Plaignant
René Bellemarre
Mis en cause
Jean-Marc Belzile, journaliste
Le site Internet ici.radio-canada.ca
ICI Abitibi-Témiscamingue
ICI Radio-Canada
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance. |
René Bellemarre dépose une plainte le 12 juillet 2019 contre le journaliste Jean-Marc Belzile et ICI Radio-Canada concernant l’article intitulé « Un délinquant sexuel fait ses travaux communautaires dans un organisme pour jeunes », publié le 10 juillet 2019. Le plaignant reproche aux mis en cause de l’information inexacte.
CONTEXTE
L’article en question concerne le plaignant, un entraîneur d’haltérophilie, qui, trois mois auparavant, a été reconnu coupable d’attouchements sexuels sur une athlète de moins de 16 ans. Le journaliste Jean-Marc Belzile rapporte que M. Bellemarre a effectué ses travaux communautaires « à l’endroit même » où s’étaient produits les faits qui lui ont été reprochés, le club d’haltérophilie de La Sarre, en Abitibi.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil de presse doit déterminer si Jean-Marc Belzile rapporte une information inexacte en indiquant que René Bellemarre « vient de terminer ses travaux communautaires à l’endroit même où il avait fait des attouchements sexuels sur une mineure ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Les mis en cause reconnaissent que le passage suivant est inexact : « René Bellemare, inscrit sur le registre des délinquants sexuels à vie, vient de terminer ses travaux communautaires à l’endroit même où il avait fait des attouchements sexuels sur une mineure. »
Comme le plaignant l’affirme, celui-ci n’a pas effectué ses travaux communautaires sur les lieux où il a commis les actes pour lesquels il a été reconnu coupable, à savoir le local du club d’haltérophilie de la ville de La Sarre, mais plutôt en entraînant des haltérophiles de ce club dans le garage de sa résidence de la municipalité de Macamic.
Cependant, contrairement aux mis en cause qui considèrent que cette erreur relève de l’imprécision et qu’il s’agit « d’un détail sans grande importance dans cette histoire aux multiples rebondissements », le Conseil de presse estime que cette inexactitude n’est pas négligeable, car elle change l’intérêt et la portée de cette nouvelle susceptible d’ébranler la confiance du public en la justice.
Si les mis en cause indiquent avoir modifié leur article « pour plus de précision » le lendemain de sa publication, le Conseil de presse estime que cette correction n’a pas été diligente. La modification dans l’introduction n’a été signalée aux lecteurs que trois mois plus tard avec l’ajout d’un encadré « mise au point » qui est libellé de la manière suivante : « Par souci de clarté, précisons que René Bellemare a bel et bien effectué ses travaux communautaires au sein du club d’haltérophilie de La Sarre, mais dans un lieu différent de celui où il a posé les gestes ayant mené à sa condamnation ».
L’erreur a certes été rectifiée dans l’introduction du texte qui se lit désormais ainsi : « René Bellemarre, inscrit sur le registre des délinquants sexuels à vie, vient de terminer ses travaux communautaires au sein du même organisme où il avait fait des attouchements sexuels sur une mineure. » Cependant, cette erreur figure toujours dans les citations de personnes qui avaient été sollicitées pour réagir à une situation qui ne reflétait pas la réalité. Par exemple, on peut encore lire qu’une de ces personnes déclare : « Il retourne au même endroit, ça ne doit pas se reproduire, il doit y avoir une surveillance pour que les travaux ne se passent pas où ont eu lieu les gestes reprochés. » Pour le public, la confusion liée à l’erreur initiale demeure.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de René Bellemarre contre le journaliste Jean-Marc Belzile et ICI Radio-Canada concernant le grief d’information inexacte.
