Plaignant
Ronald Vinet, copropriétaire des Résidences Quatre Saisons (RQS)
Mis en cause
Steve Sauvé, journaliste
La Voix Régionale – Beauharnois-Salaberry Haut-Saint-Laurent
Résumé de la plainte
Le copropriétaire des Résidences Quatre Saisons (RQS), Ronald Vinet, dépose une plainte le 6 juillet 2020 contre un article intitulé « 95% des résidents d’une résidence pour aînés de Salaberry-de-Valleyfield atteints de la COVID-19 », signé par le journaliste Steve Sauvé, qui a été publié le 14 mai 2020 sur le site Internet viva-media.ca, qui héberge les contenus en ligne de l’hebdomadaire La Voix Régionale – Beauharnois-Salaberry Haut-Saint-Laurent. Le plaignant reproche des informations inexactes, des informations incomplètes, du sensationnalisme, un manque d’équilibre, un manque de fiabilité des informations transmises par une source, un conflit d’intérêts ainsi qu’un correctif inadéquat.
CONTEXTE
Dans un article publié durant la première vague de la pandémie de COVID-19, le journaliste Steve Sauvé relate la situation dans trois résidences pour aînés de Salaberry-de-Valleyfield, dont deux appartiennent au groupe Les Résidences Quatre Saisons.
Cet article a été retiré du site Internet viva-media.ca après que le copropriétaire des Résidences Quatre Saisons, Ronald Vinet (le plaignant dans ce dossier), a contacté le journaliste qui, dans la foulée, a publié un rectificatif.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Nombre de résidents hébergés
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé rapporte une information inexacte au sujet du nombre de résidents hébergés, dans le passage suivant : « La Résidence Quatre Saisons située sur la rue Académie à Salaberry-de-Valleyfield serait la plus touchée. Selon une source à l’interne, près de 95 % des 55 résidents sont atteints de la COVID-19 ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Ronald Vinet affirme qu’il est inexact d’écrire que 55 résidents sont atteints de la COVID-19, car « la Résidence Académie des Résidences Quatre Saisons ne contient que 50 chambres. Au moment de la détection d’un premier cas de COVID-19, il n’y avait que 38 chambres louées, donc seulement 38 résidents. »
De son côté, le journaliste Steve Sauvé explique que ces chiffres proviennent d’une de deux sources qu’il dit avoir consultées pour écrire cet article. Le journaliste apporte en preuve une conversation par messages texte avec une personne qu’il précise être « une employée de M. Vinet ». Cette conversation débute par un message de cette personne : « … Les nouvelles ont tort… vous devriez aller voir à la résidence Quatre Saisons Académie… 45 cas positifs, 3 décès, 5 préposés infectés, seulement 3 non infectés / Les chiffres sont 4 fois moins élevés que la réalité. » Plus loin dans la discussion, le journaliste lui demande : « Combien de résidents à la résidence Académie / Et combien de ce nombre sont positifs? ». La personne lui répond : « La dernière fois que j’y étais 55 / Seulement trois non positifs / Ils disent 45 à 47, quelques-uns ont été transférés à l’hôpital. »
L’information communiquée par cette personne au sujet du nombre de résidents est erronée et il était facile de le vérifier, comme le reconnaît d’ailleurs le journaliste dans le texte rectificatif publié le lendemain, en écrivant : « Une vérification faite sur le site Résidence-Québec.ca permet en effet de confirmer que la résidence de la rue Académie dispose de 50 unités. » Le nombre 55 était donc clairement erroné.
Dans un dossier similaire (D2020-03-035), le Conseil devait déterminer si la journaliste avait transmis de l’information inexacte concernant la durée de la vacance d’un poste au comité permanent sur l’inconduite sexuelle et la violence sexuelle au sein d’une université. « Bien que l’information provienne d’une citation (…), la journaliste devait la vérifier. Effectivement, contrairement au sous-grief précédent [qui visait une opinion émise par la personne citée], il s’agit cette fois d’une information factuelle facilement vérifiable et non d’une question de perspective », a précisé le Conseil qui a retenu le grief d’inexactitude. Pareillement dans le cas présent, le journaliste avait le devoir de vérifier l’information factuelle concernant le nombre de résidents hébergés à la Résidence Académie.
