la programmation du 98,5 FM.

Il ajoute : « Le plaignant oublie que des dizaines de personnes travaillent à la radio du 98,5 et que plusieurs d’entre elles pourraient accepter d’être une source journalistique. »

Au sujet du deuxième passage visé par le plaignant (« Or, on me dit que les discussions portent essentiellement sur le rôle que devra jouer Pierre-Yves McSween au sein de cette nouvelle émission. »), le chroniqueur affirme : « Le plaignant accole un caractère suspicieux à la formule “on me dit”. Il devrait savoir qu’il s’agit d’une formule très répandue pour signifier que l’information provient de diverses sources fiables comme dans “on m’a confié” ou “on m’a soufflé à l’oreille”. »

Le chroniqueur poursuit : « Le plaignant va jusqu’à dire qu’on “me dicte” les choses à écrire. C’est une équation qui relève de la pure fabulation et qui n’est fondée sur aucune preuve. Il prétend que ces relations me permettent d’obtenir “des informations exclusives pour son contenu publiable” et “des retours d’ascenseurs d’amitié et de relations professionnelles”. »

« Il sous-entend qu’en favorisant les personnes citées, je reçois en retour des bénéfices sous forme de “scoop”. Cette conclusion ne tient pas la route. Mon statut de chroniqueur traitant de la radio amène régulièrement ces médias à m’offrir de l’information liée à un embargo, comme cela se fait beaucoup en journalisme. »

« À l’instar de plusieurs journalistes ou chroniqueurs de La Presse ou d’autres médias, je suis parfois invité sur les ondes du 98,5 à venir présenter le résultat d’un reportage ou partager un point de vue exprimé dans l’une de mes chroniques. Je le fais toujours sans rémunération », affirme Mario Girard. Il ajoute : « Bref, pour toutes ces raisons je me demande bien où se trouvent les bénéfices évoqués par le plaignant sinon d’obtenir des moyens de bien faire mon travail. »

En ce qui concerne le premier passage visé par la plainte (« Une coanimation parfaitement équilibrée est possible dans plusieurs créneaux, mais elle m’apparaît très difficile, voire impossible, dans une matinale ou un retour à la maison. Il y a trop d’aiguillage à faire. Il faut un capitaine. »), le chroniqueur répond : « Le plaignant ne semble pas comprendre qu’il s’agit ici de l’opinion du chroniqueur qui possède une douzaine d’années d’expérience en radio. J’exprime ici une opinion personnelle au sujet du concept de coanimation qui, selon moi, est difficilement réalisable dans le cadre d’une émission du matin ou celle du retour à la maison. Je l’ai toujours pensé et je le pense encore. »

Le représentant de La Presse, Patrick Bourbeau, ajoute : « Il est de l’essence même du travail d’un journaliste de se tisser un réseau de contacts avec lesquels il peut partager un plus ou moins grand degré de proximité. Ces contacts pourront être appelés à devenir des sources inestimables d’informations, mais l’identité de celles-ci ne dispensera jamais le journaliste de ses obligations de les corroborer et de veiller à ne pas se faire instrumentaliser. »

Il poursuit : « Fort de ses décennies d’expérience dans le monde des médias québécois, dont plusieurs années dans le milieu radiophonique, M. Girard possède effectivement un vaste réseau de contacts, dont certains avec lesquels il peut avoir eu des liens professionnels par le passé, et ce, dans plusieurs grands médias au Québec. C’est ce qui lui permet d’offrir aux lecteurs de La Presse une couverture aussi riche et étoffée de ce secteur culturel qui se retrouve au cœur de leur vie quotidienne. » 

M. Bourbeau conclut : « Le monde des médias au Québec est très petit et il existe bien souvent peu de degrés de séparation entre ses différents acteurs qui, au fil de leur carrière, auront souvent été appelés à se côtoyer au niveau professionnel. À titre d’exemple, après avoir œuvré pendant plus de 30 ans comme journaliste chez RDS, Chantal Machabée occupe maintenant le poste de Vice-présidente, Communications des Canadiens de Montréal. Est-ce que cela devrait disqualifier ses nombreux anciens collègues de couvrir le Bleu-Blanc-Rouge pour cause d’apparence de conflit d’intérêts? Poser la question, c’est y répondre… »

En réponse aux arguments avancés par le chroniqueur et le média, Pierre-Yves McSween affirme que « la base même du professionnalisme et de l’éthique journalistique est de ne pas se mettre en situation de conflit d’intérêts ni d’apparence de conflit d’intérêts. M. Girard a le droit d’entretenir des relations personnelles dans ce milieu, mais il ne devrait en aucun temps être instrumentalisé ou transmettre de l’information orientée sans s’assurer de couvrir l’ensemble des positions des parties prenantes. »

Analyse du comité des plaintes

Un conflit d’intérêts peut survenir quand une relation d’amitié place l’intérêt personnel d’un journaliste (intérêt de préserver cette amitié, de ne pas déplaire à son ami) en conflit avec l’intérêt public de diffusion d’une information. Par exemple, si un journaliste omet de révéler des informations parce qu’elles pourraient nuire à un ami, le conflit d’intérêt se manifeste.

