D2024-09-067
Plaignante
Martine Alie
Directrice des ressources humaines, Ville de Brossard
Mis en cause
Ali Dostie, journaliste
L’hebdomadaire Le Courrier du Sud
Gravité Média
Date de dépôt de la plainte
Le 15 septembre 2024
Date de la décision
Le 25 avril 2025
Résumé de la plainte
Martine Alie, directrice des ressources humaines à la Ville de Brossard, dépose une plainte le 15 septembre 2024 au sujet de l’article « Brossard : la directrice des RH à l’origine d’un “climat malsain” », de la journaliste Ali Dostie, publié dans Le Courrier du Sud le 16 juillet 2024. La plaignante déplore du sensationnalisme, un manque d’équilibre, de l’information inexacte et de l’information incomplète.
Contexte
L’article « Brossard : la directrice des RH à l’origine d’un “climat malsain” », qui est l’objet de la présente plainte, fait partie d’une série d’articles exposant le climat de travail à la Ville de Brossard.
Le principal article s’intitule « Des employés témoignent : “La Ville de Brossard est malade” ». Il rapporte les doléances de sept employés (anciens et actuels) de la municipalité. Leurs reproches visent principalement les méthodes de gestion du directeur général Guy Benedetti et de la directrice des ressources humaines Martine Alie (la plaignante dans le présent dossier).
La série comporte également les articles « Une politique de rémunération des cadres soulève de nombreuses questions » et « Ville de Brossard : un sondage peu reluisant », qui font respectivement état du mécontentement des employés concernant la nouvelle politique de rémunération des cadres qu’ils jugent inéquitable et des résultats d’un sondage effectué auprès des employés de la municipalité à propos de l’organisation, des relations et de leur épanouissement au travail.
L’article visé par la plainte (« Brossard : la directrice des RH à l’origine d’un “climat malsain” ») rapporte les critiques de sept cadres, employés ou ex-employés de la Ville de Brossard envers la directrice des ressources humaines, Martine Alie, la plaignante. L’article indique : « On lui reproche notamment d’établir un climat “malsain”, de contrevenir à des règles et d’agir “pour son propre profit”. » On y apprend que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) mène une enquête « à la suite de quatre plaintes pour harcèlement ou lésions professionnelles déposées » contre Mme Alie.
Griefs de la plaignante
Grief 1 : sensationnalisme
Principes déontologiques applicables
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
1.1 Titre
Le Conseil doit déterminer si le média a déformé la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements dans le titre « Brossard : la directrice des RH à l’origine d’un “climat malsain” ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de sensationnalisme sur ce point.
Arguments des parties
La plaignante avance : « Je suis arrivée à Brossard en mai 2023 et des problèmes de climat existaient déjà. Le mauvais climat était même connu des autres villes. Depuis 2016, la Ville a eu recours à divers experts dans le but de régler la situation : 2009, la firme SAG – 2018, la firme JMC Groupe Conseil – 2021, la firme H2H Expertise et en juin 2023 on m’a mandatée pour réaliser une enquête de climat de travail entre la Direction des TP [travaux publics] et la Direction LCVC [loisirs, de la culture et de la vie communautaire], car le climat était malsain et les résultats l’ont confirmé. »
Elle ajoute : « En ce qui concerne le climat dans mon équipe, composée de 18 personnes, tous se disent heureux. Un sondage a été réalisé dans mon équipe le 13 juin 2024 qui confirme le tout. Aussi, lors de la journée des compliments en mars dernier, j’ai reçu plusieurs commentaires positifs de mes employés. »
De son côté, le média indique que « le journal n’a pas déformé la réalité, ni exagéré la portée des faits, mais s’est plutôt appuyé sur plusieurs témoignages d’employés et ex-employés qui partageaient le même point de vue quant aux répercussions des agissements, des propos et de certaines décisions de la plaignante sur le milieu de travail. Il s’agit de leur perception de la situation. »
Il précise : « “Climat malsain” n’est pas une interprétation du journal des diverses situations qui nous ont été rapportées. Il s’agit d’une citation, de termes utilisés par les employés rencontrés, au même titre que “climat toxique”, revenu souvent dans leurs propos pour qualifier l’ambiance vécue au travail, ravivée depuis l’arrivée de la plaignante à la Ville de Brossard. »
Au sujet du contexte passé évoqué par la plaignante, le média indique : « D’abord, les employés rencontrés ne nient aucunement les enjeux de climat qui ont touché la Ville par le passé. Et le journal fait d’ailleurs référence à ce contexte à quelques reprises. » Il ajoute : « Les employés rencontrés insistent : ce climat est pire depuis que la plaignante travaille à la Ville. Ils questionnent des approches qui ont contribué à envenimer le climat plutôt qu’à régler les conflits. »
À la suite de la réponse du média, la plaignante ajoute : « Prétendre que je suis “à l’origine”, cela tient du sensationnalisme et est totalement faux. Il y a toute une nuance d’un point de vue étymologique. Origine “désigne soit le commencement chronologique (première apparition d’un phénomène ou naissance au sein d’une continuité), soit la cause logique de quelque chose.” »
Elle fait valoir : « J’ai débuté mes fonctions à la Ville de Brossard le 23 mai 2023 et l’article qui me concerne a été publié le 16 juillet 2024. Le 23 mai 2023, j’étais la 5e directrice des ressources humaines en 3 ans, et le directeur général était le 5e en 5 ans lorsqu’il est arrivé en juin 2022. Le taux de roulement était aussi important au sein de toute la Ville. »
Analyse du comité des plaintes
À travers une série de témoignages provenant de sources confidentielles, l’article présente les problèmes actuels de climat de travail qui règnent à la Ville de Brossard et dont la plaignante serait « à l’origine ». Les passages suivants de l’article montrent bien que les situations évoquées par les employés et ex-employés concernent le comportement ou les décisions de la plaignante et qu’elles ne datent pas de la période qui a précédé son arrivée en poste :
« “Mme Alie, c’est quelqu’un qui est très violent verbalement, exprime une première cadre. […]
Des employés rapportent des situations précises où Mme Alie isole des employés qu’elle juge problématiques, prétexte qu’un employé en déteste un autre, use de manipulation et se victimise fréquemment – menaçant de démissionner lorsqu’un élément de son travail est remis en question. Il peut lui arriver de faire des crises devant des employés.
