Le tribunal d’honneur du Conseil de presse du Québec a rendu et publié onze (11) nouvelles décisions reliées à des plaintes qu’on lui avait soumises. Huit (8) d’entre elles ont été retenues, les trois (3) autres ayant été rejetées.
Lev Tahor : l’anonymat des mineurs aurait dû être mieux protégé
La déontologie journalistique est catégorique : l’identité des personnes mineures doit absolument être protégée lorsque le dévoilement de celle-ci risquerait de compromettre leur développement. Les exceptions à ce principe ne se justifient qu’à l’aune d’un intérêt public exceptionnel.
Dans cette affaire, le comité des plaintes a dû se pencher sur un reportage portant la communauté Lev Tahor, diffusé à la télévision de Radio-Canada. Le plaignant estimait que certains éléments du reportage permettaient, indirectement, l’identification d’enfants pris en charge et placé dans des foyers d’accueil par la Direction de la protection de la jeunesse.
En interviewant le rabbin Shlomo Helbrans, de même que la femme de son fils, la journaliste Émilie Dubreuil aurait selon le plaignant donné suffisamment d’information pour identifier les enfants de ce couple.
Le comité des plaintes a donné raison au plaignant, et jugé que « la diffusion des mêmes extraits d’entrevue, sans nommer la jeune femme et sans montrer partiellement son visage, aurait permis la même compréhension des enjeux pour le public », sans cependant permettre l’identification des mineurs, qui vivaient assurément des difficultés personnelles graves, et dont l’identité devait en conséquence être protégée.
Diffuser l’entrevue d’un mineur sans son consentement, mais dans l’intérêt public
Dans une plainte analogue à la première, Me Geneviève Lafontaine, du Bureau d’aide juridique de Sherbrooke, reprochait à la station CIMT-TVA de Rivière-du-Loup d’avoir diffusé les propos d’un adolescent de 15 ans, sans son consentement. Le reportage portait sur l’inquiétude d’une mère au sujet de ses fils, confiés par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) à leur grand-mère. Cette dernière les obligerait à fréquenter un mouvement religieux aux pratiques douteuses. Dans le reportage, l’adolescent en question dit voir « des esprits » et des « démons ».
Le comité a cette fois rejeté la plainte, estimant, dans un premier temps, que l’identité de l’adolescent avait été suffisamment protégée — à aucun moment des informations permettant son identification, même indirectement, n’ont été dévoilées.
Quant à savoir s’il était légitime de diffuser l’entrevue du jeune homme, considérant que celui-ci avait d’abord accordé son consentement au journaliste, pour ensuite se raviser, le comité a été divisé. Une majorité de membres ont cependant estimé que les questions que soulevait le reportage, portant sur le rôle joué par la DPJ dans la protection du bien-être et du développement du jeune homme, étaient éminemment d’intérêt public, et que le témoignage de ce dernier était essentiel.
Une minorité de membres a exprimé sa dissidence, jugeant pour sa part que les impacts potentiels, sur le développement futur du jeune homme, l’emportaient sur l’intérêt public de la diffusion de son témoignage. À leur avis, il n’était pas nécessaire, pour aborder la question de la responsabilité de la DPJ dans cette affaire, de diffuser le témoignage du jeune homme.
Une publication injustifiable d’informations personnelles d’une ex-employée
Pour illustrer un article publié alors qu’elle travaillait au Journal de Québec, Mme Raphaëlle Plante avait utilisé une photo de son permis de conduire, dont les informations personnelles avaient été dûment brouillées. En février 2014, Mme Plante remarque cependant que son ancien employeur a réutilisé cette même photographie, pour illustrer un autre article, sans cependant prendre la peine de masquer plusieurs informations sensibles : nom complet, date de naissance, adresse résidentielle et numéro de permis de conduire.
Le Conseil a donc retenu la plainte de Mme Plante pour atteinte au droit à la vie privée, notant au passage que « l’atteinte aux droits de la plaignante aurait pu être évitée en amont par une meilleure gestion des archives d’images et, en aval, par une vigilance plus grande avant la publication ».
En rafale
Dans un article faisant le portrait d’une historienne d’origine chilienne qui s’intéresse particulièrement à l’histoire de la ville de Lévis, la journaliste Mylène Moisan a omis à quelques reprises, de l’avis du Conseil, de bien identifier certains propos qui étaient en fait ceux de son interlocutrice. Ainsi, certaines inexactitudes dans les propos de cette dernière semblaient être présentées comme des faits avérés et vérifiés, alors que ce n’était pas le cas — et que ce n’était pas clair pour le lecteur.
Un candidat à la mairie du Plateau Mont-Royal, Martin Boyer, a porté plainte contre une journaliste du Journal de Montréal. Il lui reprochait notamment de ne pas avoir rapporté, dans un article portant sur le fait que l’Autorité des marchés financiers cherchait à lui interdire d’exercer des activités de conseiller en valeurs mobilières, que ses rendements atteignaient selon lui 10 000 %.
Le Conseil lui a donné tort sur toute la ligne, sauf sur un point : le Journal aurait effectivement dû effectuer un suivi de l’affaire, qui s’est soldée par une entente à l’amiable entre l’organisme et le candidat, en vertu de laquelle ce dernier s’engageait à cesser d’exercer toute activité de conseiller en valeurs mobilières et de solliciter des investisseurs.
Le Conseil a donné raison à Mme Marie-Ève Duchesne, du Réseau des femmes sans emploi du Nord du Québec, dans une affaire impliquant Sylvain Bouchard, animateur à la station 93,3 FM, qui a jugé que ses propos sur les personnes assistées sociales portaient atteinte à la dignité humaine, en plus d’être méprisants. Dans l’extrait en question, M. Bouchard s’en prend à ceux qu’il qualifie de « B.S. », en laissant entendre qu’ils préfèrent tous participer à des manifestations plutôt que de mettre les efforts nécessaires pour se trouver un emploi. Cette généralisation a été jugée abusive, et attentatoire au droit à la dignité.
Une fois de plus, le Conseil a dû se pencher sur une plainte reprochant à Nicolas Mavrikakis, un artiste visuel, d’être en situation de conflit d’intérêts — cette fois pour des articles parus dans Le Devoir. Le Conseil a donc réaffirmé qu’il estime que M. Mavrikakis n’a pas l’indépendance nécessaire pour agir à titre de journaliste culturel, puisqu’il sera toujours en conflit d’intérêts — potentiel ou apparent.
Le Conseil a également retenu une plainte visant le site Internet Canoë et l’Agence QMI pour un titre jugé trompeur. L’article en question traitait du rapport du coroner, lequel critiquait sévèrement les policiers impliqués. Or le titre, « Affaire Fredy Villanueva : la police n’est pas blâmée », amenait le lecteur à une tout autre conclusion.
Dans cette affaire, M. Jon Armano a porté plainte contre le Journal de Magog, pour un article et une vidéo traitant d’un problème de bruit relié à différents travaux effectués dans une zone de conservation. Le plaignant jugeait que l’article l’associait injustement aux bruits que dénonçaient des citoyens, et estimait que le journal aurait dû rectifier les inexactitudes publiées. Le Conseil lui a donné raison sur ces deux points.