Le plaignant a fourni au Conseil les noms de trois personnes « de pouvoir » œuvrant chez Cogeco qui auraient, selon lui, des « amitiés profondes » avec Mario Girard. Le Conseil a communiqué au chroniqueur et au média l’identité des ces trois personnes. 

Le chroniqueur et le média se défendent en faisant valoir la petitesse du milieu journalistique et que les liens professionnels que le chroniqueur a eu avec ces personnes œuvrant chez Cogeco ne constituent pas un conflit d’intérêt. Mais la question n’est pas là. 

Il y a  une différence importante entre traiter une information qui concerne des ex-collègues avec qui on n’a pas de liens d’amitié et traiter d’un sujet qui touche un ami personnel. Le Conseil a déjà expliqué que le simple fait de connaître ou d’avoir évolué dans le même milieu professionnel qu’une personne impliquée dans un sujet que l’on couvre comme journaliste ne constitue pas en soi une apparence de conflit d’intérêts, dans la décision D2022-11-220 / D2023-01-004 (2) :

« La décision ne signifie pas que des journalistes ne peuvent pas faire de reportages sur les gens qu’ils connaissent ou qu’ils suivent sur les réseaux sociaux, mais plutôt qu’ils doivent éviter les situations où le public pourrait douter de leur totale indépendance envers une personne qui fait l’objet d’un reportage. »

La question n’est donc pas de savoir si Mario Girard a déjà travaillé avec ces personnes d’influence chez Cogeco, ce que nous savons être le cas, mais s’il s’agissait d’amis personnels au moment où il écrit une chronique sur un sujet qui les touche directement. 

Mario Girard et La Presse n’ont pas répondu au sujet de « l’amitié profonde » entre le chroniqueur et les trois personnes chez Cogeco qui auraient, selon le plaignant, un pouvoir d’influence dans les pourparlers entre Pierre-Yves McSween et Cogeco.

Le Conseil ne peut pas se prononcer sur une « amitié profonde » s’il n’en a pas la preuve. Le plaignant n’apporte aucune preuve confirmant une telle amitié et les mis en cause ne parlent que de liens « professionnels » dans un « petit milieu ». Les faits dont dispose le Conseil ne permettent donc pas de conclure que l’indépendance du journaliste aurait été compromise lors de la rédaction de l’article visé par la plainte. 

Pour que le Conseil retienne un grief d’apparence de conflit d’intérêts, il doit avoir la preuve que la nature du lien entre deux personnes peut amener le public à douter de l’indépendance du journaliste. Dans le cas du dossier D2022-11-220 / D2023-01-004 (2), confirmé en appel, le Conseil a retenu un grief d’apparence de conflit d’intérêts concernant la journaliste du 98,5 FM Marie-Ève Tremblay sur la base des preuves amenées par les plaignantes. Le Conseil a déterminé que, dans le cadre de son enquête au sujet de l’humoriste Julien Lacroix, deux ans plus tard, Marie-Ève Tremblay a manqué à son devoir d’éviter tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts en ne divulguant pas la nature de la relation qu’elle entretenait avec la conjointe de Julien Lacroix, Maude Sabbagh.

La commission d’appel a fait valoir : « Le fait que Marie-Ève Tremblay a réagi à des publications touchant la vie personnelle de Maude Sabbagh, dont une qui visait directement le sujet de l’enquête sur laquelle elle travaillait, le fait qu’elle est restée dans la garde rapprochée de Mme Sabbagh alors que le compte Instagram de cette dernière était en mode privé et le cumul de ses réactions à des publications concernant la vie privée de Mme Sabbagh pouvaient semer le doute dans la tête du public quant à l’indépendance de la journaliste face à son interlocutrice. Afin d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts, Marie-Ève Tremblay aurait pu préciser aux lecteurs et aux auditeurs la nature de sa relation avec Maude Sabbagh, ou encore laisser cette entrevue à une autre journaliste, afin d’évacuer tout doute sur un possible manque d’indépendance. En procédant à l’entrevue sans prendre ces précautions, Mme Tremblay n’a pas pris les moyens nécessaires pour éviter l’apparence de conflit d’intérêts. » Ses interactions d’ordre personnel sur les réseaux sociaux avec la personne qui faisait l’objet de son reportage constituaient des preuves d’apparence de conflit d’intérêt.

Dans le cas présent, le plaignant n’apporte pas la preuve de l’existence de liens d’amitié entre Mario Girard et trois personnes d’influence de Cogeco qui pourraient placer le chroniqueur en apparence de conflit d’intérêts lorsqu’il traite de nouvelles à propos de cette station radiophonique.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Pierre-Yves McSween visant la chronique et le rectificatif « Parlons de radio – Rentrée incertaine pour Pierre-Yves McSween au 98,5 », du chroniqueur Mario Girard, publiée dans La Presse le 22 juillet 2024 concernant les griefs d’informations inexactes et d’apparence de conflit d’intérêts.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
René Côté

Représentants des journalistes
Stéphane Baillargeon
Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse
Stéphan Frappier
Éric Grenier