“Mme Alie, c’est beaucoup diviser pour régner. Elle est très bonne pour monter les gens les uns contre les autres, analyse une deuxième cadre. Et elle ne se soucie peu de la recherche de la vérité. Elle travaille avec les perceptions et les ouï-dire.”
[…]
“C’est le ton qui s’est durci depuis l’arrivée de Martine Alie, tant dans la gestion des invalidités que dans la gestion des employés qui ne penseraient pas unilatéralement comme la direction”, poursuit-elle.
[…]
“C’était devenu une espèce de climat de terreur où il ne fallait plus parler aux autres. Le mot se passait qu’elle faisait des affaires qu’il ne fallait pas. Le climat de travail s’est détérioré, ça s’est divisé en clans”, souligne une ancienne employée. »
Comme le fait valoir la plaignante, le mauvais climat de travail à la Ville de Brossard ne date pas d’hier. En consultant des articles publiés avant l’entrée en poste de la plaignante, on constate que la Ville a un passé problématique à cet égard. Il y a quelques années, par exemple, l’ingérence de certains élus dans le travail des fonctionnaires avait envenimé le climat de travail. En plus de faire état de nombreux départs dans la haute fonction publique de la Ville de Brossard, l’article « Zizanie à Brossard : à quand des réponses? », publié sur le site Internet de Radio-Canada le 14 juin 2017, rapporte qu’une plainte de harcèlement psychologique a été déposée au Tribunal administratif du travail contre le maire de l’époque par la directrice des services juridiques. Un an plus tôt, soit le 7 juin 2016, Le Journal de Montréal rapportait les conclusions du rapport réalisé par la firme Banks & MacKenzie dans l’article « Rapport accablant sur la gestion de Brossard – Les élus feraient de l’interférence dans les opérations de la Ville ». L’article cite les passages suivants du rapport :
« Il s’agit là d’une situation maintes fois observée dans le milieu municipal particulièrement lorsque des élus interfèrent directement au niveau des opérations. »
« Les directeurs ont alors l’impression d’être en perte de crédibilité face à leurs employés qui sont continuellement appelés à modifier leurs opérations […] afin de satisfaire les plaintes ainsi que les requêtes multipliées des élus. »
Cependant, le fait qu’il ait eu des situations problématiques de climat de travail à la Ville de Brossard antérieurement ne change en rien les témoignages des employés qui illustrent les problèmes de climat sous la direction de Mme Alie, problèmes qu’ils associent spécifiquement à sa gestion. La situation décrite dans l’article visé par la présente plainte n’est pas la même que celle dont les médias faisaient état en 2016 et 2017. Dans un cas, la plaignante serait à l’origine du « climat malsain » qui règne sous sa direction alors que, dans le passé, les problèmes étaient causés par l’ingérence inappropriée des élus.
Il est important de noter que ni le titre ni l’article visés par la plainte n’affirme que la plaignante est à l’origine du « climat malsain » qui règne à Brossard depuis de nombreuses années. Le titre (« Brossard : la directrice des RH à l’origine d’un “climat malsain” ») indique qu’elle est à l’origine du climat malsain qui règne actuellement. L’utilisation du déterminant « un » n’exclut pas qu’il y a déjà eu d’autres climats malsains auparavant. La plaignante ne serait pas à l’origine de chacun d’eux, mais de l’un d’entre eux, le climat actuel.
Le titre ne déforme donc pas, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits, puisque les allégations rapportées dans l’article font état d’un climat de travail qui a été qualifié de « malsain » par l’une des sources. En reprenant cette expression dans le titre, le média n’a pas fait preuve de sensationnalisme.
Même si les propos d’une source peuvent être perçus comme durs, choquants ou surprenants, on ne peut conclure à du sensationnalisme s’ils sont rapportés de façon fidèle, comme ce fut le cas dans la décision D2019-03-042. Dans ce dossier, le plaignant considérait que le titre « Pétition sur la vitamine C : un député caquiste prend ses distances » était « incendiaire ». Le Conseil a jugé que le titre ne déformait pas la réalité ni n’exagérait ou ne modifiait la compréhension du texte. Il s’agissait d’un titre factuel qui décrivait bien le contenu du message publié sur Facebook par le député et rapporté dans l’article.
De même, dans le cas présent, le titre de l’article ne déforme pas la réalité. Contrairement à ce que prétend la plaignante, le titre ne lui attribue pas les problèmes de climat de travail qui ont pu exister avant son arrivée en poste.
1.2 Violence verbale
Le Conseil doit déterminer si la journaliste et le média ont déformé la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements dans le passage suivant : « “Mme Alie, c’est quelqu’un qui est très violent verbalement” ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme sur ce point.
Arguments des parties
La plaignante estime qu’« il s’agit d’une affirmation gratuite. » Elle affirme : « Combien de fois j’ai demandé à des gens d’ajuster leur ton, car cela ne me convient pas. Vous pouvez demander à ma cheffe de service Acquisition de talents et rémunération globale à qui j’ai déjà demandé d’utiliser un ton plus doux, car c’est une personne sec et cela me crée des malaises. Vous pouvez demander aussi à notre négociatrice, qui, lors d’une rencontre de comité de négociation, a été témoin que j’ai demandé à “quelqu’un” d’ajuster son ton, car je ne me sentais pas à l’aise. Je peux user d’un ton ferme, mais jamais de façon violente, ni verbalement, ni physiquement. [J]e suis plutôt quelqu’un à caractère jovial, bienveillante et empathique, exigeante mais surtout pas violente. »
Les représentants du Courrier du Sud soulignent que le passage visé par la plainte est « un propos rapporté, une citation attribuée à une source ». Ils ajoutent : « Cette citation est suivie d’exemples donnés par la source – et d’autres employés –, qui justifient pourquoi elle estime que la plaignante fait preuve de violence verbale. La journaliste a relaté des propos de sources, nombreuses, qui abondent dans le même sens. Elle a jugé crédibles leurs propos, notamment en raison du nombre de témoignages, et des plaintes officielles déposées contre la plaignante, que la CNESST a jugé recevables. »
Le média cite le passage de la plainte pour harcèlement et lésions professionnelles déposée contre la plaignante à la CNESST dont est tiré l’extrait visé par la plainte :
« “Les paroles et les agissements de Mme Alie étaient d’une telle violence et sournoises. […] Ses dénigrements auprès de plusieurs employés de la Ville étaient constants et répétitifs.”
“Toute cette situation était une atteinte directe à ma dignité et a entraîné une dégradation de ma santé psychologique.” »
Analyse du comité des plaintes
Le passage visé par la plainte rapporte l’opinion de l’une des sources confidentielles de la journaliste au sujet du comportement de la plaignante. Bien que la plaignante soit en désaccord avec cette opinion, cela ne signifie pas que la journaliste a déformé la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements.
L’opinion de la cadre citée est d’ailleurs appuyée par d’autres témoignages, comme dans le passage suivant :
« “Mme Alie, c’est beaucoup diviser pour régner. Elle est très bonne pour monter les gens les uns contre les autres, analyse une deuxième cadre. Et elle ne se soucie peu de la recherche de la vérité. Elle travaille avec les perceptions et les ouï-dire.”
Selon les éléments rapportés au Courrier du Sud, Mme Alie peut parler négativement d’un employé à un autre. On l’a déjà entendue utiliser le terme “insignifiant” pour qualifier un collègue. En pleine réunion, elle a qualifié de “fatigante” une employée qui n’assistait pas à la rencontre.
De plus, une cadre juge certaines méthodes de travail plutôt “cavalières”, alors que des employés ont appris lors de rencontres devant des collègues qu’ils n’ont pas obtenu le poste qu’ils convoitaient. Deux cas différents de cette pratique nous ont été rapportés. »
Le contenu de la plainte déposée à la CNESST contre la plaignante va également dans le même sens que la citation. Il n’y a donc aucune preuve qu’il y a eu, dans ces passages, déformation abusive des faits.
Le Conseil retient une plainte de sensationnalisme seulement s’il a une preuve d’exagération ou interprétation abusive des faits. C’était le cas dans le dossier D2017-06-086 (2), qui présentait aussi l’opinion d’une personne, sauf que la citation en question avait été inventée de toutes pièces. Le Conseil a retenu le grief de sensationnalisme qui visait le commentaire présenté dans un phylactère ajouté au-dessus de la tête de la plaignante sur une photo publiée en une. Dans ce cas, la plaignante faisait valoir que le message texte qu’on lui attribuait caricaturait la situation et constituait du sensationnalisme. Dans sa décision, le Conseil juge « que la publication à la une du phylactère attribuant faussement une citation à la plaignante déforme abusivement la réalité en “exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent”, tel que réprimé par le Guide. »
Contrairement, dans le cas présent, il n’existe aucune preuve que le témoignage de cette source confidentielle, qui affirme que « Mme Alie, c’est quelqu’un qui est très violent verbalement », ne déforme abusivement la portée réelle des faits.
Présenter le témoignage critique ou l’opinion controversée d’une personne n’équivaut pas à du sensationnalisme. De même, un journaliste d’opinion qui présente un point de vue contesté ne se livre pas au sensationnalisme, à moins qu’il ne déforme de façon abusive la portée réelle de faits. Dans le dossier D2021-03-037, où il devait déterminer si l’opinion exprimée dans un éditorial constituait du sensationnalisme, le Conseil a rejeté le grief en faisant valoir : « Afin d’évaluer si le passage visé est sensationnaliste, il faut déterminer s’il déforme de façon abusive la réalité des faits. Or, ce passage relate l’opinion de la journaliste, sa perspective au sujet de l’étendue du zonage et des conséquences possibles. La plaignante ne partage pas cette perspective, mais aucun élément du passage ne déforme abusivement la réalité. »
Il s’agit d’une situation semblable au cas présent puisque la citation visée concerne l’opinion d’une personne et qu’aucune preuve ne démontre qu’il y a eu une exagération ou une déformation abusive de la réalité dans cette citation.
1.3 Congédiement
Le Conseil doit déterminer si la journaliste et le média ont déformé la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements dans le passage suivant : « Selon nos sources, les deux employés que Mme Alie a congédiés auraient appris la nouvelle par huissier. »
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme sur ce point.
Arguments des parties
La plaignante affirme qu’elle n’a « aucun pouvoir de congédiement ». Elle explique : « J’ai recommandé le congédiement administratif d’une personne de mon équipe et l’autre vient d’une autre équipe et la recommandation a été formulée par une autre directrice. Pour la question des huissiers, c’est la façon de faire selon l’article 72 de la Loi des cités et villes ».
La plaignante cite également la Loi sur les cités et villes : « “72. La résolution destituant un fonctionnaire ou employé visé au deuxième ou au troisième alinéa de l’article 71, le suspendant sans traitement ou réduisant son traitement doit lui être signifiée de la même façon qu’une citation à comparaître en vertu du Code de procédure civile (chapitre C-25.01).” »
Les représentants du Courrier du Sud affirment : « La phrase ciblée par la plainte n’interprète pas abusivement la portée des faits rapportés : elle expose un fait. Nous avons jugé pertinent de le rapporter, car il témoigne de l’approche différente de la plaignante, une approche qui fait l’objet de reproches par les sources. »
Ils indiquent que « les sources ont relaté que depuis l’arrivée de la plaignante à la Ville, deux employés ont appris leur congédiement par huissier. »
Ils ajoutent : « Il est vrai que les congédiements doivent être approuvés par les élus en séance du conseil municipal. Toutefois, des vérifications ont permis de corroborer que les deux congédiements en question ont été recommandés par la plaignante. »
Selon les représentants du Courrier du Sud, « la phrase ciblée par la plainte n’est donc pas une déformation de la réalité, car le conseil a approuvé ces recommandations émises par la plaignante. » Ils précisent les dates des séances où les résolutions ont été adoptées par les élus : « À la séance du 14 novembre 2023, la résolution à propos d’un congédiement mentionne : “Considérant la recommandation de congédiement administratif émise par la directrice des ressources humaines à l’égard de l’employé portant le matricule 160019”. À la séance du 19 mars 2024, la résolution sur la fin d’emploi du deuxième employé qui l’a appris par huissier mentionne : “Considérant la recommandation de congédiement administratif émise par la Direction des ressources humaines à l’égard de l’employé portant le matricule 615061 sous le conseil du procureur externe de la Ville de Brossard”. »
Au sujet du recours à un huissier, le journal avance : « Par ailleurs, bien que la Loi sur les cités et villes permette le recours aux services d’un huissier pour signifier un congédiement, tel que l’avance la plaignante, ce n’était pas la pratique courante à la Ville de Brossard avant son arrivée, selon au moins trois sources. »
« Cette anecdote vient appuyer les dires d’une source selon laquelle, tel qu’il est écrit dans l’article : “C’est le ton qui s’est durci depuis l’arrivée de Martine Alie, tant dans la gestion des invalidités que dans la gestion des employés qui ne penseraient pas unilatéralement comme la direction” ».
En réponse aux arguments du média, la plaignante indique : « La journaliste ne s’est pas saisie de mon rôle et de mes responsabilités ni des lois qui régissent mes actions. Elle m’impute des gestes graves telle la recommandation de congédiements, l’envoi par huissier prescrit par la Loi sur les cités et villes, etc. Si elle avait pris soin de consulter un avocat compétent, elle aurait vite constaté que ce sont les “bonnes” pratiques que j’applique en fonction de mon rôle et mes responsabilités et conformément aux lois qui gouvernent la gestion des villes (Loi sur les cités et villes). Elle a erré par méconnaissance en laissant sous-entendre que je suis “responsable” ».
Analyse du comité des plaintes
La plaignante pointe plusieurs éléments de cette phrase (« Selon nos sources, les deux employés que Mme Alie a congédiés auraient appris la nouvelle par huissier. ») qui témoigneraient de sensationnalisme, selon elle.
D’abord, en ce qui concerne le fait que la plaignante a congédié des employés, bien qu’elle n’ait pas un pouvoir de congédiement direct, la directrice des ressources humaines a tout de même le pouvoir de recommander un congédiement au conseil municipal, pouvoir qu’elle a exercé. La journaliste a résumé la situation en indiquant que la plaignante « a congédié » deux employés, mais cela ne constitue pas une exagération ou une interprétation abusive des faits et des événements. Les résolutions adoptées par le conseil municipal les 14 novembre 2023 et 19 mars 2024 indiquent que la recommandation de congédiement administratif a été émise par la directrice des ressources humaines dans un cas et par la Direction des ressources humaines dans le second. Le conseil municipal ayant approuvé les congédiements sur la recommandation de la Direction des ressources humaines, il est peut-être imprécis, mais certainement pas sensationnaliste d’affirmer qu’elle les a congédiés.
Le manque de précision d’un terme ne constitue pas un manquement s’il ne déforme pas la réalité de façon abusive, ce que rappelle le dossier D2021-01-014, dans lequel le Conseil a rejeté le grief de sensationnalisme qui visait l’emploi du verbe « infester ». Le Conseil a jugé que « bien qu’un autre terme aurait pu être plus juste et précis, l’utilisation quelque peu bancale d’“infesté” ne va pas jusqu’à représenter une faute déontologique de sensationnalisme. Le dictionnaire Larousse donne notamment la définition suivante pour le verbe “infester” : “ravager un lieu”. Le même dictionnaire propose le verbe “envahir” comme un synonyme. Utilisé dans le sens d’envahir, le verbe “infester” n’exagère pas ni n’interprète abusivement la portée réelle des faits puisque l’interprétation des données pouvait laisser croire que le virus avait envahi ces vols si des cas positifs se trouvaient dans toutes les rangées de ces avions. »
De la même manière, dans le cas présent, la journaliste ne déforme pas abusivement la portée réelle des faits et des événements en écrivant que la plaignante « a congédié » deux employés, même si ses décisions à cet égard doivent être approuvées par les élus du conseil municipal.
En ce qui concerne le recours à un huissier de justice pour transmettre les avis de congédiement, lorsqu’on prend connaissance de l’article 72 de la Loi sur les cités et villes, citée par la plaignante, à la lumière du paragraphe 139 du Code de procédure civile qui stipule que « La demande introductive d’instance est signifiée par huissier. Il en est de même des actes pour lesquels le Code ou une autre loi prévoit la signification », il apparaît que la plaignante a agi en accord avec la Loi. En indiquant que les employés congédiés l’ont appris par huissier, la journaliste rapporte un fait sans l’exagérer ou l’interpréter abusivement. Bien qu’il aurait été plus précis de spécifier que c’est la Loi qui exige que la plaignante ait recours à un huissier, la phrase ne déforme pas la réalité de façon abusive.
On peut parler de sensationnalisme lorsqu’il y a abus quant à la portée réelle des faits, par exemple si l’on reprend des faits hors contexte ou que l’on fait dire aux gens des choses qu’ils n’ont pas dites dans le but de faire sensation. Ce fut le cas dans le dossier D2020-02-027, où le Conseil a retenu le grief de sensationnalisme. Le chroniqueur avait déformé les faits en affirmant que le philosophe Daniel Weinstock « a proposé que des médecins québécois effectuent des “excisions symboliques” sur les jeunes filles », alors que M. Weinstock avait plutôt repris les propos d’autres personnes. Dans sa décision, le Conseil souligne que le chroniqueur « a attribué au philosophe une proposition qu’il n’a jamais émise. De ce fait, l’entièreté de sa chronique se base sur cette déformation des propos de M. Weinstock. Le chroniqueur utilise une citation prise hors contexte pour faire sensation, s’indignant et critiquant Daniel Weinstock et le ministère de l’Éducation. »
Contrairement à cet exemple, dans le cas présent, le fait d’indiquer que des employés ont appris leur congédiement par huissier ne constitue pas une déformation ou exagération abusive de la portée réelle des faits puisque c’est ce qui s’est passé. En effet, la plaignante reconnaît elle-même que la Loi l’oblige à procéder de cette façon.
Grief 2 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 c) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste et le média ont manqué à leur devoir d’équilibre dans l’article « Brossard : la directrice des RH à l’origine d’un “climat malsain” ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque d’équilibre.
Arguments des parties
La plaignante déplore le manque d’équilibre de l’article. Elle affirme qu’elle n’a pas pu « exprimer [s]on point de vue ». La plaignante explique : « Ali Dostie est entrée en contact avec Colette Ouellet, directrice des communications, le 26 juin 2024. Elle lui avait fourni une série de questions. Une équipe a rencontré Mme Dostie le 5 juillet dernier. »
La plaignante précise qu’elle était « en vacances du 22 juin au 7 juillet 2024 et en aucun moment Mme Dostie ne [l]’a contactée ni verbalement ni par écrit. »
Le Courrier du Sud considère que « le journal a présenté le texte le plus équilibré possible, considérant les réponses obtenues par la Ville de Brossard. » Ils font valoir que « la Ville – de diverses manières et à plusieurs reprises – s’est réservée de tout commentaire, a fait fi de nos demandes adressées à la plaignante, et a informé le journal qu’il avait avisé ses “représentants” “de ne divulguer aucune information ni de faire aucun commentaire”. »
Les représentants du journal détaillent les différentes démarches effectuées pour tenter d’obtenir le point de vue de la plaignante et de la Ville :
« Un premier courriel a été envoyé à la directrice des communications de Brossard, Colette Ouellet, le 26 juin. Il s’agit du contact habituel pour toutes demandes à la Ville. La Ville était donc déjà au fait que le journal travaillait sur un dossier la concernant, en raison des quelques demandes d’accès à l’information qui avaient été formulées dans les mois précédents.
Ce courriel exposait les grandes lignes du dossier, ainsi que nos demandes. Une entrevue avec la plaignante en faisait partie. Nous évoquions dès cet instant la possibilité de fournir des questions écrites, advenant que la plaignante (et le directeur général) refuse la demande d’entrevue. […]
La tombée était le 5 juillet, à 15h.
Par téléphone, Mme Ouellet nous avise avoir pris acte de nos demandes et nous informe que la plaignante est en vacances. À aucun moment, la Ville ne nous a précisé la date de retour de vacances de la plaignante.
Une rencontre avec le directeur général et d’autres membres de la Ville est planifiée dans la matinée du vendredi 5 juillet, date proposée par la Ville.
Le 2 juillet, nous envoyons un deuxième courriel, en affirmant : “Je me permets tout de même de vous transmettre les questions qui devaient être adressées à Mme Alie, advenant qu’elle souhaite y répondre par écrit malgré ses vacances.” Le courriel contient en pièce jointe une liste de questions à Mme Alie. »
Au sujet de la rencontre du 5 juillet, Le Courrier du Sud rapporte : « On nous fait part qu’une lettre nous sera envoyée par un avocat, concernant notamment la “discrétion” avec laquelle une situation doit être gérée. Il importe de préciser qu’à la suite des plaintes de harcèlement et de lésions professionnelles déposées contre la plaignante à la CNESST, la plaignante a elle-même porté plainte contre les plaignants, mais en vertu de la Politique de la Ville pour prévenir et contrer le harcèlement au travail et promouvoir la civilité. »
Le média décrit la rencontre du 5 juillet : « Au début de la rencontre du 5 juillet, qui a duré près de deux heures, le directeur général avise qu’il ne pourra se prononcer sur des “incidents” précis. » Ils rapportent les propos du directeur général lors de cette rencontre :
« “Je dois protéger les personnes. Je ne peux pas parler d’un cas particulier. On ne peut pas intervenir pour ne pas vicier le processus de quelque incident que ce soit. D’ailleurs, notre procureur nous a écrit et va vous écrire… La lettre n’est pas une mise en demeure, ce n’est pas une façon d’intervenir dans votre travail, mais en vertu de la politique et de la loi, toute situation visée par un incident administratif doit être traitée avec discrétion et confidentialité. Et il en est de même pour tout employé qui aurait déposé une plainte ou qui est mis en cause dans une plainte ou appelé comme témoin dans une enquête. Ça vous est transmis pour le bien, de voir clair dans tout incident. C’est la seule réserve : compte tenu de ces balises, de la politique de la Ville, la loi, le procureur, je ne peux parler pas de quelque incident précis que ce soit.” »
« En fin de rencontre, nous avons tout de même demandé au directeur général s’il avait des commentaires concernant les plaintes contre la plaignante, puis celles que la plaignante a adressées contre ces employés, en vertu de la politique interne, poursuit le journal. Voici les deux réponses du directeur général :
“C’est confidentiel, les personnes qui ont parlé sont en bris de la politique et de la loi. On va voir, on va faire enquête, et personne n’est à l’abri de quoi que ce soit. Ce qui prime, c’est le respect de la politique, de la Loi. Et Mme Alie, n’importe qui qui peut être directement ou indirectement là-dedans, ne peut pas être partie prenante de l’enquête, il sera interrogé par l’enquêteur externe.”
“Encore là… Je ne peux pas intervenir, c’est déplorable qu’ils vous en aient parlé. Je serais en infraction, c’est confidentiel. De l’un ou de l’autre, je prends toutes les plaintes excessivement au sérieux.” »
Le Courrier du Sud affirme qu’au cours de cette rencontre, ils ont posé des questions à propos du fait que la plaignante aurait abaissé les exigences d’un poste afin d’embaucher une ancienne collègue, selon les sources de la journaliste. Ils indiquent que « le directeur général et la chef de service en acquisition de talent et rémunération globale ont pu fournir des explications, qui ont été mises dans l’article. » Ils ajoutent : « Malgré les contraintes imposées, nous avons travaillé à présenter un article équilibré, et avons présenté les deux points de vue chaque fois que l’on nous a offert des réponses à nos questions. »
Selon le journal, « le contenu de la lettre et l’absence de réponse aux questions écrites qui avaient été envoyées à l’intention directe de Mme Alie constituaient un refus, ou une impossibilité de répondre ». Ils rappellent : « Nous ignorions la date de retour de vacances de Mme Alie et, à notre esprit, elle avait été avisée par la Ville de nos démarches pour la joindre. Son adresse courriel était bel et bien publique, mais son numéro de téléphone personnel ne nous était pas connu. »
Les représentants du média indiquent que « la directrice des communications Colette Ouellet était au fait de la date de publication du dossier : le mardi 16 juillet. […] Mme Ouellet aurait pu, au retour de vacances de la plaignante, l’aviser de nos démarches. Elle aurait eu le temps de nous témoigner son intérêt à exprimer son point de vue. Or, nous n’avons eu aucune nouvelle. Aussi, dans un échange téléphonique, Mme Ouellet souhaitait connaître à l’avance le nombre d’articles du dossier à paraître et le sujet de chacun d’eux. Nous avons fourni ces informations, en précisant qu’un article en entier serait consacré à la plaignante. »
Le journal conclut en rapportant que la plaignante a pris contact avec eux plusieurs semaines après la publication de l’article : « La plaignante nous a écrit le vendredi 13 septembre à 18h45. À noter que la plainte a été déposée au Conseil de presse du Québec le dimanche 15 septembre à 8h18. Ce délai de moins de 48 heures, durant une fin de semaine, est plutôt court pour nous “permettre de rectifier l’information ou de clarifier un malentendu”, ce qui est le but de contacter le média concerné avant de déposer une plainte, selon le Conseil de presse du Québec. Nous avons répondu à ce message le mardi 17 septembre, à 13h15. Dans ce courriel, nous lui expliquons brièvement les démarches que nous avons faites pour tenter d’obtenir son point de vue. Nous lui offrons aussi un droit de réplique, afin qu’elle puisse s’exprimer sur les faits allégués dans l’article. Nous n’avons obtenu aucune réponse à ce message. »
En réponse aux arguments présentés par Le Courrier du Sud, la plaignante indique : « On m’a informée que Mme Dostie a reçu de multiples explications et une documentation abondante lors d’une rencontre qui s’est tenue le 5 juillet 2024, d’une durée de plus de 3 heures, et où étaient présents plusieurs représentants de la Ville. […] Cette information a été largement ignorée ou non prise en compte malgré sa pertinence. »
Elle ajoute : « Finalement, Mme Dostie indique dans l’article “La Ville et Mme Alie se sont réservés de tout commentaire…” La journaliste se défend sur une lettre qu’elle a reçue des avocats de la Ville en lien avec une mise en garde de la confidentialité que je dois moi-même respecter. »
La plaignante précise qu’elle n’a pas été informée par la Ville pendant ses vacances.
Analyse du comité des plaintes
Lors de l’analyse d’un grief de manque d’équilibre, il faut tenir compte de l’angle de traitement du sujet, puis identifier qui sont les parties en présence et si une juste pondération de leurs points de vue a été présentée.
Dans le cas présent, l’article s’attarde aux reproches formulés par des employés (anciens et actuels) de la Ville de Brossard à l’endroit de la directrice des ressources humaines. Les parties en présence sont donc les employés qui ont accepté de témoigner, la directrice des ressources humaines et la Ville.
Il importe de rappeler que la déontologie journalistique exige qu’ils prennent les moyens raisonnables pour respecter les normes déontologiques afin d’assurer une information de qualité.
À la lecture du récit soumis par le média relatant les efforts déployés par la journaliste pour joindre la plaignante et la Ville, il apparaît qu’elle a pris les moyens appropriés pour tenter de recueillir le point de vue de la plaignante.
Tout d’abord, la journaliste a clairement signifié les allégations qui visaient la directrice des ressources humaines pour lesquelles elle souhaitait obtenir les réponses de la plaignante, ou de son employeur, la Ville. Dans un premier temps, la journaliste a transmis cette information lors de sa demande d’entrevue faite par courriel à la directrice des communications de la Ville, Collette Ouellette, le 26 juin 2024. Dans ce courriel, la journaliste indique même : « Si M. Benedetti et Mme Alie refusent d’accorder une entrevue, je pourrais vous faire parvenir une liste de questions qui leur seraient adressées, afin de leur donner la chance de répondre. » Dès ce premier courriel, la journaliste indique clairement sa date et son heure de tombée qui est 9 jours plus tard. À un certain moment, Mme Ouellet a par ailleurs été informée qu’un article porterait spécifiquement sur la directrice des ressources humaines.
Par la suite, après avoir été informée par téléphone par Mme Ouellette que la plaignante était en vacances, la journaliste a transmis un deuxième courriel à la directrice des communications en lui indiquant : « Je me permets de tout de même de vous transmettre les questions qui devaient être adressées à Mme Alie, advenant qu’elle souhaite y répondre par écrit malgré ses vacances. »
Lors de l’entrevue avec des représentants de la Ville, dont le directeur général Guy Benedetti, la journaliste a été avisée qu’elle recevrait une lettre d’un avocat mandaté par la municipalité. Cette lettre indique qu’« en vertu de ladite politique, toute situation visée par celle-ci doit être traitée par tout représentant ou gestionnaire de la Ville avec discrétion et confidentialité. Il en est de même pour tout employé qui aurait déposé une plainte, qui est mis en cause dans une plainte ou qui est appelé comme témoin dans le cadre d’une enquête. » L’avocat ajoute dans sa lettre : « Comme mentionné plus haut, veuillez considérer la présente comme étant un rappel des obligations qui échoient à la Ville et à ses représentants afin de vous expliquer pourquoi nous avons avisé les représentants de la Ville de ne divulguer aucune information ni de faire aucun commentaire ayant trait à toute question en relation avec toute situation visée par la politique ci-haut mentionnée. »
Au vu de cette lettre, la journaliste pouvait raisonnablement conclure qu’il n’y aurait pas de réponse de la part de la Ville et de la plaignante, qui est employée de la Ville, étant donné qu’on y mentionne que les représentants de la Ville ne donneront aucune information et ne commenteront pas des dossiers qui sont visés par la politique de la Ville pour prévenir et contrer le harcèlement au travail et promouvoir la civilité.
Par ailleurs, lorsque la Ville a fourni des réponses aux questions de la journaliste, celle-ci les a rapportées dans son article. On le constate dans le passage où Mélanie Dokupil, chef de service en acquisition de talent et rémunération globale, et Guy Benedetti, directeur général, répondent aux critiques concernant l’abaissement des critères d’un poste qui aurait été attribué à une ancienne collègue de la plaignante.
La fin de l’article indique qu’on a donné à la Ville et à Mme Alie la chance de répondre : « La Ville et Mme Alie se sont réservés de tout commentaire, évoquant des processus en cours qui exigent la confidentialité. » Le public est donc bien informé des démarches de la journaliste.
En outre, quand la plaignante a finalement contacté le média en septembre, plusieurs semaines après la parution de l’article, la journaliste lui a répondu par courriel en se montrant ouverte à obtenir la version des faits de la plaignante. Elle lui a écrit : « Cela dit, si vous n’avez toujours pas cette réserve qu’a eue la Ville, il serait intéressant de vous entendre sur cette histoire. Nous pourrions prévoir un moment pour une entrevue, au téléphone ou en personne, au moment qui vous sera opportun. » La plaignante n’a pas donné suite à cette proposition. Difficile, dans les circonstances, d’affirmer qu’elle n’a pas eu la chance de donner son point de vue.
Dans un cas comparable, où le journaliste avait déployé les moyens raisonnables pour obtenir la version des faits du plaignant, qui était l’une des parties en présence, le Conseil a rejeté le grief de manque d’équilibre. Dans le dossier D2021-11-198, le plaignant déplorait que la seule tentative du journaliste pour contacter son entreprise « a été de laisser un courriel dans la boîte générale de celle-ci en indiquant uniquement que ce dernier était en train de rédiger un article sur le projet envisagé au 125-127, rue Messier, sans mentionner de contenu particulier ou de date de parution. Le courriel de M. Bélanger était sibyllin, à contretemps et trompeur. » Dans le courriel transmis au propriétaire de l’immeuble, le journaliste lui indique clairement sa date de tombée, qui était quelques jours plus tard, ce qui laissait un délai de réponse suffisant au plaignant. De plus, à la fin de son article, le journaliste fait état de ses démarches auprès du propriétaire : « L’Œil Régional a tenté d’obtenir des commentaires des Habitations Raymond Guay, mais aucun représentant n’a été en mesure de rappeler le journaliste au moment de mettre sous presse. » La décision conclut : « On ne saurait reprocher au journaliste l’absence de réponse du plaignant alors qu’il a pris des moyens raisonnables pour le joindre. L’article précise que des efforts ont été faits pour obtenir le point de vue du plaignant au sujet du projet de démolition de l’immeuble. »
De la même manière, dans le cas présent, la journaliste a fait tous les efforts nécessaires pour tenter d’obtenir la version des faits de la plaignante et de son employeur, la Ville de Brossard. Au moment de sa demande d’entrevue, elle a indiqué à la directrice des communications la nature des allégations visant la plaignante et lui a clairement indiqué sa date de tombée. Lorsqu’elle a appris que la Mme Alie était en vacances, la journaliste a transmis ses questions par courriel au cas où la directrice des ressources humaines aurait souhaité y répondre durant ses vacances. Elle a également précisé à la directrice des communications qu’un article complet porterait sur les allégations de climat « malsain » sous la direction de Mme Alie.
Si la journaliste n’a pas pu présenter le point de vue de la Ville, c’est que les représentants municipaux ont indiqué, lors de l’entrevue, qu’ils ne répondraient pas à des questions portant sur des dossiers confidentiels. Lorsque la plaignante a fait connaître son insatisfaction par rapport à l’article plusieurs semaines après sa parution, on lui a offert un droit de réplique auquel elle n’a pas donné suite.
Par ailleurs, la plaignante avance que lors de sa rencontre avec les représentants de la Ville, « de multiples explications et une documentation abondante » ont été fournies à la journaliste, mais que « cette information a été largement ignorée ou non prise en compte malgré sa pertinence ». Or la plaignante ne précise quelles seraient ces informations. Il n’y a donc pas de preuve que la journaliste avait en main des informations présentant le point de vue de la plaignante.
Grief 3 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste et le média ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant : « Par ailleurs, selon des employés, Mme Alie ne respecte pas la confidentialité qu’exige son poste, alors que des informations circulent sur des employés et leurs conditions de travail et que “des dossiers médicaux coulent”. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte.
Arguments des parties
La plaignante affirme : « Au contraire, à mon arrivée, tous les dossiers de gestion d’invalidités étaient à la disposition de l’équipe sans respect de la confidentialité des informations et sans le respect de la Loi 25. J’ai moi-même dû créer un répertoire “Bureau de santé” pour protéger les données. Aucune action par l’équipe en place […] n’avait été faite pour protéger les données des employés en invalidité. » Elle met en preuve une copie de sa demande faite le 27 juin 2023 à l’équipe des TI dans laquelle elle écrit :
« Afin de respecter la confidentialité des informations médicales, nous devons créer un nouveau répertoire à accès limités sous U:\RH\Bureau de santé.
Les accès seront permis à Martine Alie, Nathalie Cerrato et Sarah Larouche seulement. »
La plaignante ajoute : « De plus, j’ai dû discuter de la confidentialité des dossiers dans une réunion d’équipe en septembre 2023, car j’avais fait le constat que l’on discutait de tout dans les couloirs. Tout le monde savait tout sur tout le monde. J’ai dû faire plusieurs mises en garde. Évidemment, entre nous, aux ressources humaines, nous pouvons discuter des dossiers d’employés, car la majorité est régie en plus par le code d’éthique de leur profession. Je me devais de les protéger et à cet égard, j’ai pris soin de rappeler le respect de la confidentialité lors de nos grandes rencontres d’équipe de septembre 2023 et juin 2024. »
Les représentants du Courrier du Sud indiquent que « cette affirmation réfère à des comportements de la plaignante, non pas à une procédure qui est en place ou non, comme il est mentionné dans la plainte. »
Au sujet de la plaignante, ils affirment : « Les employés ont dénoncé que la plaignante s’immisce dans les dossiers des employés, et que le directeur général et la mairesse puissent être au courant de certains dossiers médicaux. Ils ont aussi dénoncé qu’elle puisse parler ouvertement de certains dossiers médicaux à d’autres employés, malgré la procédure en place. »
Ils concluent : « Nos sources nous confirment qu’il n’y a personne de désigné officiellement à la Ville pour gérer la confidentialité des dossiers, et que les employés des ressources humaines doivent ainsi se rapporter à la directrice, n’ayant aucune autonomie de gestion dans ces dossiers. Il nous a été mentionné également que les diagnostics médicaux fuitent, qu’il n’y a pas d’étanchéité par rapport aux dossiers médicaux du côté de la plaignante. »
Analyse du comité des plaintes
Bien que la plaignante ait soumis la copie d’un courriel transmis aux services informatiques, elle ne fait pas la démonstration que le passage visé par la plainte est incorrect. Ce courriel témoigne du fait que la plaignante a demandé des changements à la procédure informatique, mais cela ne constitue pas une preuve démontrant que l’information transmise par les sources confidentielles au sujet de son comportement est inexacte.
En l’absence d’une preuve démontrant l’inexactitude, un grief doit être rejeté, comme le rappelle le dossier D2024-02-014, qui fait valoir : « En l’absence d’une preuve démontrant qu’il est inexact d’affirmer que la boutique “avait ‘manqué de tissus’ pour compléter la robe”, le grief est rejeté. ». La décision explique : « Une inexactitude est constatée uniquement lorsque la preuve démontre que les faits présentés dans l’article sont inexacts. »
Pareillement, dans le cas présent, rien ne démontre que les informations transmises par les sources de la journaliste sont inexactes.
Grief 4 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste et le média ont omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet dans le passage suivant : « Mme Alie aurait aussi reproché à des collègues d’avoir accepté des congés de maladie, bien que des certificats médicaux les justifiaient. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète.
Arguments des parties
La plaignante fait valoir : « Il faut noter qu’à la Ville de Brossard, nous sommes assureur-employeur. À mon arrivée, j’ai constaté que les responsables des invalidités acceptaient des billets “non conformes”, sans diagnostic, des rapports étaient non signés, etc. Cela est prescrit dans les conventions collectives et il s’agit d’une bonne pratique. On ne respectait pas les conventions à cet égard. C’était la même chose pour les rapports médicaux qui n’étaient pas conformes, parfois non signés, etc. Il n’y avait aucune pratique de gestion des invalidités d’établie. La gestion des invalidités représente des coûts importants pour la Ville de Brossard. »
Le média affirme : « Dans une plainte pour harcèlement et lésions professionnelles contre la plaignante, adressée à la CNESST, qui l’a jugée recevable[, on peut lire] : “Elle a également interféré dans mes dossiers d’employés absents pour cause d’invalidité. À plusieurs reprises, elle consultait les documents confidentiels, elle me demandait ensuite de refuser leurs certificats médicaux et de ne pas rémunérer les employés absents en maladie, malgré les certificats médicaux signés par leur médecin traitant.” »
Analyse du comité des plaintes
Lors de l’analyse d’un grief d’information incomplète, il faut d’abord évaluer si l’information qui aurait été omise par le journaliste était essentielle à la compréhension du sujet.
Dans le cas présent, la plaignante n’indique en quoi les éléments qu’elle apporte auraient été indispensables à la compréhension du sujet.
Il appartient aux plaignants d’indiquer pourquoi l’absence d’une information ne permet pas au public de comprendre le sens du passage en question. Dans le dossier D2020-07-093, le Conseil a rejeté le grief d’information incomplète parce qu’il a déterminé que le plaignant n’a pas démontré en quoi le fait que le Centre intégré de Santé et de Services sociaux de la Montérégie-Ouest soit responsable de la situation qui sévissait dans une résidence pour personnes âgées aurait changé la compréhension du sujet.
Pareillement, dans le cas présent, comme la plaignante ne donne pas les informations nécessaires pour permettre l’étude du grief, celui-ci est rejeté.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Martine Alie, directrice des ressources humaines à la Ville de Brossard, visant l’article « Brossard : la directrice des RH à l’origine d’un “climat malsain” », de la journaliste Ali Dostie, publié dans Le Courrier du Sud le 16 juillet 2024 concernant les griefs de sensationnalisme, de manque d’équilibre, d’information inexacte et d’information incomplète.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Mathieu Montégiani, président du comité des plaintes
Vilashi Patel
Représentantes des journalistes
Sylvie Fournier
Jessica Nadeau
Représentants des entreprises de presse
Marie-Andrée Chouinard
Mick Côté