D2023-04-033
Plaignant
Jason Keays
Mis en cause
Paul Larocque, animateur
Émission « Le Bilan »
TVA Nouvelles
LCN, Groupe TVA
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 21 avril 2023
Date de la décision
Le 23 avril 2024
Résumé de la plainte
Jason Keays dépose une plainte le 21 avril 2023 au sujet d’une entrevue de l’animateur Paul Larocque avec l’expert en stratégies militaires Simon Leduc durant le segment « Fuite de documents secrets – Des dossiers liés à l’Ukraine impliqués » de l’émission « Le Bilan », diffusée le 11 avril 2023 sur les ondes de LCN, ainsi qu’au sujet de l’article non signé « Fuite de documents secrets : l’Ukraine sur le bord de la défaite? », publié sur le site Internet de TVA Nouvelles le 11 avril 2023. Le plaignant déplore un manque de fiabilité des informations transmises par les sources et de l’information inexacte.
Contexte
Le 6 avril 2023, soit plus d’un an après le début de la guerre en Ukraine, les journalistes Helene Cooper et Eric Schmitt, du New York Times, rapportent que des documents hautement classifiés provenant du Pentagone – le quartier général du département de la Défense américaine situé à Arlington, en Virginie – ont fuité sur les réseaux sociaux Twitter et Telegram. Ils révèlent que le Pentagone a ouvert une enquête afin de tenter d’identifier la source de cette fuite. Les informations sensibles contenues dans ces documents secrets concernent principalement la guerre opposant l’Ukraine à la Russie.
Le même jour, les journalistes du New York Times signalent que ces documents, d’abord fuités en version apparemment originale, auraient été falsifiés. La version falsifiée des documents a ensuite été largement partagée sur les réseaux sociaux, possiblement à des fins de propagande pro-russe. Les documents qui paraissent trafiqués comprennent une diapositive d’information du Pentagone faisant état du nombre de pertes subies par les armées russes et ukrainiennes. Voici à quoi ressemblent les deux versions des documents ayant circulé sur les réseaux.
- Les chiffres originaux du Pentagone qui auraient fuité, selon le New York Times, sont comme suit, dans un document qui s’apparente à une diapositive :
- De 35 500 à 43 500 Russes tués au combat
- De 16 000 à 17 500 Ukrainiens tués au combat
- 72 avions militaires et 82 hélicoptères russes détruits
- 6004 véhicules terrestres russes détruits
- Une version très similaire et vraisemblablement falsifiée de ce document, du même format, présente des chiffres bien différents :
- De 16 000 à 17 500 Russes tués au combat
- De 61 000 à 71 500 Ukrainiens tués au combat
- 7 avions militaires et 8 hélicoptères russes détruits
- 600 véhicules terrestres russes détruits
Comme on peut le constater, les données relayées dans la diapositive modifiée tracent un portrait très différent de la situation de la Russie par rapport à l’Ukraine, minimisant les pertes russes et exagérant celles subies par les Ukrainiens. En entrevue avec le New York Times, des analystes du renseignement américain et du Pentagone mettent en garde contre la désinformation véhiculée dans la seconde version de cette diapositive.
Le 11 avril 2023, alors que ces deux versions circulent, l’animateur Paul Larocque reçoit à l’émission d’affaires publiques « Le Bilan », diffusée sur les ondes de LCN, l’expert en stratégies militaires Simon Leduc. Il y est invité à commenter la fuite de renseignements du Pentagone. La présente plainte porte sur cette entrevue, de même que sur un article non signé de TVA Nouvelles qui résume cet entretien et qui a été publié à la même date.
Griefs du plaignant
Grief 1 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si l’animateur Paul Larocque, LCN et TVA Nouvelles ont pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leur source dans les extraits retranscrits ci-dessous.
Entrevue avec Simon Leduc à l’émission « Le Bilan » :
Simon Leduc : « Ça, c’que ça vient toucher, c’est tout le narratif occidental que l’Ukraine est en train de gagner. Parce que le taux de pertes qui est présent n’est pas celui qui est représenté, euh, fréquemment à l’intérieur des médias. […] Et là, même d’une perspective russe, c’est, ça serait vraiment, vraiment, vraiment très, très, très positif. Les premiers, les premiers chiffres que j’ai vus… »
Paul Larocque : « En faveur de la Russie? En faveur de la Russie? Au détriment de l’Ukraine. »
Simon Leduc : « Ah, complètement. Complètement en faveur de la Russie. Ah, tout à fait. »
Paul Larocque : « Et donc, l’Ukraine est pas en si bonne posture que certains peuvent le penser. C’est c’que ça tend à démontrer. »
Simon Leduc : « Juste, juste, par exemple, le nombre de véhicules détruits. Je, j’avais un estimé que c’était en milliers. Et dans le document, c’est en centaines. Donc euh… »
Paul Larocque : « Du côté russe? »
Simon Leduc : « C’est une grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse différence. »
Article de TVA Nouvelles :
« “[…] les chiffres sont vraiment positifs en faveur de la Russie”, explique l’ancien officier de renseignements militaires Simon Leduc. […]
”Le narratif occidental que l’Ukraine est en train de gagner [a changé] parce que le taux de perte qui est présent n’est pas celui qui est diffusé dans les médias.”
