Montréal, jeudi 12 décembre 2013 – Le tribunal d’honneur du Conseil de presse du Québec (CPQ) a rendu et publié onze (11) nouvelles décisions reliées à des plaintes qu’on lui avait soumises. Six (6) d’entre elles ont été retenues, les cinq (5) autres ayant été rejetées.
Négligence de La Presse quant au droit à l’image de la sénatrice Hervieux-Payette
D2013-04-094 : Mme Céline Hervieux-Payette, sénatrice c. M. André Pratte, éditorialiste en chef, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca
Dans cette affaire, la sénatrice Céline Hervieux-Payette a déposé plainte contre le quotidien La Presse ainsi que son site Internet lapresse.ca pour avoir utilisé, à quatre reprises, une photo où on pouvait l’apercevoir, en arrière-plan, alors qu’elle donnait un point de presse en compagnie du Dr Arthur Porter, sujet principal de la photographie. Utilisée pour illustrer des articles portant sur le scandale ayant éclaboussé le Dr Porter, la plaignante estimait qu’il s’agissait d’une atteinte à son droit à l’image, puisqu’elle n’avait pas à être, d’aucune façon, associée à cette affaire. Dans sa plainte, elle faisait valoir que La Presse aurait pu, au minimum, flouter son visage, ou encore recadrer la photo, voire en utiliser une autre. Elle décriait également que la photo fût réutilisée à trois autres reprises, et ce, malgré que l’éditorialiste en chef de La Presse, M. André Pratte, lui ait promis, après qu’elle se soit plainte d’une première utilisation de la photo, que la situation serait corrigée.
Elle dénonçait également le fait qu’aucune légende n’ait été apposée à la photo, même si celle-ci datait de 2006, ce qui ne faisait qu’ajouter au quiproquo possible dans l’esprit des lecteurs.
Elle réclamait, enfin, que La Presse lui offre un droit de réplique et formule à son endroit des excuses publiques.
Le Conseil s’est rallié à ses arguments pour deux des trois griefs, à savoir que l’utilisation de cette photo constituait effectivement une atteinte à son droit à l’image, a fortiori vu le nombre de fois où elle a été utilisée, et qu’en conséquence que La Presse se devait de lui offrir un droit de réplique ou, au minimum, de publier un rectificatif. Dans sa décision, le comité des plaintes remarque que « le journal La Presse a déployé peu d’efforts pour trouver une photo où le Dr Porter apparaît seul, ceci malgré la gravité des accusations portées contre lui et l’importance de n’impliquer personne d’autre. »
Pour toutes ces raisons, le Conseil adresse à La Presse un blâme.
Les limites du dénigrement pour un journaliste d’opinion
D2013-02-081 : M. Jason Keays et M. Étienne Alexis Gratton c. M. Jean-Jacques Samson, journaliste, M. Éric Cliche, directeur de l’information et Le Journal de Québec
À la suite de la chronique de Jean-Jacques Samson, intitulée « Les parasites de l’ASSÉ », Jason Keays et Étienne Alexis Gratton ont déposé plainte contre ce dernier, alléguant que le texte contenait plusieurs inexactitudes, en plus de se faire le porteur de préjugés et d’être méprisant. Ils estiment, du reste, qu’il est diffamatoire.
Rejetant d’emblée ce dernier grief – la diffamation relevant de la compétence des tribunaux –, le comité des plaintes a cependant donné raison aux plaignants aux deux premiers. Si le journaliste pouvait, contrairement à leur prétention, affirmer que l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) n’avait, à son avis, d’un syndicat que le nom, il ne pouvait affirmer, puisque c’est faux, que les étudiants en médecine, pharmacie, sciences dentaires, droit, sciences et génie, administration ont voté contre le boycottage des cours en 2012.
De la même façon, le Conseil a jugé que la très grande latitude dont jouissent les chroniqueurs d’opinion ne permettait pas à M. Samson d’affirmer, considérant qu’il admettait lui-même « ne pas détenir de statistiques » à ce sujet, que les « que les plus mauvais payeurs pour le remboursement des prêts étudiants sont également des ex-étudiants de ces facultés et départements où sont concentrés les membres de l’ASSÉ ». Aux yeux des membres du comité des plaintes, faire une telle affirmation équivaut à véhiculer et entretenir des préjugés, tout comme le fait d’affirmer que l’ASSÉ abriterait « la lie de la clientèle universitaire ». Finalement, en traitant de « parasites patentés » les deux porte-parole de l’ASSÉ, Jeanne Reynolds et Gabriel Nadeau-Dubois, le Conseil estime que M. Samson a également sombré dans un mépris indigne de la profession journalistique.
La parodie : un effet de style que peuvent se permettre les chroniqueurs
D2013-03-093 : M. Guy Bouchard c. M. Richard Martineau, journaliste, M. Dany Doucet, rédacteur en chef, Le Journal de Montréal
Dans cette plainte, déposée par Guy Bouchard à l’encontre de Richard Martineau, chroniqueur au Journal de Montréal, le plaignant dénonçait la publication d’un texte, intitulé « Appel au peuple », rédigé de telle façon que le lecteur pouvait croire qu’il avait été signé de la main du ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée.