1.2 Nombre de cas de COVID-19 dans l’établissement
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé rapporte une information inexacte au sujet du pourcentage de résidents atteints de la COVID-19 dans le passage suivant : « La Résidence Quatre Saisons située sur la rue Académie à Salaberry-de-Valleyfield serait la plus touchée. Selon une source à l’interne, près de 95 % des 55 résidents sont atteints de la COVID-19. »
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Ronald Vinet explique qu’« au moment d’écrire et de publier son article le 14 mai 2020, si le journaliste avait consulté le document en ligne “État de situation des cas confirmés et des décès par RPA [résidence pour aînés] en date du 13 mai 2020” (ministère de la Santé et des Services sociaux), il y aurait constaté qu’il n’y avait plus aucun cas de COVID-19 dans cette résidence. » Il apporte en preuve un document de la Santé publique, diffusé la veille de l’article en cause, qui montre qu’il n’y avait alors aucun cas de COVID-19 recensé parmi les personnes âgées hébergées à la Résidence Académie. Steve Sauvé explique de nouveau que le chiffre de 95 % de résidents atteints de la COVID-19 lui a été donné par sa « source à l’interne ».
Steve Sauvé présente les informations de sa source comme un fait avéré sans les avoir vérifiées auprès de la Santé publique qui, à l’époque, mettait ces données-là à jour quotidiennement et les rendait disponibles aux journalistes, comme le Conseil a pu le vérifier. Ainsi, le journaliste n’est pas en mesure d’opposer la version de sa source anonyme aux chiffres officiels de la Santé publique, qui diffèrent du tout au tout, afin que les lecteurs aient un portrait fidèle de la situation. Il ne le fera que partiellement, dans le rectificatif publié le lendemain, en reconnaissant que « le nombre de 95 % des résidents infectés serait également trop élevé » et que « la réalité serait inférieure à ce nombre. »
1.3 Employés atteints de la COVID-19
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé rapporte une information inexacte dans le passage suivant au sujet du personnel infecté : « “C’est terrible, dit-elle. En plus des résidents, il y a plusieurs membres du personnel qui sont infectés. La situation n’est vraiment pas sous contrôle. Comme si ce n’était pas suffisant, il y a un manque dans les équipements de protection”. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il manque de preuves pour se prononcer.
Analyse
Le passage en cause est une citation entre guillemets provenant de la « source à l’interne » de la Résidence Académie mentionnée par le journaliste dans la phrase précédente. Ronald Vinet y note une inexactitude, car, selon lui, « aucun membre du personnel en services de santé, privés ou publics, ne pouvait continuer de travailler à partir du moment où il présentait des signes d’infection à la COVID-19 ou qu’il avait été testé positif à ce coronavirus. Ce fait était de notoriété publique au moment de la rédaction du texte. » Cependant, la source du journaliste indique certes qu’« il y a plusieurs membres du personnel qui sont infectés », mais il n’est pas précisé quand ces employés ont été infectés ni s’ ils continuaient de travailler à la résidence en question.
Dans la décision D2018-04-037, le Conseil a indiqué qu’il ne peut retenir un grief dont il n’a pas de preuves : « Lorsque le Conseil examine une allégation d’inexactitude, il ne retient le grief que s’il a une preuve démontrant qu’une information inexacte a été véhiculée. [De plus,] […]“il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule”. Devant des versions contradictoires, le Conseil se voit dans l’obligation de rejeter le grief d’information inexacte, ce qui signifie qu’il n’a pas les preuves nécessaires pour trancher à propos de l’inexactitude alléguée. » Pareillement dans le cas présent, le plaignant n’apporte pas la preuve de son allégation. À défaut de preuve de l’inexactitude alléguée, le Conseil rejette le grief.
1.4 Nombre de décès à la Résidence Bellerive
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé rapporte une information inexacte au sujet du nombre de décès causés par la COVID-19 à la Résidence Bellerive, dans le passage suivant : « “Il y avait une douzaine de résidents qui avaient perdu la vie à cause de la COVID-19 en date du 5 mai, mentionne l’employée. »
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Le passage en cause fait partie d’une citation attribuée entre guillemets à l’une des deux sources confidentielles que Steve Sauvé dit avoir consultées afin d’écrire son article. Ronald Vinet conteste la véracité de ces propos en apportant en preuve le document de la Santé publique, diffusé la veille de l’article en cause, qui montre qu’en date du 13 mai 2020, 10 résidents étaient décédés de la COVID-19 parmi les personnes âgées hébergées à la Résidence Bellerive.