Les chiffres qui ont surpris le plus cet ancien officier sont ceux des pertes de véhicules russes.
“Prenons par exemple le nombre de véhicules détruit[s], j’avais l’impression que le chiffre devait se retrouver dans les milliers et bien dans le document on parle de centaines. C’est une grosse différence”, dit cet expert. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source, car il juge que Paul Larocque, LCN et TVA Nouvelles ont contrevenu à l’article 11 du Guide.
Analyse
Le plaignant reproche aux mis en cause de ne pas avoir évalué la fiabilité des informations transmises par leur source, l’ancien officier du renseignement militaire Simon Leduc. Il soutient : « L’analyste invité Simon Leduc affirme que l’Ukraine est sur le bord de la défaite. Il affirme citer les documents du Pentagone récemment coulés dans la presse. Simon Leduc affirme que le document prouve que les chiffres sont vraiment positifs en faveur de la Russie et que le taux de perte sur les documents n’est pas celui présenté dans les médias. Il ajoute que c’est seulement une centaine de véhicules que la Russie a perdus dans sa guerre en Ukraine et laisse entendre que les pertes humaines sont plus importantes du côté ukrainien que russe. »
Il poursuit : « Or, ce n’est pas du tout ce qu’affirment les documents coulés que Leduc prétend citer. Ces documents parlent clairement de 2048 tanks russes détruits et 3900 blindés russes détruits, donc un total de 5948 véhicules détruits. Selon les mêmes documents, le nombre de morts russes est de 43 500, tandis que l’armée ukrainienne a 17 500 morts. »
Le plaignant a joint à sa plainte une publication Twitter qui remonte au 7 avril 2023, soit quatre jours avant la diffusion de l’entrevue avec Simon Leduc et la mise en ligne de l’article en cause. Il s’agit d’une publication de Yaroslav Trofimov, correspondant principal des affaires étrangères pour le quotidien américain The Wall Street Journal, montrant côte à côte deux versions des documents fuités. La version de gauche est celle que l’on présume être l’originale et qui fait état de pertes considérables pour la Russie, tandis que la seconde est, selon toute vraisemblance, la version trafiquée minimisant les pertes russes. Dans cette publication, le journaliste Yaroslav Trofimov explique :
« When secret U.S. slides leaked out yesterday, Russian propaganda channels quickly reposted them – but after a little Photoshop. Suddenly, 43.5k Russian fatalities turned to 17.5k, while 17.5k Ukrainian KIA [killed in action] became 71.5k. Russian vehicle losses shrank from 6,004 to 600. Spot the differences. »
Traduction du Conseil : « Lorsque des diapositives américaines secrètes ont fuité hier, des chaînes de propagande russe les ont rapidement retransmises – après un peu de travail sur Photoshop. Soudain, les 43 500 morts chez les Russes se sont transformés en 17 500, tandis que les 17 500 Ukrainiens tués au combat sont devenus 71 500. Les pertes de véhicules russes sont passées de 6004 à 600. Remarquez les différences. »
Au moment où l’animateur Paul Larocque s’est entretenu avec l’expert en stratégies militaires Simon Leduc, le 11 avril 2023, des informations circulaient depuis déjà cinq jours dans l’espace public et dans divers médias – notamment Radio-Canada, CBC, The New York Times, The Wall Street Journal et Fox News – à l’effet qu’il existait au moins deux versions des documents fuités du Pentagone, et que les données minimisant les pertes russes auxquelles M. Leduc fait référence provenaient, selon toute vraisemblance, de la version falsifiée de ces documents.