Malgré les modifications apportées à l’article, le Conseil de presse du Québec blâme les mis en cause, car il juge que celles-ci sont insatisfaisantes.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Éric Trottier
Date de l’appel
14 April 2021
Appelant
Jean-Marc Belzile, journaliste
Radio-Canada
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
En première instance, le plaignant, René Bellemarre, reprochait à ICI Radio-Canada et au journaliste Jean-Marc Belzile de l’information inexacte dans l’article « Un délinquant sexuel fait ses travaux communautaires dans un organisme pour jeunes », publié le 10 juillet 2019. L’article en question concerne le plaignant, un entraîneur d’haltérophilie, qui, trois mois auparavant, a été reconnu coupable d’attouchements sexuels sur une athlète de moins de 16 ans. Le journaliste Jean-Marc Belzile rapporte que M. Bellemarre a effectué ses travaux communautaires « à l’endroit même » où s’étaient produits les faits qui lui ont été reprochés, le club d’haltérophilie de La Sarre, en Abitibi.
Le comité des plaintes a retenu le grief et blâmé les mis en cause.
MOTIF DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement au grief d’information inexacte.
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique et décisions antérieures applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a retenu le grief d’inexactitude du plaignant, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 a) du Guide n’a pas été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel infirme la décision de première instance.
Analyse
Le représentant de Radio-Canada explique que « … l’information produite dans notre article du 10 juillet 2019, à l’effet que le plaignant avait réalisé ses travaux communautaires à l’endroit même où il avait commis les gestes ayant conduit à sa condamnation et à son inscription au registre des délinquants sexuels, était conforme aux informations disponibles à ce moment. »
Radio-Canada avance que « le plaignant, le Club d’haltérophilie (qui le parrainait) et la Sécurité publique refusant de commenter, notre journaliste s’est fié, en toute bonne foi, à l’information présentée dans le document (…) » qu’il avait entre les mains. « Or, ce document ne contient aucune information laissant croire que le plaignant a réalisé ses travaux ailleurs qu’au Club qui le parrainait. »
L’appelant ajoute : « Outre l’adresse du Club d’haltérophilie, on y lit un commentaire quant à la ponctualité du plaignant, qui peut, croyons-nous, être interprété comme une sérieuse indication que le plaignant a accompli ses travaux communautaires au club et non, comme il l’affirme, dans son garage personnel. À la lumière des informations dont nous disposions à ce moment, nous n’avions donc aucune raison de croire que les travaux n’avaient pas été effectués sur les lieux mêmes où le club opère. »
Au moment de la publication de l’article, le 10 juillet 2019, le journaliste pouvait légitimement se fier à un document officiel et écrire que René Bellemarre venait de terminer ses travaux communautaires à l’endroit même où il avait fait des attouchements sexuels sur une mineure. En effet, dans le document du ministère de la Sécurité publique invoqué dans cette affaire, rédigé par la direction des services professionnels correctionnels d’Amos, on affirme que M. Bellemarre a effectué ses heures de travaux communautaires au Club d’haltérophilie de La Sarre. Il s’agit du Club où se sont produits les attouchements sexuels sur une mineure pour lesquelles il a été reconnu coupable.
On peut lire dans ce document intitulé « Engagement au respect de l’horaire d’exécution des heures de service communautaire » le nom de M. Bellemarre comme personne contrevenante, le Club d’haltérophilie de La Sarre comme nom de la ressource communautaire, ainsi que l’adresse de ce club. Le répondant de la ressource communautaire est Daniel Marchildon qui était alors le vice-président du club. Relativement au « mode d’exécution des heures de service communautaire », le document indique : « Horaire, nature des travaux à accomplir par la personne contrevenante, etc. Selon les modalités de la ressource. Travaux divers. » Au chapitre de l’engagement des parties, il est écrit que M. Bellemarre s’engage notamment à aviser le répondant de la ressource communautaire s’il lui « était impossible de [se] présenter au travail pour quelque motif que ce soit ». Quant au répondant en question, M. Marchildon, il donne son appréciation du travail effectué par le contrevenant en ces mots : « M. Bellemarre en tout temps était ponctuel et il a donné un excellent service auprès de nos membres en haltérophilie. Il sait comment susciter la motivation chez les jeunes et les amener à se dépasser (…) »
Dans son application du principe 9 a) sur l’exactitude, le comité des plaintes a omis de tenir compte des moyens qui étaient à disposition du journaliste au moment où il a rédigé son reportage. Bien que M. Bellemare ait affirmé au média et au Conseil, à la suite du reportage, qu’il avait effectué ses travaux dans son garage plutôt que sur le lieu exact des attouchements sexuels, le journaliste ne possédait, au moment du reportage, que le document officiel.