Steve Sauvé avait la possibilité de corroborer les informations de sa source en consultant, par exemple, l’« État de situation des cas confirmés et des décès par RPA en date du 13 mai 2020 » publié la veille par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Ce faisant, il aurait pu, comme le Conseil l’a fait, constater que le chiffre communiqué par sa source – une « douzaine » de décès dus à la COVID-19 – est inexact puisque 10 personnes étaient décédées de la COVID-19 dans cette résidence.
1.5 Joindre la direction des Résidences
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé rapporte une information inexacte au sujet des appels passés pour joindre la direction des RQS dans le passage suivant : « Plusieurs appels ont été effectués afin de parler avec la direction des Résidences Quatre Saisons. Toutefois, tous les appels logés sont restés sans réponse. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Ronald Vinet allègue que « contrairement à ce qui est affirmé à la fin de l’article, on n’a jamais tenté de les joindre. Pourtant le journaliste possédait tous les numéros de téléphone pour le faire et il n’a laissé aucun message. Lorsque l’un des propriétaires des RQS l’a contacté pour lui demander de retirer son texte mensonger et de se rétracter, il a commencé par affirmer qu’il avait effectué “30 appels” pour terminer en disant qu’il avait tenté de faire trois appels successifs à la réception générale du centre sans avoir laissé aucun message. »
De son côté, Steve Sauvé soutient que lors de sa conversation téléphonique avec le propriétaire des RQS après la publication de l’article en cause, il a « réellement fait mention que j’ai appelé pour des informations. Je lui ai même indiqué le nom de la personne que j’avais contactée et je lui ai dicté le message sur le répondeur. D’ailleurs, je précise à ma source dans la conversation Messenger que j’ai appelé à la résidence, et ce sans succès. C’est même indiqué dans l’article. M. Vinet prétend que j’avais en ma possession tous les numéros de téléphone pour rejoindre la direction. D’où prend-il cette information? Sérieusement, je n’ai que le numéro qui est disponible sur Google. En aucun temps, je n’ai le numéro de cellulaire de M. Vinet ou de la direction de la résidence. »
Dans l’article en cause, le journaliste indique qu’il a tenté en vain de rejoindre la direction des RQS. Il ne dit pas qu’il a appelé la direction, comme l’aurait souhaité le plaignant; il dit qu’il a essayé de parler avec la direction, mais que ses appels sont restés sans réponse. Dans le rectificatif publié le lendemain, Steve Sauvé précise ainsi : « Il est important de souligner qu’aucun appel n’avait été effectué auprès du propriétaire de la résidence. Pour des fins de vérification, des appels ont été effectués uniquement à la résidence. » Steve Sauvé n’est pas parvenu à s’entretenir avec la direction des RQS. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’a pas tenté de parler à la direction en passant par d’autres chemins, comme la réception.
Dans un dossier similaire (D2018-01-002), le Conseil devait déterminer si le journaliste avait rapporté une information inexacte en écrivant que « [le plaignant] n’a pas rappelé Le Journal ». Le Conseil a rejeté le grief d’inexactitude en expliquant : « Bien que le plaignant affirme que, contrairement à ce qui est écrit dans l’article, il n’a jamais été contacté par le journaliste, il n’en apporte pas de preuve. Le Conseil se retrouvant face à des versions contradictoires, il ne constate pas de manquement. » Pareillement dans le cas présent, Ronald Vinet n’apporte pas la preuve que le journaliste n’a pas tenté de joindre la direction des RQS. Le Conseil accorde donc le bénéfice du doute à Steve Sauvé.
