Plaignant
Le Manoir Liverpool, représenté par Me Jean-François Bertrand, avocat
Mis en cause
Marie-Pier Bouchard, journaliste
Radio-Canada
Résumé de la plainte
Jean-François Bertrand dépose une plainte au nom du Manoir Liverpool le 12 janvier 2021 au sujet de l’article et du reportage télévisé « Manoir Liverpool : une douzaine de décès sous la loupe du coroner » de la journaliste Marie-Pier Bouchard diffusés respectivement sur le site Internet de Radio-Canada et à ICI Radio-Canada Télé dans le cadre du « Téléjournal Québec », le 17 décembre 2020. Le plaignant déplore des informations inexactes, des informations incomplètes, des images inadéquates, du sensationnalisme et une absence de correctif.
CONTEXTE
Au cours des mois précédents la diffusion de l’article et du reportage télévisé visés par la présente plainte, Radio-Canada a produit plusieurs reportages portant sur la qualité des soins offerts au Manoir Liverpool de Lévis. Les premiers reportages, diffusés au printemps 2020 alors que la première vague de COVID-19 frappait les CHSLD et les milieux de vie pour aînés, présentaient les témoignages de travailleurs de la santé et de familles à propos des soins déficients offerts aux résidents. Des reportages subséquents ont rapporté les différents développements en lien avec la situation dans cet établissement dont le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches a repris temporairement la gestion. Le CISSS a également déclenché une enquête interne.
Les deux reportages visés par la plainte font état de la décision du Bureau du coroner d’enquêter « sur tous les décès de résidents du Manoir Liverpool survenus au printemps. Qu’ils aient contracté la COVID-19 ou pas. » Certains de ces décès ont été signalés au Bureau du coroner à la suite de l’enquête de Radio-Canada présentée en avril 2020.
Me Sophie Régnière est la coroner chargée d’investiguer tous ces décès, sauf un qui fera l’objet de l’enquête publique sur les décès liés à la COVID-19 dans les CHSLD et les résidences pour aînés confiée à Me Géhane Kamel. Le reportage et l’article présentent les propos du coroner en chef adjoint, Luc Malouin, qui précise les trois motifs qui mènent à une intervention du Bureau du coroner.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Nombre de décès faisant l’objet de l’enquête
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte en écrivant que « le Bureau du coroner se penche sur tous les décès de résidents du Manoir Liverpool survenus au printemps » dans le passage suivant :
« Radio-Canada a appris que le Bureau du coroner se penche sur tous les décès de résidents du Manoir Liverpool survenus au printemps. Qu’ils aient contracté la COVID-19 ou pas. Seulement deux milieux de vie pour aînés au Québec se retrouvent dans cette situation.
[…]
Un seul coroner a été désigné pour traiter les cinq dossiers. Il s’agit de Me Sophie Régnière.
Au moins sept autres décès ont été portés à son attention à la suite d’une vérification faite par le CISSS de Chaudière-Appalaches, soit tous les résidents du Manoir Liverpool ayant succombé au virus lors de la première vague.
Il est important de préciser que le Bureau du coroner n’intervient pas systématiquement pour tous les décès liés à la COVID-19. À moins qu’il y ait suspicion de négligence, ces décès sont considérés d’origine naturelle. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Le plaignant considère que la journaliste « allègue erronément que tous les décès survenus au printemps […] sont présentement enquêtés par le coroner Me Sophie Régnière ».
Les mis en cause font valoir que, selon leurs sources, « onze (11) décès sont survenus au printemps [au Manoir Liverpool] (en raison de la COVID ou non) et tous ces décès sont actuellement traités par le coroner. Le 12e décès serait survenu en 2018. Ainsi, les informations publiées s’appuient sur une démarche journalistique sérieuse et responsable ». (soulignement des mis en cause)
Le plaignant ne précise pas en quoi l’information est inexacte et il n’apporte pas de preuve pour appuyer son allégation. Dans une telle situation, le Conseil rejette le grief comme il l’a fait dans le dossier D2018-04-037 dans lequel il explique qu’« il ne retient le grief que s’il a une preuve démontrant qu’une information inexacte a été véhiculée ».
