Plaignant
M. Hugo Plouffe
M. Vincent Roy
M. Pierre Chabot
12 plaintes en appui
Mis en cause
M. Guy A. Lepage, animateur
Mme Carole-Andrée Laniel, rédactrice en chef
L’émission « Tout le monde en parle »
ICI Radio-Canada Télé
Résumé de la plainte
MM. Hugo Plouffe, Vincent Roy et Pierre Chabot ainsi que 12 autres plaignants en appui portent plainte les 4, 6, 7, 8, 11 et 18 avril 2016 contre M. Guy A. Lepage, animateur, l’émission « Tout le monde en parle » et ICI Radio-Canada concernant l’émission « Tout le monde en parle » diffusée le 3 avril 2016. Les plaignants déplorent des inexactitudes et de la partialité.
Dans le cadre de « Tout le monde en parle », M. Guy A. Lepage anime un débat entre Mme Nathalie Provost, porte-parole de « Poly se souvient », et M. Guy Morin, président de « Tous contre un registre québécois des armes à feu », au sujet du projet de loi n° 64 relatif à l’immatriculation des armes à feu.
Analyse
POINTS SUR LA RECEVABILITÉ
Dans sa réplique, Mme Sophie Morasse, première directrice du secteur des émissions Culture, variétés et société de Radio-Canada, conteste la recevabilité de la plainte pour trois motifs.
1. « Tout le monde en parle » n’est pas un produit de nature journalistique
Mme Sophie Morasse, première directrice du secteur des émissions Culture, variétés et société de Radio-Canada explique que « “Tout le monde en parle” est une émission de divertissement et en raison justement de cette vocation, les plaintes qui lui sont adressées ne sont pas traitées par l’ombudsman de Radio-Canada. N’étant pas une émission d’information, “Tout le monde en parle” n’est pas soumise à l’ensemble de nos Normes et pratiques journalistiques. Elle est astreinte notamment aux devoirs d’équilibre et d’équité, mais pas à celui de l’exactitude ».
Concernant les invités de « Tout le monde en parle », Mme Morasse indique que « n’étant pas des journalistes employés par Radio-Canada, [ils] ne sont pas tenus nécessairement à l’obligation d’exactitude, car ils sont sollicités souvent pour livrer des témoignages, exprimer des opinions, jeter des éclairages et faire des lectures sur différents événements »
Dans son commentaire, un des plaignants, M. Pierre Chabot, considère qu’en « stipul[ant] que son émission en est une de divertissement, Radio-Canada semble vouloir traiter l’information comme il le veut. ». Il estime que « dire que Radio-Canada n’a aucune responsabilité de l’information présentée dans une émission de divertissement revient à dire que pour éviter toute forme de règles, Radio-Canada n’a qu’à se transformer en société privée et traiter toutes ses émissions d’affaires publiques en émissions de divertissement et ainsi échapper aux règles d’éthiques et de conduites qu’il devrait normalement assumer. »
Dans le dossier D2010-04-072, le Conseil avait considéré que certains segments de l’émission « Tout le monde en parle » correspondaient à un acte journalistique : « Avant d’examiner plus en détail la plainte de M. Bruno, le Conseil de presse a considéré le commentaire de Mme Louise Lantagne, directrice de la télévision de Radio-Canada, selon lequel la plainte ne serait pas recevable puisque “Tout le monde en parle” n’est pas une émission d’information, que le segment mis en cause ne relève pas d’un acte journalistique et ne serait donc pas soumis à la déontologie et à la juridiction du Conseil. Or, après avoir examiné l’extrait de l’émission mis en cause et s’être arrêté à la question de sa nature journalistique, le Conseil en est venu à la conclusion que, dans cet extrait, l’animateur effectuait bien un travail assimilable à celui d’un journaliste. »
Au regard de ces considérations, le Conseil juge que le segment de l’émission en cause est de nature journalistique appartenant au genre du journalisme d’opinion.