Grief 2 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 du Guide)
2.1 Responsabilité du manque d’équipement
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé a omis un élément essentiel à la bonne compréhension du sujet en n’attribuant pas au Centre intégré de Santé et de Services sociaux de la Montérégie-Ouest (CISSSMO) la responsabilité de la situation à la résidence Académie, dans le passage suivant : « L’employée rencontrée, qui demande l’anonymat en raison d’un risque de congédiement, indique qu’en raison du manque de matériel [de protection], le risque de contamination augmente. “On met des jaquettes, mais comme il en manque, nous ne les changeons pas comme le voudrait la procédure. J’ai même été témoin que des travailleurs changent de zone sans se dévêtir. Pour les masques, c’est deux par jour par travailleurs.” Le manque de continuité est également dénoncé. Selon notre interlocutrice, des permissions sont accordées aux résidents contaminés alors qu’elles sont interdites le soir. “Encore hier, j’ai vu des résidents atteints de la COVID-19 sortir dehors”, explique la dame. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Ronald Vinet soutient que « s’il y avait un manque d’équipement, la responsabilité aurait dû être attribuée au CISSSMO, parce que depuis la prise en charge de la résidence par ces derniers, ils étaient pleinement responsables de la fourniture des équipements de protection et de l’application des procédures d’hygiène et de sécurité. Comme le journaliste n’a jamais établi ce fait, par vérification ou par la consultation d’autres sources, dont les sources concernées au CISSSMO ou aux RQS, il laisse encore sous-entendre que les RQS gèrent la situation de façon chaotique et irresponsable ».
Pour évaluer s’il y a eu incomplétude, il faut déterminer si le journaliste devait signaler quelle organisation était responsable des équipements de protection et des mesures sanitaires, c’est-à-dire si cette information était essentielle à la compréhension du sujet du reportage. À cet effet, le plaignant ne démontre pas en quoi le fait que le CISSSMO soit responsable de la situation à la Résidence Académie aurait changé la compréhension du sujet.
Dans le D2018-07-078, le Conseil a rappelé que « la déontologie n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. (…) Compte tenu de l’angle choisi par le journaliste [le mécontentement de commerçants concernant la présence d’itinérants dans ce quartier], les informations souhaitées par le plaignant [le contexte social expliquant l’intoxication de ces itinérants] n’étaient pas essentielles à la compréhension du reportage. Le journaliste n’avait donc pas l’obligation déontologique d’en faire état. »
Pareillement dans le cas présent, l’information essentielle à la compréhension du sujet est qu’il manquait du matériel de protection dans les résidences Académie et Bellerive et que les mesures sanitaires y étaient mal appliquées, non pas de savoir qui était responsable de ces manquements.
2.2 Employeur de la source confidentielle
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé a omis des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet en ne mentionnant pas qui est l’employeur de sa source dans le passage suivant : « L’employée rencontrée qui demande l’anonymat en raison d’un risque de congédiement, indique qu’en raison du manque de matériel, que le risque de contamination augmente ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Ronald Vinet allègue qu’en « laissant sous-entendre que c’est une employée de RQS qui est sa source anonyme, alors qu’il n’y avait que du personnel du CISSSMO sur place pour prendre soin des résidents, le journaliste tente de donner aux RQS une image d’employeur intransigeant qui a déployé des mesures d’omerta et qui congédie son personnel au moindre manquement. »
Afin de déterminer s’il y a eu un manque de complétude, il faut évaluer si le journaliste a omis une information essentielle à la compréhension du sujet en ne précisant pas qui est l’employeur de sa source. Or, au regard de l’angle choisi par le journaliste, qui consistait à faire état de la situation dans trois résidences pour aînés de Salaberry-de-Valleyfield en lien avec la COVID-19, cette précision n’était pas essentielle afin de comprendre ladite situation.
Par ailleurs, le journaliste, ayant accordé la confidentialité à sa source, celui-ci ne pouvait pas apporter les précisions demandées par le plaignant, car cela aurait permis l’identification de cette personne.
Grief 3 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé déforme la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements lorsqu’il cite sa source dans le passage suivant : « “C’est terrible, dit-elle. En plus des résidents, il y a plusieurs membres du personnel qui sont infectés. La situation n’est vraiment pas sous contrôle.” »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de sensationnalisme, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 14.1 alinéa e du Guide.