De plus, contrairement à ce que le plaignant avance, le passage visé n’affirme pas que Me Régnière enquête sur tous les décès survenus au printemps 2020. On y indique plutôt que « le Bureau du coroner se penche sur tous les décès de résidents du Manoir Liverpool survenus au printemps ». Dans ce passage, la journaliste n’évoque pas le mandat précis d’un coroner, mais bien le Bureau du coroner qui regroupe tous les coroners. Un peu plus loin dans l’article, la journaliste précise que la coroner chargée de l’enquête publique, Me Géhane Kamel, se penchera sur l’un des décès survenus au Manoir Liverpool. En additionnant les dossiers confiés à Me Régnière et à Me Kamel, on obtient le nombre total de décès faisant l’objet d’une enquête.
Le responsable des communications et des relations avec les médias au Bureau du coroner, Jake Lamota Granato a confirmé au Conseil que « tous les décès survenus au printemps 2020 au Manoir Liverpool ont été assignés à Me Régnière pour investigation, à l’exception de celui qui a été examiné par la coroner Me Géhane Kamel ». L’information transmise dans l’article est donc exacte et fidèle à la réalité.
1.2 Suspicion de négligence
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte concernant les raisons de l’intervention du Bureau du coroner dans le passage suivant de l’article :
« Il est important de préciser que le Bureau du coroner n’intervient pas systématiquement pour tous les décès liés à la COVID-19. À moins qu’il y ait suspicion de négligence, ces décès sont considérés d’origine naturelle. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Le plaignant déplore qu’alors « qu’une enquête du Coroner peut être ordonnée pour plusieurs raisons », la journaliste « indique faussement que les décès liés à la COVID-19 sont enquêtés en raison d’une suspicion de négligence » dans le passage ci-dessus. Selon lui, « un lecteur ou auditeur serait susceptible d’en venir à la conclusion qu’une enquête du coroner a spécifiquement été ordonnée pour tous les cas de décès survenus au sein de l’établissement de notre client durant la COVID-19 en raison de sa négligence. Or, certains décès sont plutôt uniquement évalués dans le cadre de l’enquête publique du coroner présidée par Me Géhane Kamel et portant sur tous les décès intervenus lors de la COVID-19 dans les résidences privées pour aînés et CHSLD. »
De leur côté, les mis en cause considèrent que l’allégation du plaignant « fait fi de nombreuses nuances présentes dans l’article. On y parle, non pas de négligence, mais de “suspicion de négligence” en ajoutant que le “but c’est de faire la lumière et de clarifier les circonstances de ces décès-là”. Il est clair qu’aucune négligence n’a été établie à ce jour. Lorsque [Radio-Canada] cite le coroner en chef adjoint qui évoque les motifs d’intervention prévus dans la loi, cela s’inscrit dans le contexte décrit plus tôt, soit la tenue d’une investigation toujours en cours. »
Le passage mis en cause n’est pas inexact. On y précise que, de façon générale, ce ne sont pas tous les décès liés à la COVID-19 qui font l’objet d’une enquête, mais seulement ceux où il y a une suspicion de négligence.
Cette information est fidèle aux propos cités dans l’article du coroner en chef adjoint, Luc Malouin, au sujet des raisons justifiant l’intervention d’un coroner : « “Dans notre loi, on a trois motifs d’intervention. Lorsqu’il y a un décès violent, un décès obscur ou un décès à la suite d’une négligence.” »
Dans le dossier D2018-04-033, le Conseil a également rejeté un grief d’information inexacte parce que l’information transmise correspondait à l’analyse produite par le ministère de la Sécurité publique. En s’appuyant sur cette source, le journaliste pouvait qualifier le groupe Storm Alliance de groupe d’extrême droite.