2. M. Guy A. Lepage n’est pas un journaliste
Mme Morasse indique que « Guy A. Lepage, humoriste et comédien d’expérience, agit comme animateur et ne fait pas du journalisme factuel. Dès lors, il ne passe pas en revue des faits comme on le ferait dans un bulletin de nouvelles ou dans une autre émission d’information, même s’il commente parfois l’actualité avec des intervenants issus de différents horizons. (…) Parce qu’inscrites justement dans un contexte de divertissement, les entrevues qu’il mène ne peuvent être assimilées à celles effectuées par des journalistes, qui obéissent à des normes et des usages connus. »
L’article 2 a) du Guide de déontologie journalistique définit comme journaliste « toute personne qui, exerçant des fonctions journalistiques et ayant pour objectif de servir le public, recherche, collecte, vérifie, traite, commente ou diffuse de l’information destinée à un large public, sur des questions d’intérêt général ».
Dans la décision D2003-12-024, le Conseil rappelle que « lorsqu’un employé effectue en ondes des fonctions assimilables à celles d’un journaliste (entrevue, information, commentaires), il est réputé agir dans une fonction journalistique et il est alors considéré à ce titre dans la portion d’émission consacrée à cette fonction ».
Après analyse, la majorité des membres (5/6) constate que la jurisprudence du Conseil reconnaît la valeur journalistique de l’émission « Tout le monde en parle » et considère que pour le public, cette émission a une valeur informative. En l’occurrence, ces membres estiment que le segment en cause est un débat d’affaires publiques sur un sujet d’intérêt public qui vise à informer les téléspectateurs sur un enjeu d’actualité.
Un membre fait valoir sa dissidence et considère que la plainte devrait être jugée non recevable. Il considère que « Tout le monde en parle » n’est pas une émission d’information, soulignant qu’elle n’est pas produite par des journalistes.
Concernant le statut de M. Guy A. Lepage, la majorité des membres (4/6) juge que, dans ce segment, l’animateur réalise des entrevues avec des acteurs de l’actualité qui jettent un éclairage sur un sujet d’intérêt public. Ce faisant, il exerce une fonction journalistique.
Deux membres expriment leur dissidence, car ils estiment que M. Lepage n’est pas un journaliste et n’est donc pas soumis au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse.
Au vu de ce qui précède, le Conseil considère la présente plainte comme recevable.
3. Statut de l’animateur de foule
L’un des plaignants, M. Chabot, estime que « l’information diffusée [lors de l’émission en cause] n’a pas été traitée en toute indépendance puisque l’animateur de foule, membre de l’équipe de l’émission d’information privilégiait un type de commentaires et d’opinions, ce qui pouvait influencer [le téléspectateur] vers une prise de position favorisée par un ou des membres de l’équipe de l’émission ». Il ajoute que « l’équipe de l’émission composée de l’animateur de foule contribuait à diffuser et manipuler la foule vers une prise de position choisie. […] Puisque l’animateur de foule n’est pas visible à l’écran, [le téléspectateur] croit à tort que le public présent réagit spontanément par lui-même au point de vue présenté. [Le téléspectateur] est donc induit en erreur sur le traitement des informations diffusées et choisies par Radio-Canada ».
Dans sa réplique aux commentaires des plaignants, Mme Sophie Morasse affirme que les applaudissements n’ont pas été « commandés » pour appuyer une opinion au détriment d’une autre et explique qu’ils sont « généralement menés par l’animateur de foule dans le seul but de rythmer l’émission, de créer une certaine ambiance, de ponctuer les discussions et de faire la transition vers la pause. (…) Le procédé est d’ailleurs largement connu au sein du milieu télévisuel et toutes les émissions de divertissement qui accueillent le public, comme “Tout le monde en parle”, font de même ».
L’article 2 a) du Guide de déontologie journalistique définit comme journaliste « toute personne qui, exerçant des fonctions journalistiques et ayant pour objectif de servir le public, recherche, collecte, vérifie, traite, commente ou diffuse de l’information destinée à un large public, sur des questions d’intérêt général. »
Le Conseil juge que les gestes posés par l’animateur de foule ne constituent pas une fonction journalistique. Sa mission vise à rythmer l’émission en lui donnant une ambiance et son influence, alléguée par le plaignant, relève de l’interprétation.
La plainte est jugée irrecevable sur ce point.
ANALYSE
Grief 1 : informations inexactes
Les plaignants reprochent quatre inexactitudes aux mis en cause.
