Le tribunal d’honneur du Conseil de presse du Québec a rendu et publié onze (11) nouvelles décisions reliées à des plaintes qu’on lui avait soumises. Six (6) d’entre elles ont été retenues, les cinq (5) autres ayant été rejetées. Trois (3) d’entre elles sont ici résumées. Les autres sont disponibles ici.
Une banalisation inexcusable de la violence sexuelle envers les femmes
Il est rare que le comité des plaintes aille jusqu’à blâmer sévèrement un journaliste pour une faute déontologique. Mais dans cette affaire, visant le chroniqueur Michel Beaudry, du Journal de Montréal, les membres du comité des plaintes ont jugé, à l’unanimité, que les propos que tenait ce dernier dans une chronique publiée le 2 octobre 2013 devaient être vertement dénoncés comme indigne de la profession journalistique.
Le texte en question s’attardait longuement à décrire le sort qu’il aurait réservé aux membres des Femens ayant fait irruption à l’Assemblée nationale, s’il avait été à la place des gardiens de sécurité : « si j’avais été agent de sécurité, je n’aurais pu m’empêcher de retenir une manifestante, justement et délicatement, en plaçant mes deux mains sur ses seins. » Pour ajouter ensuite qu’à son avis « Quatre-vingt-dix pour cent des hommes et beaucoup de femmes [l]’auraient envié. »
Aux yeux du Conseil, par ces commentaires le chroniqueur vient banaliser un geste qui relève ni plus ni moins de l’agression sexuelle – comment interpréter autrement le fait de profiter d’une position d’autorité pour faire des attouchements à caractère sexuel, et d’en rire? Le fait que le texte se voulait humoristique ne saurait dédouaner le chroniqueur.
Pour toutes ces raisons, le grief pour atteinte à la dignité humaine a été retenu, et un blâme sévère a été prononcé à l’encontre de M. Michel Beaudry et du Journal de Montréal.
Reportage sur une plainte visant Projet Montréal : un travail journalistique bâclé
Dans cette affaire, le plaignant, M. Pierre Dodin, reprochait à la journaliste Kathleen Lévesque, de La Presse, d’avoir manqué de rigueur, en omettant de vérifier certaines des informations contenues dans une plainte déposée auprès de la police, d’avoir manqué à son devoir d’équilibre en ne prenant jamais la peine de contacter la présidente de l’organisme communautaire qui était au centre des allégations contenues dans ladite plainte, et d’avoir refusé de se rétracter.
Le Conseil lui a donné raison sur toute la ligne, car en rapportant sans autre forme de vérification le nom des administrateurs invoqués dans une plainte déposée auprès de la police, la journaliste a commis une faute d’inexactitude, qui aurait du reste facilement pu être évitée, eut-elle simplement consulté le registre des entreprises du Québec, ou encore appelé la présidente actuelle de l’organisme en question, Plateau Milieu de vie. En effet, plusieurs des personnes nommées dans l’article avaient plutôt siégé au sein d’un organisme aujourd’hui dissous, sur les cendres desquels est né Plateau Milieu de vie.
Au surplus, le Conseil s’explique mal pourquoi la journaliste et le média, même après avoir été contacté par la présidente de l’organisme, n’a pas jugé qu’il était opportun d’apporter les correctifs nécessaires – ni à la première version, publiée sur Internet, ni à la version papier, alors que tout indique que ces demandes ont été faites avant l’heure de tombée.
En raison de l’importance de la faute, le Conseil a adressé un blâme à la journaliste Kathleen Lévesque et au quotidien La Presse.
Martineau : comparer le port du voile à celui de l’étoile jaune était irresponsable
Reprochant au chroniqueur Richard Martineau, du Journal de Montréal, d’avoir tenu des propos discriminatoires et encourageant les préjugés, Michel Jean, Dany Harvey et Leila Khellef ont déposé plaintes contre un article du controversé chroniqueur, intitulé « J’admire les islamistes ». Ils estiment que la comparaison qu’il établit entre les défenseurs du port du voile islamique et les nazis est inadmissible.
Comme le souligne les membres du comité des plaintes « s’il est évident que M. Martineau ne compare pas directement les musulmans qui défendent le port du voile islamique aux membres du KKK ou encore à ceux du parti nazi d’Adolf Hitler, on doit du même souffle reconnaître que l’analogie qu’il établit implique que l’on se retrouve devant des situations comparables. À la lecture du texte contesté, on comprend qu’aux yeux de M. Martineau, ces trois groupes partagent un objectif commun : celui de convaincre les “intellectuels” du bien-fondé de leurs visées sociopolitiques. Le journaliste laisse entendre que cette tâche de persuasion morale est de la même ampleur et vise à faire accepter des pratiques dont l’immoralité est à son avis comparable. » De l’avis du Conseil, comparer la moralité d’une pratique religieuse comme le port du voile islamique à l’imposition, fondée sur la haine, d’un signe vestimentaire distinctif comme l’étoile jaune est tout à fait irresponsable, puisqu’il déforme la portée et le sens de l’une comme de l’autre.
La plainte a donc été retenue.
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En vrac
Conflit d’intérêts à Ciel FM 103
M. Bernard Côté reprochait aux journalistes Louis Deschênes et Daniel St-Pierre d’être en conflit d’intérêts lorsqu’ils couvraient des sujets relevants de politique municipale, étant donné que le premier serait le gendre par alliance du maire, tandis que le second en serait un bon ami. Le Conseil lui a donné raison dans le premier des deux cas, et a jugé que M. Deschênes avait manqué à son devoir de réserve. Il a cependant rejeté le grief pour conflit d’intérêts visant M. St-Pierre, de même qu’un grief pour manque d’équilibre.
Une information incomplète dans Le Devoir
Dans cette affaire, M. Jean Archambault estime qu’un article du Devoir, relatant le point de vue de jeunes étudiantes musulmanes sur le projet de charte des valeurs québécoises, donnait aux lecteurs une information incomplète, puisqu’il omettait de mentionner que trois des six jeunes femmes interviewées faisaient partie d’un collectif qui s’opposait farouchement au projet en question, et que l’une de ces trois femmes était même porte-parole du groupe.
Avec une courte majorité (3/5), les membres du comité des plaintes ont donné raison au plaignant, et jugé qu’il était de la responsabilité du journal, qui reconnaissait d’ailleurs cette omission, de publier un rectificatif, ce qui ne fût pas fait.
M. Romero Roma a porté plainte contre Claude Bricault, éditeur du Journal de St-Michel, concernant un éditorial intitulé, « De François-Perrault à Montréal, pour vous », jugeant que ce texte, qu’il qualifie de publicité déguisée, n’aurait pas dû être publié, puisque l’éditeur était en conflit d’intérêts : M. Bricault y annonçait sa décision de se présenter comme candidat aux élections municipales montréalaises.
Le Conseil a donné entièrement raison au plaignant, jugeant que si le passage du journalisme au monde politique n’était pas impossible, il devait se faire avec un très grand souci éthique. Aux yeux du Conseil, dès que la décision de se lancer dans l’arène politique est prise, un journaliste se doit de quitter immédiatement ses fonctions – et ce, avant même que cette décision ne soit rendue publique.
Équilibrer les différents points de vue sur la charte des valeurs
L’appui donné au projet de charte des valeurs québécoises par le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) devait-il obligatoirement être présenté au Téléjournal de 22h de Radio-Canada? Telle est la question que soulevait la plainte de M. Simon Carrier, qui soutenait qu’en omettant de le faire, le diffuseur public avait manqué à son devoir d’équilibre.
S’il est évident que cet appui est une nouvelle d’importance, dans un débat qui polarisait alors la société québécoise, et que l’éluder aurait effectivement pu être considéré comme une faute, on doit reconnaître que Radio-Canada a, à plusieurs autres moments, rapporté la nouvelle, et ce, sur toutes ses plateformes (radio, télé, internet). Dans les circonstances, il n’était donc pas absolument nécessaire de présenter également cette information au Téléjournal 22h pour remplir ses obligations en matière d’équilibre. La plainte a donc été rejetée.