Pareillement, dans le cas présent, la journaliste évoque dans le passage visé l’un des motifs d’enquête énumérés par le coroner en chef adjoint, une autorité concernant le sujet abordé dans l’article.
Grief 2 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
2.1 Enquêtes sur tous les décès
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet dans le passage suivant de l’article :
« Radio-Canada a appris que le Bureau du coroner se penche sur tous les décès de résidents du Manoir Liverpool survenus au printemps. Qu’ils aient contracté la COVID-19 ou pas. Seulement deux milieux de vie pour aînés au Québec se retrouvent dans cette situation.
[…]
Un seul coroner a été désigné pour traiter les cinq dossiers. Il s’agit de Me Sophie Régnière.
Au moins sept autres décès ont été portés à son attention à la suite d’une vérification faite par le CISSS de Chaudière-Appalaches, soit tous les résidents du Manoir Liverpool ayant succombé au virus lors de la première vague.
Il est important de préciser que le Bureau du coroner n’intervient pas systématiquement pour tous les décès liés à la COVID-19. À moins qu’il y ait suspicion de négligence, ces décès sont considérés d’origine naturelle. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Le plaignant soutient que la journaliste produit de l’information incomplète en ne mentionnant pas que certains décès survenus dans la résidence du Manoir Liverpool sont « uniquement évalués dans le cadre de l’enquête publique du coroner présidée par Me Géhane Kamel et portant sur tous les décès intervenus lors de la COVID-19 dans les résidences privées pour aînés et CHSLD ».
Selon lui, « il est indéniable qu’un lecteur ou auditeur serait susceptible d’en venir à la conclusion qu’une enquête du coroner a spécifiquement été ordonnée pour tous les cas de décès survenus au sein de l’établissement de notre client durant la COVID-19 en raison de sa négligence. Or, certains décès sont plutôt uniquement évalués dans le cadre de l’enquête publique du coroner présidée par Me Géhane Kamel et portant sur tous les décès intervenus lors de la COVID-19 dans les résidences privées pour aînés et CHSLD. Mme Bouchard omet de revenir sur cette distinction importante qui permet toutefois de comprendre que ces décès ne sont probablement pas survenus en raison d’un manquement de la part de notre client, mais plutôt à la suite d’une problématique nationale de ressources et de sous-financement au sein des résidences pour aînés et CHSLD. »
À la lecture de l’article, on constate que l’information souhaitée par le plaignant se trouve en fait dans le passage suivant de l’article :
« En plus des 51 décès survenus au CHSLD Herron, la coroner qui présidera l’enquête publique, Géhane Kamel, analysera des dossiers provenant d’autres milieux de vie pour aînés au Québec, lors de la première vague de la pandémie.
Selon nos informations, quelques cas provenant du Manoir Liverpool ont été soumis à cette enquête publique et l’un d’eux aurait été retenu. »
Dans un cas similaire (D2020-04-064), le Conseil a rejeté le grief d’information incomplète après avoir constaté que l’information souhaitée par la plaignante se trouvait dans le reportage. Cette décision indique : « Au visionnement du reportage, on constate que l’information souhaitée par la Municipalité y est, en fait, présentée puisque le porte-parole d’Hydro-Québec, Cendrix Bouchard, explique la façon dont la société d’État a choisi l’acheteur. »
Pareillement, dans le cas présent, bien que l’information concernant l’enquête de Me Kamel ne se trouvait pas dans le passage visé par le plaignant, le lecteur trouve l’information en poursuivant sa lecture.
2.2 Enquête sur la qualité des soins et services offerts dans l’entièreté de la résidence
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet dans le passage suivant :
« Les résultats de l’enquête interne sur la qualité des soins et des services offerts à la résidence, déclenchée à la suite de la diffusion du reportage de Radio-Canada, se font d’ailleurs toujours attendre.
Précision
Après avoir vu sa certification de RPA [Résidences privées pour aînés] réexaminée, le Manoir Liverpool a conservé sa certification puisque les propriétaires se sont engagés à apporter des correctifs importants aux lacunes observées sur place par le CISSS de Beauce-Appalaches. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Le plaignant soutient que la journaliste a omis de faire les distinctions entre les deux processus administratifs auxquels le Manoir Liverpool est soumis : « Alors que la distinction a été maintes fois portée à la connaissance de Mme Bouchard et ce, principalement verbalement, celle-ci omet encore à ce jour de faire les distinctions entre les deux processus administratifs auxquels notre client est soumis. »
Le plaignant ajoute : « D’une part, au moment de la parution de l’article, il avait conservé sa certification lui permettant d’opérer son centre pour aînés après une enquête exhaustive du CISSS de Chaudière-Appalaches. D’autre part, au 17 décembre 2020, seule une enquête relative aux soins et services offerts aux ressources intermédiaires de notre client était encore en cours. Ce deuxième processus concerne uniquement une partie des services offerts au sein de l’établissement de notre client. Malgré ce qui précède, dans son article, Mme Bouchard réitère qu’une enquête a présentement cours quant à la qualité des soins et services offerts pour l’entièreté de la résidence »
L’analyse d’un grief doit se faire sur la base de ce qui a été écrit dans l’article et non la compréhension ou l’interprétation que le plaignant a pu en faire. À la lecture du passage visé par la plainte, il apparaît que le plaignant interprète le contenu de l’article. Contrairement à ce qu’il affirme, l’extrait mis en cause ne parle pas des services offerts « pour l’entièreté de la résidence », on y fait plutôt référence aux résultats de l’enquête « sur la qualité des soins et des services offerts à la résidence ».
Lorsque le reproche d’un plaignant se base sur son interprétation d’un reportage et non sur les propos réellement diffusés, le Conseil rejette le grief, comme en témoignent les décisions antérieures du Conseil (D2019-05-078, D2019-04-060). Dans la décision D2019-09-069, le Conseil a constaté que la plaignante fondait sa plainte sur une perception erronée et qu’elle prêtait au chroniqueur une affirmation qu’il n’avait pas écrite. La plaignante reprochait au chroniqueur de ne pas avoir pris connaissance du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État qui ne prévoie pas « “littéralement un décompte – de têtes couvertes” » (« taking a literal head count — of covered heads »). Cependant, le chroniqueur n’écrivait pas qu’un tel recensement était inscrit dans le projet de loi.
Pareillement, dans le cas présent, le contenu de l’article n’est pas celui décrit par le plaignant. De plus, le plaignant ne précise pas quelles auraient été les informations essentielles à la compréhension du sujet.
2.3 Certification
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont omis de l’information essentielle à la compréhension de l’article concernant la certification Résidences privées pour aînées.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Le plaignant estime que la journaliste a omis de l’information en n’écrivant pas dans son article que le Manoir Liverpool avait conservé sa certification Résidences privées pour aînés (RPA). « Bien que des modifications aient été effectuées depuis sa première parution, l’article de Mme Bouchard faisait auparavant mention que notre client était encore dans l’attente du dénouement de l’enquête interne relativement à la qualité de ses soins et services offerts. Mme Bouchard avait alors omis de spécifier que notre client avait conservé sa certification lui permettant d’opérer sa résidence pour aînés après une analyse approfondie du CISSS de Chaudière-Appalaches en 2020 », déplore-t-il.
Les mis en cause soulignent qu’ils ont déjà publié un article concernant le maintien de la certification de la RPA du Manoir Liverpool. Ils soulignent qu’ils ont « convenu d’ajouter un hyperlien dans l’article dont il est ici question afin de référer au texte déjà publié au sujet de la certification, tout en ajoutant la précision suivante : “Après avoir vu sa certification de RPA réexaminée, le Manoir Liverpool a conservé sa certification puisque les propriétaires se sont engagés à apporter des correctifs importants aux lacunes observées sur place par le CISSS de Beauce-Appalaches.” »
Lorsque le Conseil se penche sur un grief d’information incomplète, il doit évaluer si l’information souhaitée par le plaignant était essentielle à la compréhension du sujet; en d’autres mots, si l’absence de cette information change entièrement le sens de ce qui a été diffusé. Dans le cas présent, il faut déterminer s’il était essentiel de mentionner le maintien de la certification de la RPA, puisque c’est l’information que le plaignant aurait souhaité voir dans le reportage. Cette évaluation doit également se faire en prenant en considération l’angle de traitement du sujet. La décision D2018-07-078 rappelle que « la déontologie n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur […] Compte tenu de l’angle choisi par le journaliste [le mécontentement de commerçants concernant la présence d’itinérants dans ce quartier], les informations souhaitées par le plaignant [le contexte social expliquant l’intoxication de ces itinérants] n’étaient pas essentielles à la compréhension du reportage. Le journaliste n’avait donc pas l’obligation déontologique d’en faire état. »
De la même façon, dans le cas présent, l’article porte sur le fait que le Bureau du coroner enquêtera sur les décès survenus au Manoir Liverpool au cours du printemps 2020. L’information sur le maintien de la certification de la RPA n’était donc pas indispensable à la compréhension du sujet.
Le fait que les mis en cause aient modifié l’article afin d’ajouter l’information souhaitée par le plaignant ne signifie pas pour autant qu’il y avait un manquement dans la version originale du reportage, comme l’indique la décision antérieure D2019-03-056 qui explique que la publication d’un rectificatif, d’un correctif ou d’excuses ne constitue pas une admission de faute : « La décision des mis en cause de présenter des excuses ne constitue pas l’admission d’un manquement déontologique. Il relève de la discrétion des dirigeants de la station de s’excuser auprès des auditeurs qui auraient pu être choqués par les propos de M. Lavoie. »
De la même façon, la décision de Radio-Canada d’ajouter une mention concernant la certification de la RPA ne signifie pas que l’information souhaitée était essentielle à la compréhension du sujet dans le contexte où l’article porte sur les enquêtes ouvertes par le Bureau du coroner.
2.4 Distinction entre le nombre de décès
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont omis des informations essentielles à la compréhension du sujet concernant les distinctions entre le nombre de décès survenus au CHSLD Herron et au Manoir Liverpool.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Le plaignant affirme que la journaliste « a volontairement omis de faire les distinctions importantes qui s’imposent entre le nombre de décès survenu au CHSLD Herron comparativement à ceux ayant eu lieu » au Manoir Liverpool.
Les mis en cause soulignent que « la référence à ces centres n’était pas dénuée de contexte. D’une part, en ce qui a trait au CHSLD Herron, l’article précisait que c’était le seul autre milieu de vie pour aînés au Québec [outre le Manoir Liverpool] dont tous les décès survenus au printemps étaient sous investigation et confiés à un seul coroner. Cela est un fait. D’autre part, l’article précisait bien qu’il était question de cinquante et un (51) décès au CHSLD Herron et donc, le public était bien à même de constater la “différence notoire du nombre de décès survenu au CHSLD Herron comparativement à ceux ayant eu lieu [au Manoir Liverpool]” […] Quant à la référence au CHSLD Sainte-Dorothée, elle était tout aussi justifiée : il s’agissait d’un des trois (3) milieux de vie pour aînés qui ont cédé leur gestion aux autorités publiques au printemps, les deux (2) autres étant [le Manoir Liverpool] et le CHSLD Herron. »
Le plaignant n’indique pas quelle est l’information essentielle à la compréhension du sujet qui serait manquante dans l’article. Dans un tel cas, le grief est rejeté. D’autant plus que la distinction entre le nombre de morts survenus au CHSLD Herron et les décès constatés au Manoir Liverpool est clairement mentionnée dans l’article.
Grief 3 : images inadéquates
Principe déontologique applicable
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les images montrant des voitures de police présentées dans le reportage télévisé reflètent l’information à laquelle elles se rapportent.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’images inadéquates.
