Tout ce qui touche l’affaire Dutroux est-il forcément public?
19 juin, Belgique. Non, si on en croit une décision du Conseil de déontologie journalistique (CDJ). Des suites médiatiques de cette douloureuse affaire ont fait l’objet d’une plainte en déontologie de la part de Jean-Denis Lejeune, père d’une des jeunes victimes, et Michèle Martin, ex-conjointe de Marc Dutroux, condamné à la prison à perpétuité pour pédophilie, séquestrations et assassinats d’enfants, en 2004.
En novembre 2012, 17 ans après les crimes, M. Lejeune et Mme Martin ont participé à une rencontre de médiation. Fait inusité, la chute du téléphone portable d’un médiateur a déclenché la composition automatique du numéro d’un journaliste de Sud Presse qui l’avait contacté plus tôt. Ce dernier a pu ainsi écouter une heure de la discussion qui se tenait à huis clos.
Le lendemain, toutes les éditions régionales du groupe Sud Presse publiaient des extraits de la rencontre dans un article annoncé en une.
Le CDJ dit ne pas porter de jugement sur la façon dont Sud Presse s’est procuré l’information et admet que l’explication de la chute du téléphone, si elle est étonnante, n’est pas pour autant impossible.
Les plaignants avancent que le média a usé d’une méthode déloyale et de harcèlement pour obtenir l’information. Ce grief n’a pas été retenu par le CDJ.
M. Lejeune et Mme Martin estiment en outre que le journaliste a violé leur vie privée et a fait intrusion dans un contexte de souffrance morale. À cet égard, le CDJ écrit : « Les journalistes peuvent répercuter des informations entendues fortuitement à condition que cela réponde à un intérêt général qui ne se confond pas avec la simple curiosité du public. »
La majorité des membres du comité qui ont examiné la plainte convient que le retentissement de l’affaire Dutroux implique l’intérêt public d’une telle rencontre de médiation, mais qu’il en va différemment du contenu de la rencontre, lequel est confidentiel et sans valeur informative. Elle souligne l’importance du respect de la vie privée, en notant que « toute personne, même fortement médiatisée ou même condamnée en justice pour des faits graves, a droit au respect d’une certaine part de sa vie privée » et qu’« aucune considération liée à la liberté de presse ne rendait nécessaire de répercuter publiquement ces souffrances ».
Trois membres du comité ont exprimé une opinion minoritaire différente et jugent que Presse Sud n’a pas commis de faute déontologique.
Notamment, ils défendent que l’information publiée était bien d’intérêt général et que les protagonistes ont d’ailleurs discuté, lors de la rencontre, d’une éventuelle communication à la presse au sujet des discussions qui s’y sont déroulées. « Ce qui est bien normal dès lors qu’il s’agit d’un événement extraordinaire qui constitue en outre un énième développement s’inscrivant dans une affaire elle- même extraordinaire (l’affaire Dutroux) qui a bouleversé la Belgique entière pendant des années : le père d’une des victimes de Dutroux rencontre la femme et complice de celui-ci, qui a laissé deux enfants mourir de faim. »