Rien dans ce document ne laisse transparaître que M. Bellemarre ait pu effectuer ses travaux communautaires ailleurs qu’au Club d’haltérophilie de La Sarre. La commission d’appel est d’avis que le journaliste pouvait légitimement se fier à une source aussi crédible qu’un document officiel du ministère de la Sécurité publique. D’ailleurs, comme l’a déjà expliqué le Conseil, les journalistes doivent s’assurer de prendre les moyens raisonnables pour respecter les normes déontologiques. Se procurer un document officiel est considéré comme un moyen raisonnable. Dans la décision D2018-04-033, il n’avait constaté aucune inexactitude de la part du journaliste qui avait qualifié le groupe Storm Alliance d’extrême droite puisqu’il s’était fié au rapport de la Sécurité publique pour utiliser ce qualificatif. Le Conseil avait constaté que l’information transmise par le journaliste se retrouvait dans une analyse produite par le ministère de la Sécurité publique. Dans un rapport daté du 12 septembre 2017, on peut lire : « On note l’apparition au cours des deux dernières années au Québec de plusieurs groupes pouvant être associés à l’extrême droite, dont Pégida Québec, La Meute, Les Justiciers du peuple, Atalante, Les Soldats d’Odin, Storm Alliance, The Northern Guard. »
Dans une autre décision de référence sur laquelle s’appuie la commission d’appel, le dossier D2015-11-063, le Conseil avait statué qu’il ne pouvait conclure à un manquement déontologique du journaliste mis en cause, qui « pouvait légitimement se fier à une source aussi crédible qu’un sergent policier, et rapporter au public les informations que celui-ci lui a transmises. » Par ailleurs, comme le rappelle le préambule du Guide, les journalistes et les médias d’information doivent prendre les moyens raisonnables pour respecter les normes énoncées dans le Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec. En l’occurrence, ici le journaliste a pris les moyens raisonnables, d’autant plus qu’il a tenté de communiquer avec M. Bellemarre et avec le Club d’haltérophilie de La Sarre qui ont tous deux refusé de lui accorder une entrevue. Même si l’intimé estime que le journaliste pouvait s’appuyer sur deux « confirmations officielles » de deux « médias importants », il revient aux médias de se faire confirmer une information par une source de première main. M. Bellemarre met de l’avant comme « sources officielles » deux articles publiés par Le Citoyen Rouyn-Noranda/La Sarre, les 11 et 17 juillet 2019, ainsi qu’une entrevue réalisée avec René Bellemarre à son domicile le 12 juillet 2019, diffusée au journal télévisé TVA Abitibi, rapportant qu’il a effectué ses heures de travaux communautaires dans son garage. Ces articles ont été publiés quelques jours après celui de Radio-Canada.
À la suite de la publication de ces articles, Radio-Canada a modifié son texte, « par souci de clarté, étant par ailleurs incapables de confirmer les prétentions du plaignant ». Le média a remplacé « à l’endroit même où il avait fait des attouchements sexuels sur une mineure » par « au sein du même organisme … »
La commission rappelle que ce n’est pas parce qu’un média apporte des précisions dans un article qu’il y avait une faute déontologique au départ. Dans le dossier D2017-11-129(2), elle faisant valoir « qu’on ne peut blâmer un média parce qu’il a apporté des précisions dans un article, au contraire. Les médias sont libres d’apporter des précisions qui éclairent le lecteur et cela ne signifie pas qu’il y avait une erreur à la base. »
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité d’infirmer la décision rendue en première instance, sur le grief d’information inexacte. La sanction imposée, qui était le blâme, est ainsi retirée.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Jacques Gauthier, président de la commission d’appel
Représentant des journalistes :
Vincent Larouche
Représentant des entreprises de presse :
Gilber Paquette