1.1 Le vendeur d’une arme n’a plus à demander à voir le permis de l’acheteur
MM. Plouffe et Chabot estiment que Mme Provost affirme faussement qu’il n’y a plus d’obligation pour le vendeur d’une arme à feu d’exiger le permis de possession et d’acquisition (PPA) de l’acheteur afin de s’assurer que celui-ci est bien détenteur dudit permis. M. Plouffe écrit que l’affirmation de Mme Provost est « totalement fau[sse] selon l’article 23a de la Loi sur les armes à feu ».
1.2 L’acheteur d’une arme n’a plus à posséder un permis
Selon M. Roy, Mme Provost affirme faussement qu’« il n’est plus nécessaire de posséder un permis de possession d’arme pour faire l’achat d’armes d’épaules par un particulier au Québec ». Il estime que « cette affirmation est mensongère et contrevient à la Loi canadienne sur les armes à feu ». Le plaignant ajoute que « la désinformation véhiculée lors de cette émission comporte un risque sérieux pour la sécurité du public, car elle pourrait pousser un citoyen de bonne foi à céder une arme à feu sans valider le permis de possession d’armes de l’acheteur! Les préjudices engendrés pourraient être très graves si un crime est commis avec ladite arme, car l’individu serait toujours responsable de son arme malgré la cession de bonne foi ».
MM. Roy et Plouffe considèrent que M. Guy A. Lepage a commis une faute en ne rétablissant pas les faits.
M. Chabot estime quant à lui que la rédactrice en chef de « Tout le monde en parle », Mme Carole-Andrée Laniel, a failli à son devoir d’indiquer l’inexactitude des propos de Mme Provost par un sous-titrage ou un autre moyen, lors de la diffusion en différé de l’émission. Il explique que « puisque des faussetés ont été dites lors de l’émission enregistrée le jeudi, Radio-Canada avait suffisamment le temps pour soit vérifier l’information présentée par les protagonistes, choisir et retenir l’information juste ou à tout le moins, présenter une note sous-titrée dans l’émission pour indiquer que cette information n’est pas exacte et porte à confusion. La présentation d’un point de vue d’un invité s’il n’est pas en direct permet à Radio-Canada de vérifier l’exactitude des faits mentionnés lors de l’enregistrement. Penser autrement aurait comme conséquence qu’un invité pourrait présenter plein de faussetés accréditées “éditorialement” par Radio-Canada ».
MM. Plouffe et Roy notent que le Conseil de presse a déjà rendu une décision (D2014-10-023) à la suite d’une plainte relative aux allégations de Mme Nathalie Provost dans une lettre publiée en 2014 dans Le Journal de Montréal, assertions qu’elle aurait répétées le 3 avril 2016 à « Tout le monde en parle », estiment-ils.
1.3 Le vendeur d’une arme n’a plus à vérifier la validité du permis de l’acheteur
M. Plouffe reproche à M. Guy A. Lepage d’avoir « réitéré » les propos erronés de Mme Provost lorsqu’il a déclaré durant le débat : « L’information que j’ai, c’est que depuis 2012, un vendeur n’est plus tenu de vérifier la validité du permis d’un acheteur potentiel d’arme d’épaule ».
En matière d’exactitude , l’article 9 a) du Guide de déontologie journalistique précise que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ».
La jurisprudence du Conseil établit qu’il se refuse à trancher dans des matières relevant des tribunaux, comme exprimé dans la décision suivante D2004-02-036 (2) : « Il n’est pas dans l’usage, au Conseil de presse du Québec, de trancher dans des contenus et dans des matières qui relèvent des tribunaux. En conséquence, le Conseil ne se prononce ni sur l’interprétation à donner à l’article 83.51 de la Loi sur l’assurance automobile ou sur les articles connexes ni sur les matières qui en découlent directement. Le Conseil fait plutôt porter ses observations et ses conclusions sur les matières relevant de l’éthique journalistique et des principes qui la gouvernent. C’est ainsi que les griefs concernant une interprétation fausse de la Loi sur l’assurance automobile et les omissions relatives au traitement de ce sujet n’ont pas fait l’objet de décision de la part du Conseil. De même en est-il des griefs relatifs à une couverture partielle concernant l’application de cette même Loi. Pour trancher ce grief, le Conseil a estimé qu’il aurait à statuer sur l’exactitude de l’affirmation selon laquelle la SAAQ ne respecte pas sa propre loi. Or, statuer sur la question équivaudrait à se prononcer sur le contenu juridique en cause, ce que s’est refusé à faire le Conseil. »
Dans le dossier D1982-04-025, le Conseil avait par ailleurs établi que : « Certains des faits portés à l’attention du Conseil soulèvent des problèmes de gestion interne qu’il ne lui appartient pas de résoudre. D’autres faits relèvent de l’application et de l’interprétation de la Loi sur les droits d’auteur au Canada qui ne ressortissent pas à la compétence du Conseil. »
Après analyse, la majorité des membres (5/6) affirment qu’il ne revient pas au Conseil de presse d’interpréter le libellé de la Loi sur les armes à feu. En effet, le Conseil considère que les inexactitudes soulevées par les plaignants font l’objet d’interprétations divergentes de cette Loi et qu’il n’a pas à prendre position au sujet de ces interprétations. Le sixième membre s’abstient, car il juge la plainte irrecevable.