Or, Simon Leduc s’appuie sur le document trafiqué pour arriver aux conclusions suivantes :
Simon Leduc : « Ah, complètement. Complètement en faveur de la Russie. Ah, tout à fait. »
Paul Larocque : « Et donc, l’Ukraine est pas en si bonne posture que certains peuvent le penser. C’est c’que ça tend à démontrer. »
Simon Leduc : « Juste, juste, par exemple, le nombre de véhicules détruits. Je, j’avais un estimé que c’était en milliers. Et dans le document, c’est en centaines. Donc euh… »
L’analyse de la situation que fait M. Leduc semble reposer sur le document falsifié qui circulait sur les réseaux sociaux. Dans le document fuité original, les chiffres sont plutôt en faveur de l’Ukraine à ce moment précis, selon le New York Times, et on parle notamment de milliers de véhicules russes détruits et non de centaines comme l’avance M. Leduc.
Pendant ce temps, l’animateur Paul Larocque omet de clarifier avec M. Leduc le grand flou entourant les données avancées par son invité, empêchant le public d’apprécier la validité des informations transmises. M. Larocque ne remet pas en question les propos de son invité et n’émet aucune réserve quant à l’authenticité des chiffres évoqués par ce dernier, et ce, même si M. Leduc indique qu’il y a « plusieurs variances de documents qui sont apparues avec des niveaux de pertes qui variaient » et que « le document pourrait être falsifié ».
Le fait de consulter un expert pour ses connaissances dans un domaine précis ne dédouane pas les journalistes et les médias de leur devoir de vérifier la fiabilité des informations transmises par cette source. Il faut vérifier, par exemple, si un expert qu’on souhaite interviewer est au courant de la question d’actualité qui sera discutée. Dans ce cas, M. Leduc, bien qu’il soit expert dans le domaine militaire à titre d’ex-officier du renseignement, ne semble pas bien connaître les différentes versions du document du Pentagone fuité qui circulaient à ce moment, et sur laquelle de ces versions il aurait dû s’appuyer pour effectuer son analyse.
Parmi les moyens raisonnables qui auraient pu être entrepris, l’équipe éditoriale de l’émission aurait pu valider auprès de l’expert la version dite « originale » et la version dite « falsifiée » qui circulaient sur les réseaux sociaux, conformément à ce qu’avaient rapporté plusieurs autres médias.
Le Conseil a fait valoir la nécessité de prendre des moyens raisonnables pour valider la fiabilité des informations d’une source dans la décision antérieure D2022-11-222, où un grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources a été retenu. Dans ce dossier, qui visait un article portant sur le décès d’une femme à la suite d’une opération de chirurgie esthétique dans une clinique privée, le plaignant reprochait à la journaliste d’avoir rapporté « les paroles diffamatoires et dénigrantes envers une profession [celle des inhalothérapeutes] d’un chirurgien qui ne connaît pas le droit de pratique et les limites de l’inhalothérapeute ». Dans le reportage, certaines affirmations étaient présentées par le chirurgien comme des faits. Ces affirmations, qui reposaient sur une seule source, auraient mérité d’être validées. « Outre le fait qu’elle ne valide pas l’information transmise par sa source, la journaliste ne pousse pas non plus son entrevue plus loin. Elle aurait pu demander au chirurgien de lui fournir des preuves de ce qu’il avançait et de détailler ses allégations et expliquer ces allégations au public », souligne-t-on dans cette décision.
Similairement, dans le cas présent, Paul Larocque, LCN et TVA Nouvelles n’ont pas pris les moyens raisonnables pour s’assurer que l’invité Simon Leduc ne mettait pas de l’avant des données provenant de la version falsifiée des documents fuités, manquant ainsi à leur devoir de vérifier la fiabilité des informations transmises par leur source.
À titre d’exemple a contrario, dans la décision D2021-03-059, le Conseil a rejeté un grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source parce que l’expert consulté transmettait à l’animateur Mario Dumont des renseignements relevant de son domaine d’expertise, mais qui n’étaient pas d’ordre public, tandis que les informations relayées par Simon Leduc étaient disponibles dans plusieurs médias et sur les réseaux sociaux depuis cinq jours. Dans ce dossier, le Conseil a jugé que « bien que les données présentées par Jean-Pierre Fortin soient moins précises que celles de l’Agence des services frontaliers du Canada, l’animateur n’avait pas de raison de douter de la fiabilité des informations transmises par le président du Syndicat des douanes et de l’immigration, qui rapportait les observations [d’ordre privé des] membres [de son syndicat]. En raison de sa position, il était bien placé pour partager les informations dont il avait connaissance. »
Inversement, dans le cas présent, considérant que l’animateur Paul Larocque n’a pas relevé le fait que certaines données avancées par l’expert Simon Leduc pouvaient être douteuses et questionnables, alors que ces informations étaient disponibles dans la sphère publique depuis plusieurs jours.