Analyse
Ronald Vinet se demande « comment une résidence où il n’y avait plus aucun cas de personne atteinte de la COVID-19 et qui allait être en déconfinement dans les jours suivants pouvait-elle être jugée hors de contrôle? Le journaliste ne s’en est remis qu’à sa source présumée qui exagérait la situation, ou il a lui-même amplifié les propos de cette source. Peu importe, la volonté de créer auprès des lecteurs un effet sensationnalisme est flagrante. » Bien que le plaignant puisse être en désaccord avec les propos de la source rapportés par Steve Sauvé, il ne nie pas que des employés de la Résidence Bellerive ont pu contracter la COVID-19 pas plus qu’il n’apporte la preuve du contraire. On ne peut donc que présumer de la sincérité de la source quand elle indique qu’« en plus des résidents, plusieurs membres du personnel (…) sont infectés », après quoi elle donne son opinion en jugeant que « la situation n’est vraiment pas sous contrôle. » Il s’agit de son interprétation de la situation, et si elle diffère de celle qu’en fait le plaignant, elle n’est pas abusive et n’exagère pas la réalité que la source décrit elle-même auparavant.
Dans le dossier D2007-10-015, le Conseil a retenu un grief de sensationnalisme contre un reportage qui faisait le lien entre les licenciements au sein d’un organisme à but non lucratif et le possible désir d’enrichissement de sa direction. Le Conseil a jugé que « cette impression, en n’étant jamais démontrée au cours du reportage, constituait une interprétation abusive de la réalité ». À l’inverse dans le cas présent, la source appuie son impression sur le fait que des résidents et des employés sont infectés et son interprétation n’est pas abusive, car elle pouvait effectivement estimer que « la situation n’est pas vraiment sous contrôle » puisqu’elle considérait que du personnel était positif à la COVID-19.
Grief 4 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (Article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé a présenté une juste pondération du point de vue des parties en présence dans son article.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de manque d’équilibre, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 alinéa d du Guide.
Analyse
Ronald Vinet affirme que « les Résidences Quatre Saisons n’ont jamais eu la moindre occasion de donner leur version et de rétablir les faits avant que le texte ne soit publié en ligne. Contrairement à ce qui est affirmé à la fin de l’article, on n’a jamais tenté de [nous] joindre ». Au-delà de savoir si Steve Sauvé a bien tenté de rejoindre la direction des RQS – une question qui a déjà fait l’objet d’un sous-grief d’inexactitude rejeté pour manque de preuves -, le journaliste avait l’obligation de présenter, de manière pondérée, les points de vue des parties en présence. Les RQS sont directement pointées du doigt dans ce reportage, puisque les faits rapportés se déroulent dans deux de ses résidences pour aînés, mais leur perspective n’est pas présentée dans l’article en cause.
Le journaliste rapporte des faits graves concernant deux résidences du groupe RQS : 95% des résidents seraient infectés à la COVID-19 dans l’une; une douzaine seraient morts dans l’autre, où du personnel serait également infecté; il manquerait de matériel de protection pour les employés; et les consignes sanitaires ne seraient pas appliquées avec rigueur. Le tableau ainsi dépeint tout au long de l’article remet en question la gestion de la situation. Le journaliste aurait donc dû permettre à la direction des RQS de s’exprimer à ce sujet, en faisant davantage d’efforts pour la joindre.
Dans le dossier D2020-01-008, le plaignant reprochait au journaliste de ne retenir « qu’une seule version des faits » et de ne l’avoir « jamais contacté avant la rédaction de son article qui [l’]incrimine. » Il déplorait également être « la seule personne mentionnée (…) devenant ainsi la seule personne responsable » des omissions reprochées. « Comme le reconnaissent les mis en cause, a souligné le Conseil, [le journaliste] avait effectivement le devoir de présenter une juste pondération des parties en présence. Or [le plaignant] est l’une de ces parties puisqu’il est décrit dans l’article comme responsable du chantier qui fait l’objet de la controverse et que ces critiques le visent personnellement. [Au fil de l’article] le travail [du plaignant] est explicitement remis en question par les personnes citées qui doutent de son analyse quant à la datation de la “palissade Beaucours”. Dans ces circonstances, le journaliste aurait dû contacter [le plaignant] afin de recueillir son point de vue et de lui permettre de répondre aux critiques dont il fait l’objet, comme le lui imposait la déontologie journalistique. » Pareillement dans le cas présent, le journaliste ne peut pas présenter le point de vue de quelqu’un (la source confidentielle) qui attaque la gestion des résidences sans donner à la direction la possibilité de se défendre.
Steve Sauvé a préparé son article en fin de journée, comme le montre la preuve qu’il a apportée. La conversation par message texte avec sa « source à l’interne » a débuté à 17h56 et à 21h06 le journaliste lui partageait l’article qu’il venait de publier. Autrement dit, le journaliste n’a, au mieux, laissé que trois heures à la direction des RQS pour le rappeler, un délai trop court qui aurait mérité qu’on attende avant de publier la nouvelle. Il fallait donner un temps raisonnable au principal intéressé afin qu’il puisse répondre.