Analyse
Le plaignant indique que, dans le reportage télé, « Mme Bouchard avait volontairement choisi de diffuser des images de véhicules policiers balisés, laissant alors croire qu’une perquisition avait été effectuée par les policiers. Or, les images choisies par cette dernière dataient de plusieurs mois et concernaient un tout autre événement ». Il ajoute que la journaliste « mentionnait que cette assistance policière était généralement demandée lors d’un manque de collaboration » et il cite le passage suivant du reportage mis en cause : « Il explique qu’un coroner utilise généralement ce pouvoir “quand on veut s’assurer d’avoir le dossier vraiment complet ou quand on n’a pas de collaboration”. » Selon lui, « Mme Bouchard a volontairement brossé un portrait erroné de la réalité, avec le même biais depuis le début de la diffusion de ses reportages. Plutôt que de présenter une information exacte, complète et impartiale à son auditoire, elle a préféré laisser croire que notre client manquait de collaboration et qu’une assistance des forces policières musclée avait dû être effectuée. »
De son côté, Radio-Canada fait valoir « que l’utilisation de telles images, lesquelles évoquent sans contredit le sujet dont il était question dans le reportage à savoir, la visite des policiers au Manoir Liverpool, ne porte pas à conséquence ». Le média ajoute : « Il n’en demeure pas moins qu’il y a bel et bien eu saisie des dossiers des résidents concernés par l’investigation du coroner par les policiers. C’est un fait d’intérêt public qui devait être mentionné. Quant aux propos du coroner en chef adjoint, lequel a été appelé à expliquer les motifs justifiant d’avoir recours à cette procédure, ils ont bien été mis en contexte en mentionnant spécifiquement qu’ils ne portaient pas sur le “cas précis du Manoir Liverpool”. Nous croyons que cette précision suffisait à ne pas créer d’ambiguïté. »
Au visionnement du reportage télévisé, il apparaît que les images visées par le grief se rapportent aux informations rapportées par la journaliste. Le reportage montre des images d’auto-patrouille devant le Manoir Liverpool à trois moments.
Dans les deux premiers cas, les images montrant une voiture de police stationnée devant l’entrée du bâtiment apparaissent deux secondes à 0’19” et 0’29”. En plus du véhicule policier, on voit également un véhicule servant au transport adapté. La diffusion de ces images est accompagnée de la narration suivante :
« C’était en avril, le Manoir Liverpool était le principal foyer d’éclosion du virus dans Chaudière-Appalaches. Les propriétaires avaient dû céder la gestion des lieux aux autorités publiques pendant plusieurs semaines. »
On aperçoit également des véhicules policiers à partir de 0’53” après le début du reportage. On voit un policier sortir de son auto avec des documents à la main et se diriger vers un second véhicule et se pencher à la fenêtre du côté passager. Dans un commentaire hors champ, la journaliste explique :
« Des policiers se sont présentés au Manoir Liverpool pour saisir tous les dossiers des résidents concernés, à la demande de la coroner. Un pouvoir rarement utilisé dans ce genre de situation. »
Ces images sont suivies par les explications du coroner en chef adjoint, Luc Malouin :
« Un, quand on veut s’assurer d’avoir le dossier vraiment complet. Le deuxième, ça va être quand on n’a pas une collaboration ».
Le choix et le traitement des images accompagnant une information, en l’occurrence les images d’auto-patrouille devant le Manoir Liverpool, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent, comme l’a expliqué le Conseil dans ses décisions antérieures. Bien que la décision D2019-06-088 concerne une photographie, l’argumentaire s’applique au cas présent. Aux yeux du plaignant, cette photo était inadéquate parce qu’elle montrait des demandeurs d’asile traversant la frontière par le chemin Roxham alors que l’article portait principalement sur le programme fédéral de réinstallation des réfugiés. Le Conseil a rejeté le grief en faisant valoir que « la photographie accompagnant l’article fait référence à l’une des informations qui y sont transmises », soit la question des demandeurs d’asile, notamment ceux empruntant le chemin Roxham.