Pour toutes ces raisons, le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources est retenu.
Grief 2 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si l’animateur Paul Larocque, LCN et TVA Nouvelles ont transmis de l’information inexacte dans les extraits retranscrits ci-dessous.
Entrevue avec Simon Leduc à l’émission « Le Bilan » :
Simon Leduc : « Ça, c’que ça vient toucher, c’est tout le narratif occidental que l’Ukraine est en train de gagner. Parce que le taux de pertes qui est présent n’est pas celui qui est représenté, euh, fréquemment à l’intérieur des médias. […] Et là, même d’une perspective russe, c’est, ça serait vraiment, vraiment, vraiment très, très, très positif. Les premiers, les premiers chiffres que j’ai vus… »
Paul Larocque : « En faveur de la Russie? En faveur de la Russie? Au détriment de l’Ukraine. »
Simon Leduc : « Ah, complètement. Complètement en faveur de la Russie. Ah, tout à fait. »
Paul Larocque : « Et donc, l’Ukraine est pas en si bonne posture que certains peuvent le penser. C’est c’que ça tend à démontrer. »
Simon Leduc : « Juste, juste, par exemple, le nombre de véhicules détruits. Je, j’avais un estimé que c’était en milliers. Et dans le document, c’est en centaines. Donc euh… »
Paul Larocque : « Du côté russe? »
Simon Leduc : « C’est une grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse différence. »
Article de TVA Nouvelles :
« “[…] les chiffres sont vraiment positifs en faveur de la Russie”, explique l’ancien officier de renseignements militaires Simon Leduc. […]
“Le narratif occidental que l’Ukraine est en train de gagner [a changé] parce que le taux de perte qui est présent n’est pas celui qui est diffusé dans les médias.”
Les chiffres qui ont surpris le plus cet ancien officier sont ceux des pertes de véhicules russes.
“Prenons par exemple le nombre de véhicules détruit[s], j’avais l’impression que le chiffre devait se retrouver dans les milliers et bien dans le document on parle de centaines. C’est une grosse différence”, dit cet expert. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte.
Analyse
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir transmis de l’information inexacte concernant la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie. Il soutient : « L’analyste invité Simon Leduc affirme que l’Ukraine est sur le bord de la défaite. Il affirme citer les documents du Pentagone récemment coulés dans la presse. Simon Leduc affirme que le document prouve que les chiffres sont vraiment positifs en faveur de la Russie et que le taux de perte sur les documents n’est pas celui présenté dans les médias. Il ajoute que c’est seulement une centaine de véhicules que la Russie a perdus dans sa guerre en Ukraine et laisse entendre que les pertes humaines sont plus importantes du côté ukrainien que russe. »
Il poursuit : « Or, ce n’est pas du tout ce qu’affirment les documents coulés que Leduc prétend citer. Ces documents parlent clairement de 2048 tanks russes détruits et 3900 blindés russes détruits, donc un total de 5948 véhicules détruits. Selon les mêmes documents, le nombre de morts russes est de 43 500, tandis que l’armée ukrainienne a 17 500 morts. »
Le plaignant a joint à sa plainte une copie d’une publication Twitter qui remonte au 7 avril 2023, soit quatre jours avant la diffusion de l’entrevue avec Simon Leduc et la mise en ligne de l’article en cause. Il s’agit d’une publication de Yaroslav Trofimov, correspondant principal des affaires étrangères pour le quotidien américain The Wall Street Journal, montrant côte à côte deux versions des documents fuités. La version de gauche est celle que l’on présume être l’originale et qui fait état de pertes considérables pour la Russie, tandis que la seconde est, selon toute vraisemblance, la version trafiquée minimisant les pertes russes. Dans cette publication, le journaliste Yaroslav Trofimov explique :
« When secret U.S. slides leaked out yesterday, Russian propaganda channels quickly reposted them – but after a little Photoshop. Suddenly, 43.5k Russian fatalities turned to 17.5k, while 17.5k Ukrainian KIA [killed in action] became 71.5k. Russian vehicle losses shrank from 6,004 to 600. Spot the differences. »
Traduction du Conseil : « Lorsque des diapositives américaines secrètes ont fuité hier, des chaînes de propagande russe les ont rapidement retransmises – après un peu de travail sur Photoshop. Soudain, les 43 500 morts chez les Russes se sont transformés en 17 500, tandis que les 17 500 Ukrainiens tués au combat sont devenus 71 500. Les pertes de véhicules russes sont passées de 6004 à 600. Remarquez les différences. »
Les mis en causes, Paul Larocque, LCN et TVA Nouvelles, n’ont pas répondu à la plainte.