Dans un autre dossier (D2015-10-051), le Conseil a retenu un grief de manque d’équilibre en jugeant qu’« il est difficile de justifier, dans les circonstances, l’empressement que semble avoir eu le journaliste à publier ce texte, avant d’avoir pu parler au principal intéressé. En effet, considérant l’importance des accusations et le fait que la réputation du plaignant était en jeu, il était important d’obtenir le point de vue [de ce dernier], et le journaliste ne pouvait prétendre avoir satisfait à cette obligation en ne laissant que quelques heures au plaignant pour obtenir une réponse. » Similairement dans le cas présent, le point de vue du principal intéressé était primordial.
De plus, en ne permettant pas à la direction de RQS de donner son point de vue sur la situation, le journaliste s’est privé de recueillir des informations provenant de sources officielles concernant les nombres de cas de COVID-19 à la Résidence Académie et de décès à la Résidence Bellerive, ce qui lui aurait permis de remettre en question certaines informations erronées de sa source confidentielle.
Grief 5 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé a pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par ses sources.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 11 du Guide.
Analyse
Ronald Vinet estime que Steve Sauvé n’a pas vérifié la fiabilité des informations transmises par ses sources et déplore qu’il ne s’en soit remis qu’à ces sources-là pour dépeindre la situation dans les deux résidences pour aînés du groupe RQS. Dans l’article en cause, deux personnes sont citées : la première est présentée comme une « source à l’interne » de la Résidence Académie et, dans sa réplique, le journaliste indique c’est une « employée de M. Vinet » avec qui il a échangé par messages textes; la seconde est présentée comme une « employée rencontrée qui demande l’anonymat en raison d’un risque de congédiement » et, dans sa réplique au Conseil de presse, le journaliste laisse entendre que ce serait une employée du CISSSMO travaillant à la Résidence Bellerive qu’il a interviewée dans un stationnement.
Le Conseil doit donc examiner si Steve Sauvé a pris les moyens raisonnables pour vérifier que les informations qu’elles lui ont transmises étaient fiables. Or, l’analyse des sous-griefs 1.1, 1.2 et 1.4 montre que ces informations étaient inexactes et facilement vérifiables. Concernant le nombre de personnes hébergées à la Résidence Académie (55 selon sa source), le journaliste pouvait consulter le site Internet du groupe RQS ou ResidenceQuebec.ca, un répertoire des résidences privées pour aînés, et il se serait rendu compte que l’établissement ne compte que 50 unités, comme il le reconnaît dans son rectificatif. S’agissant des nombres de cas de COVID-19 à la Résidence Académie (95 % des 55 résidents, selon sa source) et de décès à la Résidence Bellerive (une douzaine, selon sa source), le journaliste pouvait vérifier ces chiffres en consultant l’« État de situation des cas confirmés et des décès par RPA en date du 13 mai 2020 » publié la veille par le ministère de la Santé et des Services sociaux, un document qui était disponible sur Internet avant la publication de l’article en cause. Il pouvait également contacter la direction des RQS, le CISSSMO, ou encore le ministère de la Santé et des Services sociaux qui, au moment de la première vague de la pandémie, actualisait ces chiffres quotidiennement pour chaque établissement accueillant des aînés.
Le journaliste doit vérifier les informations transmises par ses sources. Or Steve Sauvé a failli à la tâche alors que les faits rapportés par ses sources étaient vérifiables.
Grief 6 : conflit d’intérêts
Principe déontologique applicable
Conflits d’intérêts : « (1) Les journalistes évitent tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts. En toute situation, ils adoptent un comportement intègre. (2) Les médias d’information veillent à ce que leurs journalistes ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts. » (article 6.1 du Guide)
6.1 Conflit d’intérêts visant le journaliste
Le Conseil doit déterminer si Steve Sauvé s’est placé en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts en traitant un sujet concernant les Résidences Quatre Saisons.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de conflit d’intérêts sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 6.1 du Guide.