S’il est vrai que la chronique en question était effectivement formulée comme s’il s’agissait d’un discours tenu par le ministre, le Conseil a cependant jugé que les lecteurs n’auront pas eu de difficulté à comprendre qu’il s’agissait à l’évidence d’une parodie, dont l’objectif était de dénoncer, sur un ton satirique, ce que Richard Martineau jugeait être un changement majeur – et visiblement, à son sens, incongru – dans le discours officiel du gouvernement à l’égard des manifestations étudiantes. Rappelant que les chroniqueurs disposent d’une grande latitude, autant dans la forme que sur le fond, lorsque vient le temps pour eux d’exprimer leurs opinions, le Conseil conclut qu’on on ne peut donc y voir une inexactitude de la part du chroniqueur, ou encore une preuve de mépris à l’encontre des étudiants. La plainte a donc été rejetée.
Rappel du passé du frère du Cardinal Ouellet : un argumentaire rigoureux
D2013-03-085 : M. Hercule Raymond et al. c. M. Patrick Lagacé, journaliste, M. Mario Girard, directeur de l’information, le site Internet lapresse.ca
Estimant qu’une entrevue du Cardinal Ouellet menée par Céline Galipeau, la veille de sa chronique, était trop complaisante, le chroniqueur Patrick Lagacé a voulu rappeler quelques aspects du passé de ce cardinal qui était alors, de l’avis de plusieurs, en lice pour devenir le prochain pape. C’est ainsi qu’il a rappelé que celui-ci avait été soupçonné d’avoir « manœuvré en coulisse pour écarter un cardinal écossais accusé d’inconduite sexuelle… Alors que son propre frère a été reconnu coupable d’actes de pédophilie ». Pour les plaignants, non seulement les deux faits n’avaient strictement aucun rapport entre eux, mais ils estimaient en outre qu’il n’était pas d’intérêt public, dans le cas présent, de rappeler le passé criminel du frère du Cardinal Ouellet, et que le faire ne visait qu’une chose : ternir injustement sa réputation.
Une majorité des membres (3/5) du comité des plaintes du Conseil de presse a décidé de rejeter la plainte, jugeant que ces faits méritaient d’être rappelés, considérant l’importance de l’élection éventuelle du cardinal au pontificat catholique. Au contraire, pour les membres dissidents (2/5), puisqu’aucun lien argumentatif clair ne venait unir ces deux accusations, le rappel des antécédents judiciaires du frère du cardinal était injustifié, et risquait de discréditer, par association, le cardinal.
En vrac
D2013-03-084 : Conflit d’intérêt au Suburban
Une plainte visant le journal The Suburban pour conflit d’intérêts a été retenue. Le plaignant estimait qu’en s’associant à un groupe de pression, l’éditeur et rédacteur en chef de la publication, Beryl Wasjman, s’était placé en situation de conflit d’intérêts. Un second grief, pour censure, a cependant été rejeté.
D2013-03-092 et D2013-05-113 : Mépris et propos haineux à CHOI 98,1 Radio X
Une fois de plus, une plainte pour mépris visant la station de radio CHOI 98,1 Radio X a été retenue. Le plaignant dénonçait les propos d’une animatrice, Josée Morissette, qui avait comparé la vue de deux homosexuels s’embrassant à celle de deux chiens faisant la même chose.
La seconde plainte, également retenue, visait cette fois des propos tenus par un autre animateur, Dominic Maurais. Le plaignant estimait qu’il avait tenu des propos haineux en dénonçant un individu qu’il qualifiait de « Sale extrémiste gauchiste, profiteur, comme tant d’autres », et en jugeant que « ces gens-là mériteraient d’être écrasés comme des moucherons! »
D2013-03-087 : L’exactitude est de mise, même dans une chronique de cinéma
Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes a eu gain de cause pour une plainte visant une chronique cinématographique de Jean-Christophe Laurence, parue dans La Presse, où ce dernier notait ce que la distribution d’un film, The Gatekeepers, coïncidait avec la nouvelle selon laquelle un détenu palestinien était mort sous la torture israélienne. Or, selon le Conseil, il aurait dû faire remarquer qu’il n’existait pas de consensus quant aux causes réelles de la mort du détenu en question, puisque les autorités palestiniennes et israéliennes ne s’entendaient pas sur les conclusions à tirer de l’autopsie.
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Le texte intégral des décisions ainsi qu’un résumé des arguments des parties en cause peuvent être consultés à l’adresse conseildepresse.qc.ca, dans la section « Décisions ».
Ces décisions sont toutes susceptibles d’être portées en appel dans les 30 jours de leur réception par les parties.
Le Conseil rappelle que « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8.2)
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SOURCE :
Julien Acosta, directeur des communications
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818
RENSEIGNEMENTS :
Guy Amyot, secrétaire général
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818