Le grief est rejeté sur ces trois points.
1.4 Illustration inappropriée
M. Plouffe souligne que l’image « qui a été montrée en gros plan […] était une photo de carabine de type militaire de plate-forme AR-15 qui est restreinte au Canada et n’est pas visée par le projet de loi 64 à l’origine du débat. Cette image induisait une fausse information à l’effet que ce type de carabine soit non restreinte ». Selon lui, cette image a été « clairement utilisée dans le but d’impressionner, d’influencer et de terroriser les [téléspectateurs] ignorants les lois actuelles ».
La représentante des mis en cause, Mme Morasse réfute cette affirmation.
« Même si la discussion a été abordée sous l’angle de l’annonce par le gouvernement québécois de mettre en place un registre des armes à feu, la discussion de fond qui s’est poursuivie tout au long de l’émission a porté sur le contrôle des armes à feu en général, explique-t-elle. Au fur et à mesure du débat, Mme Provost a évoqué la question de la classification des armes, qui, selon elle, est problématique en ce sens qu’elle n’est pas mise à jour. Elle voulait donc prouver que cette classification, obsolète à ses yeux, minimise la dangerosité de certaines armes. C’est à ce moment-là qu’elle a voulu illustrer son propos avec des photos d’armes qu’elle jugeait dangereuses, même pour la chasse. Pour permettre aux téléspectateurs d’avoir une idée des armes dont parlait Mme Provost, une image a été projetée à l’antenne pendant quelques secondes. Rien ne permet de dire que cette arme a été désignée comme non restreinte, donc visée par ce qu’on appelait alors le projet de loi 64. La diffusion de cette image, qui s’explique aussi par des exigences de réalisation de l’émission, trouve naturellement sa justification dans l’évolution de la discussion, qui a connu souvent des digressions. »
Mme Morasse conclut en affirmant qu’il est « exagéré de dire que montrer furtivement cette image était de nature à “terroriser les auditeurs” ».
En matière d’illustrations, manchettes, titres et légendes, l’article 14.3 du Guide de déontologie journalistique stipule que « le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent ».
Dans sa jurisprudence, le Conseil a jugé que l’utilisation d’une photographie illustrant un type d’arme qui n’était pas visée par l’abolition du registre des armes d’épaule constituait une faute déontologique, puisqu’elle induisait le public en erreur quant à la portée de la nouvelle publiée (dossiers D2013-06-132, D2013-08-023, D2014-05-124 et D2015-03-102).
Dans le présent cas, la majorité des membres (5/6) juge que l’image présentée à l’écran n’est pas problématique puisqu’elle avait trait à la discussion en cours. Ils soulignent par ailleurs que M. Morin a pu expliquer qu’il s’agissait d’une arme restreinte et non d’une arme d’épaule. Le sixième membre s’abstient, car il juge la plainte irrecevable.
Le grief est rejeté sur ce point.
En conséquence, le grief d’informations inexactes est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes de MM. Hugo Plouffe, Vincent Roy et Pierre Chabot, contre M. Guy A. Lepage, animateur, l’émission « Tout le monde en parle » et ICI Radio-Canada pour le grief d’informations inexactes.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- M. Simon Chabot
- Mme Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Éric Trottier