Analyse
Ronald Vinet affirme que le journaliste s’est placé en situation de conflit d’intérêts par rapport aux Résidences Quatre Saisons, car il a déjà été impliqué dans un litige avec l’organisation lorsqu’il travaillait pour un autre média. « La faute a été reconnue et le litige a été réglé en faveur des RQS. Nous présumons qu’en procédant comme il l’a fait dans cette nouvelle situation, le journaliste Steve Sauvé, maintenant chez Viva Média, a agi par vengeance personnelle à l’égard des RQS », déclare le plaignant. De son côté, le journaliste indique qu’il ne peut « pas aborder ce sujet puisque dans l’entente conclue, il y a une clause de confidentialité. »
Le Conseil ne dispose pas de preuve d’un conflit d’intérêts actuel. Le fait d’avoir été impliqué dans un litige dans le passé ne signifie pas qu’il y ait un conflit d’intérêts au moment de rédiger ce reportage. Considérant cela, il n’y a pas de conflit d’intérêts ni d’apparence de conflit d’intérêts dans le fait que Steve Sauvé ait de nouveau écrit un article sur les RQS.
De plus, les journalistes font souvent l’objet de poursuites en raison des informations qu’ils rapportent, ce qui ne signifie pas que toutes ces poursuites sont justifiées. Parfois, une personne peut simplement tenter d’empêcher la diffusion d’une nouvelle pourtant d’intérêt public. Si chaque litige passé plaçait le journaliste en conflit d’intérêts ou en apparence de conflit d’intérêts, cela aurait un impact sur le travail journalistique et la capacité des médias à informer le public.
6.2 Vigilance défaillante du média
Le Conseil de presse doit déterminer si Viva Média a veillé à ce que son journaliste ne se trouve pas en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de conflit d’intérêts sur ce point, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 6.1 du Guide.
Analyse
Ronald Vinet se pose « de sérieuses questions sur le manque d’encadrement que reçoivent les journalistes de Viva Média, sur le manque de procédures avant la publication d’un texte et sur l’application de principes contenus dans le Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec ». Le plaignant déplore notamment que le média n’ait pas veillé à ce que Steve Sauvé ne se trouve pas en situation de conflits d’intérêts en traitant des informations concernant le groupe RQS avec qui il a été en litige par le passé. Or, le Conseil ne dispose pas de preuves que Viva Média a omis de veiller à ce que son journaliste ne se place pas en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.
Grief 7 : rectificatif inadéquat
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont adéquatement corrigé leurs manquements et erreurs.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de rectificatif inadéquat, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 27.1 du Guide.
Analyse
Ronald Vinet indique que « la rétractation n’a pas fait l’objet d’une publication sur la page principale du média en ligne comme l’avait été le texte initial, mais qu’elle a été publiée dans une sous-section destinée aux 50 ans et plus. Il n’est pas certain que la rétractation, même de bonne foi, aura réussi à contrecarrer l’opinion publique négative dans une communauté somme toute tissée serrée. » Cependant, la déontologie journalistique n’impose pas au média l’endroit où un correctif doit être publié ni la visibilité qu’il doit lui accorder, ce choix relevant de la liberté éditoriale des médias. L’important est que la faute soit corrigée et l’erreur réparée. En l’occurrence, l’article en cause a été retiré du site Internet de Viva Média et n’est plus consultable, tandis que le rectificatif publié le lendemain est toujours en ligne. En ce sens, les mis en cause ont corrigé rapidement et adéquatement leurs manquements et erreurs.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Ronald Vinet et blâme le journaliste Steve Sauvé, La Voix Régionale de Beauharnois-Salaberry Haut-Saint-Laurent et Viva Média en ce qui concerne les sous-griefs d’information inexacte 1.1, 1.2 et 1.4 ainsi que pour les griefs de manque d’équilibre et de manque de fiabilité des informations transmises par les sources. Lorsque les mis en cause corrigent adéquatement leurs erreurs, il est d’usage de leur accorder l’absolution. Dans le cas présent, le blâme est justifié par la quantité et la gravité des fautes commises par le journaliste qui n’a pas respecté deux règles de base de la profession – vérifier les informations transmises par ses sources et donner la parole aux personnes ou aux organisations responsables.
Les sous-griefs d’information inexacte 1.3 et 1.5 ainsi que les griefs d’informations incomplètes, de sensationnalisme, de conflit d’intérêts et de rectificatif inadéquat sont rejetés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau