Plaignant
M. François Blaney
Mis en cause
Mme Anne Préfontaine, journaliste
L’émission « Le TVA Nouvelles »
TVA-Sherbrooke
Résumé de la plainte
M. François Blaney dépose plainte contre Mme Anne Préfontaine, journaliste, l’émission « Le TVA Nouvelles » et TVA-Sherbrooke pour un reportage intitulé « Insalubrité d’une résidence : des citoyens inquiets », diffusé le 28 janvier 2016. Le plaignant dénonce une atteinte à la vie privée de la dame dont la maison est présentée dans le reportage et un refus d’apporter un correctif.
Le reportage de la journaliste Anne Préfontaine porte sur les inquiétudes de voisins d’une dame, qui serait atteinte de problèmes de maladie mentale selon la journaliste, et dont la maison, habitée par une vingtaine d’animaux, serait insalubre.
TVA-Sherbrooke et la journaliste n’ont pas répondu à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée
M. Blaney reproche à la journaliste ou à son équipe technique d’avoir filmé l’intérieur du domicile d’une dame sans son autorisation. Le plaignant précise, comme il l’est mentionné dans le reportage, que la dame était hospitalisée au moment de la diffusion du reportage.
Selon le plaignant, les séquences tournées à l’intérieur du domicile de la dame étaient source d’humiliation pour elle.
En matière de vie privée, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse préconise ceci, à l’article 18 – Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
L’ancien guide du Conseil, intitulé Droits et responsabilités de la presse, rappelait quant à lui que « Les journalistes doivent également s’interdire de recourir aux techniques qui relèvent de l’abus de confiance […] ou qui s’apparentent à la violation ou à l’invasion de la propriété et de la vie privée. C’est là une question de probité et d’intégrité professionnelles et personnelles. »
Dans le reportage, le Conseil constate qu’au moins deux plans, durant chacun de 4 à 5 secondes, montrent des images de l’intérieur de la maison, où l’on peut voir l’état de délabrement de celle-ci. Tout indique, cependant, que ces images ont été captées de l’extérieur, à travers les fenêtres de la maison : dans un cas, on voit clairement une réflexion, ce qui laisse croire qu’il y a une vitre entre la caméra et ce qui est filmé, et dans l’autre cas on aperçoit dans le coin de l’image la porte extérieure de la maison, de sorte que la caméra devait forcément se trouver sur le terrain de la dame. Ainsi, contrairement à ce qu’avançait le plaignant, il ne semble pas que les images aient été tournées à l’intérieur de la maison.
Cependant, cela ne règle pas la question, car nonobstant l’endroit à partir desquelles elles ont été prises, la diffusion de ces images constituait aux yeux du Conseil une atteinte à la vie privée de la dame. Montrer ainsi son intimité, ses objets personnels, ses meubles et l’allure générale de son logement levait le voile sur des aspects très personnels de sa vie, qu’elle pouvait légitimement croire protégés de l’oeil du public.
Ainsi, la question centrale, dans le cas présent, est de déterminer si l’intérêt public justifiait cette intrusion dans la vie privée – et plus précisément : dans ce niveau de vie privée qu’est l’intérieur d’une maison, car comme la jurisprudence du Conseil l’a maintes fois établi, de telles atteintes sont admissibles à condition de se justifier par un intérêt public prépondérant.
Pour une majorité de membres du comité des plaintes (4 sur 7), l’intérêt public ne pouvait justifier une telle atteinte, car s’il est vrai que le public était légitimement en droit de savoir que sa maison pouvait poser un risque de sécurité publique, il n’était pas nécessaire, pour mettre ce risque en lumière, de présenter des images aussi intimes. Les images prises de la rue, en plus des témoignages des trois voisines et du maire de Dunham, suffisaient amplement à bien comprendre l’ampleur de ce risque.
Pour ces membres, en outre, le fait que la journaliste ait profité de l’absence de la dame pour visiter les lieux aggrave l’atteinte à sa vie privée et à son intimité, puisqu’elle n’était alors même pas en mesure d’accepter ou de s’opposer à la présence de caméras sur son terrain.
Pour toutes ces raisons, une majorité de membres retient le grief d’atteinte à la vie privée.
Une minorité (3 sur 7) estime au contraire que l’importance de la question de sécurité publique soulevée dans le reportage, par le maire de Dunham, à l’effet que la maison de la dame représentait un risque important d’incendie, faisait en sorte que l’atteinte à la vie privée de la dame était tout à fait justifiée en l’espèce. Une atteinte, qui plus est, que ces membres estiment somme toute assez limitée : rien ne permet de croire que la journaliste ou son caméraman serait effectivement entré dans la maison comme telle, comme le prétend le plaignant. Dans les circonstances, le public était en droit de voir l’ampleur du délabrement et du désordre qui régnaient dans la maison afin de mieux saisir l’urgence d’agir. Le téléspectateur qui doit juger du bien-fondé des agissements des autorités dans la situation en regardant le reportage ne disposerait pas de l’information utile si le reportage s’était limiter à filmer le terrain extérieur à partir de la rue.
Finalement, un membre exprime une réserve sur le fait que le Conseil se saisisse d’une plainte pour atteinte à la vie privée déposée par un tiers, qui n’aurait à son avis aucun intérêt pour agir devant le Conseil de presse. À son avis, l’atteinte à la vie privée que constituerait le fait de montrer des images de l’intérieur de la maison prises à partir de la porte de la résidence n’est pas une faute en soi et dépend de l’appréciation que doit faire le Conseil de l’équilibre entre vie privée et droit du public à l’information. Un téléspectateur qui se plaint du reportage n’est pas en mesure de témoigner et de fournir la preuve que la personne qui habite cette résidence considère que, dans ce cas-ci, il y a eu atteinte à sa vie privée et que l’importance de cette atteinte surpasse l’importance des faits d’intérêt public recueillis par le journaliste.
Sur ce point, la majorité (6 sur 7) juge qu’il importe de rappeler que la jurisprudence du Conseil a toujours permis aux tiers de dénoncer les atteintes aux droits individuels des personnes faisant l’objet de reportages, même s’ils n’étaient pas eux-mêmes visés par ceux-ci. C’est ce qui ressort, notamment, des décisions D1999-03-078, D1999-04-087, D2003-05-065, D2004-09-018, D2011-03-075 et D2011-10-019.
En conséquence, le grief pour atteinte à la vie privée est retenu à la majorité.
Grief 2 : refus d’apporter un correctif
M. Blaney déplore que les mis en cause n’aient pas cessé la diffusion des vidéos montrant l’intérieur du domicile de la dame. Il note qu’il a contacté la journaliste à ce sujet le 29 janvier 2016.
Pour appuyer ses dires, il fournit au Conseil de presse un enregistrement audio de sa conversation avec la journaliste.
En matière de correction des erreurs, le Guide de déontologie du Conseil de presse précise, à l’article 27.1 – Correction des erreurs, que « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Le Conseil a bien écouté l’enregistrement de la conversation, qui dure environ 5 minutes. Dans celui-ci, le plaignant demande essentiellement à la journaliste d’où venaient les images et comment elles avaient été obtenues.
À un moment dans la conversation, il lui dit: « Si vous me dites que c’est vous qui êtes entrée dans la maison, ben je vais porter plainte à la police. »
Or, jamais il ne lui demande d’apporter un correctif ou lui fait valoir que les images en question porteraient atteinte à la vie privée de la dame ou encore seraient dégradantes et humiliantes pour elle.
Dans les circonstances, le Conseil ne peut accueillir le grief pour refus d’apporter un correctif, puisqu’il juge que le plaignant n’en a jamais clairement fait la demande à la journaliste ou à son média. En effet, la jurisprudence du Conseil a établi à plusieurs reprises qu’on ne peut reprocher à un média de ne pas avoir corrigé une erreur qu’on ne lui a jamais précisément signifiée.
Le grief pour refus d’apporter un correctif est rejeté.
Refus de collaborer
La station TVA-Sherbrooke a refusé de répondre à la présente plainte. Le Conseil déplore le refus de collaborer de TVA-Sherbrooke, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient, à la majorité (4/7 membres), la plainte de M. François Blaney contre Mme Anne Préfontaine, journaliste, l’émission « Le TVA Nouvelles » et TVA-Sherbrooke pour atteinte à la vie privée. Il rejette cependant le grief de refus d’apporter un correctif.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Audrey Murray
Présidente par intérim du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- Mme Audrey Murray
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- Mme Maxime Bertrand
- M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
- M. Éric Latour
- Mme Nicole Tardif