De la même façon, dans le cas présent, les images montrant des véhicules de police reflètent l’information à laquelle elles se rattachent puisque le reportage fait état de saisie de documents en lien avec les enquêtes du Bureau du coroner.
Grief 4 : sensationnalisme
Principes déontologiques applicables
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
4.1 Images d’auto-patrouilles
Le Conseil doit déterminer si les images du reportage montrant des auto-patrouilles déforment la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits.
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme sur ce point.
Analyse
Le plaignant soutient que « la présentation d’images de policiers en véhicule officiel » est un « exemple flagrant » de sensationnalisme.
Les mis en cause font valoir « qu’il y a bel et bien eu saisie des dossiers des résidents concernés par l’investigation du coroner par les policiers. C’est un fait d’intérêt public qui devait être mentionné ».
Le plaignant ne précise pas en quoi les images visées constituaient du sensationnalisme.
Ces images sont conformes à la réalité et aux faits puisqu’il y a bien eu une saisie de documents réalisée par les policiers au Manoir Liverpool. Les images ne constituent donc pas une interprétation abusive de la portée des faits.
4.2 « Associations trompeuses »
Le Conseil doit déterminer si le passage suivant de l’article est sensationnaliste :
« Le Manoir Liverpool et le CHSLD Herron sont deux des trois milieux de vie pour aînés qui ont dû céder leur gestion aux autorités publiques au printemps. Le troisième est le CHSLD de Sainte-Dorothée, à Laval ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme sur ce point.
Analyse
Le plaignant reproche à la journaliste d’avoir associé la situation vécue au Manoir Liverpool « à celles critiques des CHSLD Herron et du CHSLD Sainte-Dorothée ». Selon lui, « cette association est d’ailleurs effectuée une semaine après la parution de l’article du journaliste de Radio-Canada Daniel Boily intitulé “Le CHSLD Herron sera fermé” annonçant la fermeture du CHSLD Herron et revenant sur le rapport d’enquête du ministère mettant en lumière ses problématiques de gestion ».
La comparaison entre ces trois établissements n’était pas sensationnaliste et ne constitue pas une « association trompeuse » comme l’avance le plaignant. Les faits démontrent que la situation dans ces trois établissements était comparable en avril 2020. En raison de l’importance des cas de COVID-19 recensés chez les résidents et le personnel, la gestion du Manoir Liverpool et du CHSLD Herron a été confiée au CISSS de leur région respective. Du côté du CHSLD Sainte-Dorothée, l’article de Radio-Canada « Coronavirus : Québec ordonne une enquête au CHSLD de Sainte-Dorothée » publié le 8 avril 2020 rapporte que « le directeur national de santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda, a ordonné [une enquête épidémiologique] parce que l’établissement de santé, situé à Laval, est devenu un important foyer d’infection par le nouveau coronavirus. »
Ainsi, le passage visé se base sur des faits qui n’exagèrent pas abusivement la réalité. La comparaison était justifiée puisque les trois établissements se sont trouvés dans une situation semblable au printemps 2020. De plus, l’article indique le nombre de morts dans chacun des établissements, ce qui permet aux lecteurs de constater l’ampleur de la situation dans chacun de ces établissements.
Tout comme dans le dossier D2019-03-042, le passage visé ne déforme ni n’exagère la réalité. Dans cette décision antérieure, le Conseil a rejeté le grief de sensationnalisme qui visait le titre « Pétition sur la vitamine C : un député caquiste prend ses distances ». Le Conseil a fait valoir que bien que le plaignant considérait ce titre « incendiaire », il s’agissait d’un titre factuel qui décrivait bien le contenu du message publié par le député sur Facebook rapporté dans l’article.
Pareillement, dans le cas présent, le fait d’évoquer les CHSLD Herron et Sainte-Dorothée dans un article portant sur le Manoir Liverpool ne constitue pas une exagération de la réalité étant donné que les trois établissements se sont retrouvés dans des situations similaires en avril 2020.