À la lumière des informations fournies par le plaignant et des recherches complémentaires effectuées par le Conseil, on s’aperçoit que l’expert en stratégies militaires Simon Leduc met l’accent sur les données provenant de la version vraisemblablement trafiquée des documents fuités et néglige de préciser de façon claire le risque de désinformation, ce qui peut porter à confusion. De plus, à aucun moment il ne fait mention des données contenues dans les documents fuités du Pentagone que l’on présume être les originaux, selon le New York Times, notamment, ce qui contribue à fournir au public une vision partielle de la réalité.
Cependant, M. Leduc fait tout de même part de certaines réserves quant à l’authenticité des documents fuités à deux occasions durant son entretien avec l’animateur Paul Larocque. Il affirme d’abord : « Et le document en question, le litige principal, c’est sur les pertes. Et donc, le document a pas vraiment varié au cours de la fin de semaine, mais sauf sur cet élément-là. Les pertes qui ont varié. Là, y’a plusieurs variances de documents qui sont apparues avec des niveaux de pertes qui variaient. » Puis, dans les dernières secondes de l’entrevue, il ajoute : « Pis encore une fois, faut mettre les choses bien au clair, là. C’est pas… Le document pourrait être falsifié […]. »
De la même manière, dans l’article publié sur le site Web de TVA Nouvelles, on peut lire la phrase suivante : « Il [Simon Leduc] a, par contre, mis en garde que le document pourrait être falsifié, mais si ce n’est pas le cas, cela est très préoccupant. »
Bien que son intervention soit imprécise et qu’il semble appuyer son analyse sur des documents falsifiés, on ne peut établir avec certitude que M. Leduc rapporte une information inexacte en soi puisque nous ne sommes pas en mesure de corroborer les chiffres du Pentagone qui auraient fuité et qui favorisent l’Ukraine, ni ceux qui semblent avoir été falsifiés en faveur des Russes. À titre d’expert consulté par l’animateur Paul Larocque, Simon Leduc présente son avis de manière hypothétique. Ainsi, les propos de M. Leduc sont imprécis et confus, sans pour autant qu’on ait la preuve qu’ils sont inexacts.
Il est important de faire une distinction claire entre une imprécision et une inexactitude. Un cas d’information imprécise comparable a été constaté dans la décision D2018-04-039, où le Conseil a rejeté un grief d’information inexacte concernant l’utilisation du mot « fusil » dans la phrase « des fusils tirant des cartouches de détresse ». Dans ce dossier, le plaignant affirmait qu’un « fusil est une arme à feu n’étant ni une carabine, ni un pistolet, ni un revolver, tirant des cartouches pouvant aller du calibre […] .410 au calibre 10 ». Le Conseil a observé que certains sites Internet où ce type de matériel était vendu désignaient l’instrument servant à lancer des cartouches de détresse comme étant un « fusil » ou un « pistolet ». Les deux termes étant utilisés dans le langage courant, il ne s’agissait donc pas d’une information inexacte. « Certains peuvent considérer que l’information est imprécise, mais cela ne constitue pas pour autant un manquement à la déontologie journalistique », souligne-t-on dans cette décision.
Il en va de même pour le cas à l’étude ici. L’information transmise par l’expert invité Simon Leduc est imprécise parce qu’il ne fait pas clairement état de la nature falsifiée des documents qui circulaient, mais cela ne constitue pas un manquement au principe déontologique d’exactitude. C’est pourquoi le grief d’information inexacte est rejeté.
Note
Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer de LCN et TVA Nouvelles, qui ne sont pas membres du Conseil et n’ont pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Jason Keays visant une entrevue de l’animateur Paul Larocque avec l’expert en stratégies militaires Simon Leduc durant le segment « Fuite de documents secrets – Des dossiers liés à l’Ukraine impliqués » de l’émission « Le Bilan », diffusée le 11 avril 2023 sur les ondes de LCN, ainsi que l’article non signé « Fuite de documents secrets : l’Ukraine sur le bord de la défaite? », publié sur le site Internet de TVA Nouvelles le 11 avril 2023, concernant le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources. Il blâme l’animateur Paul Larocque, le réseau LCN et TVA Nouvelles.
Par ailleurs, le Conseil rejette le grief d’information inexacte.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Olivier Girardeau
Représentants des journalistes
Rémi Authier
Sylvie Fournier
Représentants des entreprises de presse
Maxime Bertrand
Éric Grenier