4.3 Céder la gestion de l’établissement
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont fait preuve de sensationnalisme en affirmant que le Manoir Liverpool fait partie des établissements qui « ont dû céder leur gestion aux autorités publiques au printemps » dans le passage suivant de l’article :
« Le Manoir Liverpool et le CHSLD Herron sont deux des trois milieux de vie pour aînés qui ont dû céder leur gestion aux autorités publiques au printemps. Le troisième est le CHSLD de Sainte-Dorothée, à Laval. »
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme sur ce point.
Analyse
Le plaignant indique que le passage ci-dessus est sensationnaliste, car « en aucun temps, notre client n’a cédé la gestion totale de son établissement. » Le plaignant explique que « dans la première version de son article, à tort, Mme Bouchard indiquait qu’à l’instar de ces CHSLD, [le Manoir Liverpool] a été contraint de céder sa gestion aux autorités publiques. Or et comme il lui a été rapporté lors de précédents échanges, en aucun temps notre client a été dans l’obligation de céder la gestion de sa RPA. Bien au contraire, il a choisi volontairement de demander l’aide du CISSS de Chaudière-Appalaches en raison principalement de la pénurie de personnel auquel il faisait alors face. »
La définition du verbe « céder » offerte par le Centre national de ressources textuelles et lexicales démontre que cette action peut être volontaire ou non : « Abandonner (à quelqu’un) volontairement ou non, avec ou sans contrepartie, un bien, un droit ou un avantage dont on jouit ou auquel on peut prétendre. »
Le plaignant interprète le texte de l’article puisque la journaliste n’affirme pas que les dirigeants du Manoir Liverpool était dans l’obligation de céder la gestion de l’établissement. Le passage visé par la plainte expose la réalité et ne constitue pas une exagération ou une interprétation abusive des faits.
À l’inverse, dans le dossier D2020-02-027, le Conseil a retenu le grief de sensationnalisme parce qu’il a jugé que le chroniqueur avait déformé les faits en affirmant que le philosophe Daniel Weinstock « a proposé que des médecins québécois effectuent des “excisions symboliques” sur les jeunes filles ». Dans sa décision, le Conseil souligne que le chroniqueur « a attribué au philosophe une proposition qu’il n’a jamais émise. De ce fait, l’entièreté de sa chronique se base sur cette déformation des propos de M. Weinstock. Le chroniqueur utilise une citation prise hors contexte pour faire sensation, s’indignant et critiquant Daniel Weinstock et le ministère de l’Éducation. »
Dans le cas présent, le fait de rappeler que « le Manoir Liverpool et le CHSLD Herron sont deux des trois milieux de vie pour aînés qui ont dû céder leur gestion aux autorités publiques au printemps » ne constitue pas une exagération abusive puisqu’en dépit des raisons qui ont pu motiver cette décision, les faits démontrent que la gestion de l’établissement a été confiée au CISSS à un certain moment, tout comme ce fut le cas au CHSLD Herron et au CHSLD Sainte-Dorothée.
Grief 5 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir déontologique en matière de correction des erreurs.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’absence de correctif.
Analyse
Le Conseil n’ayant constaté aucun manquement déontologique aux griefs précédents, les mis en cause n’avaient pas à apporter de correctif à l’article et au reportage visés par la plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Jean-François Bertrand, déposée au nom du Manoir Liverpool, visant l’article et le reportage télévisé « Manoir Liverpool : une douzaine de décès sous la loupe du coroner » de la journaliste Marie-Pier Bouchard diffusés respectivement sur le site Internet de Radio-Canada et à ICI Radio-Canada Télé, le 17 décembre 2020, concernant les griefs d’informations inexactes, d’informations incomplètes, d’images inadéquates, de sensationnalisme et d’absence de correctif.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Représentantes des journalistes :
Mélissa Guillemette
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier